Les Équilibristes ★★☆☆

La documentariste Perrine Michel filme les équipes de soignants de l’unité de soins palliatifs d’un hôpital parisien. Pendant son tournage, elle apprend que sa mère est atteinte d’un cancer de la gorge qui se révèlera vite incurable. Elle choisit alors un montage alterné : d’un côté les images de l’hôpital où elle prend vite le parti de se focaliser sur les soignants et de ne nous apprendre des patients que ce qui se dit d’eux lors des réunions médicales, de l’autre un spectacle chorégraphié (un « mouvement ») sur lequel est montée la voix de la réalisatrice, enregistrée en direct à l’occasion des longues conversations téléphoniques qu’elle a eues avec sa mère, avec son frère expatrié en Australie, avec sa sœur cadette, avec ses amis…

Juger un documentaire, c’est souvent juger le sujet qu’il traite. La fin de vie en est un bouleversant qui ne peut évidemment que susciter l’émotion et le recueillement.
Ceci étant dit, on peut porter deux regards radicalement différents sur ces Équilibristes – dont le titre renvoie peut-être aux soignants sommés de trouver la bonne attitude ou alors aux patients qui vacillent entre la vie et la mort ou encore aux danseurs qui défient les lois de la gravité. Le premier serait d’approuver le choix de la réalisatrice de faire résonner le sujet de son reportage avec l’expérience traumatisante qu’elle a elle-même vécue en accompagnant sa mère à la mort. Le second serait de lui reprocher cet attelage un peu métronomique – une scène à l’hôpital succède à un mouvement de danse qui succède à une scène à l’hôpital, etc. – là où on aurait préféré qu’elle se focalise sur cette unité de soins palliatifs qu’on aurait aimé mieux découvrir.

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30 jours max ★☆☆☆

Rayane (Tarek Boudali) est un brave garçon du 9-3, la main sur le cœur, toujours prêt à rendre service, au risque souvent qu’on abuse de sa gentillesse. Depuis la mort de son père, il vit avec sa grand-mère (Marie-Anne Chazel) et Linda (Reem Kherici), son ex qui campe insolemment dans son appartement alors que le couple a rompu depuis des mois.
Rayane est gardien de la paix. Mais sa timidité maladive et ses gaffes à répétition l’ont fait mal voir de son patron (Nicolas Marié). Il est secrètement amoureux de sa collègue, la belle Nathalie (Vanessa Guide) à laquelle il n’ose pas déclarer sa flamme. Lorsqu’une maladie incurable lui est diagnostiquée, lui laissant à peine trente jours à vivre, Rayane décide de lever toutes ses inhibitions et de lâcher les chevaux.

La « bande à Fifi » est de retour. Philippe Lacheau, Tarek Boudali, Julien Arruti et Reem Kherici forment une joyeuse troupe qui n’est pas sans rappeler le Splendid – dont faisaient partie Marie-Anne Chazel dont la présence dans 30 jours max sonne comme un passage de relais, ou Gérard Jugnot, déjà à l’affiche de Babysitting. Révélé par Le Grand Journal de Canal, ils ont tourné ensemble une demi-douzaine de comédies populaires : Babysitting et sa suite brésilienne, Alibi.com, Epouse-moi ton pote, Nicky Larson et le Parfum de Cupidon… On attend à l’automne leur prochain opus : Super-Héros malgré lui.

À chaque film, la recette, éprouvée sinon éculée, est la même : un vague scénario prétexte à un enchaînement non-stop de gags volontiers transgressifs. La vulgarité est souvent au rendez-vous. Aussi peu bégueule que mon âge et mon atavisme m’en rendent capables, je fais profession d’en rire. J’ai écrit ici le plaisir régressif pris devant Babysitting. Mais j’ai aussi écrit là que Nicky Larson…. ne m’avait pas vraiment convaincu : « Il faut être cul-serré pour ne pas en rire mais bien indulgent pour y trouver de l’intérêt » disais-je à l’époque (note pour moi : arrête de t’auto-citer…. ça devient embarrassant !)

Sorti le 14 octobre 2020, 30 jours max fut, durant sa première semaine d’exploitation, le film le plus vu en France, avant qu’Adieu les cons et le reconfinement ne le stoppent dans son élan. Les mois ont passé et c’est dans un circuit très restreint de quelques cinémas à peine qu’il retrouve le chemin des salles. J’ai payé mon écot à la revitalisation du cinéma français en allant le voir. Mais je crains que mon ticket ne suffise pas à lui faire atteindre la barre des deux millions d’entrées qu’il pouvait légitimement espérer atteindre.

