Nosferatu ☆☆☆☆

La jeune Ellen (Lily-Rose Depp) est hantée depuis son plus jeune âge par des cauchemars. Son époux, Thomas (Nicholas Hoult), travaille à Wisborg en Allemagne dans une étude de notaire. Il a été missionné en Transylvanie par son employeur pour en ramener le comte Orlock, un riche propriétaire terrien qui souhaite faire l’acquisition d’une belle demeure. Le vieil homme, à la table duquel Thomas est convié au terme d’un long voyage, se révèle être un vampire qui a passé un pacte de sang avec Ellen dont il hante les nuits. Thomas parvient de justesse à lui échapper mais Orlock réussit à embarquer à bord d’un navire qui fait voile vers Wisborg.

Fort de la célébrité que lui ont value ses précédents films (The Lighthouse, The Nothman), Robert Eggers s’attaque à l’un des films les plus mythiques du cinéma. Nosferatu le vampire de F.W. Murnau a créé en 1922 un genre appelé à un succès immense : le film d’horreur (les puristes objecteront, et ils auront raison, que Méliès en signa le tout premier dès 1896, Le Manoir du diable). Il s’agissait de l’adaptation du roman de Bram Stoker Dracula, dont le studio de Murnau n’avait pas eu les moyens d’acheter les droits.

Roberte Eggers a quasiment tout gardé du film de Murnau : le nom des personnages, l’intrigue et son dénouement. Cette fidélité à l’original interroge. Pourquoi un cinéaste réalise-t-il, sans rien y apporter de nouveau, le remake d’un grand film indépassable ? Ne sait-il pas son entreprise condamnée par avance ? Les plus grands pourtant s’y sont aventurés sans succès : Gus van Sant avec Psycho, Steven Spielberg avec West Side Story.

Le film de Murnau, muet et en noir et blanc, a plus de cent ans. Celui de Robert Eggers peut raconter la même histoire autrement, avec des techniques beaucoup plus sophistiquées. Il ne s’en prive pas. À condition de ne pas être allergique aux jump scares et aux coups de cymbales, son Nosferatu est un émerveillement pour l’oeil. Il contient sans doute quelques-uns des plans les plus beaux qu’il ait été donné de voir dans cette année qui s’achève.  Mais – et c’est à mes yeux le second défaut rédhibitoire de ce film – il se réduit vite à cela : une surenchère de plans tous plus parfaits les uns que les autres mais qui, mis bout à bout, ne font guère de sens.

Pourtant, la figure du vampire ouvre à des questionnements angoissants : la vie après la mort, le sang et sa transmission, la relation au corps, la sexualité et sa découverte (qu’on songe au succès planétaire de Twilight). Ces thèmes sont ici à peine ébauchés. Tout se passe comme si – et c’est là que ma seconde critique rejoint la première – prisonnier d’une « sur-esthétisation maniaque » (l’expression est de Mathieu Macheret dans Le Monde), Eggers s’en était remis à Murnau pour raconter une histoire dont il se désintéresse.

La bande-annonce

Une langue universelle ★☆☆☆

Matthew, la quarantaine, quitte Montréal pour revenir à Winnipeg sa ville natale après la mort de son père pour s’occuper de sa mère vieillissante. Il y découvre une ville métamorphosée où l’anglais a été remplacé par le farsi. Son chemin croise celui de Massoud, un guide touristique, et de deux jeunes sœurs qui ont découvert un billet prisonnier d’un bloc de glace.

Jetez un oeil à la bande annonce de ce film hors normes, qui représentera le Canada à la prochaine cérémonie des Oscars (où il aura fort à faire face à Emilia PerezFlow ou Les Graines du figuier sauvage). C’est un croisement étrange entre Jacques Tati, Wes Anderson, Roy Andersson, Abbas Kiarostami et Guy Maddin – l’autre cinéaste de Winnipeg et figure tutélaire du cinéma canadien.

