Le mal n’existe pas ☆☆☆☆

Takumi élève seul sa fille Hana, en harmonie avec la nature dans un petit village isolé du monde au cœur de la forêt. Un projet de « camping glamour » en menace le paisible équilibre.

Il est des films unanimement encensés que j’ai ratés. Ratés ne signifie pas que je ne les ai pas vus. Mais que je les ai mal vus. Que je suis passé à côté. Ils ont reçu des louanges unanimes. Mais je ne les ai pas aimés. Le Règne animal est de ceux-là. Drive my Car aussi.

Et je dois hélas ajouter Le mal n’existe pas du même Ryusuke Hamaguchi que décidément je ne comprends pas, à cette liste. Je n’en ai pourtant lu que du bien : Télérama se pâme, Le Monde frise l’orgasme, Première l’a élu film du mois. Et moi ? J’ai dormi !

Vous me direz que si je n’avais pas dormi, j’aurais peut-être aimé. Mais, comme l’oeuf et la poule, le sommeil et le – mauvais – film entretiennent un lien de causalité indémêlable : si j’ai dormi, c’est parce que je suis un vieillard narcoleptique, mais c’est aussi parce que la première moitié du film m’a assommé d’ennui.

Mettons de côté mes troubles de sommeil, mes goûts et mes dégoûts nombrilistes et parlons du film. Élégie écolo ? Fable politique ? Western contemplatif ? Superbe écrin à la musique planante de Eiko Ishibashi – qui vit dans la région où le film a été tourné et autour de la musique de laquelle il a été écrit par son réalisateur ? Peut-être.

Ce que j’ai surtout aimé dans ce film y est accessoire. C’est le long débat public qui confronte deux consultants fraîchement débarqués de Tokyo pour présenter leur projet de « glamping » aux habitants du village qui lui sont hostiles. Une telle confrontation, en France, aurait tourné à la dispute, aux injures, aux coups peut-être. Rien de tel au Japon où pourtant, le fond du problème est le même : d’un côté, deux blancs-becs essaient de parer de beaux mots un projet nuisible, de l’autre des paysans bourrus leur opposent leur solide bon sens. Au Japon, on ne s’invective pas, on s’insulte encore moins. Si on n’est pas d’accord, on l’exprime avec mille précautions. Mieux encore : on écoute les arguments de son contradicteur, voire on accepte de changer d’avis et de reconnaître ses torts.

Cette scène est le pivot du film. C’est celle qui le fait démarrer – même si elle survient vingt bonnes minutes après son commencement – et qui crée une tension. C’est aussi l’occasion d’un changement de focale, les deux consultants tokyoïtes devenant alors les personnages principaux d’une histoire qu’on pensait cantonnée aux limites de ce petit village sylvestre.

Mais le film revient bientôt dans son lit, qui m’a tellement ennuyé au point de m’assoupir : la forêt, sa sauvage beauté, indifférente au Bien et au Mal, le tout enrobé dans la même phrase musicale certes poignante mais ô combien répétitive après deux heures de projection.

En confessant mon manque d’appétence pour ce film, je ne me pose pas en rebelle. Je suis bien trop conformiste pour de telles postures. Pas plus n’est-il dans mon intention de vous dissuader de le voir. Car je comprends parfaitement que ce film puisse plaire. Je respecte plus simplement la règle du jeu (du je ?) qui régit ce blog : une subjectivité cinéphile et argumentée.

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O Corno ★☆☆☆

Dans l’Espagne du début des années 70, Maria aide les femmes de son village de Galice. Elle les aide à accoucher, elle les aide aussi à avorter alors que le régime franquiste l’interdit. Lorsqu’un drame l’oblige à fuir son village et à se réfugier au Portugal voisin, Maria trouve son salut dans la solidarité que lui manifestent d’autres femmes.