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40 ans, toujours dans le flow ★★☆☆

Radha Blank est en pleine crise de la quarantaine. Voilà plus de dix ans qu’elle n’a pas réussi à concrétiser les espoirs que ses premières œuvres théâtrales avaient fait naître malgré les efforts que déploie son agent et ami d’enfance. Célibataire, en surpoids, elle vit à Harlem dans un appartement exigu et peine à faire le deuil de sa mère qui vient de mourir. La production de sa prochaine pièce l’oblige à des compromis auxquels elle se refuse. En attendant, elle vivote en donnant des cours de théâtre dans un lycée dont les élèves lui mènent la vie dure.

L’autobiographie de l’auteur en proie au doute créatif est un genre éculé. C’est, tout bien considéré, assez logique : les auteurs qui cherchent désespérément un sujet d’inspiration finissent tous immanquablement par écrire sur leur expérience immédiate de l’angoisse de la page blanche. C’est aussi un genre dangereux qui court les risques alternatifs ou cumulatifs du nombrilisme, de la complaisance et de l’insignifiance : quoi de plus égocentrique et de plus ennuyeux qu’un auteur en train de raconter le vide de sa vie ?

Radha Blank parvient avec beaucoup de pudeur à éviter ces embûches.
Certes son autobiographie ne bouleverse pas les canons du genre et ne réserve guère de surprises. Comme on s’y attendait, il n’y a pas un plan qui ne la montre, seule chez elle, sur le chemin de son lycée, avec ses élèves, en compagnie de son agent ou bien encore durant les répétitions de sa pièce. Son omniprésence pourtant n’est pas envahissante ; car elle fait preuve de tant d’humour, de tant de lucidité qu’on ne peut très vite que s’attacher à elle. Les dialogues sont ciselés. Aucun ne provoque d’éclat de rire ; mais tous font naître une émotion.

Tourné dans un noir et blanc velouté, en 35mm, 40 ans, toujours dans le flow (traduction calamiteuse de The Forty-Year-Old Version) se déroule à Harlem, dans le nord de Manhattan. Il réussit le pari paradoxal de filmer New York avec élégance sans en montrer aucun des clichés caractéristiques.

L’autobiographie de Radha Blank est aussi l’histoire d’une hésitation et d’une bifurcation : Radha continuera-t-elle à écrire des pièces de théâtre en usant jusqu’à la corde des sujets qu’elle et d’autres ont déjà explorés ? ou osera-t-elle avec le beau D, malgré leur différence d’âge, slamer ses textes sur une musique de rap ? La conclusion est sans surprise ; mais elle sonnera comme un message d’espoir pour tous ceux qui traversent la crise de la quarantaine en désespérant de se réinventer.

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Rebecca ★☆☆☆

Une jeune femme désargentée (Lily James) – dont on ne saura jamais le nom – travaille comme dame de compagnie d’une riche rombière en villégiature sur la Côte d’Azur. Elle y fait la connaissance du très séduisant Maxim de Winter (Armie Hammer) qui lui demande sa main. Le couple retourne s’installer à Manderley, la grande demeure familiale en Cornouailles, hantée par le fantôme de la première Mrs de Winter, morte dans de troubles circonstances, dont la gouvernante, Mrs Danvers (Kristin Scott Thomas), entretient maladivement le souvenir.

Quand j’étais gamin, à la fin des années soixante-dix, j’ai vu à la télévision, en noir et blanc, la mini-série en quatre épisodes que la BBC avait tiré du roman de Daphné du Maurier. J’en ai gardé un souvenir précis et terrifié. Je me souviens de l’apparition de la nouvelle Mrs de Winter en haut des marches le soir du bal. Je me souviens de l’épave du bateau découverte près de la côte par quelques mètres de fond. je me souviens de la vision d’enfer du dernier plan de l’œuvre.

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai vu le film de Hitchcock – qui lui valut son seul et unique Oscar – et que j’ai lu le roman de Daphné du Maurier. J’avais grandi et n’y avais pas retrouvé la peur éprouvée à neuf ans devant la série de la BBC – que personne ne mentionne tant elle était certainement sans intérêt.