Matthew Rankin filme une ville sans charme sous la neige, pour laquelle néanmoins il a la tendresse qu’on porte à sa ville natale. Sa caméra est statique et son film organisé en longs plans immobiles, dépourvus de lignes d’horizon, enfermant ses personnages dans des cadres dont ils semblent condamnés à ne pas sortir. Le tout baigne dans une ambiance loufoque sinon absurde dont on ne sait que penser : le farsi est devenu la langue véhiculaire de Winnipeg sans qu’on sache pourquoi, les dindes y sont l’animal domestique le plus familier, en lieu et place des chats et des chiens.

Le résultat est déconcertant. On pourra s’y laisser prendre, à condition d’aimer être surpris et de lâcher prise. On pourra tout au contraire n’y pas adhérer et considérer, comme l’écrit excellement Clarisse Fabre dans Le Monde, que ce film fait trop d’effort à « décréter le bizarre » pour être totalement convaincant.

La bande-annonce

Crossing Istanbul ★★☆☆

Lia, une enseignante géorgienne à la retraite, entend bien respecter la promesse faite à sa sœur sur son lit de mort : aller retrouver à Istanbul son neveu transsexuel qui avait fui Batoumi et l’homophobie de sa famille. Commence pour Lia, accompagnée d’Achi, un jeune Géorgien en quête d’aventures qui lui propose de la guider, et bientôt rejointe par Evrim, une avocate transsexuelle, une longue (en)quête dans la mégalopole turque.

En regardant Crossing Istanbul, deux références me sont venues à l’esprit. La première, De l’autre côté, le film du réalisateur germano-turc Fatih Akin qui racontait le destin entrecroisé de plusieurs femmes à Istanbul, prix du meilleur scénario à Cannes en 2007. La seconde, le livre Le Sillon, prix Renaudot 2018, qui décrivait la vie à Istanbul au lendemain du durcissement du régime Erdogan après le coup d’État manqué de juillet 2016.

Ces deux références sont écrasantes. Car De l’autre côté et Le Sillon étaient, chacun à leur façon, des œuvres exceptionnelles. Crossing Istanbul ne pouvait être qu’un cran en-dessous. On y voit Istanbul, ses chats, le Bosphore. On évite Sainte Sophie – que les distributeurs ont cru bon d’ajouter sur l’affiche dans un photomontage malheureux – mais on reconnaît la cour intérieure de la Mosquée bleue. On découvre aussi les bas-fonds de cette cité interlope, ses transsexuels de toutes origines qui vivent de la prostitution en marge de la société.

Crossing Istanbul n’évite pas les lieux communs : Lia abandonne ses préjugés et desserre un peu l’étau dans lequel elle s’était jusqu’alors condamnée à vivre, Achi prend sa vie en main, Evrim s’obstine malgré tous les obstacles à défendre la cause des LGBT et de l’enfance maltraitée. Crossing Istanbul ne révolutionne pas le cinéma, mais nous offre un bon moment de cinéma.

La bande-annonce

Noël à Miller’s Point ★☆☆☆

Dans une grande maison de Long Island, trois (ou quatre ?) générations d’une famille italo-américaine se réunissent pour le réveillon de Noël.

J’avais déjà été passablement déconcerté, pour dire le moins, par le précédent film de Tyler Taormina, Ham on Rye. Je ne serais pas allé voir celui-ci si je n’en avais lu d’excellentes critiques. Elles saluaient la capacité du réalisateur à recréer l’atmosphère unique de ces joyeuses réunions, de ces tablées bruyantes que nous avons tous connues si nous avons eu la chance d’appartenir à une grande famille, de leurs éclats de rires, de leurs apartés, de leurs temps morts aussi et de leurs silences embarrassés. Les critiques évoquaient un récit nostalgique, élégiaque, émaillé d’accents joyciens ou proustiens.

On imagine volontiers que le réalisateur, né en 1990, a puisé dans ses souvenirs personnels. D’ailleurs, l’action se situe quelque part au début des années 2000, avec des téléphones portables à touches. Dans ce genre de films, la musique joue souvent un rôle essentiel ; elle est étonnamment absente ici.

