My Zoé ★★★☆

Zoé est une adorable fillette de six ans dont les parents se disputent la garde. Sa mère, Isabelle (Julie Delpy), une généticienne franco-américaine, avait accepté quelques années plus tôt de suivre à Berlin son mari, James (Richard Armitage), un architecte britannique, avant de le quitter. Elle vit désormais en couple avec Akil (Saleh Bakir), un immigré en attente de régularisation.
Isabelle et James tentent de protéger la fillette des querelles permanentes qui les déchirent. Ils y parviennent tant bien que mal jusqu’à un événement dramatique auquel ils réagiront d’une façon bien différente.

Julie Delpy est décidément une femme de cinéma étonnante qui mène depuis trente ans une carrière inhabituelle devant et derrière la caméra. Son physique de jeune première lui a valu de débuter très tôt sous la direction des plus grands : Godard (elle fait ses débuts seins nus à quinze ans dans Détective), Tavernier (il lui donne le rôle titre de La Passion Béatrice), Leos Carax (Mauvais Sang), Kieslowski (la trilogie BleuBlancRouge)… À trente ans à peine, elle passe à la réalisation. Elle signe la réalisation, écrit le scénario, incarne le rôle principal du diptyque Two Days in ParisTwo Days in New York, du Skylab et de La Comtesse. My Zoé est son septième film.

Parler de My Zoé est une sacrée gageure pour le critique qui n’a pas le droit d’en révéler les rebondissements sans gâcher le plaisir et l’intérêt qu’on prendrait à le voir. Comment dire tout le bien qu’on pense de Sixième Sens sans expliquer pourquoi ? On m’a suffisamment fait, à tort ou à raison, le reproche de divulgâcher pour que je m’avance avec une prudence de Sioux.
En présentant le film, j’ai déjà laissé entendre qu’il comportait trois parties. La première, on peut en parler sans détour, met en scène un couple qui se déchire autour de son enfant. Il y a quelques mois, j’ai consacré une longue critique à Marriage Story qui racontait la séparation de deux personnages d’un couple interprétés par Adam Driver et Scarlett Johansson. j’y disais déjà le malaise que provoquait un tel spectacle – soit qu’on l’ait déjà vécu dans sa vie personnelle, soit qu’on appréhende de le vivre un jour – mais aussi l’intérêt de ces feel-bad movies, un néologisme qui ne fait guère florès, tant il est peu vendeur.
La deuxième partie s’organise autour d’une catastrophe. Je n’en dirai pas plus, sinon qu’il ne faut pas être grand clerc pour la deviner et qu’il faut l’être encore moins une fois que je vous aurais dit qu’elle m’a fait penser à La guerre est déclarée, le film exceptionnel du duo Valérie Donzelli – Jérémie Elkaïm dont vous vous rappelez le sujet.
Vient la troisième partie, celle qu’on voit le moins venir. Un long fondu au noir la sépare des deux précédentes. Le lieu de l’intrigue se déplace. On quitte Berlin pour Moscou – c’est un spoiler, mais un petit spoiler. Le ton du film change : on passe du drame familial à… autre chose. Un indice : il y a dans les deux premières parties du film un plan qu’on regarde sans le comprendre mais sans non plus y prêter attention, qui donne la clé de cette troisième partie.

J’en ai certainement trop dit…. ou pas assez. Je n’avais pas le droit d’expliquer pourquoi ce film vertigineux m’a secoué sans en révéler le contenu et en raconter l’intrigue. Vous êtes réduit à me faire confiance en courant le voir…. ou pas !

