Les Misérables ★★☆☆

Stéphane (Damien Bonnard) est flic. Il vient de rejoindre le commissariat de Montfermeil. Affecté à la Brigade anti-criminelle (BAC), il maraude avec deux co-équipiers, Chris (Alexis Manenti), un Blanc bas du front (avec ou sans majuscule), et Gwada (Djebril Didier Zonga), Ivoirien de la deuxième génération, grandi dans le quartier.

Les Misérables fait le buzz. En compétition officielle à Cannes en mai dernier, il rate de peu la Palme d’Or et reçoit le Prix du jury. Il représentera la France aux prochains Oscars.

Son affiche, son prologue (une foule bigarrée célébrant aux accents de La Marseillaise la victoire de la France au Mondial de football de juillet 2018), son titre aux accents hugoliens – contrairement à ce qui est dit dans le film, Victor Hugo n’a pas écrit Les Misérables à Montfermeil, mais y a situé l’auberge des Thénardier où Cosette a été élevée : on imagine une ode à l’intégration républicaine. On fait fausse route.

Les Misérables est l’œuvre de Ladj Ly, un réalisateur venu du documentaire qui a grandi dans les quartiers qu’il filme. Comme l’adolescent de son film (un rôle interprété par son propre fils), il avait dans sa jeunesse, la caméra vissée à l’œil, enregistré les exactions policières commises autour de lui.  À partir de son expérience, il a réalisé Les Misérables, un court métrage de seize minutes avec le même trio d’acteurs, nommé aux Césars l’an passé. Il y racontait une journée dans la vie de la BAC de Montfermeil.

Son long métrage reprend la même trame. Unité de temps (si le scénario se déroule sur deux journées, il aurait pu tout aussi bien, et avec une efficacité accrue, se dérouler sur une seule), unité de lieu (la « banlieue » zone de non-droit), unité d’action (comment une bavure policière va mettre le feu aux poudres). La formule est efficace. Le scénario est rythmé. Les personnages sont bien campés.

Le réalisateur connaît son sujet. Et cela se voit. L’analyse qu’il fait des relations de pouvoir est particulièrement fine – et rejoint les conclusions des études sociologiques de Gilles Kepel (Banlieue de la République, Quatre-vingt-treize). Elles ne se réduisent pas à une guerre de tranchées entre les flics et les gangs. Les Misérables montre l’influence des Frères musulmans qui, au nom d’un Islam rigoriste, ont réussi à restaurer un ordre social que la police n’arrivait plus à faire respecter. Il documente leurs relations tendues avec la pègre qui contrôle les trafics de toutes sortes. Il en rajoute une couche avec l’arrivée d’un cirque yéniche dont la disparition d’un bébé lion met le feu aux poudres.

Comme La Haine en 1995, comme Divines en 2016, Les Misérables explique les motifs d’une violence sociale. Le malaise naît de ce qu’il la cautionne. Car Les Misérables n’est pas neutre. Certes, il faut lui reconnaître cette qualité, il ne caricature pas la police. Le trio de flics de la BAC à l’origine de la bavure qui enflamme la cité est équilibré : si Chris est un Blanc volontiers raciste, Gwada est, en raison de ses origines, tiraillé. Et Stéphane, plongé dès sa mutation au cœur de cette poudrière, essaie de garder le sang froid que ses coéquipiers ont depuis longtemps perdu.

Mais Les Misérables prend nettement le parti des jeunes de banlieue. Même si le plan final n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout de la logique du film, il est sans ambiguïté : la violence policière appelle en retour un déchainement de violence juvénile – qui touche tous les détenteurs d’autorité. Si jusque là, on avait volontiers suivi Ladj Ly, notre adhésion est stoppée net devant cette glorification à courte vue d’une loi du talion que rien ne saurait cautionner.

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Noura rêve ★☆☆☆

La vie n’a pas toujours été douce avec Noura. Son mari, Jamel, un petit malfrat, purge en prison une longue peine. Elle doit élever seule ses trois enfants.  Unique  rayon de soleil dans l’existence de Noura : son amant Lassad qu’elle espère épouser dès que son divorce aura été prononcé. Mais la libération anticipée de Jamel bouleverse tous ses plans. Son divorce devient impossible. Pire : elle tombera sous le coup de la loi pénale tunisienne qui punit l’adultère de cinq ans d’emprisonnement si Jamel la dénonce.