Noël à Miller’s Point est un film choral minimaliste. On y voit défiler une galerie de personnages. Aucun n’est principal, aucun n’est secondaire. La « star » Michael Serra, co-producteur du film, a la modestie de tenir le rôle quasi muet d’un flic en patrouille. Le problème de cette construction est qu’on ne s’attache à rien : sitôt qu’un nouveau personnage est introduit, sitôt on s’en détache pour passer à un autre.

Pendant tout le film, j’ai attendu un drame qui ne venait pas : la dispute homérique qui mettrait les oncles aux mains ? la crise cardiaque qui terrasserait l’aïeule ? l’accident de voiture qui faucherait la vie des adolescents ? Mais rien ne vient dans Noël à Miller’s Point qui se tient à son strict cahier des charges. Je reprochais déjà ce manque d’ambition à Ham on Rye ; mais je reconnais volontiers que, paradoxalement, c’est ce minimalisme, ce don pour recoller de petits riens qui fait le prix du cinéma de Tyler Taormina.

La bande-annonce

100 000 000 000 000 – cent mille milliards ☆☆☆☆

Afine est escort à Monaco. Il partage une villa sur les hauts de Nice avec trois amies, escorts comme lui, qui partent à Dubaï passer les fêtes de Noël. Resté seul, Afine traîne son ennui dans les rues silencieuses de la principauté, éclairées par les illuminations de Noël. Une de ses clientes, une plantureuse sexagénaire, l’emmène faire des courses, manger une glace, se baigner dans sa piscine. Afine croise une amie serbe qui s’est vu confier par des parents milliardaires la garde de Julia, une enfant de douze ans à peine.

Virgil Vernier (Les Mercuriales, Sophia Antipolis) est un réalisateur français proche de Bertrand Mandico ou de Yann Gonzalez qui entend réinsuffler un peu de magie dans notre quotidien désenchanté. Il revendique une esthétique kitsch et queer.

Son troisième film – dont rien ne vient expliquer le titre – est un croisement improbable entre le documentaire et le conte. Documentaire : il se déroule dans la principauté monégasque dont le luxe ostentatoire et triste déborde dans les ruelles pendant les fêtes de fin d’année. Conte : les parents de Julia se font construire une île pour s’y réfugier après une catastrophe écologique mondiale imminente.

Au risque de me montrer bien dur, je ne trouve rien à sauver dans ce cinéma-là. Ni la pauvreté du jeu des acteurs, ni l’indigence du scénario, ni la laideur des images mal éclairées.

La bande-annonce

Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft ★★☆☆

Maurice et Katia Krafft étaient deux volcanologues français qui, défiant la mort et finalement y succombant en juin 1991 sur les pentes du mont Unzen au Japon, ont filmé et photographié au péril de leur vie les plus spectaculaires éruptions volcaniques sur la planète pendant vingt ans.

Deux documentaires leur ont été consacrés, bouclés quasiment au même moment en 2022. Le premier de Werner Herzog avait été diffusé sur Arte avant, bizarrement, de trouver le chemin des salles plus de deux années plus tard. Le second, Fire of Love de Sara Dosa, était lui sorti dans quelques salles parisiennes en octobre 2022. Je l’y avais vu et lui avais consacré une critique.

Celle que je m’apprête à faire du documentaire de Werner Herzog pourrait être copiée quasiment mot à mot de celle que je fis il y a deux ans du documentaire de Sara Dosa tant les deux films se ressemblent. La raison en est qu’ils utilisent le même fonds iconographique : les films en Super-8 tournés par Maurice Krafft – sa femme, Katia, étant en charge de la photo.

