Je verrai toujours vos visages ★★★☆

La justice restaurative, nous dit le site du ministère de la justice, associe, selon diverses modalités, des auteurs d’infraction pénale et des victimes « en vue d’envisager ensemble les conséquences de l’acte, et le cas échéant, de trouver des solutions pour le dépasser, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale ». Prévue par une directive européenne, la justice restaurative a été inscrite dans la loi en 2014.
Jeanne Herry aurait pu lui consacrer un documentaire. Elle lui préfère la fiction en convoquant une belle brochette d’acteurs : sa mère Miou-Miou (excellente dans le rôle d’une septuagénaire qu’un vol à l’arraché a durablement traumatisée), Gilles Lellouche, Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès, Leïla Bekhti, Fred Testot (méconnaissable) et Adèle Exarchopoulos sur laquelle, si j’ose dire, je reviendrai.

Le précédent film de Jeanne Herry, Pupille, m’avait ému aux larmes. Je lui avais mis quatre étoiles et l’avais rangé au sommet de mon Top 10 en 2018. Lui aussi, qui suivait le parcours de l’adoption d’un bébé né sous X, empruntait déjà à la même veine documentaire. Il convoquait d’ailleurs les mêmes acteurs : Miou-Miou, Podalydès, Bouchez, Lellouche….

La recette marche une fois encore avec quasiment la même efficacité. Hier, une amie me disait l’avoir détesté. Elle parlait de naïveté, d’indécence et de bien-pensance. Je comprends sa colère. Je verrai toujours vos visages est englué dans une bien-pensance mielleuse. Le film nous prend en otage et nous interdit par avance, tant son sujet est admirable, de le contredire. Ces deux reproches d’ailleurs pouvaient être adressés à Pupille contre lequel quelques rares voix dissidentes se sont élevées à rebours de l’avalanche de louanges qui l’avait accueilli.

Mais je trouve à ce film trois immenses qualités qui emportent ma conviction.

La première est son sujet, original et ardu. Imaginez la tête des producteurs quand Jeanne Herry est venue leur proposer un film sur « la justice restaurative » : « Euh, Jeanne… bien sûr… en effet… mais tu voudrais pas plutôt écrire un scénario sur un sujet plus bankable ? ». Courageusement, lucidement, Je verrai… saisit à bras-le-corps ce sujet austère et, avec un remarquable sens de la pédagogie, sans prendre le spectateur pour un imbécile, mais sans non plus lui prêter un savoir qu’il n’a pas, le lui expose : ce qu’est la justice restaurative, mais aussi ce qu’elle n’est pas, les objectifs qu’elle se fixe, tant du point de vue des victimes que des condamnés, les modalités de son fonctionnement.

La deuxième est l’admirable subtilité de son écriture.
Hier, dans une critique assassine, j’étrillais Sur les chemins noirs adapté du récit de Sylvain Tesson. Je persiste et signe dans mon opinion radicale. Qu’y avait-il dans ce film-là ? une seule idée : un homme se reconstruit après un terrible accident en traversant la France à pied. Quelle richesse au contraire, quelle subtilité dans ce film-ci où quasiment chaque scène suscite un flot de réflexions.
Il se focalise sur deux processus. Le premier confrontera trois condamnés pour violence à trois victimes : la première, on l’a dit, interprétée par Miou-Miou, a été victime d’un vol à l’arraché, la deuxième, (Leila Bekhti), est une employée d’une supérette braquée par des cambrioleurs, le troisième (Gilles Lellouche) un père de famille pris en otage avec sa fille à son domicile. Le deuxième processus se réduit à un duo :  il s’agit d’une sœur, abusée dans son enfance par son frère qui vient de sortir de prison, de revenir dans sa ville et que sa sœur appréhende de revoir.
Ces face-à-face pourraient être manichéens. Ils ne le sont jamais. Chacun, victime ou coupable, a ses raisons, prend sur soi de les expliquer calmement et surtout, accepte d’écouter celles de l’autre. Quelle merveille, à l’heure où nous sommes souvent bien en peine de nous parler sans nous invectiver, de voir des gens de bonne volonté emprunter une autre voie et en sortir grandis !

La troisième est Adèle Exarchopoulos. J’ai déjà dit mon admiration pour cette actrice qui ne s’abîme pas dans la facilité, fait des choix exigeants et affirme de film en film son talent. Elle est ici impressionnante de maîtrise dans un rôle terrible, à fleur de peau. Qu’elle pleure ou qu’elle sourie cette actrice m’émeut au tréfonds.

La bande-annonce

Sur les chemins noirs ☆☆☆☆

Pendant une nuit trop alcoolisée, en août 2014, à Chamonix, Sylvain Tesson chute de près de dix mètres d’une maison que, comme à son habitude, ce « chat de gouttière » était en train d’escalader. Victime d’un traumatisme crânien, de multiples fractures, il retrouve par miracle l’usage de ses jambes. En guise de thérapie, ce grand voyageur décide, contre l’avis de ses médecins, de traverser la France à pied, du Mercantour au Cotentin. Il tire de ce périple de mille trois cents kilomètres un livre publié en 2016 qu’adapte aujourd’hui Denis Imbert.

