Vivre et chanter ★☆☆☆

Zhou Li dirige une troupe de théâtre à Chengdu dans le Sichuan. Les acteurs, qui vivent et travaillent ensemble, forment une famille unie par une longue solidarité. Mais leur répertoire est passé de mode. Chaque jour, ils se produisent devant un parterre de fidèles vieillissants de plus en plus clairsemé.
Zhou Li reçoit un avis de démolition du local où la troupe est installée. Elle ne se résout pas à annoncer la mauvaise nouvelle et va chercher tous les moyens de s’y opposer.

C’est un lieu commun de le dire : la Chine a connu ces dernières décennies une mue radicale, passant du sous-développement à l’hyper-capitalisme. Il n’était pas surprenant que le cinéma chinois contemporain évoque les traumatismes causés par ces transformations brutales. La thématique est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, notamment dans Still Life et dans 24 City. On la retrouvait dans Derniers jours à Shibati, tourné, comme Vivre et chanter, au Sichuan ou dans Madame Fang, le documentaire de Wang Bing sur les derniers jours d’une patriarche.

Présenté à la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier festival de Cannes, Vivre et chanter est un film hybride, mi-fiction, mi-documentaire. Il souffre de ce statut bâtard. La fiction tourne vite en rond qui raconte les efforts désespérés de Zhou Li pour repousser une inévitable expulsion. Quant au documentaire, il ne suscitera l’intérêt que des seuls inconditionnels de l’opéra traditionnel chinois.

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Wonder Boy, Olivier Rousteing, Né Sous X ★★☆☆

À vingt-cinq ans à peine, Olivier Rousteing, le wonder boy de la mode, prend en 2011 la direction artistique de Balmain. Le jeune homme est né sous X, a été abandonné par sa mère à la naissance. Il a été recueilli par une famille aimante dans le Bordelais qui ne lui a rien caché des conditions de son adoption. Arrivé à l’âge adulte il entend lever le secret qui entoure ses origines.
La documentariste Anissa Bonnefont l’a suivi pendant plus d’une année, des catwalks de Balmain où défilent ses modèles aux bureaux de la DDASS où il part à la recherche de ses parents biologiques.

Deux sujets en un.
Sans s’encombrer d’une présentation didactique du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) et du régime de la loi du 22 janvier 2002, Wonder Boy raconte le parcours semé d’embûches d’un jeune homme né sous X à la recherche de ses origines. Première étape : le service départemental de l’aide sociale à l’enfance de la Gironde où Olivier Rousteing demande un rendez-vous – et où il se fait déposer par son chauffeur, ce qui n’est probablement pas le cas de tous les usagers de ce service public. Il y recueille quelques informations non identifiantes sur sa mère, qui a souhaité garder le secret sur sa naissance, et sur son père. Deuxième étape, à Paris, le CNAOP, qui cherche à se mettre en contact avec la mère biologique d’Olivier afin de lui demander son accord pour la mettre en contact avec son fils.
Le titre de ce documentaire, le résumé qu’on en lit le réduit à une seule dimension : cette enquête, quasi-policière, sur la levée d’un secret. Sans doute est-ce le sujet de Wonder Boy, mais ce n’est pas le seul. Car Olivier Rousteing n’est pas n’importe qui. C’est une des figures les plus emblématiques de la mode contemporaine qui a redonné à la vieille maison Balmain un peu de sa gloire passée. La caméra le suit dans les ateliers de couture où on le voit travailler sans relâche à la préparation de la prochaine collection. Ce genre d’images n’innove guère. On ne compte plus les documentaires sur la mode et sur ses éléphants sacrés : Yves Saint Laurent, Chanel, Dior, Lagerfeld…

Mais ces deux sujets se marient bien. Loin d’être une diva horripilante, un wonder boy extravagant, Olivier Rousteing donne l’image d’un jeune homme sympathique et bien élevé, aussi respectueux et patient avec ses collaborateurs de Balmain qu’avec les fonctionnaires de l’ASE auxquels il demande des informations. On le suit avec autant d’émotion dans sa quête qu’on regarde avec admiration ses défilés flamboyants.