Quatre-vingt ans après le roman et le film de Hitchcock, quarante après la série de la BBC (oubliée donc de tous sauf de moi), Netflix a lancé fin 2018 la production de ce remake. La plateforme a parié sur deux acteurs pleins d’avenir : Lily James, dont j’ai déjà dit dans ma critique de The Dig tout le bien que je pensais, et Armie Hammer, dont la carrière vient de se briser début 2021 sur les révélations glaçantes de quelques unes de ses ex. Mais le pari n’a pas réussi : accueilli par de fraiches critiques, le film n’a pas trouvé son public.

Pourquoi ce remake ? Pour attirer les spectateurs qui, comme moi, ayant gardé un bon souvenir des premières versions, sont curieux de voir quelle adaptation on peut en faire aujourd’hui ? Mais le risque semble grand de les décevoir : la copie pourra-t-elle jamais dépasser l’original ? C’est hélas la tare prévisible de ce Rebecca-là. Ses décors ont beau être splendides, ses costumes luxueux, son scénario impeccable, tout y semble artificiel ; et quand bien même on y passerait un bon moment, on se dit qu’on en aurait passé  un meilleur encore avec Hitchcock, Laurence Oliver et Joan Fontaine.

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Guillermo Vilas : Un classement contesté ★☆☆☆

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, Guillermo Vilas comptait parmi les meilleurs du tennis mondial avec Jimmy Connors et Björn Borg. Vainqueur de quatre tournois du Grand Chelem (Roland Garros et l’US Open en 1977, l’Open d’Australie en 1978 et en 1979), champion incontesté de la terre battue, il ne fut jamais consacré numéro un mondial par le classement de l’ATP. Quarante ans plus tard, un journaliste argentin décide de reprendre à zéro les calculs de l’ATP et de rendre à Vilas la reconnaissance dont il a été frustré.

Il y avait bien des façons de parler de Guillermo Vilas, le célèbre tennisman au physique de playboy argentin, séducteur impénitent, poète et guitariste à ses heures perdues. Son service-volée et son incroyable endurance galvanisaient les foules. Il a inventé le lift. Il livra face à Nastase en finale des Masters de 1974 un combat d’anthologie qu’il gagna en cinq sets. C’est grâce à lui notamment que le tennis, jusqu’alors un sport d’amateur et de gentleman, devint à cette époque un show médiatique.

Pourtant, c’est par un angle bien particulier que Mathias Gueilburt aborde pour Netflix la carrière de Vilas : celui de son classement ATP. À l’époque, avant l’informatique, ce classement, lancé depuis 1973 seulement, était encore artisanal et entaché d’erreurs. Eduardo Puppo, un journaliste sportif, tenta sans succès d’en reprendre les calculs. Débordé par l’ampleur de la tâche, il dut s’adjoindre le concours d’un mathématicien roumain, Marian Culpian. Leur travail herculéen démontre que Vilas aurait mérité la place de numéro 1 pendant cinq semaines en 1975 et pendant deux autres début 1976.
L’ATP fut saisie d’une demande de requalification. Elle la rejeta en 2015. le documentaire laisse entendre que ce rejet était arbitraire et n’était guère motivé que par la crainte de voir surgir d’autres contestations. La raison en est en fait plus simple – et moins flatteuse pour Vilas : si le classement des têtes de séries n’avait pas été le même à l’époque, répond l’ATP, les joueurs auraient affronté d’autres adversaires et eu d’autres résultats qu’on ne saurait rétrospectivement reconstituer. Pour le dire autrement : il est impossible de modifier rétroactivement le classement mondial car cette modification aurait empêché les matches qui ont eu lieu de se tenir.

Cette querelle de chiffres et d’historien n’est pas inintéressante. Elle révèle la frustration d’un tennisman qui, faute d’avoir jamais accédé à la première marche du podium, a nourri toute sa vie durant une rancœur poulidorienne. Elle a permis aussi que se noue entre le journaliste don quichottesque et le champion vieillissant (frappé d’une maladie dégénérative, Vilas s’est retiré à Monaco) une amitié attendrissante. Mais elle nous prive d’une enquête qui aurait été autrement plus stimulante sur le tennisman, son jeu, ses matches, sa vie, ses frasques, comme le documentaire L’Empire de la perfection nous en avait fournie sur McEnroe ou la fiction Borg/McEnroe injustement critiquée.

