Février ★☆☆☆

Petar est berger dans un confin perdu de la Bulgarie, près de la frontière turque. Son père l’était, son grand-père avant lui. Février raconte sa vie en trois tableaux. Enfant, il passe un été paradisiaque auprès de son grand-père à l’alpage, à s’occuper des bêtes et à flâner dans les bois. Après son mariage, il part faire son service militaire et est affecté en mer Noire, au large de Bourgas, à la garde d’un ilot désolé quasi-exclusivement peuplé de goélands. Parvenu au terme de sa vie, Petar passe un dernier hiver dans sa bergerie au risque de mourir de froid dans une tempête de neige.

Le cinéma bulgare n’est pas le plus connu d’Europe. Avec le masochisme et le penchant vaniteux à l’encyclopédisme qui me caractérisent, j’ai vu la plupart des films bulgares distribués en France ces dernières années. Et j’en ai aimé beaucoup : Taxi Sofia de Stephan Komandarev, Glory et, mon préféré, The Lesson, de Kristina Grozeva et Petar Valchanov.

De Kamen Kalev, un jeune réalisateur bulgare formé à la Fémis et qui poursuit sa carrière à cheval entre la France et la Bulgarie, j’avais découvert récemment grâce à Arte et apprécié le tout premier film Eastern Plays. Ce Février est d’une veine très différente. Abandonnant le naturalisme de ses premiers films, Kamen Kalev opte pour un registre plus poétique. Son film est une élégie à la nature, quasiment sans paroles. Il peint le beau portrait d’un homme simple, uni à son environnement par un lien évident, qui ne souffre aucune discussion. C’est en creux une réflexion philosophique sur le sens de l’existence et ce qu’est être à la vie.

Bien sûr, Télérama se pâme et Les Cahiers frôlent l’orgasme : « [Février] vise comme horizon ultime une grandeur qui dépasse l’humain et l’absorbe dans la continuité d’un espace-temps sempiternel ». Quant à moi, un peu honteux de ne pas partager un tel enthousiasme, je dois avouer, le rouge au front, que j’ai trouvé les cent-vingt-cinq minutes très belles mais très longues aussi…

La bande-annonce

Sous le ciel d’Alice ★★☆☆

Alice est une jeune infirmière suisse qui quitte dans les années cinquante son pays natal pour s’installer au Liban. Elle y fait bientôt la connaissance d’un astrophysicien libanais, Joseph, et de son envahissante et chaleureuse fratrie : Mimi sa sœur, Georges son frère et Amal sa belle-soeur ainsi que leurs trois enfants. Alice et Joseph se marient et ont bientôt une fille, Mona. Dans la « Suisse du Moyen-Orient » qu’est alors le Liban, Joseph travaille à un projet fou, envoyer le premier Libanais sur la lune, tandis qu’Alice dessine et vend quelques unes de ses oeuvres. Mais tout bascule en 1975 avec la guerre civile libanaise qui obligera Alice à quitter la terre qui l’avait si généreusement accueillie vingt ans plus tôt.

Chloé Mazlo est une jeune réalisatrice française. Sous le ciel d’Alice est son premier long métrage inspiré de la vie de sa grand-mère. On ressent, à le voir, la nostalgie de cette femme, d’autant plus attachée à une terre ensanglantée par la guerre et réticente à l’abandonner, qu’elle a délibérément choisi de s’y installer. On imagine aussi la curiosité de sa petite-fille à écouter les souvenirs merveilleux de ce paradis perdu.

Pour faire revivre ce passé, plusieurs options s’offraient à la réalisatrice. La plus évidente était la reconstitution historique comme on en a tant vues, quitte à tourner sur un fond vert et à rajouter quelques effets spéciaux. Le parti qu’elle retient, outre qu’il est certainement moins onéreux, est autrement plus original et rappelle les bricolages géniaux d’un Michel Gondry : un tournage en studio, qui ne quitte guère les murs de l’appartement d’Alice et Joseph, des décors et des costumes très gais qui louchent vers la bande dessinée, quelques séquences en stop motion pour évoquer le départ d’Alice de Suisse…

Le tout, gentiment surréaliste, est d’une poésie charmante, d’une infinie douceur, d’un charme fou. La beauté diaphane de Alba Rohrwacher y est parfaite. On n’aurait pas imaginer interprète plus appropriée pour jouer Alice que cette actrice italienne de père allemand au français joliment maladroit. Le seul défaut de Sous le ciel d’Alice vient de sa modestie : son refus de pimenter son récit de rebondissements épiques en rend parfois le rythme un peu lent et sa fin annoncée – puisqu’on sait dès la première scène comment il se terminera – le prive de toute tension.