La bande-annonce

Le Procès de l’herboriste ★★☆☆

Le Procès de l’herboriste raconte la vie de Jan Mikolášek (1889–1973), un guérisseur tchèque qui soigna des milliers de malades en leur administrant un cocktail de plantes après avoir examiné leurs urines. le film est organisé autour du procès que lui intenta le pouvoir communiste en 1958, juste après la mort du président Zápotocký qui fut l’un de ses patients et son protecteur. Une série de flashbacks revient sur les épisodes de sa vie : son enrôlement pendant la première guerre mondiale où il faillit perdre la vie, la découverte de son don thaumaturge, sa formation auprès d’une rebouteuse qui lui apprend à lire les urines et à fabriquer des simples, le recrutement de son fidèle collaborateur, Frantisek Palko, auquel l’attachera vite une passion interdite…

Quatre semaine après Les Séminaristes, déboule sur nos écrans un nouveau film dont l’action se déroule dans la Tchécoslovaquie communiste. Il a reçu cinq statuettes à la dernière édition du Lion tchèque, l’équivalent des Césars, dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur (le Tchèque Ivan Trojan quasiment inconnu hors de ses frontières). Il est l’oeuvre d’Agnieszka Holland, une réalisatrice polonaise qui aime à se frotter à des films historiques : elle en a consacré un au père Popiełuszko (interprété par Christophe Lambert !), l’aumonier de Solidarność (Le Complot), un autre au génocide juif (Europa, Europa), un autre encore à la découverte de la terrible famine qui frappa l’Ukraine dans les premières années du stalinisme (L’Ombre de Staline) …

On pouvait craindre de cette réalisatrice septuagénaire et de cette coproduction tchéco-slovaquo-polonio-irlandaise un trop-plein d’académisme. On y échappe de justesse grâce à la complexité d’un récit qui joue à saute-moutons avec les époques. Grâce surtout à un personnage beaucoup moins lisse qu’on l’escomptait. Mikolášek n’est pas en effet, comme la bande-annonce le laissait imaginer, un autre martyr de l’anti-communisme injustement persécuté par des bourreaux sans âme dans des prisons glaciales. Plus le film avance, plus sa face cachée apparaît : un homme abrupt, dépourvu d’empathie, qui se noie dans son travail en étant incapable de s’en détacher.

Les ultimes scènes du film sont d’une redoutable ambiguïté et on débattra longuement en sortant de la salle du sens à leur donner.

La bande-annonce

Présidents ★★☆☆

Toute ressemblance avec des présidents ayant exercé ne serait pas purement fortuite. On ne prononcera jamais le patronyme de Nicolas et de François mais on les reconnaîtra au premier coup d’oeil. Les deux anciens présidents de la République vivent plus ou moins bien leur retraite à l’approche des élections présidentielles de 2022 qui risquent de voir la victoire de Marine Le Pen. Le premier ronge son frein dans son immense appartement parisien en passant l’aspirateur tandis que le second prétend avoir enfin trouvé la sérénité dans un village retiré de la Corrèze.
Sentant monter le péril fasciste et rêvant surtout de se remettre en selle, Nicolas (Jean Dujardin) se persuade que seule une alliance avec François pourra sauver la France. Accompagné de son garde du corps, il prend le train pour la Corrèze pour en convaincre son successeur. C’est sans compter sur la décision qu’a prise François (Grégory Gadebois) de tirer un trait définitif sur la vie publique pour se consacrer à ses nouvelles passions : le saxophone et l’apiculture. C’est sans compter aussi sur les épouses respectives des deux hommes : Natalie (Dora Tillier), une exubérante cantatrice, et Isabelle (Pascale Arbillot), une vétérinaire pleine de bon sens.

On n’imaginait pas la très sérieuse Anne Fontaine prendre les rênes de cette pochade politique. Tous ses films, qui distillent un parfum délicieusement empoisonné, traitent du même sujet : le dérèglement brutal d’existences ordinaires. Dans Nettoyage à sec, les propriétaires d’un pressing à Belfort (Miou-Miou et Charles Berling) voient débouler dans leur vie paisible un Adonis qui bouleverse leur train-train. Dans Entre ses mains, une célibataire endurcie (Isabelle Carré) tombe amoureuse d’un homme (Benoît Poelvoorde) qu’elle suspecte d’être un assassin en série. Dans La Fille de Monaco, un ténor du barreau parisien (Fabrice Luchini) tombe amoureux d’une cagole monégasque (Louise Bourgoin) Dans Perfect Mothers, adapté d’une nouvelle de Doris Lessing, deux mères de famille (Naomi Watts et Robin Wright), la quarantaine, éprouvent une attirance trouble pour le fils de l’autre.