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Chanson douce ★★☆☆

Paul (Antoine Reinartz) et Myriam (Leïla Bekhti) sont de jeunes bobos parisiens. Ils viennent d’avoir leur deuxième enfant. Myriam a arrêté de travailler pour l’élever mais n’en peut plus des couches et des pleurs. Le jeune couple cherche désespérément un mode de garde. Aucune place ne se libère à la crèche. Les nounous qu’ils auditionnent ne les convainquent pas de leur laisser la responsabilité de leurs enfants jusqu’à ce que la perle rare se présente : Louise (Karine Viard), la quarantaine, bardée de références et dévouée corps et âme à sa tâche.

Il ne s’est pas passé bien longtemps avant que le Prix Goncourt 2016, immense succès critique et populaire, soit porté à l’écran. Maïwenn s’y était attelé avant de jeter l’éponge. Lucie Borleteau, dont j’avais adoré le précédent film, le trop méconnu Fidelio, a relevé le gant. L’histoire qu’il raconte est effroyable : l’assassinat par une nounou apparemment sans histoire des enfants dont elle avait la charge. Pour la rendre plus effroyable encore, elle était lointainement inspirée d’un fait divers américain. Elle touche particulièrement les mères et les pères confrontés après la naissance de leurs enfants à un dilemme douloureux : sacrifier leur vie professionnelle à l’éducation de leurs enfants ou reprendre le chemin du travail, écrasés de culpabilité, en confiant à un.e inconnu.e la garde de leurs chères têtes blondes.

Le roman prenait le parti, dès l’entame, de révéler l’issue de l’histoire et l’assassinat sanglant des deux enfants par leur nounou. Le film prend le parti différent de n’en rien dire, laissant planer un faux suspense éventé par ce qu’on a lu ou entendu du livre. Il ne s’agit donc pas de savoir comment l’histoire se terminera mais de comprendre comment on y arrivera.

Du coup, le scénario et l’interprétation de Karin Viard – mais le même reproche pouvait être adressé au livre aussi – se réduisent à une matière assez pauvre : filmer le quotidien désespérément banal d’une nounou et de deux enfants en y parsemant des petits dérèglements qui laissent augurer le drame final.

Ce drame écrase le film – comme il écrasait le livre. Il produit un effet de sidération qui annihile tous les autres sentiments que la situation aurait pu faire naître. Or, la relation triangulaire qui s’instaure entre une nounou, les enfants qui lui sont confiés et leurs parents est extraordinairement complexe et dramaturgique – sans qu’il soit besoin de la conclure par une explosion de violence. Employer une nounou, c’est salarier une personne. Mais c’est aussi lui confier la responsabilité de ce qui nous est le plus cher. Et c’est attendre d’elle ce que l’argent, dit-on, ne saurait acheter : de l’amour.
D’ailleurs le film exploite cette veine en décrivant l’écheveau de sentiments contradictoires qui unit Pierre et Myriam à Louise : de la gratitude d’abord pour l’attention qu’elle porte à Mila et Adam, de l’irritation pour ses petits défauts (cette manie de finir les pots de yaourt ou de râcler les carcasses de poulet) contraires aux principes qu’ils entendent inculquer à leurs enfants et enfin de l’inquiétude pour la place grandissante qu’elle occupe dans leurs vies.

Chanson douce n’aurait-il pas été autant sinon plus efficace sans son dénouement glaçant ?

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À couteaux tirés ★★☆☆

Auteur de romans policiers à succès, Harlan Thrombey (Christopher Plummer) est retrouvé mort dans son manoir au lendemain de son quatre-vingt-cinquième anniversaire. S’est-il suicidé ? A-t-il été assassiné ?
Le détective Benoît Blanc (Daniel Craig) mène l’enquête.

Cluedo. À couteaux tirés explore un genre hyper-référencé : l’élucidation d’un mystérieux assassinat dans un lieu clos façon Dix petits nègres ou Le Crime de l’Orient-express. Les romans policiers d’Agatha Christie ont si bien fait le tour du sujet que le genre du whodunit, qui a ravi des générations de lecteurs, semblait voué à l’épuisement. En faire un reboot ou un sequel était un pari audacieux relevé avec brio par Rian Johnson, le réalisateur du remarqué Looper et du dernier Star Wars.