Noura rêve… à une Tunisie débarrassée d’une législation rétrograde qui pénalise l’adultère. Ce premier film se présente ouvertement comme un film à thèse sur la condition des femmes tunisiennes. Une telle approche kidnappe le spectateur dans une adhésion obligée. Non pas que les films à thèse soient systématiquement mauvais : La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania qui dénonçait la culture du viol en Tunisie ou Sofia sur les mariages arrangés au Maroc étaient des bijoux. Mais ils ne sont pas ipso facto des œuvres irréprochables.

En dépit d’une interprétation remarquable de son trio d’acteurs (l’épouse courageuse, l’amant transi d’amour, le mari psychopathe), Noura rêve pêche par les faiblesses de son scénario. Il hésite entre deux sujets : d’un côté la détestable pénalisation de l’adultère et le patriarcat qui la cautionne, de l’autre la violence d’un homme fraîchement libéré de prison. Sans doute les deux sujets sont-ils liés : Noura est obligée de supporter en serrant les dents le retour de son mari car la société tunisienne ne l’autorise pas à le quitter pour son amant. Mais il traite fort classiquement le second en oubliant en cours de route le premier qui est celui sur lequel paradoxalement le film fait sa publicité. La façon dont l’intrigue se résoud est trop brutale, trop artificielle pour constituer une solution satisfaisante à cette situation.

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Pavarotti ★☆☆☆

Luciano Pavarotti (1937-2005) est sans doute l’un des plus grands ténors contemporains. Cette qualité lui sera peut-être contestée du point de vue de la seule qualité de son chant ; mais ses concerts et ses disques lui ont gagné une célébrité inégalée depuis Caruso.
Le réalisateur américain Ron Howard documente sa vie en interviewant ses proches et en présentant des images d’archives.

Son documentaire est d’une facture très classique. Il raconte la vie du maestro depuis son enfance à Modène – où il pratique le chant avec son père dans une chorale – jusqu’à sa mort dans la même ville soixante-douze ans plus tard.

On n’y apprendra rien qu’on ne savait déjà du « maître des contre-ut ».
Ron Howard scrute sa vie amoureuse chaotique en donnant la parole à sa première femme, Adua Veroni, dont il a eu trois filles, puis à sa seconde, Nicoletta Mantavoni, dont la révélation de sa liaison avec Pavarotti avait fait scandale.

Il décrit surtout comment la star italienne a fait de l’opéra, pour le meilleur et pour le pire, un show business. Pavarotti a en effet sorti le champ lyrique de la salle pour se produire, en concert, dans des enceintes toujours plus monumentales. Les enregistrements des concerts qu’il a donnés avec Placido Domingo et José Carreras – dont la qualité musicale fait grimacer les puristes – sont entrés dans les hit parades. Au total, Pavarotti aurait vendu au cours de sa vie quelques cent millions de disques.

Il est assez étonnant de trouver Ron Howard, le réalisateur de Apollo 13 et Da Vinci Code, aux manettes de ce documentaire sans caractère. D’ailleurs il fait l’objet d’une exploitation cinématographique bien particulière : il aura été diffusé dans les salles pendant quatre jours seulement du 6 au 10 novembre avant de retrouver le chemin des bacs qu’il n’aurait jamais dû quitter.

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Adults in the Room ★☆☆☆

En 2015, la Grèce est enfoncée dans la pire crise économique de son histoire. Son surendettement a obligé le gouvernement à accepter un programme qui l’asphyxie. Les élections portent au pouvoir la coalition antisystème Syriza avec une promesse : en finir avec l’austérité. Un jeune et charismatique ministre des finances, l’économiste Yanis Varoufakis, est chargé de la mettre en œuvre. Mais la négociation avec les institutions européennes s’annonce délicate. Alexis Tsipras aura beau organiser un référendum au terme duquel le peuple grec refusera le MoU exigé par l’Europe, il devra aller à Canossa et se résoudre à le signer. Après cinq mois seulement au gouvernement, s’estimant désavoué par cette signature contre laquelle il avait bataillé sans relâche, Varoufakis démissionnera.

Adults in the room est l’adaptation fidèle des mémoires de Yanis Varoufakis. Le ministre des finances s’y donne le beau rôle. Le doute ne l’effleure pas. Il est sûr de ses choix : la charge de la dette grecque, héritée de ses prédécesseurs, asphyxie l’économie, le programme d’austérité imposé par la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) anémie le malade qu’il est censé soigner, seule une restructuration de la dette permettra de restaurer les marges de manœuvre budgétaires qui permettront à la Grèce de renouer avec la croissance.
Ce programme typiquement keynésien se heurte à la logique bornée et de courte vue des créanciers internationaux : une dette doit être remboursée, sauf à trahir la parole donnée et à s’exclure de l’Euro.

