Testament ★★☆☆

Septuagénaire sans femme ni enfants, amer mais volontiers philosophe, Jean-Michel Bouchard se sent de plus en plus déphasé avec le monde qui l’entoure. Il attend sereinement la mort dans la maison de retraite cossue où il s’est installé.

À quatre-vingt deux ans, Denys Arcand signe, comme son titre l’annonce, un film testamentaire. Son pitch lugubre a de quoi faire fuir. Son double autobiographique, Rémy Girard, a joué dans ses plus grands films depuis Le Déclin de l’empire américain (1986) : Jésus de Montréal (1989), Les Invasions barbares (2003), La Chute de l’empire américain (2018). Mais on retrouve à l’affiche quelques-uns des acteurs qui lui sont fidèles depuis près de quarante ans : Marcel Sabourin, Yves Jacques, Johane-Marie Tremblay…

Avec une ironie mordante, Denys Arcand raille les travers de notre temps. il se moque du politiquement correct. Boomer assumé, il affiche haut et fort son anti-wokisme sans craindre le retour de baton. Son film fait feu de tout bois et aurait probablement déchaîné une polémique s’il avait eu plus de notoriété. Une séquence, par exemple, montre le héros à une remise de prix, entouré d’autrices plus caricaturales les unes que les autres : l’une est queer, l’autre revendique sa transfluidité, la dernière se cache derrière un hijab. Un personnage secondaire qui, toute sa vie durant, a respecté les consignes de santé draconiennes qui nous sont constamment rappelées (manger bio, faire du sport….), meurt brutalement d’une attaque, provoquant par réaction chez sa veuve effondrée une consommation effrénée de graisses. Une fresque du XIXème siècle, dépeignant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada est au centre d’une polémique entre des descendants autoproclamés des Premières Nations qui en dénoncent le racisme et exigent sa destruction et de vieux Québécois qui, au nom de la sauvegarde du patrimoine, s’y opposent.

La charge est lourde. Elle est souvent caricaturale. Murielle Joudet dans Le Monde lui met un zéro pointé et accuse Denys Arcand de « sombrer dans l’antiwokisme ». La critique du Monde, solidement argumentée, n’est pas seulement mue par un réflexe pavlovien, hostile par principe à tout ce qui s’éloignerait de la bien-pensance agréée. Elle mérite une longue citation : « Pourquoi pas traiter de sujets qui hantent toutes les sociétés occidentales : la culpabilité blanche, l’hystérie médiatique, le remplacement d’un récit historico-politique unifié par une collision de points de vue. Sauf que le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « Tout fout le camp ! » et « On ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. »

J’ai bien ri – et toute la salle avec moi, majoritairement composée de spectateurs au moins aussi âgés que moi – à certaines répliques « Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ces jeunes à se tatouer aujourd’hui ? ». La faute sans doute à mon âge et à ma subjectivité qui m’inclinent plutôt vers l’anti-wokisme que vers le wokisme. Pour autant, qu’on soit woke ou anti-woke, si l’on a la cinquantaine déjà bien entamée, on ne pourra qu’être profondément remué par le portrait de son héros vieillissant qui, en quelques phrases, dans une voix off pourtant bien trop pontifiante, résume avec une cinglante lucidité le rétrécissement de sa vie et ce sentiment si démoralisant de devenir progressivement étranger à un monde qui continuera de tourner sans nous.

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Et la fête continue ! ★★☆☆

L’effondrement de deux immeubles d’habitation le 5 novembre 2018 dans une rue populaire du premier arrondissement de Marseille cause la mort de huit locataires et plonge la cité phocéenne dans la consternation et la colère.
La gauche se déchire avant les prochaines élections municipales et peine à s’accorder sur un programme commun et une tête de liste.
Rosa (Ariane Ascaride), la soixantaine, infirmière en chef à la Timone, est entourée de l’amour des siens : son frère (Gérard Meylan), Tonio, est un vieux chauffeur de taxi communiste, son fils aîné Minas (Grégoire Leprince-Ringuet) brûle de partir en Arménie y défendre son peuple malgré l’opposition de sa femme, son cadet (Robinson Stévenin) entretient la même flamme nationaliste et vient de rencontrer Alice (Lola Naymark) dont il est follement amoureux. Les deux fiancés présentent à Rosa Henri (Jean-Pierre Darroussin), le père d’Alice, libraire retraité.