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Move ★★☆☆

Move est une mini-série documentaire Netflix en cinq épisodes. Elle nous propose un tour de monde de la danse contemporaine à travers les portraits qu’elle dessine de cinq des plus grands chorégraphes au monde : Jon Boogz et Lil Buck aux Etats-Unis, Ohad Naharin en Israël, Israel Galvan en Espagne, Kimiko Versatile à la Jamaïque, Akram Khan au Royaume-Uni. Chacun a inventé un langage chorégraphique bien à lui tel la méthode Gaga ou exploré, développé, modernisé révolutionné, un style déjà ancien tel le flamenco ou le kathak.

Thierry Demaizière et Alban Teurlai forment depuis plus de quinze ans un duo inséparable. Pour la télévision d’abord, pour le cinéma ensuite, ils ont signé ensemble plusieurs documentaires. Les trois derniers, sortis en salles, entretenaient avec leurs sujets une distance toujours juste : Relève  sur Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, Rocco sur le célèbre acteur porno et Lourdes sur les pèlerins affluant au sanctuaire de Bernadette Soubirous. Leur talent ne pouvait pas passer inaperçu de Netflix qui, en 2019, leur a commandé une série ambitieuse.

Chaque épisode de quarante-cinq minutes environ est construit selon le même schéma et emprunte les mêmes ressorts, au risque parfois de la répétition. Systématiquement, les parents du chorégraphe sont interviewés, qui ne cachent pas bien sûr leur admiration pour leurs brillants rejetons mais aussi les conflits que leurs choix parfois radicaux ont pu entraîner : le père d’Akram Khan voulait qu’il reprenne le restaurant familial, celui d’Israel Galvan a longtemps refusé qu’il s’écarte de la tradition flamenco.

On voit ensuite les chorégraphes avec leurs compagnies. C’est la partie la plus intéressante du documentaire, celle où on les voit travailler ensemble, le front plissé par la concentration, les muscles tendus par l’effort. Il s’agit pour eux de préparer un spectacle dont on voit quelques images, trop courtes, à la toute fin du documentaire. C’est le cas notamment de la chorégraphie, toute en puissance, que monte Akram Khan au Bengladesh, en mars 2020, pour le centième anniversaire de la naissance du fondateur de ce pays. Ultime regret : ne pas prendre plus de temps devant ces spectacles dont on est frustré de n’en apercevoir que quelques passages et qu’on aurait aimé regarder plus longtemps.

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Dick Johnson Is Dead ★★★☆

Kirsten Johnson est documentariste. Elle vient de perdre sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle va bientôt perdre son père, frappé du même mal, auquel elle est profondément attachée.
Pour conjurer l’inévitable, elle décide d’en faire le héros d’un documentaire loufoque où il jouera sa propre mort et son arrivée au paradis.

Dick Johnson Is Dead est à la fois très drôle et très émouvant. Ce documentaire bénéficie d’un personnage en or : Dick Johnson lui-même, un anti-Tatie Danielle. Cet octogénaire tout en rondeur, ancien psychiatre, est le père ou le grand-père qu’on rêverait tous d’avoir. D’où tient-il son inaltérable bonne humeur ? De sa foi profonde (il est adventiste du septième jour) ? De la vie qui semble-t-il lui fut douce même si on n’en apprend pas grand-chose ? De l’amour dont l’entourent sa fille et son fils ?

On le découvre à quatre vingt ans passés, veuf depuis déjà quelques années, entouré de ses petits-enfants bruyants et joueurs. Son état de santé déclinant l’oblige à fermer son cabinet de consultation (on travaille vieux aux Etats-Unis) et à quitter Seattle pour aller habiter à New York avec sa fille. Il lui faut vendre sa voiture et renoncer à conduire. C’est la première renonciation, douloureuse, à son indépendance. Il y en aura d’autres…

Dick Johnson Is Dead n’entretient aucun suspens et ne contient aucun coup de théâtre. La vie hélas n’en présente guère dont on sait d’avance l’inéluctable conclusion. C’est avec cette conscience éclairée et un solide sens de l’humour que Kirsten Johnson l’affronte. L’acceptation sereine de l’irrémissible dégradation de l’état de santé de son père est sa seule ligne de conduite. Elle n’exclut pas un profond chagrin et une sourde colère. Elle est ponctuée de ces scènes de pure comédie où elle filme la mort de son père dans un escalier glissant, au volant, sur un trottoir, etc.

Son documentaire pourra sembler nombriliste et un peu vain. Il n’en reste pas moins un témoignage profondément touchant d’amour filial.