Pour ce faire, il s’est entouré d’une brochette de stars. Dans le rôle de Hercule Poirot – pardon Benoît Blanc (clin d’oeil à peine masqué au Dr Black du Cluedo) – le bien peu francophone Daniel Craig joue avec un plaisir communicatif l’auto-parodie. Parmi les membres de la famille Thrombey qui se déchirent autour de l’héritage du patriarche, on reconnaît Don Johnson (qui n’a guère changé depuis Deux flics à Miami), Jamie Lee Curtis, Toni Collette ou Michael Shannon (le héros inquiétant des films de Jeff Nichols).

Pour susciter l’intérêt, À couteaux tirés était condamné à posséder un scénario surprenant. Le pari est difficile à relever tant le spectateur contemporain s’est frotté, depuis Le Limier, Usual Suspects ou Sixième Sens, à des rebondissements étonnants et des twists décoiffants.
Le scénario du film prend le spectateur à contre-pied pour mieux le surprendre. D’abord, la succession des interrogatoires est menée à tout berzingue, avec un montage très cut, au début du film, pour caractériser très efficacement les personnages et présenter les données de l’enquête. Ensuite, à rebours des règles du genre, la solution du meurtre nous est présentée. On se dit alors que le film prend une autre direction : il ne s’agit pas de découvrir l’identité du meurtrier mais comment celui-ci réussira à s’innocenter. Mais, par un ultime rebondissement aussi surprenant que sophistiqué, le scénario reprend un cours plus traditionnel pour élucider le crime derrière le crime.

À couteaux tirés est, dans le genre, une réussite incontestable, d’un humour revigorant, d’une ingéniosité machiavélique. Reste à savoir si le genre peut encore séduire.

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Terminal sud ★☆☆☆

C’est l’histoire d’un docteur (Ramzy Bedia) dans un pays en guerre dont le nom ne sera jamais prononcé.
Les violences y sont quotidiennes. Des hommes en uniforme rackettent les voyageurs. Sont-ce des brigands déguisés ? ou des militaires dévoyés ? Les arrestations arbitraires se multiplient contre ceux qui sont suspectés de menacer l’ordre ; la torture est monnaie courante pour leur arracher des confessions.
Inlassablement, pendant ce temps, le docteur soigne. Il soigne tous les patients sans questionner leurs origines : aussi bien le maquisard que le chef de la police. Pour tenir le coup, il boit. Son obstination a raison de l’amour de sa femme qui le quitte après l’assassinat de son frère journaliste par une milice paramilitaire.

Les films de Rabah Ameur-Zaïmeche sont rares. Il en a tourné six en vingt ans. Ils sont précieux, âpres, singuliers, souvent minimalistes. L’œuvre de cet enfant des Bosquets à Montfermeil (il est arrivé en France à l’âge de deux ans) ne se limite pas au « film de banlieue » à la mode comique (Le Ciel, les oiseaux et ta mère), tragique (La Haine, Les Misérables) ou romantique (Tout ce qui brille). Après Wesh-wesh et Bled number one, ses deux premiers films tournés en 2001 et en 2005 avec quatre bouts de ficelle, qui racontent la difficile réinsertion d’un détenu puis son retour au bled en Algérie, Ameur-Zaïmeche voit plus large. Les Chants de Mandrin et Histoire de Judas sont des films en costumes qui racontent l’un comme l’autre des formes d’utopie sociale, dans la France du XVIIIème siècle ou dans la Galilée de Tibère.

Bien qu’elle ne soit pas expressément nommée, l’Algérie de la décennie noire est la toile de fond de Terminal sud. Le réalisateur, qui a essentiellement tourné dans le sud de la France entre Fos sur mer et Port Saint louis du Rhône, s’emploie à brouiller les pistes. Sans doute veut-il donner à son propos une intemporalité et une universalité que rien ne justifiait.

Le film est tout entier porté par son acteur principal. On connaissait Ramzy Bedia pour ses facéties comiques. On le découvre dans un rôle tragique qu’il porte avec talent. On n’oubliera pas de sitôt la scène de torture qui le confronte à son tortionnaire.

Si le scénario maintient la tension pendant la première heure, elle s’effondre dans le dernier tiers du film, longue errance sans but et sans sens dans les marais salants du delta du Rhône.