Adults in the room raconte en détail la succession des réunions qui se tiendront pendant le premier semestre 2015 à Bruxelles, à Athènes, à Paris ou à Berlin pour tenter de résoudre cette crise. Rien n’est moins dramaturgique que ces interminables réunions. Costa-Gavras fait le maximum pour leur donner du nerf, au risque parfois d’en caricaturer les personnages. Face à sa caméra les dirigeants européens forment une galerie de politiques veules et arrogants : le président de l’Eurogroupe, le président de la BCE, les ministres européens des finances. Tous sont costumés de gris, tous portent la cravate. Tous sauf Varoufakis dont le look bohême (chemise ouverte, sac à dos, casque de moto) est censé à lui seul caractériser son approche disruptive de l’économie internationale. Seule femme dans ce panel exclusivement masculin, la présidente du FMI, Christine Lagarde, qui, épuisée par les enfantillages de ses collègues, aurait lâché : « Y a-t-il un adulte dans cette salle ? ».

Les eurosceptiques de tous poils qui estiment que « Bruxelles » impose son diktat et ignore la volonté des peuples, les anticapitalistes de tous bords qui suspectent derrière chaque réunion de banquiers internationaux un complot pour enrichir les riches et appauvrir les pauvres, seront aux anges. Les autres, qui aspirent à un peu moins de simplisme et de parti-pris, iront voir ou revoir Inside Job sur la crise financière de 2008 et ses mécanismes.

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Rendre la justice ★☆☆☆

La Justice est une institution. La justice est une valeur. En interrogeant une vingtaine de magistrats, Robert Salis a cherché à comprendre comment l’institution, malgré ses procédures et ses lenteurs, servie par les hommes et les femmes qui la composent, réussissait au jour le jour à ne pas trahir ces valeurs.

Le titre est splendide – et on regrette qu’il ne soit à aucun moment commenté. On rend la justice, on ne la décrète pas, on ne l’assène pas depuis une position surplombante et omnipotente, on ne la forge pas ex nihilo. On la rend comme on la restitue à ceux et celles à qui elle revient.

Même si le ton est souvent pédagogique, même si les magistrats interrogés représentent une palette significative des fonctions de la magistrature, il ne s’agit pas à proprement parler d’une présentation de la Justice en France. Il y manquerait d’ailleurs des pans importants, notamment le juge d’instruction dont il n’est rien dit ou le juge administratif, grand absent (mais je confesse sur ce dernier point un parti pris coupable). Le documentaire fait un détour par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg – où le juge français André Potocki livre un témoignage très juste où il est d’ailleurs moins question de la CEDH que de la justice dans son ensemble ; mais il ne dit rien de la Cour de justice de l’Union européenne alors que le droit communautaire occupe dans notre ordonnancement juridique une part grandissante.

Son objet est ailleurs : nous montrer que la justice est rendue par des hommes et des femmes, avec leurs qualités et leurs défauts. Il y réussit parfaitement et on ressort de la salle touché par l’intelligence et l’humanité des témoignages recueillis. Car les magistrats interrogés ne se cachent pas derrière une quelconque langue de bois. Ils racontent l’immense défi de leur tâche et la difficulté qu’ils ont à l’assumer. Un défi bien résumé en une formule : « pour le plaignant, c’est l’affaire de sa vie, pour nous, c’est le dixième dossier de l’après-midi ».

Du coup, Rendre la justice se condamne à ne toucher qu’une cible très étroite. Il n’intéressera pas le grand public qui n’y apprendra pas grand chose. Mais il séduira les magistrats en formation – dont il y a fort à parier qu’il devienne un visionnage obligatoire lors de la formation (un peu comme Des dieux et des hommes au séminaire ou Au nom de la terre au Salon de l’agriculture).

N’est pas Depardon qui veut. Le plus grand documentariste français a consacré plusieurs documentaires à la justice : Délits flagrants en 1994, Muriel Leferle en 1999, 10ème chambre instants d’audience en 2004 et 12 jours en 2017. Il y montrait la justice en train de se faire. Robert Salis a choisi d’expliquer comment elle se faisait. Pas sûr que son choix soit le plus convaincant.