Robert Guédiguian est de retour à Marseille pour son vingt-neuvième film après Twist à Bamako et un détour par l’Afrique des indépendances. La Villa et Gloria Mundi avaient une tonalité crépusculaire et amère. Et la fête continue ! remplit la promesse de son titre optimiste et retrouve l’énergie dionysiaque d’Au fil d’Ariane et de Marius et Jeannette.

Avec Guédiguian, on est en terrain de connaissance. On rentre dans son film comme dans des pantoufles : c’est chaud, c’est doux, c’est confortable. On retrouve la même panoplie de personnages depuis bientôt quarante ans et on a l’impression d’avoir vieilli avec eux : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin et même Jacques Boudet que l’âge (quatre-vingt-huit ans) cantonne à une courte apparition. Guédiguian n’a pas son pareil pour filmer ces quatre-là, au premier chef sa femme – dont je me suis toujours demandé comment il la dirigeait quand elle embrassait Daroussin et/ou Meylan.

À cette génération d’acteurs-là s’en est adjointe une autre. De trente ans plus jeunes, ils lui sont devenus fidèles : Anaïs Demoustier (qui manque à l’appel cette fois-ci), Lola Naymarck, Louis Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin, Yann Trégouët, Adrien Jolivet… On sent que Guédiguian voudrait filmer une transmission de flambeau ; mais force est de reconnaître hélas qu’il filme ces jeunes-là avec moins de réussite que ces vieux-ci. Le public ne s’y trompe pas, qui vieillit gentiment avec lui : les cheveux blancs (ou les plus de cheveux du tout !) étaient majoritaires dans la salle où je l’ai vu.

Les films de Guédiguian enthousiasment ceux qui les aiment et exaspèrent ceux qui ne les aiment pas. Ils ont les défauts de leurs qualités. Ouvertement militants, au risque souvent de verser dans la bien-pensance, ils affichent haut et fort leur message politiquement si correct : le refus de l’injustice, l’appel vibrant à la solidarité, le refus du repli sur soi… Guédiguian tombe souvent dans un défaut typiquement méridional : l’excès. Et la fête continue ! ne l’évite pas qui traite tout à la fois de la crise du logement, de celle de l’hôpital, de la mémoire arménienne (encore et encore !), de l’impossible union de la gauche….

Les Neiges du Kilimanjaro (2011) avait, de mon point de vue, marqué le sommet de la carrière de Guédiguian, où il est parvenu à doser à la perfection le lyrisme et l’intime. Et la fête continue ! est nettement en dessous.

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Par la fenêtre ou par la porte ★☆☆☆

En octobre 2006, lorsqu’il présente aux cadres de France Telecom le plan NExT, le PDG Didier Lombard se targue d’inciter au départ « par la fenêtre ou par la porte » 22 000 salariés de son entreprise. Cette formule obscène – comme celle qu’il utilisera quelques années plus tard parlant de « mode » du suicide – lui est revenue en boomerang lors du procès qui lui est intenté.
Filmé à l’initiative d’un collectif de salariés et de syndicalistes de France Telecom, Par la fenêtre ou par la porte raconte la privatisation de ce fleuron du service public, le management toxique mis en place par sa direction pour booster son cours en bourse et la longue course d’obstacles qui a enfin conduit à la condamnation de ses dirigeants, en décembre 2019 en première instance et en septembre 2022 en appel, et à la reconnaissance par la jurisprudence d’une catégorie juridique nouvelle, le harcèlement moral institutionnel.

Ce documentaire au format très classique a les défauts de ses qualités. Il survole un peu vite les sujets qu’il traite qui auraient chacun mérité des développements plus substantiels. On aurait aimé mieux connaître le long processus qui, depuis les 80ies, a mené à la privatisation de France Telecom, ralentie par la gauche, accélérée par la droite, mais au final validée par tous. Le diktat européen en est l’explication un peu courte. Si nombre de services publics ont été privatisés, c’est sans doute qu’il y avait de bonnes raisons de le faire : meilleure qualité du service ? baisse des prix pour l’usager ? liberté de choisir entre plusieurs offres ? L’explication consistant à en imputer la seule responsabilité à des capitalistes âpres au gain ou à des eurocrates en mal d’imperium peut sembler sommaire sinon complotiste.