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Les Éblouis ★★★☆

Camille (Céleste Brunnquell) a treize ans et une passion : le cirque. Elle est l’aînée d’une fratrie de quatre enfants. Elle vit à Angoulême. Son père (Eric Caravaca) enseigne sans passion le français dans un collège. Sa mère (Camille Cottin), comptable de profession, s’est arrêtée de travailler pour élever la petite dernière.
Catholiques non pratiquants, ses parents vont se rapprocher de la Communauté de la colombe. Ils vont lentement tomber sous l’emprise de son chef, le Berger (Jean-Pierre Darroussin).

Sarah Suco est une jeune actrice qu’on avait remarquée dans ses premiers rôles : Discount, La Belle Saison, Orpheline, Aurore, Place publique, Les Invisibles, Guy… Elle a passé son enfance dans une communauté charismatique et s’est inspirée de son expérience pour mettre en scène Camille, son double autobiographique.

Alors que la pratique catholique ne cesse de diminuer, le cinéma français lui fait depuis quelques années la part belle : Des hommes et des dieux, L’Apparition, La Prière, Lourdes… Il y aurait un article à écrire pour décrire le retour de cette thématique (on peinerait à citer un film semblable dans les deux décennies précédentes) et essayer d’en comprendre les causes.

Les Éblouis décrit avec beaucoup de finesse le processus d’embrigadement. Il montre en quoi l’adhésion à une communauté répond à un malaise existentiel : offrir à des individus anomiques un sentiment d’appartenance et de fraternité. Rien de violent, rien de contraint dans cette emprise qui s’installe progressivement.
Pour l’adolescente, par les yeux de laquelle l’histoire est racontée, la mue est particulièrement troublante. Il lui faut arbitrer entre plusieurs impératifs : le premier est l’amour filial qui l’unit à ses parents dont elle avait ressenti le mal-être et dont elle constate le rétablissement. Le deuxième est l’amour qu’elle porte à ses jeunes frères dont elle sent confusément le danger qui pèse sur eux. En même temps, ses camarades de classe lui renvoient l’image de sa marginalité qu’elle essaie de cacher en troquant sur le chemin du collège son uniforme pour des jeans-basket. Et ses grands parents s’inquiètent de son sort, provoquant en elle une crise de légitimité.

Les Éblouis est très bien servi par une interprétation impeccable. Eric Caravaca est, comme d’habitude, d’une parfaite justesse. Après Chambre 212, Camille Cottin est en train d’administrer la preuve qu’elle est une grande actrice dramatique. Jean-Pierre Darroussin est d’une suave ambiguïté dans le rôle d’un padre cauteleux. La révélation du film est la jeune Céleste Brunnquell aux faux airs de Simone Signoret jeune.

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Akhnaten

Les cinémas Pathé Gaumont retransmettaient hier soir en direct la première de Akhnaten au Metropolitan Opera de New York. Cet opéra est l’oeuvre du compositeur américain de musique minimaliste Philip Glass. Il raconte en trois actes la vie du pharaon égyptien de la XVIIIème dynastie qui décida de créer une nouvelle religion monothéiste et de fonder à Amarna une nouvelle capitale.

Il n’est pas rare désormais de voir des opéras ou des ballets au cinéma. L’immarcescible Alain Duault a lancé pour les salles UGC le programme Viva l’opéra qui propose chaque année une quinzaine de représentations en direct. La haute technologie des salles garantit une qualité technique irréprochable, même si manque le frisson procuré par la proximité de la scène… et si, au moment du rideau, on se trouve un peu nigaud d’adresser à un écran inerte des applaudissements qu’il n’entendra pas. Les tarifs sont plus élevés qu’une place de cinéma (36€ pour Akhnaten hier soir) mais plus abordables que des places d’opéra qui ont, depuis longtemps, cessé de l’être. Pour les opéras, le bénéfice est évident : toucher, au-delà du millier de spectateurs que peut accueillir leur salle, des dizaines, des centaines de milliers de spectateurs à travers le monde (Akhnaten était diffusé dans soixante-dix pays ce qui explique peut-être l’horaire inhabituel de sa programmation à New York (13h)). Les cinémas quant à eux diversifient leur offre et attirent un auditoire peu versé dans les blockbusters. Le public, en tous cas, répond présent : la salle hier soir était quasi-pleine.