Ps : On notera à 1h47, au premier rang du public, dans la salle d’audience de la CEDH, la présence d’un conseiller d’État chauve et encravaté. Le début pour moi d’une grande carrière cinématographique ?!
PPS : Mon consentement n’ayant pas été recueilli pour apparaître dans ce documentaire, suis-je recevable à m’en plaindre ? Devant quelle juridiction ma requête peut-elle être déposée ? A-t-elle des chances de prospérer ? Vous avez deux heures…

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Le Mans 66 ★★★☆

Au début des années soixante, Ford décida d’investir la course automobile. Il essaya d’abord sans succès de racheter Ferrari. Puis il entreprit de se lancer seul dans l’aventure.
Le Mans 66 raconte comment Carroll Shelby (Matt Damon) construisit la Ford GT40 et comment Ken Miles (Christian Bale), un pilote britannique, la conduisit à la victoire lors des 24 heures du Mans de 1966.

Têtes d’affiche, Matt Damon et Christian Bale incarnent deux facettes du Bien. Le personnage joué par le premier est un ancien pilote (il a remporté Le Mans en 1959 sur Aston Martin) reconverti, par la faute d’une santé défaillante, en constructeur inspiré de voiture de courses qui réussit à défendre son intégrité face à la logique bureaucratique de Ford. À ses côtés, Christian Bale interprète un personnage plus fantasque, marqué à vie par sa participation à la Seconde guerre mondiale. Il a beau cabotiner, son interprétation impeccable le prémunit contre toute sortie de route. Ces deux stars sont entourées de personnages secondaires aux petits oignons, à commencer par Caitrionia Balfe dans le rôle de l’épouse du pilote britannique [« Un mot de toi, Caitrionia, si tu me lis, et je quitte ma mère » !!] et Ray McKinnon dans celui de son ingénieux second.

Leur principal ennemi n’est pas tant Ferrari et sa Scuderia, mais l’entreprise Ford dont les lourdes procédures se plient difficilement à la nécessaire flexibilité qu’exige la conception d’un bolide. Autour de Tracy Letts qui incarne le « Duc » Henry Ford II avec une contagieuse gourmandise, gravite une armée de cadres encravatés et serviles parmi lesquels Lee Iacocca – qui prendra la direction de la Ford Company quelques années plus tard avant d’en être brutalement évincé par Henry Ford II lui-même.

Le Mans 66 suscite un vrai plaisir de cinéma. Un plaisir régressif, presqu’enfantin, qui en appelle moins à l’intelligence qu’à l’émotion. L’émotion naît bien sûr de la course automobile elle-même, filmée au ras du bitume et à fond de caisse, dans le bruit, la pluie et la fatigue causée par les heures de conduite qui s’accumulent. Mais l’émotion naît plus encore des bons sentiments d’une galerie de personnages archétypaux comme le cinéma américain dans ce qu’il a de plus académique mais aussi de plus efficace sait créer.

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Little Joe ★☆☆☆

Alice (Emily Beecham) élève seule son fils Joe. Elle s’investit plus que de raison dans son travail de phytogénéticienne dans un laboratoire botanique. Elle y est chargée avec son collègue Chris (Ben Whishaw) du développement d’une plante révolutionnaire susceptible de développer chez ceux qui en hument le pollen un sentiment de tendresse maternelle.
Toutefois les premiers tests révèlent des résultats surprenants.

Jessica Hausner est une réalisatrice au style particulier. Formée à l’école de Michael Haneke (elle travailla comme script sur le tournage de Funny Games), elle reproduit les caractéristiques bien reconnaissables du maître autrichien bi-palmé (pour Le Ruban blanc en 2009 et pour Amour en 2012) : des plans savamment composés, une musique et un son très travaillés, la violence sous-jacente des situations, des univers glaciaux qui reflètent le vide désespérant des cœurs et des âmes… Cinéaste européenne par excellence, elle a d’abord tourné en Autriche (Lovely Rita, Hotel), puis en France (Lourdes), en Allemagne (Amour fou) et maintenant au Royaume-Uni avec un casting cosmopolite où on reconnaît Kerry Fox, l’actrice néo-zélandaise fétiche de Jane Campion qui tenait, il y a près de trente ans, le premier rôle de An Angel at my table.

Little Joe flirte avec le surnaturel : la plante créée par Alice diffuse un poison qui prend possession de la volonté de ceux qui la respirent. Le film se réduit à cette idée-là. Certes, Emily Beecham joue excellemment (sa composition lui a valu le prix d’interprétation féminine à Cannes) ; mais le plaisir qu’on prend à la regarder ne suffit pas à lui seul à maintenir l’intérêt du spectateur deux heures de rang.