La bande-annonce

Sœurs ★★★☆

Zorah (Isabelle Adjani), Djamila (Rachida Brakni) et Norah (Maïwenn) sont sœurs. Elles vivent en France auprès de leur mère. Leur père les a quittées brutalement vingt huit ans plus tôt en kidnappant leur frère cadet, Redah, dont elles n’ont depuis aucune nouvelle. Ce choc a provoqué chez elles un traumatisme qu’elles ont plus ou moins bien vécu. Norah, la benjamine, que son père avait kidnappée avec son frère mais qui a réussi à revenir en France, ne s’en est jamais remise et n’est pas arrivée à se stabiliser. Djamila, la cadette, s’est intégrée à la société française au-delà de toute espérance et est devenue maire de Saint-Quentin. Zorah l’aînée est dramaturge. Elle monte actuellement, malgré l’hostilité de ses sœurs et de sa mère, une pièce autobiographique racontant la jeunesse de ses parents. Sa fille, Farah (Hafsia Herzi) y interprète le rôle de sa mère.
C’est alors qu’une nouvelle leur parvient d’Alger d’une lointaine cousine : leur père vient de subir un AVC. Elles décident d’aller à son chevet pour découvrir enfin le sort de leur petit frère.

Yamina Benguigui a un profil original. Cette documentariste, venue à la fiction sur le tard (Sœurs est son deuxième long métrage en bientôt trente ans de carrière) a fait un détour par la politique. Adjointe au maire de Paris, elle est même devenue ministre entre 2012 et 2014. Chargée de la francophonie au Quai d’Orsay, elle y a laissé un souvenir mitigé que le devoir de réserve m’interdit de détailler.

Son film s’est fait étriller par la critique. Sorti le 30 juin, il a vite disparu des écrans. Lui furent reprochés en vrac le manque de direction de ses actrices, le didactisme de son message, sa ressemblance avec ADN de Maïwenn.

C’est un procès injuste. En particulier, on ne saurait reprocher à Sœurs les hasards du calendrier qui ont retardé sa sortie après celle de ADN qui traite en effet de la quête par son héroïne de ses racines algériennes et avec lequel il partage le même mouvement : de la France vers l’Algérie où il se conclut en pleines manifestations populaires du Hirak.

Que dire du jeu des artistes ? Yamina Benguigui a eu la chance de réunir trois stars – quatre si on inclut Hafsia Herzi injustement bannie de l’affiche. Qu’elle leur fasse la part belle n’a rien de blâmable, filmant longuement leurs déchirements. C’est l’inverse qui aurait été décevant. Maïwenn fait du Maïwenn : en colère contre le monde entier. Rachida Brakni a un peu de mal à trouver sa place. C’est Adjani qui est la plus étonnante, la peau diaphane et lisse d’une adolescente, jouant sur un mode un peu décalé le rôle de la grande sœur cathartique.

Reste le didactisme du message. Sœurs parle d’une famille franco-algérienne écartelée entre deux cultures et deux pays, traumatisée par l’amputation de l’un de ses membres, kidnappé par son père. Un tel thème n’est pas léger. Il se serait mal prêté à un traitement sur un mode mineur. Sans doute les flashbacks qui émaillent le film manquent-ils parfois de subtilité ; mais ils ont le mérite d’illustrer une histoire familiale complexe qui se déroule à trente ans de distance. D’autant que s’y superposent les répétitions de la pièce de Zorah qui produit une mise en abyme particulièrement efficace.

Sœurs ne mérite peut-être pas les trois étoiles que je lui décerne avec trop de laxisme. Mais il a reçu une telle volée de bois vert que je veux, par mon indulgence, essayer de contrebalancer cette injustice.