Les deux documentaires montrent les mêmes images hallucinantes de volcans déchaînés dégorgeant des coulées de lave bouillante ou des torrents de boue, en Islande, en Indonésie ou en Colombie. Elles montrent aussi la silhouette fragile de nos deux Rouletabille, pas particulièrement charpentés ni outillés pour de telles aventures. On a parfois un peu l’impression de voir le film des vacances tournés par de sympathiques cousins…

Le documentaire de Werner Herzog ne nous dit pas grand-chose de l’histoire de ce couple hors normes. Celui de Sara Dosa était plus pédagogique qui racontait leur formation à l’université de Strasbourg, elle en chimie, lui, de quatre ans son cadet, en géologie. Il expliquait également le financement de leurs expéditions, grâce à quelques rares sponsors et grâce surtout à la commercialisation de leurs livres et de leurs films.

Werner Herzog, que la majestueuse beauté de la terre en éruption a toujours fasciné (en 1976, il a filmé l’éruption du volcan de la Soufrière à la Guadeloupe), est plus sensible aux images tournées par Maurice Krafft qu’à l’histoire du couple. Il nous montre les plus impressionnantes. Et même si je les avais déjà vues dans le documentaire de Sara Dosa, je n’ai pas boudé mon plaisir de les voir une seconde fois. Il montre aussi comment, avec le temps et l’expérience, le regard de Maurice Krafft s’affine et se professionnalise.

La bande-annonce

Joli Joli ★☆☆☆

Elias, un écrivain en manque d’inspiration (William Lebghil) ,rencontre la nuit du Nouvel An 1977 Léonore, une star de cinéma (Clara Luciani), et passe avec elle une folle nuit d’amour. Mais les deux amants se séparent sans s’échanger leurs adresses et la femme de ménage d’Elias (Laura Felpin), qui en est secrètement eprise, ne lui transmet pas le mot que Leonore avait écrit à son attention. Elias est recruté le lendemain par un producteur de cinéma (José Garcia) pour écrire le scénario du prochain film de Léonore. Un réalisateur célèbre (Grégoire Ludig) est derrière la caméra. Il est amoureux du principal acteur masculin (Vincent Dedienne), lui aussi homosexuel mais condamné par les gazettes à accréditer la rumeur d’une idylle avec Léonore.

Diastème (Le Monde d’hier, Un français…) fait le pari risqué de la comédie musicale. Son pote, Alex Beaupain, signe les paroles et la musique de la douzaine de chansons de cette « opérette » revendiquée. Clara Luciani y fait ses débuts à l’écran.

Joli joli est une comédie musicale à l’ancienne, qui cultive ce côté rétro. Elle se situe dans le passé, en 1977, à une époque où se mélangent les tendances rock, punk et disco. Elle porte un regard rétrospectif sur la place des femmes dans la société et l’homosexualité. Elle est entièrement tournée en intérieur, dans des décors à l’artificialité revendiquée (neige artificielle, fausse piscine…). Les couleurs vives des costumes ne sont pas sans rappeler Les Demoiselles de Rochefort.

Mais hélas le résultat ne convainc pas. Le scénario gentillet se traîne mollement vers un happy end convenu où chacun rencontrera sa chacune (ou son chacun). Chaque scène est suivie de sa chanson qui, au lieu de faire avancer l’histoire, lui offre une illustration chantée, inutile bégaiement d’un scénario déjà bien mou. Si Clara Luciani chante fort bien (c’est bien le moindre), elle joue fort mal, le visage mangé par une frange à la Mireille Mathieu. Quant aux autres acteurs qui jouent fort bien, ils chantent vraiment trop mal. Quant aux chansons d’Alex Beaupain, elles s’écoutent volontiers, mais aucune ne laisse une marque inoubliable. N’est pas Michel Legrand qui veut…

La bande-annonce

Conte nuptial ★★☆☆

Sami et Micka sont voisins, collègues de travail et les meilleurs amis du monde. Pour épicer leur quotidien monotone, ils décident, au nom de l’amitié qui les lie d’échanger leurs épouses. Pour que l’usurpation réussisse, ils doivent accentuer leurs ressemblances et copier les pratiques sexuelles de l’autre époux. Mais, Agathe et Mélissa ont vent du mauvais tour que leurs époux veulent leur jouer. Elles décident de leur en jouer un autre.