Le cinéma est décidément friand des sujets de société. Je l’écrivais déjà il y a quelques jours au sujet de Pas de vagues, qui traitait des violences à l’école, et de Paternel, sur le célibat des prêtres. L’avortement est un autre de ces sujets qui a inspiré beaucoup de cinéastes alors même que le sujet fait, en France, avec la constitutionnalisation du droit à l’IVG, les gros titres de l’actualité politique. Après L’Evénement, adapté du livre d’Annie Ernaux, après Annie Colère, qui se déroulait à la même époque que O Corno et racontait l’action des militantes du MLAC, quatre autres films étrangers sont sortis ces dernières semaines sur ce sujet : Levante, dont l’action se déroule au Brésil, Les Lueurs d’Aden au Yemen, Inchallah un fils en Jordanie et enfin En bonne compagnie, au Pays basque en 1977.

« O Corno » désigne l’ergot de seigle, un parasite toxique connu depuis le Moyen âge pour hâter les contractions utérines et faciliter à la fois les accouchements et les avortements. Cette explication donnée, on comprend mieux le titre du film et son affiche bucolique.

O Corno repose sur un postulat audacieux : l’idée que mettre un monde un enfant et interrompre une grossesse participerait du même geste, celui d’une aide inconditionnelle aux femmes dans leur choix souverain de devenir mère ou pas. Le film nous prend à contrepied dès son début, qui commence par une longue scène, non pas d’avortement, mais d’accouchement, filmée avec un réalisme dérangeant. Cette scène-là aura son contrepoint dans la dernière, qui nous réserve une belle surprise.

Coquille d’or au Festival de Saint-Sébastien, prix de la révélation féminine aux derniers Goya pour Janet Novas, l’actrice principale, O Corno souffre à mes yeux de deux défauts. Le premier est très subjectif : il exalte une fois de plus la solidarité féminine – qu’on pare depuis quelques années du beau mot de sororité – un ressort qui semble désormais un passage obligé, une nouvelle forme de politiquement correct #MeToo, voire une recette assurée pour décrocher des prix et susciter l’enthousiasme.
Le second est plus cinématographique : l’histoire, filmée en plans serrés, est tout entière focalisée sur son héroïne, sans laisser exister l’arrière-plan, le contexte historique, pourtant déterminant. Les seconds rôles y sont réduits à des silhouettes, des caricatures sans épaisseur, des faire-valoir. Le film est divisé en deux parties, peu cohérentes l’une avec l’autre, la première au village et la seconde qui suit Maria pendant sa fuite, peu crédible, au Portugal.

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Vampire humaniste recherche suicidaire consentant ★★★☆

Sasha (Sara Montpetit révélée par Falcon Lake) est une jeune vampire frappée d’une pathologie qui désespère ses parents : une empathie exacerbée l’empêche d’assassiner ses victimes dont le sang constitue pourtant, comme tous les vampires, la base de son alimentation. Mise au pied du mur à la sortie de l’adolescence, elle est chassée de chez elle et confiée aux bons soins de sa cousine, à charge pour celle-ci de lui enseigner les rudiments de la chasse. C’est alors que Sasha fait la connaissance de Paul, un adolescent solitaire, souffre-douleur de ses camarades, hanté par des pulsions suicidaires. Par amour pour la jeune fille autant que par dégoût de la vie, Paul est prêt à sacrifier sa vie pour elle.

Vampire humaniste… nous vient du Canada. Ses québécismes lui confèrent un exotisme rafraichissant. C’est un film désopilant à la croisée de trois genres. C’est d’abord, comme son titre l’annonce, ainsi que son affiche où l’on voit l’héroïne sirotant à la paille une poche de sang, un film de vampire. Mais les vampires n’y sont ni méchants ni terrifiants. Plus Famille Addams (la jeune Sasha rappelle un peu Christina Ricci) que Nosferatu. Ce sont des gens comme tout le monde, sinon qu’ils vivent la nuit et ont besoin de tuer pour se nourrir.
Vampire humaniste… est donc plutôt une comédie, même si on n’y rit pas à gorge déployée (!), qui joue sur le décalage entre l’horreur et le surnaturel dans lesquels de tels personnages sont censés évoluer et, au contraire, l’aspect très trivial de leur quotidien.
Mais plus profondément, Vampire humaniste… est un coming-of-age movie, un film sur la sortie de l’adolescence dans lequel le vampirisme constitue une métaphore à peine déguisée de l’acte sexuel. Le procédé a fait florès. Il est la recette d’un des plus célèbres blockbusters au monde : Twilight – que je devrais peut-être me résoudre à voir un jour, même si j’ai toujours cru qu’il était réservé à des adolescentes en pâmoison devant Robert Pattinson.