Présidents ne distille aucun parfum venimeux ; au contraire, c’est un film profondément bienveillant et positif. Mais à y regarder de plus près, il n’est pas si éloigné du principe qui traverse la filmographie d’Anne Fontaine : non pas filmer les événements extraordinaires de vies ordinaires, mais, pour une fois, essayer d’imaginer le retour à l’ordinaire d’hommes extraordinaires.

Le pari, joyeusement potache, est enthousiasmant. Surtout s’il mobilise deux des plus grands acteurs français contemporains. Ils réussissent l’un et l’autre, dans deux registres radicalement différents, à « incarner » leurs illustres personnages. Dévoré de tics, reproduisant à la perfection les intonations melliflues de l’ancien maire de Neuilly, Jean Dujardin fait du Dujardin, poussant la caricature jusqu’à l’extrême limite où elle manque déraper dans le cabotinage. Il suffit de voir la bande-annonce pour s’esclaffer – en regrettant ce défaut congénital d’y découvrir les saynètes les plus drôles (si ce n’est l’une concernant Ségolène qui m’a bien fait rire et que je vous laisse découvrir au mitan du film). Grégory Gadebois est dans un registre beaucoup plus intériorisé. La ressemblance avec François Hollande est moins explicite ; mais elle n’en devient pas moins tout aussi évidente plus Présidents avance.

Passé ce postulat de base – faire incarner par ces deux immenses acteurs deux des personnages les plus connus, les plus aimés, les plus haïs de notre vie actuelle – il fallait raconter une histoire. C’est là que le bât blesse. Présidents est construit autour d’un scénario abracadabrantesque. Il aurait fallu le traiter sur un mode plus léger, plus absurde, comme une fable ou un conte. Hélas, Anne Fontaine le déroule avec une trop grande application jusqu’à une conclusion qui se voudrait originale et qui, il est vrai, nous surprend, mais qui sonne faux et creux. Ce qu’elle nous dit du pouvoir politique s’y révèle à la réflexion étonnamment pauvre : les hommes politiques seraient, au fond, des enfants immatures dévorés d’orgueil et d’ambition qu’anime non pas le sens de l’intérêt général mais un inextinguible appétit de pouvoir…. sauf à se révéler peut-être d’aimables hédonistes capables de lâcher prise pour enfin trouver la sérénité. Une analyse, dans les deux cas, bien caricaturale.

Pour le dire plus brièvement : Présidents est peut-être la meilleure bande-annonce de la semaine, mais certainement pas  hélas le meilleur film du mois.

La bande-annonce

Ibrahim ★★★☆

Ibrahim a dix-sept ans. C’est un adolescent qui ne s’est jamais remis de la disparition de sa mère et qui végète dans un lycée technique du douzième arrondissement parisien. Son père, Ahmed, l’élève seul tant bien que mal. Analphabète, Ahmed a trouvé un emploi d’écailler dans une brasserie de l’avenue de l’Opéra. Il aimerait devenir garçon de salle et attend de pouvoir se payer une prothèse dentaire pour postuler à ce poste. Mais le pécule qu’il a patiemment amassé à cette fin va être dilapidé pour sortir Ibrahim du mauvais pas dans lequel ses mauvaises fréquentations vont le mettre.

Samir Guesmi est un acteur familier du cinéma français, un de ces seconds rôles dont on remarque depuis une trentaine d’années le visage sans nécessairement connaître le nom, éclipsé par des Roschdy Zem, des Reda Kateb ou des Sami Bouajila. On l’a vu chez Noémie Lvovsky, chez Arnaud Desplechin, chez Guillaume Canet, chez Sólveig Anspach – à qui il dédie son premier long-métrage. Il passe pour la première fois derrière la caméra pour raconter une histoire largement autobiographique – son père, Ahmed, était analphabète comme le personnage qu’il interprète – tout en ayant l’élégance de laisser le rôle-titre et le haut de l’affiche à un jeune acteur inconnu.