Conte nuptial est né, raconte sa réalisatrice, du choc que lui a causé que la lecture d’une nouvelle de Roald Dahl, un auteur bien connu pour ses livres pour enfants (Charlie et la Chocolaterie, Fantastique Maître renard), publiée en 1974 dans la revue Playboy. Sous couvert d’humour et de libertinage, La Grande Entourloupe racontait en fait la perpétration du double viol de deux femmes non consentantes par le meilleur ami de leur mari respectif.

On aurait pu craindre qu’un tel point de départ ne conduise à un film #MeToo à la morale sentencieuse. Heureusement, Claire Bonnefoy évite ce travers et livre plutôt un délicieux marivaudage filmé dans le cadre presque surréaliste d’une ville de province [je n’aurai pas réussi à l’identifier] et de deux villas hyper-modernes de sa banlieue cossue – si rien n’est dit du travail des quatre protagonistes, on peut déduire de leur cadre de vie qu’ils ont une belle situation.

Conte nuptial est charmant. Pourtant ses quatre interprètes forment un assemblage disparate. Par son abattage hors du commun, par sa célébrité grandissante, Raphaël Quenard écrase ce quatuor. Et Inas Chanti, découverte chez Antoine Desrosières (À genoux les gars) est trop jeune pour le rôle. Le charme de Conte nuptial vient plutôt de ses dialogues, de sa mise en scène, de ses décors décalés, de ses partis pris théâtraux – on imagine fort bien ce film-là au théâtre.

Cinquante ans ont passé depuis la publication de la nouvelle de Roald Dahl. Ce qui constituait à l’époque une blague potache apparaît aujourd’hui comme une perfidie intolérable. Dont acte. Pour autant, si on y regarde de plus près, la conclusion de la nouvelle et la conclusion du film sont étonnamment proches. [Attention spoiler] Dans la nouvelle, l’épouse de Vic, après que Terry s’est glissé dans son lit à son insu, confesse au réveil à son mari, marri, qu’il ne lui a jamais fait aussi bien l’amour que la veille. Dans le film, c’est exactement à la même conclusion qu’Agathe aboutit, qui a découvert dans les bras de Sami un plaisir que son mari ne lui avait jamais donné.

La bande-annonce

Everybody Loves Touda ★☆☆☆

Touda (Nisrin Erradi) élève seule un enfant sourd-muet. Elle est chanteuse de profession et se produit dans des cabarets ou pour des concerts privés. Elle a un rêve : se consacrer à l’aïta, ce chant qui plonge ses racines dans l’histoire profonde du Maroc et qui promeut les valeurs de liberté et d’émancipation, et devenir une cheikha. Mais les hommes qui l’emploient et qui l’écoutent, loin de la reconnaître pour ses qualités artistiques, la ramènent constamment à son sexe.

La première scène du film est glaçante. On y voit Touda se produire pour un cénacle d’hommes, la soirée devenir de plus en plus bruyante et arrosée, et finalement, après une course-poursuite dans les champs, la chanteuse être victime d’un viol collectif. Le problème de cette scène coup de poing est qu’elle épuise le sujet du film, qu’il ne reste ensuite pas grand chose à ajouter.

Everybody Loves Touda tient tout entier dans le résumé que j’en ai fait : une chanteuse qui, dans un monde d’hommes libidineux, souffre de ne pas être respectée pour son art. Pour se reconstruire après le viol qu’elle a subi, pour donner à son fils, malmené par ses camarades de classe et menacé d’exclusion par la directrice de l’école, une éducation adaptée, Touda envisage de quitter sa province pour Casablanca. On se demande comment le film va s’organiser : racontera-t-il ce départ continuellement repoussé pour se terminer sur un plan qui la montrera enfin monter avec son fils à bord du car qui l’emmènera vers une autre vie ? ou au contraire sur celui, alors que son départ imminent est empêché par un événement de dernière minute, qui la laissera défaite avec ses illusions perdues ? ou  bien comptera-t-il deux parties, la première dans son village d’origine, et la seconde à Casablanca ? Là encore avec deux options : un déménagement réussi ou raté ?