Je ne suis pas critique musical et ne prétends pas l’être.
Akhnaten n’est pas un film, à classer dans la même catégorie que The Joker ou Hors normes.
Aussi cette critique aura-t-elle un statut un peu à part. Je ne lui mettrai pas d’étoiles. L’aurais-je fait je lui en aurais mis quatre tant j’ai été enthousiasmé.

Je l’avoue le rouge au front. Je me suis si souvent endormi à l’opéra que j’appréhendais les 3h56 qu’allait durer le spectacle. Mais je ne me suis pas ennuyé une seconde. Mieux, j’en aurais volontiers redemandé au moment du baisser de rideau.

Tout dans Akhnaten m’a enthousiasmé. La musique sérielle de Philip Glass exerce une fascination hypnotique – même si on sent que l’ensemble du Met conduit par la chef (cheffe ?) Karen Kamensek est loin de ses classiques. La voix des solistes est incroyable à commencer par celle du contre-ténor Anthony Roth Costanzo dans le rôle-titre. Mais c’est surtout la mise en scène de Phelim McDermott qui touche au sublime. Le metteur en scène a eu l’idée de génie d’inviter une troupe de jongleurs. Leur ballet millimétré se marie à la perfection à la musique de Glass. Les personnages, dans des costumes d’une magnificence inouïe qui empruntent tout à la fois aux styles élisabéthain et chinois (la robe jaune d’Akhenaton m’a fait penser à celle de l’empereur Qianlong), se déplacent au ralenti dans des décors vertigineux. Le duo d’Akhenaton et de Nefertiti, revêtus d’un drap de lin rouge, la lente montée au ciel du pharaon sont des scènes qu’on n’oubliera pas.

Seul bémol peut-être : les entractes. Si, dans une salle d’opéra, c’est un temps mort obligé, rien n’obligeait à ce que ce soit le cas au cinéma. On aurait pu les utiliser intelligemment, par exemple avec de courtes séquences sur Philip Glass, son oeuvre, sa musique, les deux autres opéras de la trilogie que vient clore Akhnaten (Einstein on the Beach, Satyagraha). Au lieu de cela, la soprano Joyce Didonato ânonne des annonces publicitaires entre deux interviews sans intérêt des solistes.

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Kusama : Infinity ★★☆☆

Née en 1929 dans le Japon impérial, élevée dans un milieu très conservateur par une mère castratrice, Yayoi Kusama émigre aux États-Unis dans les années cinquante avant de percer sur la scène new-yorkaise malgré le sexisme et le racisme dont elle est victime. Profondément névrosée, l’art est pour elle une catharsis. Sa santé psychiatrique fragile l’oblige à rentrer au Japon au début des années soixante-dix et à être internée à sa demande.

L’humanité s’organise en deux catégories.

D’un côté, ceux qui, comme moi, ignorants mais pas fiers de l’être, ne connaissaient pas Yayoi Kusama avant de regarder ce documentaire ultra-classique dans sa facture. Il leur aura fait découvrir une artiste étonnante et son oeuvre immense.

Et de l’autre, il y a tous ceux, ultra-majoritaires, qui connaissaient déjà Kusama, ses sculptures, ses peintures, ses installations. La nonagénaire est devenue l’artiste contemporaine la plus chère au monde. Ses réalisations sont bluffantes. Entre interviews de l’artiste au regard fou, images d’archives et lents travelings sur ses oeuvres, le documentaire de Heather Lenz se regarde comme on feuillèterait un catalogue.

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Black Journal ★★☆☆

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Léa (Shelley Winters) rejoint son mari Rosario dans leur nouvelle demeure dans le Nord de l’Italie. Leurs fils unique Michele est fiancé à Sandra, une jeune professeure de danse.
Sous des dehors bourgeois, Léa cache une profonde instabilité. La cause en est dans la mort de ses douze premiers enfants, décédés à la naissance ou durant leurs premiers mois. Elle a reporté toute son affection sur son fils unique dont elle refuse qu’il la quitte pour se marier ou faire son service militaire.
Sombrant dans la folie, Léa va commettre trois crimes horribles sur trois femmes, trois amies proches, auxquelles elle reproche de ne jamais avoir eu d’enfant. Pour dissimuler ses méfaits, avec l’aide de Tina, une servante sourde et muette, elle démembre les cadavres, les fait bouillir et fabrique du savon à partir de leurs restes.