Ce pitch ainsi posé est sacrément original et stimulant. Le scénario a le défaut majeur de n’en pas faire grand chose. L’action tarde à s’engager. La rencontre avec Paul n’a lieu qu’après une bonne vingtaine de minutes. Et très vite les termes de l’accord qu’il conclut avec Sasha sont posés : « je me tue, tu me manges ».

Restait à trouver une conclusion au film. Sacrée gageure dont on imagine les difficultés qu’elle a posées aux scénaristes. Ils s’en tirent plutôt bien. La pirouette finale est charmante. On quitte la salle comme on y est entré, le sourire aux lèvres devant ce film dépaysant et charmant.

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Black Flies ★★☆☆

Deux urgentistes en service de nuit à Brooklyn, Rut (Sean Penn), un vieux briscard, et Ollie (Tye Sheridan), un jeune idéaliste, sont confrontés à la misère humaine la plus poignante dans leur travail quotidien.

Le Français Jean-Stéphane Sauvaire aurait pu tourner un documentaire. Le sujet de son film en a toute l’épaisseur. Il aurait été passionnant tant le travail quotidien des paramedics (quelle est la traduction française la plus juste : ambulancier ? urgentiste ?) new yorkais est fascinant. Mais il choisit d’adapter le roman 911 de Shannon Burke, qui s’inspira de son expérience de paramedic à New York pour en tirer un livre.

Le réalisateur de Johnny Mad Dog (sur les enfants soldats en Afrique) et de Une prière avant l’aube (sur un spécialiste d’arts martiaux emprisonné en Thaïlande) aime les sujets forts. Il a aussi une fâcheuse tendance à les lester d’un symbolisme doloriste qui pèse des tonnes : le jeune ambulancier s’appelle Ollie Cross (« Holy Cross » désigne la Sainte-Croix) et porte, quand il est de repos, un blouson recouvert d’une paire d’ailes angéliques.

La première scène de Black Flies est marquante : on y suit Ollie dans une intervention confuse, pleine de bruit et de fureur, où il est censé secourir le membre d’un gang touché par balles lors d’une bataille de rue avec un gang ennemi. Le reste du film n’est pas aussi immersif, mais presque aussi traumatisant (Black Flies est assez légitimement interdit aux moins de douze ans en France).

Le film vaut surtout par ses deux acteurs principaux. Sean Penn, à soixante ans passés, est plus musclé et plus nerveux que jamais. Son jeune partenaire, révélé dans X-Men et Ready Player One, confirme ses qualités.

Le scénario était confronté à un défi : comment raconter une histoire faite de la succession répétitive de mille et une interventions d’urgence au secours de blessés. Il ne la relève qu’en partie. Sa conclusion à tiroirs ne m’a pas totalement convaincu, qui hésite entre punition et expiation.

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Madame Hofmann ☆☆☆☆

Sylvie Hofmann travaille depuis quarante ans à l’Hôpital Nord de Marseille. Cadre au service d’oncologie, la vie ne l’a pas épargnée : sa mère, octogénaire, qui fut infirmière elle aussi, enchaîne les cancers à répétition ; sa fille, atteinte d’une grave maladie respiratoire à la naissance, a longtemps nécessité  ses soins attentifs ; son compagnon, après un quadruple pontage coronarien, a pris une retraite anticipée dans les Hautes-Alpes. Sylvie Hofmann elle-même a mal supporté le Covid, la pression sur les lits, ses protocoles draconiens. Atteinte d’une surdité partielle, peut-être causée par le surmenage, elle décide de prendre sa retraite.