Abdel Bendaher, repéré dans un entraînement de football, joue un adolescent mal dans sa peau. Il est entouré par un casting remarquable qui compte beaucoup de collègues de Samir Guesmi dont on imagine qu’ils ont accepté par pure amitié de passer sur son tournage pour de brèves apparitions : Florence Loret-Caille, Rufus, Marilyne Canto et Philippe Rebbot pour un rôle plus étoffé et malaisant, aux antipodes de ceux de hippie vieillissant dans lesquels il est trop souvent cantonné. Deux jeunes acteurs prometteurs jouent deux camarades de lycée d’Ibrahim et complètent ce casting prestigieux,  : Rabah Naït Oufella (Entre les murs, Bande de filles, Grave) et Luàna Bajrami (Portrait de la jeune fille en feu, Fête de famille, Les 2 Alfred).

Samir Guesmi ne révolutionne pas le cinéma français. À cinquante ans passés, il ne nourrit plus une telle ambition. Son film n’a pas la hardiesse formelle de ceux de Bertrand Bonello ou l’envergure de ceux d’Abelatif Kechiche. Mais son Ibrahim rappelle le cinéma des frères Dardenne et réussit, comme le leur, avec une étonnante économie de moyens, à toucher et à émouvoir : un plan fixe sur un cendrier plein suffit à montrer l’insomnie muette d’un père rongé d’inquiétude pour son enfant. Modeste jusque dans sa durée (quatre-vingts minutes TTC), bien écrit et bien joué, Ibrahim fait carton plein.

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Gagarine ★☆☆☆

Youri, seize ans, a grandi dans la cité Gagarine, à Ivry-sur-Seine, une barre HLM inaugurée en grande pompe en 1963 en présence du célèbre cosmonaute soviétique. Elle a, hélas, au fil des ans, connu la lente déchéance des immenses barres d’immeubles des Trente Glorieuses. Son évacuation, le relogement de ses occupants, sa destruction sont devenus inéluctables. Mais Youri, ingénieux Géo Trouvetou qui rêve depuis toujours de devenir cosmonaute, entre en résistance. Avec la complicité de Diana, une jeune Rom qui lui fournit les matériaux dont il a besoin, de Houssam, son voisin et ami, et de Dan, un petit dealer, il transforme son appartement en capsule spatiale auto-suffisante.

Pour leur premier long-métrage, Fanny Liatard et Jeremy Trouilh ont planté leur caméra dans la « ceinture rouge » parisienne. Ils y ont filmé la destruction d’un grand ensemble. Ils auraient pu en faire un documentaire. Leur film en porte la trace depuis ses toutes premières images – qui montrent Youri Gagarine à Ivry-sur-Seine inaugurant la cité qui porte son nom – aux toutes dernières – où on entend en voix off le témoignage de quelques habitants. Ils auraient pu aussi en faire un film marqué au sceau du réalisme social, comme on en a tant vus pour raconter la banlieue depuis La Haine jusqu’aux Misérables en passant par L’Esquive, Bande de filles ou Divines.

Le parti qu’ils ont choisi est radicalement différent et sacrément culotté. Gagarine s’inscrit dans le registre du réalisme magique voire de la pure poésie sinon de la science-fiction. Il accompagne Youri dans son délire jusqu’au-boutiste. Les critiques qui ont accueilli ce conte fantastique, sélectionné en compétition officielle à Cannes en 2020, sont laudatives. Elles saluent ce parti pris original, aux antipodes de la façon désormais bien conventionnelle de filmer les banlieues et leur anomie. Elles vantent sa douceur, sa beauté plastique, son inventivité, son onirisme.