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J’accuse ★★☆☆

« D’après une histoire vraie ». On connaît tous « l’affaire » (du nom du livre exceptionnel que lui avait consacré Jean-Denis Bredin) : comment le capitaine Alfred Dreyfus a été accusé, sur la base d’un « bordereau » retrouvé dans la poubelle de l’attaché militaire allemand à Paris, d’intelligence avec l’ennemi, comment il a été jugé en cour martiale, dégradé dans la cour de l’École militaire par un froid matin d’hiver (que Polanski reconstitue avec un soin maniaque), comment il a été déporté sur l’île du Diable au large de la Guyane.
On sait aussi que Dreyfus n’était pas l’auteur du fameux bordereau rédigé en fait par le commandant Esterhazy mais que l’Armée s’est longtemps refusée à l’admettre, s’opposant à la réouverture du dossier.
On sait enfin que l’affaire a clivé la société française entre antidreyfusards et dreyfusards, les premiers, souvent antisémites, estimant que le respect dû à l’institution militaire devait tout primer, alors que les seconds, ralliés derrière Emile Zola et son célèbre « J’accuse » publié dans « L’Aurore » en janvier 1898, menaient un combat victorieux pour innocenter Dreyfus au nom de la vérité contre la raison d’État.

C’est cette histoire archi-connue que raconte Roman Polanski dans un film très attendu qui a reçu à la Mostra de Venise le Grand Prix du jury. Les polémiques qui entourent son réalisateur ne facilitent pas sa réception. Autant je suis gêné des appels aux boycotts qu’on entend ici ou là, autant je suis embarrassé par le thème de ce film et par les parallèles hasardeux que Polanski ou ses avocats (à commencer par Pascal Bruckner) esquissent entre Dreyfus condamné, quoiqu’innocent, à la vindicte populaire et le réalisateur polonais recherché par la justice américaine pour des faits d’abus sexuel sur mineur commis en 1977 en Californie.

Essayons de s’abstraire de cette polémique bruyante et de juger le film pour ces qualités intrinsèques.
C’est là que le bât blesse.

Polanski transforme l’Affaire Dreyfus en BD façon Tintin. On y suit le colonel Picquart, cet officier qui, en découvrant les preuves de la culpabilité de Esterhazy, a permis d’innocenter Dreyfus. Le film se compose de deux parties distinctes : la première est une enquête policière menée tambour battant qui se conclut par la découverte de l’auteur du fameux bordereau, la seconde est un procès au dénouement plus ambigu. Le problème est que le scénario ne prend aucun recul, ne montre jamais ce qui était en jeu dans « l’affaire » et pourquoi elle a traumatisé la IIIème République. À trop s’attacher aux faits, Polanski rate l’essentiel : le combat de la raison d’État contre la justice.

Pour filmer cette histoire, Polanski convoque une impressionnante galerie d’acteurs. Jean Dujardin endosse le rôle du colonel Picquart ; mais, mal dirigé, il ne réussit pas à faire oublier le charme et l’ironie de son personnage d’OSS 117. Dès que son œil frise, on imagine qu’il va décocher un trait d’humour. Louis Garrel est beaucoup plus convaincant dans le rôle d’Alfred Dreyfus – qui était en fait, à rebours de l’imagerie construite autour du bagnard de Guyane, prétentieux et raide. Comme devant la cérémonie des Césars, on se plaît à reconnaître tour à tour Matthieu Amalric, Denis Podalydès, Melvil Poupaud, Gregory Gadebois, Vincent Perez, Michel Vuillermoz…. On dirait que la totalité de la Comédie française s’est délocalisée sur le plateau du tournage. Le casting est désespérément masculin et il a fallu à Polanski gonfler l’importance du personnage de Pauline Monnier, la maîtresse de Picquart, pour trouver un rôle à sa femme, Emmanuelle Seigner, quasiment de tous ses films depuis Frantic en 1988.

Pendant plus de deux heures, on ne regarde pas sa montre ; car l’histoire est riche en rebondissements. Mais on sort de la salle pas vraiment convaincu par cette mise en scène ultra-classique sur un scénario ultra-connu. Un peu le même sentiment qu’à la découverte des Dix Commandements de Cecil B. de Mille

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Une colonie ★★☆☆

Mylia est adolescente. Elle habite au fond de la campagne québécoise une petite maison avec ses parents et sa sœur cadette, la turbulente Camille. Elle s’apprête à effectuer sa rentrée scolaire dans un nouveau collège. Elle y fait deux rencontres déterminantes : Jacinthe, une redoublante délurée, et Jimmy, un beau et ténébreux collégien.