Sébastien Lifshitz a remporté le César du meilleur documentaire à deux reprises : en 2013 pour Invisibles et en 2021 pour Adolescentes. Il décrivait dans le premier la vie ordinaire de couples homosexuels, en démontrant, à rebours des outrances incendiaires des opposants au mariage pour tous, que les gays n’étaient ni des monstres dénaturés ni des pervers partouzeurs. Dans le second, il suivait pendant cinq ans, de la quatrième à la terminale le parcours de deux adolescentes de cette France qu’on ne dit plus « profonde » mais « périphérique » depuis que le géographe Christophe Guilluy en a popularisé l’expression.

En filmant Sylvie Hofmann, il donne un visage à ces soignants pour lesquels, pendant le confinement, la France, pour une fois unanime, a fait tintinnabuler ses casseroles à vingt heures tapantes. Il joue sur la corde de l’empathie en filmant cette « mère courage » à l’accent chantant, qui a consacré sa vie à ce dur métier, qui s’est tant dévouée à sa tâche et qui peut enfin revendiquer le droit à se reposer. Si j’en crois les critiques élogieuses que j’en lis ici ou là, l’objectif est atteint : « Magnifique portrait d’une très belle personne. C’est émouvant et profondément humain. Que ça fait du bien de voir cela aujourd’hui! » écrit alexis01 sur Allociné.

Aussi, je me sens d’autant plus monstrueux de ne pas communier avec l’enthousiasme général. Madame Hofmann ne m’a pas convaincu. Pire, il m’a irrité. Tout a commencé avec la bande-annonce dont la tonalité victimaire m’avait déplu. Le documentaire hélas est de la même farine. Son héroïne se plaint. Elle se plaint beaucoup. Elle est effroyablement auto-centrée. Tout tourne autour d’elle : quand sa mère lui parle du quatrième cancer consécutif qui la frappe, sa réaction est de s’inquiéter des « gènes pourris » qu’elle lui aurait légués. Elle passe son temps à se vanter d’avoir la carapace épaisse pour se plaindre sans cesse des fissures qui risquent de la faire exploser.

L’image que donne ce documentaire de l’hôpital est particulièrement pauvre. Autrement moins intéressante et subtile que celle que donnent ceux, nombreux, tournés dans ce cadre : Nicolas Philibert sur la formation des infirmières, De chaque instant, Claire Simon sur le corps des femmes en souffrance, Notre corps, sans oublier la série Hippocrate avec Louise Bourgoin ou le film L’Ordre des médecins avec Jérémie Renier. La caméra, à force de se focaliser sur Sylvie Hofmann, ne filme rien d’autre : ni ses collègues, réduites à des seconds rôles, alors qu’il y aurait eu beaucoup à dire sur l’évolution du métier et la façon dont le vivent les jeunes générations, ni les médecins qu’on ne voit jamais à l’exception de la figure paternaliste du chef de service, ni surtout les patients, qui sont les grands absents du film, ou leurs familles.

Et que dire de la musique sursignifiante qui souligne chaque plan et de la mise en scène qui sent à plein nez l’artifice : on ne nous fera pas croire que la scène où Sylvie Hofmann annonce au médecin-chef que l’un de ses patients vient de décéder à la sortie du bloc opératoire n’a pas été rejouée pour les besoins de la cause.

J’aurais difficilement assumé mon hostilité si je n’avais vu ce documentaire en compagnie d’une professionnelle de santé qui, à mon grand soulagement, a partagé mon irritation et m’a dit ne pas s’être reconnue dans l’image sulpicienne ainsi donnée de sa profession et de son vécu.

La bande-annonce

Yurt ★☆☆☆

Ahmet a quatorze ans. Il vient de faire sa rentrée scolaire dans un des meilleurs lycées de la ville. Mais son père, un riche homme d’affaires fraîchement converti, a décidé de le placer dans un pensionnat confessionnel. Ahmet est condamné à vivre alternativement dans ces deux mondes opposés et inconciliables.

L’action de Yurt se déroule en Turquie, durant l’année scolaire 1996-1997. À cette époque, le pays est déchiré entre deux mouvements : d’un côté les kémalistes laïcs et modernistes, de l’autre les religieux conservateurs. L’époque verra d’ailleurs la brève arrivée au pouvoir de Necmettin Erbakan, le chef du parti de la postérité. Renversé par les militaires après un an seulement d’exercice du pouvoir, il aura néanmoins ouvert la voie à l’un de ses lieutenants, Recep Tayyip Erdoğan.