Sans rien dénier de ses qualités, je suis hélas passé à côté de ce beau film. Si j’ai été touché par le jeu de la formidable Lyna Khoudri, la révélation de Papicha, j’ai trouvé bien pataud Alséni Bathily, le héros, et sous-employé le pourtant excellent Finnegan Oldfield dans un rôle de petite frappe. Je ne disconviens pas que le film soit poétique et doux. Mais j’ai trouvé que sa métaphore était filée avec trop de systématisme pour ne pas tourner au pur concept : filmer la destruction de la cité Gagarine comme le décollage d’une fusée spatiale. Un concept qui m’est apparu aussi artificiel que stérile.

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Sound of Metal ★★☆☆

Ruben (Riz Ahmed) est batteur. Lou (Olivia Cooke) est guitariste. Ruben et Lou forment, sur la scène et à la ville, un couple inséparable. Leur groupe de heavy metal Blackgammon se produit sur des scènes underground. Pour aller de l’une à l’autre, Ruben et Lou circulent en mobile home.
Ruben souffre de bourdonnements auditifs. Le spécialiste qu’il consulte rend son verdict : Ruben va perdre l’ouïe. La nouvelle le sidère. Il aimerait se faire poser un implant cochléaire. Mais son coût est prohibitif. Sur les conseils d’un ami, il rejoint une communauté de sourds en Virginie pour y apprendre la langue des signes et accepter sa condition. Mais son état et les sacrifices qu’il exige mettent à mal sa relation de couple.

C’est Derek Cianfrance, le réalisateur de Blue Valentine et de The Place Beyond the Pines qui eut l’idée de tourner un documentaire mettant en scène le groupe Jucifer et racontant la perte d’audition de son batteur. Transmis à son ami Darius Marder, le projet devint une fiction pour laquelle Dakota Johnson et Matthias Schoenaerts furent un temps castés. Olivia Cooke, la prometteuse interprète de Katie Says Goodbye et de Ready Player One, et Riz Ahmed furent finalement retenus. Je ne connaissais pas le second qui crève l’écran – après s’être crevé les tympans. Nommé à l’Oscar du meilleur acteur, il échoua de peu face à Anthony Hopkins.

Sound of Metal traite d’un sujet inédit : la perte de l’audition. Il le fait en apportant un soin jaloux au mixage sonore – qui a valu un Oscar à l’ingénieur du son Nicolas Becker – produisant un résultat particulièrement immersif. Avec Ruben, le spectateur entend des bruits inaudibles, mouillés, déformés. Avec lui, il participe à des assemblées de sourds, à la fois bruyantes des messages qui circulent en langue des signes et totalement silencieuses. Avec lui, enfin, il redécouvre une audition reconstruite grâce à la pose d’un implant (non ! il ne s’agit pas d’un spoiler ! L’affiche du film le montre).

Jamais vue – et encore moins entendue – au cinéma, cette odyssée sensorielle est fascinante. Elle souffre hélas d’un scénario qui repose en grande partie sur l’histoire du couple fusionnel que forment Ruben et Lou. Mathieu Amalric y fait une étonnante apparition dans le rôle du père de Lou. Pas sûr que le film-documentaire n’ait pas été plus efficace s’il s’était focalisé sur la seule figure de Ruben et sur son lent cheminement vers l’acceptation de son état.

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Le Père de Nafi ★☆☆☆

Tierno est le jeune imam d’une petite ville du nord du Sénégal, en pays peul. Sa santé est fragile, ses poumons malades. Sa fille, Nafi, souhaite se marier avec Tokara, son cousin. Les deux jeunes gens rêvent de partir à Dakar, Nafi pour y poursuivre des études de neurosciences, Tokara pour y danser. C’est le moment que choisit Ousmane, le frère de Tierno et le père de Tokara, pour débarquer. Il revient d’Europe où il a passé de longues années et où il a versé dans le fanatisme religieux qu’il souhaite imposer à sa communauté et aux futurs époux.