Jean Dujardin se glisse dans le rôle de l’écrivain. Il en adopte l’élégance d’un autre âge, la casquette gavroche en tweed, le chèche négligemment noué autour du cou. Ce serait un mauvais procès que de lui reprocher de ne pas suffisamment s’effacer derrière son rôle : l’interprétation de Sylvain Tesson réussit à faire oublier Brice de Nice ou OSS 117.

Le problème au contraire est la trop grande fidélité à un livre qui…. pose problème.
Il a eu pourtant un immense succès de librairie. Et c’est précisément sur ce succès de librairie que le film capitalise, sûr d’attirer en salles, où il a réalisé en première semaine un score remarquable, tous les amoureux de Sylvain Tesson et de ses carnets de voyage.

Je dois avouer un sentiment très subjectif. Sylvain Tesson m’horripile. Je trouve ses livres horriblement égocentriques. Sa fausse modestie transpire la suffisance : « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie ». Chaque phrase semble avoir été écrite avec le souci envahissant d’atteindre à un sommet de poésie et un abîme de profondeur : « La forêt filtrait le soleil en tisserande et je traversai les rais avec l’impression de me laver le visage à chaque explosion de clarté ». Une écologie de pacotille peine à cacher un vieux fond réactionnaire et anti-humaniste : « Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie » ou encore, citant Cocteau : « Il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur ».

Aussi je souffre presqu’autant à la lecture de ses livres qu’à la vue des films qui en sont tirés. Les premiers ont l’avantage de ne pas être bien épais et d’être lus presqu’aussi vite qu’on voit les seconds.

Je n’avais pas aimé La Panthère des neiges, qui a pourtant cassé la baraque au box-office. Je reprochais déjà à Tesson « une idéologie volontiers conservatrice sinon rétrograde qui postule que tout était mieux avant, que la nature était parfaite et que l’intervention de l’homme en a perturbé l’équilibre et altéré la beauté ». Comme je l’avais auguré, je n’ai guère plus aimé Sur les chemins noirs. Les fans de Tesson ne seront pas de mon avis. Ni les spectateurs sensibles à la splendeur des « beaux paysages » qu’on y voit – et qui soutiennent aisément la comparaison avec la soirée diapos que Tonton Paul et Tata Nénette (elle s’appelait Antoinette mais personne n’utilisait jamais son vrai prénom) nous infligeaient jadis à leur retour de vacances en camping-car.
Mais nous nous accorderons peut-être lucidement sur un point : même si le montage réussit intelligemment à mêler l’histoire de l’accident de Sylvain Tesson et celle de sa longue marche, Sur les chemins noirs ne raconte pas grand-chose et tourne un peu en rond… ce qui n’est pas le moindre des paradoxes d’un film censé nous raconter la traversée de la France.

La bande-annonce

Dalva ★★☆☆

Dalva a douze ans. Brutalement séparée de son père, elle est placée en foyer d’accueil. Elle y apprendra lentement à se reconstruire.

J’avais vu plusieurs fois la bande-annonce de Dalva sans y comprendre grand-chose. En découvrant cette pré-adolescente outrancièrement fardée, j’avais même pensé un temps que son héroïne était un petit garçon en train de vivre une transition de genre ! Or le sujet de Dalva n’est pas la transidentité, loin s’en faut, mais l’inceste.
La bande-annonce n’en dit rien. Elle a bien raison de n’en rien faire. Mais toutes les critiques l’évoquent. Le film, dès sa toute première scène, le laisse comprendre.

Un tel sujet est évidemment tétanisant. Les Chatouilles l’avait pris à bras-le-corps en 2018 avec une terrible efficacité. On se souvient qu’il s’agissait de l’adaptation d’un seule-en-scène construit sur la base de flashbacks entre le passé traumatisant de son héroïne et sa lente reconstruction grâce à la cure psychanalytique qu’elle avait entreprise.

Ici, c’est moins de l’inceste proprement dit qu’il est question, qui demeure hors champ, dans un passé dont on ne verra et dont on ne saura rien – l’action commence le jour de l’arrestation du père de Dalva – que du chemin que parcourra Dalva pour retrouver l’enfance qui lui a été volée.

Le vrai sujet du film est paradoxal voire choquant : il est dans le refus initial de l’enfant d’admettre la culpabilité de son père, voire son entêtement obstiné à clamer son innocence.
Jacques – c’est le nom de ce père qu’elle n’appelle jamais « papa » – avait transformé sa petite fille en poupée hypersexuée, maquillée, coiffée, vêtue comme une femme mature. On imagine en frémissant ce qui se cache derrière ce fantasme. Mais Dalva, loin de vivre l’arrestation de son père comme une délivrance, la vit comme une séparation intolérable. Elle exige de conserver ses vêtements, son maquillage, son chignon sophistiqué. Elle demande à revoir son père, placé sous écrou à Reims.