On aurait aimé mieux connaître aussi les années Lombard, les mesures prises pour moderniser France Telecom et réduire sa masse salariale, leurs raisons d’être. Là encore, la diabolisation d’un patronat sans âme ni cœur, uniquement obsédé par le cours de la Bourse et par le montant des dividendes, semble un peu courte.

Et enfin – mais c’est peut-être le juriste qui s’exprime plus que le critique de cinéma – on aurait aimé en savoir plus sur l’interminable instruction, sur les procès, devant le tribunal judiciaire puis devant la cour d’appel (en attendant celui qui aura lieu devant la Cour de cassation puisque Didier Lombard s’est pourvu contre l’arrêt de décembre 2022) et sur les motifs qui ont présidé à cette avancée jurisprudentielle qui aura permis de consacrer la notion de harcèlement moral institutionnel.

Finalement, ces trois reproches se résument à un seul : ne pas avoir donné la parole à la défense. Il ne s’agit pas ici de minimiser les fautes voire les crimes dont la direction de France Telecom s’est rendue coupable ainsi d’ailleurs que la Justice en a jugé, mais bien d’avoir sur ces fautes et sur ces crimes indiscutables une vision plus équilibrée que celle, nécessairement partisane, des salariés et des syndicats.

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Viver Mal/Mal Viver ★☆☆☆

Viver Mal et Mal Viver sont, comme leurs titres et leurs affiches l’annoncent, deux films construits en miroir l’un de l’autre. Ils sont tous les deux tournés au même endroit – un hôtel familial qui connut jadis des jours meilleurs – l’espace de deux ou trois jours. Ils racontent tous deux la même histoire envisagée de deux points de vue : Viver Mal s’intéresse aux trois groupes de clients de l’hôtel tandis que Mal Viver se focalise sur la propriétaire et sa famille.

Rompant avec les règles canoniques du cinéma qui veulent qu’un film dure entre quatre-vingt-dix et cent-vingt minutes, on voit parfois se développer, peut-être sous la récente influente des séries, des films au format hétérodoxe : le diptyque japonais de Kôji Fukada Suis-moi je te fuis/Fuis-moi je te suis ou l’interminable pensum argentin de plus de treize heures La Flor. De tels monstres cinématographiques excitent la curiosité, même si j’en suis sorti plus souvent déçu et exténué qu’enthousiasmé.

Viver Mal/Mal Viver est construit selon un cahier des charges très contraignant que Joao Canijo respecte scrupuleusement. Il s’agit de filmer dans le même plan les deux histoires qui s’y déroulent, l’une à l’avant-plan, l’autre à l’arrière plan. Avec un savant jeu de caméra qui réussit à inventer toujours de nouvelles perspectives pour filmer les mêmes décors sans la moindre monotonie, la première histoire est racontée dans le premier film, la seconde dans le second.
Ce parti pris pourrait sembler très artificiel. Il est au contraire d’un grand réalisme. Dans la vraie vie, quand deux personnes discutent dans un café, que la caméra isole, d’autres discussions se déroulent à l’arrière-plan, d’autres intrigues, amoureuses ou policières se nouent qu’un réalisateur panoptique pourrait nous montrer si lui prenait l’envie d’embrasser toute la réalité plutôt que d’en isoler artificiellement un seul pan.

Cette gageure – on pense aux jeux de Perec et à sa Vie, mode d’emploi – est intellectuellement très stimulante. Elle est, je l’ai dit, formellement très réussie grâce à l’inventivité toujours renouvelée des prises de vue. Est-elle pour autant captivante ? hélas non.
Car l’histoire, ou plutôt les histoires, que Viver Mal/Mal Viver raconte, sont bien ordinaires. Ordinaires ne veut pas dire banales : les couples s’y déchirent comme celui de ces deux influenceurs, les rancœurs familiales les mieux enfouies y éclatent. On pense aux huis-clos étouffants et hystériques de Bergman. La figure de la mère, sous toutes ses formes, y est particulièrement mise à mal. Mais cette accumulation de syndromes en tous genres est présentée à un rythme si lent qu’on sombre bien vite dans la neurasthénie, avant d’avoir atteint les quatre heures que durent au total ces deux films réunis.