Black Journal (dont le titre original Gran Bollito « La Grande Bouillie » est plus parlant) est inspiré de faits réels : Leonarda Cianciulli, joliment surnommée la « saponificatrice de Correggio », avait, en 1939 et 1940, tué trois femmes puis les avait coupées en morceaux et transformées en savon. Ce fait divers macabre avait marqué le jeune Mauro Bolognini qui en fit près de quarante ans plus tard un film.

Le réalisateur italien est connu pour ses films des années soixante adaptés de la littérature italienne : Brancati (Le Bel Antonio), Moravia (Ca s’est passé à Rome), Svevo (Quand la chair succombe), et pour sa participation aux films à sketches qui avaient, à l’époque, un succès que plus rien, de nos jours, ne permet de comprendre.
Black Journal était resté inédit en France jusqu’à sa sortie par Les Films du camélia, la société de production de Ronald Chammah, le compagnon d’Isabelle Huppert.

Cette perle oubliée est caractéristique de la production italienne des années soixante-dix, à mi-chemin de Dino Risi pour la chronique mordante de la bourgeoisie italienne et de Dario Argento pour le gore sanguinolent. Participent à la satire trois acteurs masculins travestis (parmi lesquels on reconnaît Max von Sydow qui s’en donne à cœur joie) pour jouer les trois femmes qui mourront sous le couteau de la « saponificatrice ».

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Et puis nous danserons ★★☆☆

Merab vit avec son frère, sa mère et sa grand-mère dans un appartement exigu de Tbilissi. Il exerce un petit boulot alimentaire dans un restaurant. Il pratique depuis l’enfance la danse folklorique dans l’Ensemble national géorgien et n’a qu’un rêve, qu’il partage avec Mary sa partenaire : entrer au Ballet national.
La concurrence est rude entre les danseurs. Merab est bien placé pour être la prochaine recrue ; mais Irakli, une nouvelle recrue, rejoint la troupe et manifeste une maîtrise hors du commun.

Levan Akin est suédois (il a réalisé quatre épisodes de l’excellente série Real Humans diffusée sur Arte en 2013-2014). Ses parents sont géorgiens. Ses fréquentes visites en Géorgie lui ont fait toucher du doigt les paradoxes de ce pays dont les élites et la jeunesse sont aujourd’hui occidentalisées mais dont la majorité de la population reste profondément traditionaliste. La situation de la communauté LGBT est à cet égard emblématique : si en théorie, une législation très progressiste pénalise l’homophobie, cette communauté, obligée de vivre sous le manteau, est en proie à une réprobation quasi-unanime.

Les conditions du tournage de Et puis nous danserons n’ont pas été faciles. Le ballet national, arguant que l’homosexualité n’avait pas cours dans ses rangs, a refusé de l’accueillir. La troupe qui a finalement accepté de participer n’est pas citée au générique pour éviter de l’exposer. L’équipe de tournage a dû solliciter la protection de gardes du corps.

Ces circonstances pèsent incontestablement dans la réception de cette œuvre, programmée à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs. Les ignorer pourrait conduire à sous-évaluer ce film qui raconte la progressive prise de conscience de Merab de son attirance pour Irkali et de son homosexualité.

Pour autant, elles ne sauraient conditionner à elles seules l’opinion qu’on portera sur cette romance adolescente sans surprises. Les danses géorgiennes – qui exaltent la virilité des hommes et la « candeur virginale » des femmes – sont certes exotiques. Les deux héros – et tout particulièrement Bachi Valishvili auquel j’ai trouvé une ressemblance troublante avec … Roger Federer – sont certes très agréables à regarder. Mais cela ne suffit pas à épicer un scénario qui manque de piment.

Les surprises proviennent des réactions à la révélation par Merab de son homosexualité de deux personnages secondaires – Mary, la partenaire de ballet de Merab, et son frère David – et d’un épilogue audacieux qui surprend les pronostics et soulève l’enthousiasme.

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