Ces événements politiques constituent la toile de fond de Yurt. Parce qu’ils sont bien connus du spectateur turc, le film n’en dit mot. Sans doute le sont-ils moins du spectateur occidental, laissé dans l’inconnu à leur sujet. Le film en effet se focalise sur l’élève Ahmat – comme Robert Musil et Volker Schlöndorff s’intéressaient aux désarrois de l’élève Törless, la décomposition de l’empire austro-hongrois (ou la montée du fascisme) constituant le non-dit invisible de leur œuvre.

Le film est construit suivant l’alternance pendulaire des journées d’Ahmet. Au lycée mixte qu’il fréquente, avec d’autres fils et filles de bonne famille, il chante les louanges d’Ataturk et assiste au garde-à-vous au lever des couleurs. Dans le pensionnat à la sociologie plus bigarrée, des enseignants sadiques lui inculquent de force des bribes de religion. Ahmet y est devenu la tête de Turc (!) de ses camarades. Heureusement, il peut compter sur l’amitié de Hakan, un pensionnaire plus âgé.

Yurt est tourné dans un noir et blanc satiné. Il passe à la couleur lorsque Ahmet et Hakan fuguent hors des murs où ils étaient retenus pour une équipée ensoleillée et rebelle.

Yurt, nous dit son dossier de presse, serait en partie autobiographique, son réalisateur, Nehir Tuna, ayant connu à la même époque la même formation. J’en ai lu d’excellentes critiques. Je ne les conteste pas. Mais je n’ai hélas pas été accroché par cet adolescent trop lisse sur qui tout semble glisser et que sa sexualité encore indécise pousse aussi bien vers une blonde camarade de lycée que vers son voisin de chambre, beau comme un Adonis gréco-turc.

La bande-annonce

Rosalie ★★☆☆

Son père (Gustave Kervern) a tout organisé : Rosalie (Nadia Tereszkiewicz), une pimpante demoiselle, va se marier avec Abel (Benoît Magimel), un cafetier dont le corps a été ravagé par la guerre. Seul hic qu’Abel stupéfait découvre durant sa nuit de noces : Rosalie souffre d’hirsutisme. Pour le dire plus clairement, c’est une femme à barbe.

Sept ans après La Danseuse, son premier film inspiré de la vie de Loïe Fuller, Stéphanie Di Giusto renoue avec le film à costumes. Elle s’est inspirée de la vie de Clémentine Delait (1865-1939), qui, avec son mari, fit de son abondante pilosité un argument de publicité pour son débit de boissons. Stéphanie Di Giusto a trouvé dans le centre de la Bretagne une usine désaffectée depuis la fin du XIXème siècle où elle a planté sa caméra. Une courte scène, tournée au théâtre du Peuple de Bussang, est un hommage aux Vosges où vécut Clémentine Delait.

Rosalie est une femme à barbe, un monstre. Mais, à la différence de Freaks ou d’Elephant Man, l’action du film ne se déroule pas au cirque mais dans un village retiré de la province française, au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870. Son sujet est tout autant l’anormalité de Rosalie que l’histoire d’amour qui se tisse entre Abel – qui en épousant Rosalie espérait simplement qu’elle soit « normale » – et elle- qui escomptait de lui d’être « différent » des autres et de leurs préjugés.

Rosalie ne se contente pas de documenter un fait divers. Il aspire à l’universalité, veut raconter une histoire sur la différence et son acceptation, dans l’intimité du couple comme dans le petit microcosme d’un village, avec ses gentils – le bon Jean – et ses méchants – le fielleux Pierre (Guillaume Gouix) et sa barbe noire.

Son problème est qu’il est tout entier contenu dans sa bande-annonce qui en expose le motif et en annonce les développements. Le seul élément qu’il laisse en suspens est celui de la conclusion du film : happy end ou dénouement tragique ?