La bande-annonce

Minari ★☆☆☆

Jacob et Monica sont deux immigrés coréens installés depuis plusieurs années en Californie. Ils ont emmené aux Etats-Unis avec eux leur fille Anne et y ont eu un second enfant, David, affligé d’un souffle au cœur. Malgré les réticences de son épouse, Jacob a décidé de se mettre à son compte en rachetant un lopin de terre dans l’Arkansas et en y faisant pousser des légumes coréens. L’installation de cette famille, bientôt rejointe par la mère de Monica, dans un mobile home miteux ne va pas sans peine.

Minari s’inscrit à la rencontre de plusieurs genres. C’est d’abord une chronique familiale douce-amère, l’histoire d’un couple désassorti mais solidaire, uni par l’amour qu’il porte à ses deux enfants. Son histoire est racontée, comme c’est souvent le cas au cinéma et plus souvent encore en littérature, à travers les yeux de leur fils cadet, un peu trop mignon, propret et espiègle pour ne pas avoir envie de lui filer des baffes (oups… pardon…. tellement mignon, propret et espiègle qu’on a envie de le couvrir de poutous)
C’est ensuite, à la façon du remarquable Au nom de la terre, un drame rural sur la difficile vie paysanne et les aléas de l’agriculture.
C’est enfin un documentaire sur l’Amérique profonde des 80ies et son étonnante religiosité – qui contraste avec l’agnosticisme revendiqué des Yi qui ont notamment quitté la Californie pour fuir l’emprise oppressante de leur congrégation.

Minari fait partie de ces films dont la seule vision de la bande-annonce suffit à dévoiler le contenu sans surprise. En deux minutes à peine, tout y est révélé. Vous plaît-elle ? Allez voir le film : vous ne serez pas déçu. Vous laisse-t-elle de marbre voire vous inspire-t-elle certaines réserves, ce qui avait été mon cas ? N’y allez pas ! Un conseil que, bien évidemment, je n’ai pas suivi.

La bande-annonce

Une histoire à soi ★★☆☆

Une histoire à soi est un documentaire consacré à l’adoption internationale. La réalisatrice Amandine Gay, après un appel à contributions, a rencontré près d’une centaine d’enfants adoptés et a écouté leurs histoires de vies. Elle s’est focalisée sur cinq d’entre eux, qui disposaient de suffisamment d’archives pour illustrer leur discours : Anne-Charlotte, Joohee, Céline, Niyongira, Mathieu, respectivement originaires d’Australie, de Corée du Sud, du Sri Lanka, du Rwanda et du Brésil.

Documentariste engagée, afro-féministe et LGBT, Amandine Gay avait réalisé en 2017 Ouvrir la voix, portrait kaléidoscopique de vingt-quatre femmes noires racontant face caméra les discriminations racistes et sexistes dont elles sont victimes. Son second documentaire est aussi intelligent que le premier. Il emprunte une forme différente : aux interviews face caméra, Amandine Gay préfère utiliser le fonds d’archives très riche que chacun des témoins a conservé de son enfance.

Le titre de ce documentaire a des accents woolfiens. Une histoire à soi renvoie à Une chambre à soi, le célèbre essai de l’écrivaine anglaise qui décrivait les conditions matérielles indispensables à l’émancipation féminine. Dans le jargon  franglais contemporain, on parle désormais d’agentivité : la capacité pour un être à devenir l’agent, le responsable de sa propre vie.

Ce que pointe Une histoire à soi est précisément le déni d’une telle agentivité aux enfants adoptés. L’adoption internationale les présente comme des enfants « sauvés », sauvés d’un destin misérable dans un pays du Tiers monde en proie à la guerre et/ou à la famine, sauvés par des familles d’adoption bienveillantes qui leur ont offert amour et confort. Dans une démarche qui n’est pas exempte de parti pris, Une histoire à soi veut montrer le traumatisme que  cette adoption provoque chez un enfant, souvent très jeune, coupé de ses racines, obligé sa vie durant, à vivre « le cul entre deux chaises », entre sa famille d’adoption et sa famille biologique, entre son identité française et une autre identité souvent stigmatisée.