Le Père de Nafi a été tourné à Matam sur les bords du fleuve Sénégal. Mon père y exerça les fonctions de vétérinaire colonial au tout début des années cinquante. Ma sœur aînée y naquit en 1951 – pour être tout à fait exact, à bord du bateau qui conduisait sa mère à la maternité de Saint-Louis-du-Sénégal. J’eus beau passer à mon tour près de quatre ans à Dakar, je ne m’y suis jamais rendu tant la localité est inaccessible et sans attrait. C’est du coup avec beaucoup d’émotion que j’ai scruté les arrières-plans imaginant y retrouver ceux qu’avaient connus mon père il y a plus de soixante-dix ans.

Le Père de Nafi a des airs de pièce de théâtre shakespearien voire de western. Deux visions archétypales de l’Islam s’y opposent, jouant avec un peu trop de facilité sur un thème qui est dans l’air du temps : d’un côté l’Islam tolérant de Tierno, de l’autre celui intégriste d’Ousmane. Nafi et Tokara sont censés incarner deux Roméo et Juliette modernes, aspirant à s’aimer malgré les obstacles. Hélas, ces deux personnages sont trop sommairement dessinés – et trop mal interprétés – pour avoir suffisamment de profondeur.

Il était un temps où le cinéma africain était si rare que la moindre de ses productions suscitait l’enthousiasme (je pense à ma fascination adolescente devant les films hypnotisants de Souleymane Cissé dans les années quatre-vingts) ; mais après Bamako et après surtout Timbuktu, César 2015 du meilleur film et du meilleur réalisateur, qui déjà traitaient les mêmes thèmes, cet exotisme ne fonctionne plus.

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Nobody ★☆☆☆

Hutch Mansell (Bob Odenkirk) est un nobody, un moins que rien. Marié à Rebecca (Connie Nielsen), père de deux enfants, il mène une existence routinière dans la petite entreprise de son beau-père. Le jour où deux cambrioleurs pénètrent chez lui, son incapacité à protéger sa famille achève de le discréditer aux yeux de son fils aîné.
Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Hutch, dans une vie antérieure sous les drapeaux, a acquis des compétences qu’il va bientôt réutiliser. Hélas pour lui, il s’en prend sans le savoir au jeune frère de Yulian Kusnetsov, un baron de la mafia russe, qui lance contre lui ses hommes. Pour défendre sa famille, Hutch n’a plus d’autre choix que de faire tomber les masques.

« Les gens insignifiants sont parfois les plus dangereux ». Nobody semble avoir été écrit, filmé, monté et distribué dans le seul but d’illustrer cet adage simpliste et improbable. Un adage qui, il est vrai, flatte chaque spectateur (le masculin étant de rigueur tant il semble évident qu’aucune spectatrice soit assez stupide pour y adhérer) qui, aussi minable soit-il en apparence, rêve de cacher peut-être un héros qui s’ignore. Plusieurs films de super-héros reposaient sur ce ressort : Superman, Spiderman… Mais c’est surtout à John Wick que Hutch Mansell fait penser, le héros du film homonyme sorti en 2014. L’ancien tueur à gages, interprété par Keanu Reeves, a eu un tel succès que le film a généré une franchise qui compte déjà – hélas – quatre titres.

Bob Odenkirk interprète donc le même personnage improbable, capable de décimer à mains nues la horde de mafieux russes lancés à ses trousses. Le scénario ne s’embarrasse pas d’être crédible, préférant verser dans une surenchère de violence gratuite (le film est interdit aux moins de douze ans) gentiment surréaliste (une baston épique dans un bus municipal est montée sur le tube des 60ies The Impossible Dream ultérieurement repris par Brel).

On aurait eu la dent plus dure avec ce grand n’importe quoi, chassé des salles après trois semaines d’exploitation à peine, s’il n’était pas sauvé par l’interprétation de Bob Odenkirk, l’avocat véreux de Breaking Bad qui inspira le spin-off Better Call Saul. On n’imaginait pas ce monsieur Tout-le-monde dans le rôle d’une machine à tuer et c’est précisément son contre-emploi qui fait mouche.