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The Pod Generation ★★☆☆

Dans un futur proche, de plus en plus aseptisé, où la Nature a reculé au profit de technologies qui garantissent le bien-être et la santé, Alvy et Rachel veulent un enfant. Mais ils ne le veulent pas de la même façon. Alvy, un botaniste, viscéralement nostalgique d’une époque où la Nature dictait sa loi, voudrait le concevoir naturellement. Mais Rachel, working girl très impliquée dans son travail, le convainc d’utiliser une technologie révolutionnaire : une gestation extra-utérine dans un « pod » qui, tout en assurant au fœtus des conditions optimales de gestation, évite à la mère les désagréments de la grossesse.

The Pod Generation a le défaut de tenir tout entier dans son pitch. En le lisant, on imagine par avance le contenu du film : les décors épurés d’un futur faussement rassurant, le couple trop mimi formé par ses deux héros, leurs querelles autour de la conception de leur enfant en attendant leur réconciliation autour de son berceau. Comme prévu, le cahier des charges sera fidèlement rempli.

Cette absence de surprise est sans doute le principal défaut de ce film convenu. Il n’en conserve pas moins un certain charme. D’une part en raison de la grâce de ses deux acteurs principaux. Il nous sont déjà familiers. Chiwetel Ejiofor tourne depuis plus de vingt ans en Angleterre ou aux États-Unis, dans des films d’auteur ou dans des blockubsters. Emilia Clarke, quant à elle, est condamnée jusqu’à la fin des temps à être ramenée à son rôle culte dans Game of Thrones. J’ai découvert avec stupéfaction qu’elle avait trente-sept ans – alors que je lui en aurais volontiers donné quinze de moins !
D’autre part pour ce qui constitue souvent un détail accessoire mais qui, ici, joue un rôle essentiel : les décors. Ils pèchent souvent dans des films futuristes, car ils sont les premiers à être sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire. Mais ici, pour les scènes d’extérieur comme pour celles en studio, Sophie Barthes n’a pas regardé à la dépense. Le résultat se voit. Il fait toute la différence.

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Pierre Feuille Pistolet ★☆☆☆

Depuis que la guerre a éclaté en Ukraine, Maciek Hamela a bénévolement parcouru des dizaines de milliers de kilomètres à bord de son van pour transporter des réfugiés et les aider à quitter les zones de combat. Ce Polonais, formé en France, réalisateur de plusieurs documentaires, a décidé de poser une caméra sur le tableau de bord de sa voiture et de filmer ses passagers pas comme les autres.

Le titre de son documentaire lui a été inspiré par Sofia, une passagère de sept ans, incarnation vivante de l’innocence perdue, qui, durant le jeu que lui propose un autre passager pour chasser l’ennui du long voyage, oppose, à la pierre, à la feuille ou au ciseau, sa botte secrète : un pistolet. Une autre enfant, Sanya, est blottie dans les bras de son père. Depuis qu’un bombardement a détruit leur appartement, elle n’a plus prononcé une parole.

D’autres drames poignants s’expriment dans les confessions des passagers, dans leurs sanglots ravalés, dans leurs silences : une femme accompagnée de ses deux enfants, évoque leur père dont on comprend bientôt qu’il est mort sur le front. Une mère porteuse, aussi belle qu’énergique, a vu disparaître la clinique qui la suivait et espère pouvoir aller en France pour y retrouver les parents d’intention de son enfant. Une Congolaise, installée depuis dix ans en Ukraine, a été fauchée par les balles russes et cherche un hôpital en Pologne ou en Allemagne. Une babouchka pleure ; elle a dû se résoudre à abandonner sa vache bien-aimée ; sa famille essaie de la consoler.

Pierre Feuille Pistolet est victime du dispositif exigeant auquel il s’est astreint. Il ne sort quasiment pas de l’habitacle du véhicule et ne donne pas d’explication sur le conflit, sur sa temporalité, sur les lieux traversés. On voit par la vitre des immeubles éventrés, des voitures renversées, des tanks (russes ? ukrainiens ?) calcinés. On touche du doigt l’horreur de la guerre et les bouleversements qu’elle cause. Mais on n’en comprend pas grand-chose.