Le titre du film laisse penser que son action se déroulera le temps d’une colonie de vacances. Mais il n’en est rien. Plus classiquement, on suivra Mylia durant les premières semaines de cours jusqu’aux fêtes d’Halloween et aux premières neiges. Dans son nouvel environnement, l’adolescente timide et réservée est désorientée. Elle peine à se plier aux injonctions qui lui sont adressées par ses aînées : tenue vestimentaire, maquillage, relation aux garçons. Elle est à la fois impatiente et terrifiée à l’idée de sacrifier à ces rites de passage.
Simultanément une histoire se tisse autour du personnage de Jimmy qui fait partie de la tribu des Amérindiens Abenaki. Comme Mylia, il nage en plein désarroi identitaire : ses origines lui sont rappelées par une enseignante pourtant bienveillante alors qu’il n’aspire qu’à l’invisibilité.

Une colonie ne révolutionnera pas le genre, déjà bien fourni, du roman d’apprentissage. Diffusé en France dans un réseau confidentiel de salles malgré le prix du meilleur film qu’il a décroché aux Canadian Screen Awards 2019 (les Oscars canadiens), il est condamné à passer inaperçu de ce côté-ci de l’Atlantique. Pourtant, il porte un double exotisme : on réalise en le visionnant que le cinéma québécois ne se réduit pas aux seuls films de Xavier Dolan et que les ados mal dans leur peau n’habitent pas tous en banlieue parisienne.
Et on n’oubliera pas de sitôt la prestation de la jeune Emilie Bierre, déjà remarquée dans Genèse, qui s’est vue décerner pour son rôle le prix de la meilleure actrice aux Canadian Screen Awards 2019.

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L’Audition ★★☆☆

Anna (Nina Hoss) est professeure de violon au Conservatoire. Elle est chargée de préparer le jeune Alexandre à son audition et s’investit tout particulièrement dans cette tâche au point de repousser les limites de son élève.
La professeure, froide et inflexible, cache bien des failles secrètes. Rongée par la maladie, elle est incapable de se produire en public. Malheureuse dans son couple, elle trompe son mari (Simon Abkarian) avec un collègue violoncelliste (Jens Albinus). Bourreau de travail, elle reporte sur son fils ses ambitions déçues.

L’Audition est un film sur la musique et son apprentissage. Je ne suis moi-même qu’un musicien du dimanche et n’ai jamais pratiqué mon art au niveau d’excellence des personnages du film. Mais je crois qu’il expose fort bien deux situations rarement filmées avec autant de finesse. D’une part quand il montre Alexandre travailler le presto d’une sonate de Bach,  la recherche maniaque de la perfection dans l’inlassable répétition d’un même morceau, d’un même passage jusqu’à l’épuisement. D’autre part, la place envahissante que la pratique d’un instrument peut prendre dans la vie d’une famille, a fortiori si plusieurs de ses membres s’y adonnent.

Je suis un fan absolu de Nina Hoss dont j’admire la beauté, l’élégance et la finesse de jeu. J’ai adoré les films qu’elle a tournés sous la direction de Christian Petzold : dans Barbara, en 2012, elle joue une chirurgienne qui tente de tromper la surveillance de la Stasi, dans Phoenix, en 2014, elle est une rescapée des camps de concentration. Elle « personnifie l’Allemagne, comme Hanna Schygulla à une époque » écrit d’elle Libération dans le portrait qu’il lui consacre début 2016 à l’occasion de la sortie d’une pièce de Yasmina Reza dont elle tient le premier rôle.

Trop rare sur nos écrans, j’étais impatient de la retrouver.
Ces retrouvailles furent en demi-teinte.
Sans doute Nina Hoss est-elle impériale dans un rôle complexe et ambigu. Son personnage force l’admiration autant qu’il inspire l’effroi. Il n’est pas sans rappeler, la sexualité pathologique en moins, la pianiste interprétée par Isabelle Huppert dans le film éponyme de Michael Haneke inspirée du livre de Elfriede Jelinek.
Mais son personnage est si déroutant, si glaçant, si opaque, qu’il annihile l’élan de sympathie qu’on aurait aimé ressentir pour lui.

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