Les cinq enfants adoptés qui témoignent ont tous entrepris une démarche pour retrouver leurs origines. On les suit dans les voyages qu’ils ont entrepris dans leur pays de naissance, y renouant avec une immense émotion les liens avec leurs familles biologiques. On en déduit, à tort ou à raison, que cette quête des origines est très fréquente sinon omniprésente chez les enfants adoptés. Elle s’effectue le plus souvent avec l’accord des familles d’adoption, même si elle suscite chez celles-ci des réticences bien compréhensibles – c’est notamment le cas semble-t-il chez les parents de Anne-Charlotte.

On voit mal que quiconque s’intéresse à l’adoption internationale (enfants adoptés, familles adoptantes, associations….) ne soit pas encouragé à le visionner, ce qui promet à Une histoire à soi un bel avenir en VOD.

La bande-annonce

Un espion ordinaire ★★★☆

Greville Wynne (Benedict Cumberbatch), la quarantaine, est un VRP anglais que le MI6 et la CIA recrutent pour se rendre à Moscou sans attirer l’attention du KGB. Sa mission : contacter une taupe soviétique, Oleg Penkovsky et recueillir de lui des informations classifiées sur le programme nucléaire soviétique.

Pendant le mois de juin passait en boucle dans tous les cinémas la bande-annonce de cet Espion ordinaire. J’en adorais les images, filmées dans un gris-bleu sans âge, les décors et les costumes, ressuscitant l’élégance folle du début des années soixante, la musique qui me rappelait celles de Dunkerque et de La Taupe. Bref, Un espion ordinaire fut pendant un mois le film dont j’ai attendu avec le plus d’impatience la sortie.

C’est peut-être pour cette bande-annonce et pour cette impatience que je lui mets aujourd’hui, avec une indulgence laxiste, trois étoiles. C’est aussi parce qu’il revisite un sous-genre que j’adore : le film d’espionnage historique. Un sous-genre qui compte quelques pépites parmi mes films préférés : L’Espion qui venait du froid, Le Rideau déchiré, La Mort aux trousses

J’ai aimé l’interprétation tendue de Benedict Cumberbatch, décidément l’un des acteurs les plus intéressants et les plus polymorphes de sa génération. Sa femme est interprétée par Jessie Buckley, une jeune actrice britannique dont on suit avec curiosité la carrière depuis Jersey Affair et Wild Rose. Elle n’a pas le glamour de Rachel Brosnahan – qui interprète ici une agent de la CIA – mais elle a certainement plus de talent qu’elle.

J’ai lu qu’après une première moitié prometteuse – qui raconte le recrutement de Greville Wynne et son premier voyage à Moscou – le film basculait dans un registre plus sentimental et plus convenu. Je ne suis pas d’accord. Je trouve que la tension est maintenue tout du long et que ce qu’il advient des deux espions, britannique et soviétique, entre lesquels une relation trouble se noue (ai-je à ce point l’esprit mal placé que j’ai cru deviner l’esquisse d’une romance queer ?), est à la fois crédible et touchant.

La bande-annonce

Solo ★★☆☆

Martín Perino fut un jeune pianiste prodige, couvé par sa mère, pianiste professionnelle elle aussi, avant de sombrer dans la paranoïa et la schizophrénie. Le réalisateur Artemio Benki est allé le débusquer dans un hôpital psychiatrique de Buenos Aires où il était interné. Il l’accompagne à la sortie de l’hôpital et l’aide à retrouver une vie normale, dans l’appartement désaffecté de ses parents décédés, au contact de ses anciens professeurs, à la recherche de nouveaux cachets.

Piano et folie. En 1997 Shine s’inspirait de la vie du pianiste David Helgfoot, un prodige du clavier que de graves troubles psychiatriques éloignèrent de la scène avant un retour triomphal. Le film australien valut à son acteur principal, Geoffrey Rush, l’Oscar, le Golden Globe et le BAFTA du meilleur acteur.
En 1993 déjà le canadien François Girard avait réalisé une oeuvre originale, à mi-chemin du documentaire et de la fiction autour de la vie de Glenn Gould : Twenty Short Films About Glenn Gould que le confinement m’a permis de voir et qui n’a pas pris une ride.

C’est du même sujet que traite le documentaire d’Artemio Benki. Il a pour héros un pianiste moins célèbre que le génial Canadien, mais pas moins attachant. Martín Perino est un gros nounours attachant aux paluches monstrueuses dont on n’imagine pas qu’il puisse jouer avec une telle sensibilité et avec une telle virtuosité. Il présente manifestement tous les signes d’un grave déséquilibre psychiatrique dont attestent ses internements à répétition et sa consommation massive de médicaments. Sa maladie le rend d’autant plus attachant.