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Mars Express ★★☆☆

Aline Ruby, détective privée, aidée de Carlo Rivera, un fidèle robot androïde, travaille pour le compte d’un riche magnat de l’informatique. Après une mission sur Terre où il a appréhendé une hackeuse, le duo est lancé sur les traces d’une étudiante en cybernétique mystérieusement disparue.

L’animation française pour adultes nous réserve souvent de belles surprises : J’ai perdu mon corps, Louise en hiverLa Jeune Fille sans mains, Adama, Le Sommet des dieux… Auréolé de ses succès à Annecy et à Cannes, Mars Express débarque sur les écrans précédé d’une critique élogieuse. Il s’inscrit dans un sous-genre de la SF, le cyberpunk qui, me souffle Wikipedia, met en scène un futur proche, avec une société technologiquement avancée. Ses références iconiques sont japonaises : Akira, Ghost in the Shell, ou hollywoodiennes : Blade Runner, Robocop, Ready Player One….

Mais Mars Express a l’intelligence de mêler au cyberpunk un autre genre qu’on n’aurait pas imaginé : le film noir façon Raymond Chandler dans Le Grand Sommeil. Son héroïne est un Philip Marlowe martien doté de tout ce que les nouvelles technologies du XXIIIème siècle permettront, mais embringué dans une enquête policière aussi filandreuse que celles que filmait Howard Hawks.

La première demi-heure de Mars Express est un éblouissement. On plonge dans cet univers jamais vu avec une profonde jubilation, découvrant les personnages, l’intrigue et surtout s’attachant aux mille et un détails de cet univers dystopique où les robots ont pris une place si déterminante. Les deux suivantes le sont un peu moins, l’histoire étant trop alambiquée et finalement trop conventionnelle pour qu’on s’y laisse emporter et les dialogues trop triviaux pour qu’on les prenne au sérieux. Mars Express n’en reste pas moins un spectacle rafraîchissant, un pas de côté divertissant qui rompt avec le tout-venant.

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Cycle Wim Wenders : Faux Mouvement (1975) ★☆☆☆ / L’Ami américain (1977) ★★☆☆ / Tokyo-Ga (1985) ★★☆☆ / The Million Dollar Hotel (2000) ★☆☆☆

Bénies soient les salles d’art et d’essai du Quartier latin qui programment des films qui deviendraient, sans elles, invisibles – et bienheureux les Parisiens qui comme moi peuvent en profiter quitte à faire bisquer les provinciaux qui ne jouissent pas de ce privilège !

À l’occasion de la sortie de Anselm, Écoles Cinéma Club a la bonne idée de programmer un cycle Wim Wenders et de rediffuser la quasi-totalité des films de ce réalisateur allemand bientôt octogénaire en activité depuis plus de cinquante ans.

Wenders était au sommet de sa gloire dans les 80ies lorsqu’il réalisait Paris, Texas, Palme d’or en 1984, et Les Ailes du désir. Adolescent, je faisais à l’époque mon éducation cinéphile et découvrais avec une admiration respectueuse ces films dont j’ai gardé un souvenir étonnamment précis. Je l’ai vu ensuite lentement se retirer du monde, abandonnant la fiction, retrouvant une seconde vie dans le documentaire à partir de Buena Vista Social Club et son succès surprenant.

Cette rétrospective fut pour moi l’occasion de combler quelques lacunes.

Faux mouvement est un des tout premiers films de Wenders. Le scénario est signé de Peter Handke qui s’est très lointainement inspiré des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe. Comme Alice dans les villes, qui lança la carrière de Wenders, Faux mouvement est un road movie qui traverse l’Allemagne du nord au sud et jette sur elle un regard désabusé. Filmé sous un ciel pluvieux, le film a mal vieilli et se traîne interminablement.

L’Ami américain a plus de nerf. Il est tiré d’un polar de Patricia Highsmith. On y sent poindre la fascination de Wenders pour les États-Unis, leur culture, leur cinéma (Denis Hopper interprète le personnage de Ripley et Nicholas Ray – auquel Wenders consacrera un documentaire trois ans plus tard – y tient un rôle secondaire).