La bande-annonce

Los Delincuentes ★☆☆☆

Moran (Daniel Elias) est le trésorier d’une petite banque portègne. Las de son morne quotidien, il refuse la perspective d’une vie de travail et décide de voler dans les coffres de la banque une somme suffisante pour rester oisif le reste de ses jours. Son délit entraînant nécessairement son arrestation et son emprisonnement pendant quelques années au moins, il a besoin d’un complice qui conserverait son butin le temps de son incarcération. Moran sollicite Roman (Esteban Bilgliardi), l’un de ses collègues. Une fois le casse effectué, le destin des deux complices empruntera des chemins surprenants.

Projeté à Cannes l’an passé dans la section Un certain regard, encensé par la critique, Los Delincuentes est un film (d)étonnant. Son titre, son affiche, son pitch laissent augurer un thriller, un film de braquage, comme on en a déjà vu beaucoup et comme on les aime souvent (Inside man est pour moi un modèle du genre…. sans parler de la série La Casa del papel). Mais Los Delicuentes prend une autre voie, un détour, un chemin de traverse vers autre chose. Il s’en donne le temps : 3h10, une durée inhabituelle pour ne pas dire extra-ordinaire.

Le cinéma argentin est d’une étonnante richesse et d’une déroutante radicalité. Le collectif Pampero Cine y crée des formes serpentines au format hors normes : La Flor dure 13h34, Trenque Lauquen 4h22. Rodrigo Moreno, le réalisateur de Los Delincuentes, ne fait pas partie de ce collectif ; mais il en est proche. Son film rappelle La Flor aussi bien que Trenque Lauquen. D’ailleurs, on y retrouve plusieurs des acteurs : Esteban Bigliardi, German De SIlva, Laura Paredes…

Dans la forme comme sur le fond, Los Delincuentes filme le lâcher-prise. Il invente à Moran comme à Roman une autre vie possible loin de la capitale et de son labeur asservissant. Il le fait à 700km à l’ouest de Buenos Aires, dans la province de Cordoba, jardin d’Eden où les deux héros croiseront Morna, Norma et Roman. Autant de personnages-anagrammes qui évoquent la possibilité de vies interchangeables.

Il faut savoir lâcher prise pour goûter ce film. Il faut accepter, le temps d’une séance de cinéma, de sortir du temps, de se mettre au rythme d’un autre tempo que celui auquel le cinéma nous a habitués. J’avoue y avoir eu un peu de mal. Le temps, je l’ai trouvé bien long. Si j’ai aimé ses rebondissements inattendus, sa conclusion, en épingle à cheveux, m’a laissé sur ma faim. Un ami m’en a expliqué la raison : il y aura une suite. J’espère qu’il se trompe !

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Sidonie au Japon ★★☆☆

Sidonie Perceval (Isabelle Huppert) a accepté à contrecœur de se rendre au Japon pour la réédition de son premier livre. Son éditeur japonais (Tsuyoshi Ihara) l’y accueille, qui la cornaquera pendant tout son séjour. Sidonie a bien du mal à se faire à la politesse ouatée de ses hôtes. Son trouble grandit encore quand lui apparaît dans sa chambre d’hôtel le fantôme d’Antoine (August Diehl) son mari défunt.

« Martine au pays des cerisiers en fleurs », pardon « Sidonie au Japon », partait mal. Dès les premiers plans, l’irritation pavlovienne que suscitent en moi Isabelle Huppert, sa voix haut perchée, sa démarche de petit oiseau fragile sur le point de se briser, son visage lifté et ses mains tavelées, son incapacité à jouer autre chose qu’elle-même, a bien failli provoquer un « coup de gueule » homérique.

D’autant que je trouvais le film bien languissant. On n’y voyait qu’un Japon de carte postale, incluant les passages obligés dans ses hauts lieux touristiques : Kyoto, Nara, Naoshima…. Le sympathique fantôme d n’avait rien d’horrifique, ni rien d’émouvant, une sorte de Casper japonais à l’accent germanique. Je trouvais bien maladroite la juxtaposition des deux histoires d’amour que Sidonie vivait simultanément : celle de la lente acceptation du deuil de son mari et celle qui était en train de naître lentement avec son éditeur japonais.