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Les Sept de Chicago ★★★★

Sept activistes ont été jugés à Chicago en 1969. Ils étaient accusés d’avoir provoqué de violents affrontements avec la police, un an plus tôt, en marge de la Convention démocrate réunie dans cette ville pour désigner le candidat du parti qui allait affronter Richard Nixon aux élections présidentielles.

Aaron Sorkin, l’un des plus grands scénaristes contemporains, est de retour. Sa spécialité depuis bientôt trente ans : le politique au sens noble du terme. C’est lui qui a écrit le scénario des 155 épisodes de The West Wing (À la Maison-Blanche), de Des hommes d’honneur, de The Social Network, de Steve Jobs. En 2017, pour la première fois, il est passé à la réalisation avec Le Grand Jeu. Les Sept de Chicago est son second film comme réalisateur et c’est une réussite totale.

Les Sept de Chicago est un film de procès. Sitôt achevé le pré-générique qui, à tambour battant, nous introduit à ses sept protagonistes, Sorkin plante sa caméra dans un tribunal et n’en sortira quasiment jamais jusqu’au plan final délicieusement euphorisant. Les seules dérogations à cette règle sont les flashbacks qui reviennent sur ces affrontements d’août 1968 entre policiers et manifestants.

Les Sept de Chicago soulève des questions politiques et éthiques d’une brûlante actualité. Il résonne avec les débats en France sur les violences policières et avec des œuvres telles que Un pays qui se tient sage. Aux Etats-Unis, l’hostilité à Donald Trump a emprunté d’autres voies que celles en France de l’hostilité à Emmanuel Macron. Elle a fait un détour par l’histoire, rappelant le racisme des années soixante (Detroit), la misogynie des années soixante-dix (Mrs. America) que Trump était accusé de remettre au goût du jour. C’est le même procédé qu’utilise Aaron Sorkin en dépoussiérant une page oubliée de l’histoire récente américaine.

Comme ces autres films, Les Sept de Chicago est bavard. On y parle beaucoup, à un rythme de mitraillette. C’est parce qu’il y a beaucoup à dire, sur l’oppression d’État, sur l’injustice, bien sûr, mais aussi sur les moyens d’y répondre, l’usage ou non de la violence, le respect ou pas des règles de la démocratie, autant d’options qu’incarne à leur façon chacun des sept accusés.

Les Sept de Chicago est servi par une interprétation impeccable. On trouve au casting beaucoup de ces seconds rôles dont on peine à se souvenir du nom, à commencer par Frank Langella dans le rôle du juge scandaleusement partial qui présida l’audience. Mention spéciale à Mark Rylance pour son interprétation de l’avocat de la défense et à Joseph Gordon-Levitt pour un procureur écartelé entre ses principes moraux et sa hiérarchie. Mais la vedette va aux deux personnages principaux : Eddie Redmayne (Oscar 2015 du meilleur acteur pour Une merveilleuse histoire du temps), sans doute l’un des acteurs les plus incandescents de sa génération, et Sacha Baron Cohen qu’on n’imaginait pas capable d’une telle sobriété dans le rôle du plus provocateur des sept activistes.

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Le Jeu de la dame ★★☆☆

À la mort de sa mère, la jeune Beth, neuf ans à peine, est placée dans un orphelinat. C’est là qu’elle apprendra à jouer aux échecs avec un vieux concierge taiseux. C’est là aussi qu’elle développera une accoutumance aux médicaments dont elle ne se sevrera jamais.
À quinze ans, Beth est adoptée. Elle peut désormais participer à des tournois d’échecs qu’elle remporte avec une insolente facilité. Elle a tôt fait de surpasser les meilleurs joueurs américains avant de se lancer à l’assaut des champions incontestés du jeu : les grands maîtres soviétiques. Rien ne semble l’arrêter sinon peut-être ses démons intérieurs.

Le Jeu de la dame (bien boiteuse traduction de The Queen’s Gambit) est diffusé depuis le 23 octobre sur Netflix. Sa sortie a coïncidé avec le second confinement en France et a bien vite suscité l’unanimité à l’instar de Unorthodox au début du premier. Même si j’en ai binge-watché les sept épisodes d’une petite heure chacun pendant un long dimanche pluvieux, j’avoue ne pas y avoir pris le plaisir que j’y attendais.