J’ai pensé devant ce documentaire à l’héroïne du Jeu de la dame, la mini-série à succès que le monde entier a regardé pendant le confinement. Comme Beth Harmon, Martín Perino ne vit que par et pour son art. Sans piano, il dépérit. Avec un piano, il s’isole du reste du monde dans une spirale suicidaire. Le Jeu de la dame se terminait sur une note d’optimisme, happy ending hollywoodien oblige. Solo ne subit pas les mêmes injonctions et peut s’autoriser une fin plus ouverte, mais moins euphorisante.

La bande-annonce

Midnight Traveler ★★★☆

Hassan Fazili est un cinéaste afghan dont la tête fut mise à prix par les Talibans pour avoir réalisé une fiction qui montrait l’un d’entre eux déposer les armes. Avec sa famille, il se réfugia d’abord une année au Tadjikistan, espérant obtenir l’asile en Australie avant de décider, de guerre lasse, de tenter sa chance en Europe par la route. C’est cette longue odyssée, à travers l’Iran, la Turquie, la Bulgarie et la Serbie, qui allait durer plus de trois ans, qu’il filme avec son téléphone portable.

En 2002, le réalisateur britannique Michael Winterbottom avait raconté dans In This World le long périple de deux cousins afghans depuis un camp de réfugiés au Pakistan jusqu’au Royaume-Uni. C’est le même sujet qui, hélas, n’a rien perdu de sa triste actualité, que traite près de vingt ans plus tard Midnight Traveler. Mais l’émotion qu’on avait déjà éprouvée devant la fiction de Michael Winterbottom est décuplée par l’effet de réalité que produit l’autobiographie de Hassan Fazili : c’est lui qui traverse cette terrible épreuve avec sa femme et ses deux fillettes, provoquant chez le spectateur une bouleversante identification.

Cette petite famille si ordinaire vit le lot des avanies qu’un tel voyage comporte : des traversées clandestines de frontières à l’orée du jour, des attentes interminables dans des centres d’accueil plus ou moins pouilleux, des humiliations administratives à répétition, des abus de confiance de passeurs véreux…. Hassan Fazili peut se borner à filmer la réalité qu’il vit sans chercher à la dramatiser : elle l’est déjà suffisamment.

Aurait-il eu recours à des acteurs professionnels, il n’en aurait pas trouvé de meilleurs que sa femme et ses deux filles. Elles conservent, malgré les contretemps qu’elles rencontrent, une joie de vivre qui réchauffe le cœur. Il y aurait pourtant de quoi se décourager et on sent parfois son épouse à bout de forces. Mais sa force de vivre et l’amour qu’elle doit à ses enfants, notamment à Nargis, l’aînée, une petite brunette joyeuse et délurée, lui permettent toujours de reprendre le dessus.

Midnight Traveler n’est pas seulement un documentaire filmé en caméra cachée. C’est aussi une réflexion sur le cinéma en train de se faire par un réalisateur qui filme et se filme, en tant qu’époux et en tant que père. La réalisation de ce film semble avoir constitué pour lui et pour sa femme – elle aussi réalisatrice – une planche de salut, une raison de vivre pour ne pas perdre l’espoir qui aurait pu les abandonner si souvent.

Regarder Midnight Traveler, c’est non seulement vivre de l’intérieur une expérience poignante, une de celle qui devrait durablement modifier la perception qu’on peut avoir des réfugiés en France qui sont parvenus à franchir de tels obstacles avant d’arriver sur notre sol. Mais c’est aussi – ce qui n’est pas si fréquent – regarder une oeuvre de cinéma qui a sauvé la dignité d’une famille.

La bande-annonce

Teddy ★☆☆☆

Teddy (Anthony Bajon) a dix-neuf ans. Il vit dans un petit village des Pyrénées, entre sa tante grabataire, son oncle gentiment retardé, sa copine Rebecca (Christine Gautier) et sa patronne Ghislaine (Noémie Lvovsky). Même si la vie n’a pas été très tendre avec lui, Teddy imagine un avenir heureux avec Rebecca dans la maison avec pergola qu’il rêve de construire. Mais un loup sauvage rode autour du village et mord Teddy, provoquant chez le jeune homme une lente et inquiétante métamorphose.