Avec les États-Unis, le Japon est le deuxième pays de cœur de Wenders. Tokyo-Ga est un documentaire qui raconte le voyage qu’il y fait en 1983, sur les traces de Ozu, mort vingt ans plus tôt, dont il retrouve quelques uns des acteurs vieillissants et le cadreur.

J’avais manqué à sa sortie début 2000 The Million Dollar Hotel dont l’affiche était pourtant alléchante. Le film est raté. C’est la dernière superproduction hollywoodienne de Wenders qui traverse alors une profonde crise créatrice. Il prend conscience d’être arrivé à la fin d’un cycle.

La carrière de Wim Wenders force l’admiration autant qu’elle interroge. Rarement on a vu cinéaste plus cosmopolite dont l’œuvre s’est nourrie d’autant d’influences européennes, américaines, asiatiques… Palme d’or à trente-huit ans à peine, tout l’horizon des possibles lui était ouvert. Sans doute aurait-il pu tourner les mêmes films et les distribuer le reste de sa vie. Mais il a eu la lucidité de dresser le constat de l’exténuation de sa créativité et le courage d’essayer de faire « autre chose ».
Wim Wenders, qu’avez-vous fait de votre talent ?

La bande-annonce de Faux Mouvement
La bande-annonce de L’Ami américain
La bande-annonce de Tokyo-Ga
La bande-annonce de The Million Dollar Hotel

Napoléon ★☆☆☆

Napoléon Bonaparte (1769-1821) est peut-être le personnage le plus célèbre de l’Histoire de France, celui sur lequel le plus de livres ont été écrits et le plus de films tournés. Ridley Scott, un des derniers nababs hollywoodiens, qui aime à se frotter à des personnages épiques (Moïse, Commode, déjà interprété en 2000 par Joaquin Phoenix, Colomb, les Gucci…), a le cran de marcher sur les brisées d’Abel Gance et de Stanley Kubrick.

Le résultat est raté. Certes, il a la majesté des grands péplums. Il contient quelques uns des plus beaux plans que le cinéma nous ait donné à voir : Napoléon en Égypte face au Sphynx, le Sacre à Notre-Dame, la bataille d’Austerlitz, celle de Waterloo….

Mais toutes ces images d’Épinal accumulées se succèdent mécaniquement dans un film trop long qui paradoxalement va trop vite. Napoléon veut tout raconter depuis la prise de Toulon (bizarrement reconstituée à Malte), la première victoire militaire du jeune capitaine d’artillerie, jusqu’à la mort de l’Empereur sur le caillou de Sainte-Hélène. Cette exhaustivité le condamne à la superficialité. Rien n’est creusé car le temps manque.

Ce parti pris ne lui évite pas deux procès. Le premier est celui d’avoir omis des épisodes majeurs de la geste napoléonienne : les campagnes d’Italie et la prise du pont d’Arcole qui aurait été pourtant tellement cinématographique, la guerre d’Espagne où l’Empire s’est embourbé, la Berezina… Le second est celui que lui intenteront des historiens pinailleurs pour avoir travesti la réalité historique : Napoléon rencontre Joséphine après Vendémiaire ; elle est déjà morte quand il revient de l’île d’Elbe ; il n’aurait jamais participé à la mêlée de Waterloo et mis sa vie en danger comme les scènes de cette bataille le montrent…

Mais, à mes yeux, ces ergotages ne sont pas très importants. D’autres défauts sont selon moi plus graves. Le principal, je l’ai dit, est de vouloir parler de tout. Il condamne Napoléon à ne parler de rien. Chaque épisode célèbre de la vie de l’Empereur se voit consacrer une courte séquence de quelques minutes à peine qui ne révèle guère de surprises. Aucun personnage secondaire n’a le temps d’émerger. C’est à peine si on a le temps d’entr’apercevoir Barras (qu’interprète Tahar Rahim dans un anglais parfait), Sieyès, Laetitia, la mère de l’Empereur, Alexandre, le tsar russe ou Wellington. Ludivine Sagnier est créditée au générique ; mais je n’ai pas réussi à l’identifier. C’est dire…

Napoléon replie la vie de l’Empereur sur la passion fusionnelle qui l’a lié très tôt à Joséphine de Beauharnais et qui a perduré jusqu’après son divorce en 1809. Mais l’alchimie ne fonctionne pas entre les deux personnages. Joaquin Phoenix a au moins trente ans de trop pour jouer les jeunes puceaux amoureux et Vanessa Kirby, aussi belle soit-elle, ne laisse rien percer de la femme de pouvoir que fut l’impératrice.