Le Jeu de la dame est l’adaptation du roman éponyme écrit en 1983 par un auteur américain – et traduit en France en 1990. Que cette série ait mis près de quarante ans à se faire devrait nous mettre la puce à l’oreille : si le roman – que je n’ai pas lu –  avait été un chef d’œuvre, on n’aurait certainement pas attendu si longtemps son adaptation.

Le Jeu de la dame suit un schéma très classique. Trop peut-être. Premièrement, l’ascension d’un génie en herbe avec la révélation presque providentielle de ses talents innés et l’accumulation inattendue et enivrante des premières victoires. Deuxièmement, la chute inévitable pour pimenter une action qui aurait été, sans elle, trop linéaire. Troisièmement, la rédemption dans un épilogue certes euphorisant mais ô combien prévisible.

À la différence des séries traditionnelles dont le mode d’emploi est le tissage de plusieurs histoires entre elles, Le Jeu de la dame est construit selon un principe plus simple. Tout s’organise autour de son héroïne, interprétée par la jeune Anya Taylor-Joy, une quasi-inconnue désormais promise à un brillant avenir. Les personnages qui l’entourent – sa meilleure amie au pensionnat, sa mère adoptive, son premier rival aux échecs, le grand maître soviétique dont elle convoite la place – ne sont que des faire-valoir destinés à la mettre en valeur. On notera d’ailleurs l’absence d’un vrai « méchant », les hommes se montrant tous unanimement, dans ce récit féministe, d’une douce et surprenante délicatesse.

Le Jeu de la dame lit-on partout a une vertu : il peut être aussi bien vu par les passionnés d’échecs que par ceux qui n’en connaissent pas les règles. Là encore, je ne partagerais pas cet avis. Les parties – ou du moins ce que j’en ai saisi tant les plans sont trop rapides pour en apprécier chaque coup – m’ont semblé bien tarabiscotées. Un peu comme si on avait réduit un match de football à une série de coups francs dans la lucarne ou de retournés acrobatiques. La réalité en est autrement moins spectaculaire.

Le Jeu de la dame a certes une qualité à laquelle je suis tout particulièrement sensible : nous ramener façon Mad Men dans ces années soixante si photogéniques, si élégantes. La gracieuse Anya Taylor-Joy, qui a débuté à dix-sept ans dans le mannequinat, est habillée, maquillée, coiffée, comme un top modèle. Chacune de ses toilettes, à partir du troisième épisode, est un enchantement pour l’œil. Qui aurait l’ingratitude de relever qu’elle est censée jouer une péquenaude du Kentucky ?

J’ai certes la dent dure. Le Jeu de la dame est un excellent moment de télévision. Mais ce n’est pas le chef d’œuvre dont on rebat nos oreilles confinées.

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No Way ★☆☆☆

La quarantaine bien entamée, Stijn élève des moutons. Il peut compter sur le soutien de ses parents dont il a repris une partie des terres, de sa femme qui, diplômée d’une école d’agriculture, tient la comptabilité et de ses deux enfants. Mais cela ne suffit pas à faire face aux difficultés qui s’accumulent : les subventions se tarissent, les voisins qui lui refusent le droit de passage à ses bêtes, la concurrence d’exploitations plus grandes et plus mécanisées qui n’hésitent pas à aller chercher des bergers en Europe de l’est…

L’an dernier, Au nom de la terre, avec Guillaume Canet, racontait avec force le combat d’un agriculteur de Mayenne criblé de dettes. Il y a neuf mois, Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes documentait la même histoire cette fois-ci en Auvergne. No way nous fait franchir les frontières sur les traces d’un cowboy anachronique dont on pressent dès le début du documentaire que son destin sera le même que celui de ses deux cousins français.

Le réalisateur Ton Van Zantvoort a voulu poétiser le métier de berger en filmant le Brabant sous la brume. Ces plans, retravaillés à la palette graphique, sont sans doute très beaux ; mais il n’est pas sûr qu’ils apportent grand-chose au propos. On aurait aimé en revanche qu’on nous explique avec plus de pédagogie les difficultés dans lesquelles Stijn et son exploitation se débattent. On comprend qu’elles proviennent notamment de la brutale perte d’une subvention publique (versée pour l’entretien des terres ?), soulevant la question de la viabilité d’une activité incapable d’équilibrer ses recettes et ses charges.

Bien sûr, on se prend de sympathie pour Stijn et pour sa petite famille. Mais cette empathie ne suffit pas à pimenter un documentaire sur une situation déjà mieux décrite par ailleurs.

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