La bande-annonce de Teddy, en sélection officielle à Cannes en 2020, m’avait mis l’eau à la bouche (si j’ose dire). Plusieurs choses m’attiraient dans ce film.

La première : Anthony Bajon, une gloire montante du cinéma français, déjà nommé deux fois aux Césars du meilleur espoir masculin (pour l’exceptionnel La Prière et le non moins exceptionnel Au nom de la terre) en 2019 et 2020.

La deuxième : le naturalisme rural et prolétarien d’une France périphérique croquée avec un mélange d’humour et de cynisme et beaucoup de second degré façon Bruno Dumont (P’tit Quinquin) ou Kervern & Delépine (I feel good, Effacer l’historique) – sans qu’il soit besoin ici d’ouvrir le débat sur le bourgeois gaze avec lequel cette France-là est filmée

La troisième : le mélange de ce naturalisme-là avec une couche de cinéma fantastique qui semble désormais constituer la marque de fabrique d’un nouveau nouveau cinéma français décidément sacrément remuant (Mandico, Ducournau, Philippot…)

Programme alléchant et peut-être trop ambitieux qui ne tient hélas pas ses promesses.
Car Teddy ne fonctionne pas. J’ai beau essayer de lui trouver des qualités – le jeu d’Anthony Bajon au premier chef qui, lui, ne déçoit pas – j’en reviens à ce constat sans appel : la pesante métaphore autour duquel est construit le film (Teddy est un monstre inadapté dont la société ne veut pas) trouve bien vite ses limites.

La bande-annonce

De l’or pour les chiens ★☆☆☆

Esther (Tallulah Cassavetti), dix-sept ans, a été élevée par sa mère (Julie Depardieu) entre un père absent et un beau-père lubrique. Elle a un job d’été sur la côte landaise chez un vendeur de glaces. Elle y a rencontré Jean (Corentin Fila), un barman plus âgé qu’elle, en est tombée amoureuse et s’est donnée à lui. Quand l’été se termine et quand Jean remonte à Paris, Esther décide de l’y suivre. Mais le jeune homme la repousse, ne laissant à Esther d’autre alternative que de frapper à la porte d’un couvent.

Tourné en plan fixe, extérieur jour, le premier plan du film, une scène d’amour très crue entre Esther et Jean, rappelle l’ouverture de 37°2 le matin. Hélas, De l’or pour les chiens n’a pas la fiévreuse folie du film de Beineix, pas plus qu’il ne révèle une actrice avec le talent d’une Béatrice Dalle.

Certes Tallulah Cassavetti, une jeune première, incarne à la perfection la jeune Esther. De la jeune femme, elle a déjà les rondeurs aguichantes et la sexualité généreuse ; mais elle a gardé les traits poupins de l’enfance et la voix innocente. Malheureusement pour elle, de telles actrices et de tels rôles, on en a déjà vu treize à la douzaine, pour ne citer ces dernières années que Olivia Cooke dans Katie Says Goodbye, Jessie Buckley dans Jersey Affair. ou Céleste Brunnquell dans Les Éblouis.

Le point faible de ce film est la banalité de son thème déjà vu et revu. Il aurait fallu à ce sujet un traitement exceptionnel pour le rendre intéressant. Or tel n’est pas le cas. Le scénario et la caméra déroulent paresseusement une histoire jouée d’avance de laquelle on se désintéresse lentement. On voit d’abord quelques beaux couchers de soleil sur l’Atlantique auxquels ne manquent que les couplets de Laurent Voulzy. Puis on suit Esther à Paris sachant par avance la cruelle déception qu’elle y vivra. Enfin, le dernier tiers du film se déroule derrière les murs du couvent de Port-Royal. S’agit-il d’une énième péripétie dans le parcours chaotique d’Esther ? ou de son achèvement comme tendrait à le montrer le long monologue de sœur Laëtitia, une moniale qui rompt son vœu de silence pour expliquer à la jeune fille …. pour expliquer quoi au fait ?!

La bande-annonce