Et puis lentement la sauce a pris. Il m’est difficile d’expliquer comment et de mettre des mots sur cette conversion. Lentement – et je ne répète pas cet adverbe pour souligner la longueur du film mais pour signifier que ce changement d’état ne fut pas pour moi la conséquence d’un événement précis – l’émotion m’a gagné. Pourtant le sujet de Sidonie au Japon m’est bien éloigné : j’ai la chance de n’avoir pas (encore) perdu d’être cher dont j’aurais été incapable de faire le deuil. Pour autant, j’imagine la puissance de ce sentiment-là et la douleur de s’en guérir.

Au Japon, Sidonie accepte de « laisser partir » Antoine. Et elle se rapproche de son éditeur. On me dira que cette conclusion est sans surprise – et je reproche, plus souvent qu’à leur tour, aux films leur fin prévisible. L’était-elle tant que ça ? Et surtout vous attendiez-vous à ce qu’elle prenne cette forme là, cette série de photos des deux amants qui soulignent la beauté et la fragilité de leurs corps nus ?

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Quelques jours pas plus ★★☆☆

Arthur (Benjamin Biolay), journaliste chez Libération, se voit confier par son directeur (Hippolyte Girardot) le soin de couvrir l’évacuation d’un camp de réfugiés sur le périphérique parisien. Il y rencontre Mathilde (Camille Cottin), une ancienne avocate, bénévole dans une ONG et accepte, dans la foulée, pour lui (com)plaire, d’accueillir, « quelques jours pas plus » un immigré afghan à son domicile.

Depuis quelques années, le cinéma français, sous convert d’engagement citoyen, se plaît à raconter le parcours éprouvant des immigrés qui frappent à nos portes et leur rencontre avec des Français ordinaires, brutalement dessillés par la découverte de cette humanité en détresse. Ce cinéma là a deux terres d’élection : Calais (Welcome, Ils sont vivants) et Briançon (Les EngagésLes Survivants, La Tête froide).

Quelques jours pas plus se déroule à Paris. Le détail a son importance. Il s’agit de la très fidèle adaptation par Julie Navarro du roman de son compagnon Marc Salbert, De l’influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire (la signification du titre passablement déroutant s’éclaire vite si l’on explique que Arthur se voit confier la rédaction de cet article sur l’évacuation des réfugiés de la Porte de la Chapelle après avoir jeté un minibar depuis la chambre d’hôtel où son journal le logeait).

On pourrait dire de Quelques jours pas plus que c’est un hymne à l’hospitalité républicaine dégoulinant de bien-pensance. On n’aurait pas tort. Mais il serait injuste de n’en dire que ça. Certes, son sujet conformiste est de ceux qui provoquent le soutien pavlovien du CNC et des chaînes TV. Certes la comédie sentimentale dont le scénario est lesté, qui verra immanquablement le rapprochement des contraires, le bobo cynique et la pasionaria des prétoires, est téléphonée. Certes enfin l’histoire gentillette se déroule gentiment jusqu’à la conclusion prévisible, ni trop joyeuse ni trop désespérante, vers lequel le film n’avait d’autre choix qu’aboutir (le scénario de La Vie de ma mère , un film pour lequel j’ai eu la dent très (trop ?) dure, se conclut exactement dans les mêmes termes).

Pour autant, j’ai trouvé à l’exécution de ce film très quelconque un charme indéniable. La responsabilité en revient à ses deux acteurs, et plus particulièrement à Benjamin Biolay. Il n’a jamais eu la voix aussi grave ; il n’a jamais été aussi beau. Son rôle, à la frontière de la comédie, est d’une auto-dérision pleine d’ironie. Pendant longtemps, Benjamin Biolay était un chanteur qui tournait des films ; il est en train de devenir – ou peut-être l’était-il devenu depuis longtemps mais j’en prends conscience grâce à ce film – un acteur de cinéma qui, à ses heures perdues, pousse la chansonnette.

La bande-annonce