Le plus grave peut-être est l’image que renvoie Napoléon de l’Empereur lui-même. Joaquin Phoenix s’est glissé dans le personnage sans lui insuffler aucune flamme. Rien ne transpire de son talent oratoire ou de son génie militaire. J’attendais un grand Homme ; j’ai eu droit à un petit Corse pas très sûr de lui-même, piètre amant, donnant parfois à rire – comme le montrent les quiproquos du 18-Brumaire. Rien n’est dit de l’entreprise titanesque de réformation de la France qui fut mise en œuvre pendant son règne. Quant à sa politique étrangère, ses ressorts ne sont jamais examinés.

On peut toujours espérer que la version longue de ce Napoléon en gommera les défauts. Mais la déception face à la version courte est si grande qu’on n’est guère incité à remettre le couvert.

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Le Syndrome des amours passées ★★★☆

Rémy (Lazare Gousseau) et Sandra (Lucie Debay) cherchent sans succès à avoir un enfant ensemble. Un médecin un peu perché leur diagnostique une maladie rare, le syndrome des amours passées, et leur prescrit une thérapie radicale : pour enfanter, Rémy et Sandra doivent refaire l’amour avec tous leurs ex. S’il accepte sans barguigner de se plier à cet étonnant protocole, le couple est vite confronté à un problème perturbant : Rémy n’a guère eu que trois relations, Sandra au contraire en a accumulé plus d’une vingtaine.

Nous vient de Belgique un bijou. Il est signé par un couple de réalisateurs – dont on imagine, sans en rien savoir, la part de lui-même qu’il a mis dans l’écriture de ce scénario – dont le précédent film, Une vie démente, avait pour héroïne une sexagénaire frappée par la maladie d’Alzheimer. Y jouait déjà la blonde et belge Lucie Debay que rejoint ici le chauve et bordelais Lazare Gousseau. Quelques personnages secondaires les rejoignent : Florence Loiret-Caille, une mère de famille qui ressent le besoin vital chaque mardi soir à Bruxelles de prendre un amant pour épicer d’un grain de folie une vie trop fade, et Nora Hamzawi que j’adore depuis sa réplique culte dans Eléonore (« Tu es sophistiquée, audacieuse…. féline – Féline ? Ça veut rien dire ; c’est juste une façon sophistiquée de dire cochonne »)

Il faut accepter de passer par-dessus le postulat de départ, passablement farfelu sinon totalement incongru, pour entrer de plain-pied dans cette comédie du couple ou du trouple (je n’ai jamais clairement compris si ce néologisme était l’agglutination de couple et trio ou de couple et trouble). Elle renvoie à une double interrogation qui obsède tous les couples : qui as-tu aimé avant moi ? aimes-tu quelqu’un d’autre que moi ?
La seconde interrogation, celle de l’infidélité conjugale, est à ce point essorée qu’on voit mal comment le cinéma ou la littérature pourraient encore l’explorer sans bégayer. Mais la croiser avec la première (les ex, les sentiments qu’ils ont suscités et qu’ils suscitent peut-être encore) est un coup de génie.

D’autant que Ann Sirot et Raphaël Balboni le font avec une ironie et une tendresse communicatives. Leur film est une bulle de savon, un loukoum, un clin d’oeil. Tout y est léger et gracieux. Jusqu’aux scènes de sexe, filmées comme d’élégantes chorégraphies, nous évitant tout à la fois l’ennui et le malaise voyeuriste devant ces intermèdes graveleux que tous les films se sentent obligés de nous infliger.

La conclusion du film est presqu’aussi perchée que son postulat de départ. Mais si on a accepté de s’y laisser embarquer, on l’acceptera avec le sourire.

Sorti en catimini fin octobre, ce Syndrome a vite disparu des écrans. Je ne l’aurais pas vu si un ami, fidèle d’entre les fidèles, ne me l’avait pas signalé. Qu’il en soit remercié.

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