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Mère et fille ★☆☆☆

Jasna (Doria Lorenci-Flatz), la quarantaine, a depuis longtemps quitté la Croatie pour l’Allemagne où elle s’est mariée et a eu deux enfants. Elle revient au chevet de sa mère Anka (Neva Rosic) dont la santé décline. Ce retour au pays natal lui pèse ; car Anka est une vieille femme acariâtre et égoïste, confite dans le deuil de son mari et de son fils, qui ne manifeste aucune reconnaissance pour sa fille. Jasna est déchirée entre son devoir filial et le malaise viscéral que sa mère lui inspire.

Mère et fille est le premier long métrage d’un jeune réalisateur croate, Jure Pavlović. Il est en grande partie autobiographique, le réalisateur s’étant inspiré de son expérience. Mais il n’en demeure pas moins solidement ancré dans la fiction. Le réalisateur a opté pour un traitement formel radical : coller sa caméra à son héroïne, filmée sans contrechamp avec une focale très courte qui laisse l’arrière-plan dans le flou. L’affiche donne une idée du résultat.

Ce parti-pris formel produit un effet d’enfermement, d’étouffement. On suit les va-et-vient de Jasna dans la maison, vieillotte et encombrée, de sa mère, dans son jardin qu’une fragile clôture sépare de celle de son voisin à laquelle l’oppose un contentieux dérisoire, dans la ville voisine où Jasna retrouve quelques amis d’enfance perdus de vue. Le scénario refuse la facilité de la dramatisation et des rebondissements, faisant courir au récit le risque de verser dans l’insignifiance.

Mère et fille s’inscrit dans une généalogie écrasante d’œuvres célèbres sur les rapports filiaux. On pense à Bergman, à Almodovar, à Sokolov ou, plus près de nous, à Falling ou à The Father. Décidément, signe peut-être de la gériatrisation de nos sociétés, on n’a jamais autant filmé des vieillards impotents et leurs rejetons impuissants. Dans ce genre là, pas le plus gai qui soit, Mère et fille laissera une marque moins forte que d’autres.

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Un printemps à Hong-Kong ★★☆☆

Pak et Hoi sont deux homosexuels hong-kongais sexagénaires. Toute leur vie, ils ont caché leur homosexualité à leurs proches. Conducteur de taxi, Pak vit avec sa femme et est sur le point de marier sa fille à un homme qu’il n’apprécie guère. Hoi est veuf et vit avec son fils, catholique très pratiquant, sa bru et sa petite-fille. Les deux hommes vieillissants vont vivre ensemble une idylle qui mettra en péril le fragile équilibre de leurs vies.

Pour réaliser Suk Suk (que le distributeur français a préféré traduire par Un printemps à Hong-Kong, le distributeur nord-américain optant lui pour le très fleur bleue Twilight’s Kiss), le réalisateur LGBT Ray Yeung s’est inspiré d’une série de témoignages recueillis auprès de gays âgés à Hong-Kong. La plupart ont vécu leur sexualité en secret, en butte à la réprobation de leurs familles et à la politique répressive des pouvoirs publics. La trace de ces témoignages se retrouve dans les histoires de vies des personnages secondaires qui dessine la difficile condition homosexuelle à Hong-Kong aujourd’hui encore. Au stigmate de l’homosexualité s’ajoutent celui de l’âge et bientôt celui de la dépendance : l’une des revendications de la communauté, qui constitue le fil rouge du film, est l’ouverture d’un EHPAD gay.

Mais le film de Ray Yeung est moins une enquête sociologique ou un pamphlet politique qu’une romance assumée. Elle met en scène deux hommes amoureux. Leur rencontre n’a rien de très romantique, près d’une pissotière où Pak a l’habitude de nouer des étreintes furtives ; mais leur histoire d’amour est belle. Elle repose sur une attirance mutuelle (Un printemps à Hong-Kong ose filmer les corps qui se désirent et s’étreignent) et sur l’intelligence partagée des limites que la société met à leur couple.

Ray Yeung opte pour le minimalisme pour raconter cette histoire d’amour impossible sans rebondissements inutiles. On devine par avance son inéluctable issue et on la regarde avec une joie triste.

La bande-annonce