En écrivant ce qui précède, je suis en train de me contredire. Je suis en train de suggérer que Everybody Loves Touda pourrait ne pas tenir dans son pitch mais, au contraire, ouvrirait à bien des possibilités.
Le paradoxe pourtant est que, malgré ses bifurcations, le film n’avance pas. Où qu’elle soit, Touda est encore et toujours confrontée au même plafond de verre, au même sexisme.

J’avais trouvé les précédents films de Nabil Ayouch (Razzia, Much Loved) autrement plus convaincants.

La bande-annonce

Finalement ☆☆☆☆

Un auto-stoppeur (Kad Merad), la casquette vissée sur la tête, un vieux sac en cuir jeté sur l’épaule, sillonne la France. Il assiste aux commémorations du Débarquement sur le pont de Bénouville, passe devant le Mont-Saint-Michel, achète une trompette à Béziers, prend un bain de foule aux 24 Heures du Mans et danse sous le pont d’Avignon. Pour chacun des conducteurs qui le prend en stop, il s’invente une nouvelle identité, prêtre défroqué, réalisateur de films X, amant meurtrier, et raconte les crimes qu’il aurait commis et qui expliquent sa cavale. Il s’agit en fait d’un grand avocat parisien, Lino Massaro, atteint d’une maladie dégénérative. Lino finit par croiser dans une ferme bourguignonne une accorte paysanne (Françoise Gillard). Sa femme (Elsa Zylbertstein) et son meilleur ami (Michel Boujenah) essaient en vain de le retrouver.

À quatre-vingt-sept ans passés, Claude Lelouch sort son cinquante-et-unième long métrage. Incroyable carrière d’un immense réalisateur qui a accumulé les plus grands succès (Un homme et une femme, Itinéraires d’un enfant gâté, Les Uns et les Autres…) et tourné avec le Gotha du cinéma français (Trintignant, Piccoli, Ventura, Belmondo…). Son style inimitable se reconnaît au premier plan : de longs dialogues filmés en plans-séquences laissant une large place à l’improvisation, une caméra virevoltante qui tournoie autour des acteurs, une musique omniprésente avec quelques « tubes » qui restent longtemps dans l’oreille…

Je lui voue une fidélité sans réserve et suis allé voir tous ses films depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma. Il faut dire que, dans les années 80, leur sortie était un sacré événement. Je me souviens encore du choc causé par Les Uns et les Autres, de la mystérieuse bande-annonce de Viva la vie et de l’immense succès d’Itinéraires d’un enfant gâté.

Mais la vérité oblige à dire que Lelouch a vieilli et qu’il a mal vieilli. Son cinéma se répète. Son cinéma bégaie. Kad Merad est le copier-coller du Belmondo d’Itinéraires. Même personnage, même dégaine, même fuite hors du monde… Sauf que la production est moins richement dotée et qu’au lieu des chutes Victoria, on filme le Mont Saint-Michel…. Francis Lai est mort ; Ibrahim Maalouf signe la musique ; Didier Barbelivien écrit encore tant bien que mal les chansons. Ses textes sont d’une indigence rare : « Maintenant, le temps efface / Nos regards devant la glace / Maintenant, le cœur se lasse / La vie passe, nous enlace / Nous embrasse et nous remplace ». Quant aux dialogues, ils nous servent sentencieusement quelques aphorismes tout droit sortis d’un manuel de feng shui : « tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! », le « livre de la vie (…) ne se lit pas deux fois »etc.

Pire : Lelouch entonne le refrain rance du « c’était-mieux-avant ». À l’en croire, dans la France post #MeToo, on n’aurait plus le droit de ne rien dire sous peine d’être immédiatement dénoncé à la police comme sous l’Occupation : ne plus dire son amour des femmes, sans être accusé d’être un violeur. D’où l’héroïsation d’un personnage qui s’autorise, lui, à tout dire. Finalement se voudrait iconoclaste, libéré du politiquement correct qui corsète notre époque ; c’est au mieux malaisant, au pire ridicule.

La bande-annonce