Ainsi posé le film s’annonce palpitant. Mais l’exploitation qu’il fait de ce postulat de base reste assez plat. Comme on l’a déjà vu mille fois, dans tant de films plus ou moins similaires (La MifMon frère, Conséquences, La Tête haute, States of Grace, Fish Tank, Dog Pound…), Dalva filme la vie dans un foyer d’accueil de l’ASE – ce qu’on a cessé depuis longtemps d’appeler « l’Assistance ». Là, au contact d’éducateurs bienveillants (Alexis Manenti, César du meilleur espoir masculin pour Les Misérables, Marie Denarnaud…) et d’une camarade de chambre aussi cabossée qu’elle (Fanta Guirassy à suivre), elle se reconstruira.

La jeune Zelda Samson est impressionnante dans le rôle titre. Elle joue à la perfection un mélange ambigu de féminité aguicheuse et d’enfance innocente. Un seule reproche : on la voit trop vite basculer du premier registre vers le second.

La bande-annonce

De grandes espérances ★★★☆

Orpheline de mère, abandonnée par son père, Madeleine (Rebecca Marder) a grandi à Vénissieux et doit à une bourse d’État d’avoir intégré l’IEP dont elle est sortie major. Antoine (Benjamin Lavernhe) est lui issu de la grande bourgeoisie lyonnaise. C’est dans la villa louée en Corse par le père d’Antoine, riche avocat d’affaires, que le jeune couple prépare l’oral de l’ENA et révise « l’arrêt » (sic) Nicolo. Idéalistes, marqués à gauche, ils se verraient mieux au ministère du travail ou aux Affaires sociales qu’au Conseil d’État ou à l’IGF. Madeleine a consacré son mémoire de fin d’études à l’économie sociale et solidaire. Elle fait forte impression à Gabrielle Devraz, une députée lyonnaise qui vient de démissionner du Gouvernement et espère bientôt y revenir. Mais le brillant avenir de ces jeunes gens va se briser le lendemain sur une petite route corse.

On a dit longtemps du cinéma français qu’à la différence de son homologue américain, il rechignait à se frotter à la politique : pendant que Robert Redford et Dustin Hoffman chroniquaient le Watergate (Les Hommes du président, 1976), Catherine Deneuve, Michel Serrault et Jean-Louis Trintignant mettaient en scène les frasques d’un Président volage cherchant par tous les moyens à cacher l’existence d’un enfant adultérin (Le Bon Plaisir, 1984).
Les choses ont changé depuis peu. Le cinéma français n’a plus peur de se colleter au politique. Plusieurs films récents l’ont montré : L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller (2011), Quai d’Orsay du regretté Bertrand Tavernier (2012), Le Poulain de Mathieu Sapin (2017), Alice et le maire de Nicolas Pariser (2019), Les Promesses de Thomas Kruithof, un de mes coups de cœur de l’année dernière, sans parler de séries remarquables : L’État de Grâce, Les Hommes de l’ombre et bien sûr Baron noir.

Sylvain Desclous, la cinquantaine, n’est pas un novice. De grandes espérances est son quatrième long après Vendeur, une fiction avec Gilbert Melki et Pio Marmaï sur le monde impitoyable de l’entreprise et deux vrais-faux documentaires tournés dans sa ville natale de Preuilly-sur-Claise en Indre-et-Loire. La Campagne de France racontait la désopilante campagne d’un enfant du pays, parti faire ses études à Paris, aux élections municipales de mars 2020.

Najat Vallaud Belkacem se serait, dit-on, reconnue dans le rôle de Madeleine. Comme elle, elle a préparé l’ENA. Comme elle, elle avait rencontré à Sciences Po (Paris) son futur mari, Boris Vallaud, camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA et aujourd’hui président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Comme elle, elle rencontrera un édile lyonnais et commencera dans son ombre une prometteuse carrière politique.
Les ressemblances s’arrêtent là ; car Madeleine et Antoine, à la différence espérons-le de Najat Vallaud Belkacem et son époux, cachent un lourd secret qui hypothèque leurs brillantes carrières.

Tout le film est construit autour de ce secret, des conditions dans lequel il se noue et de l’épée de Damoclès qu’il fait peser sur Madeleine et Antoine.
Ce secret est diabolique. Je n’en dirai pas plus…. même si la bande-annonce en livre la substance. Le film aurait-il pu en faire l’économie, se concentrant alors sur ce qui est au fond son vrai sujet : l’ambition politique face aux compromissions morales auxquelles elle finit fatalement par se heurter ? Pas si sûr.

Madeleine et Antoine vont traverser plus de péripéties que n’en vivent des candidats ordinaires à l’ENA. À force de charger la barque, la crédibilité du scénario prend l’eau de toutes parts. Mais qui a envie qu’on lui raconte la vie d’un étudiant qui polarde dix-huit heures par jour, passe en tremblant un grand oral où il confond Jules Renard et Jules Romains, obtient une mauvaise note en sport, compensée par un bon oral d’anglais et sort au Conseil d’État plutôt qu’au Quai d’Orsay ?

De grandes espérances, au titre pompeusement dickensien, prend le parti de la dramatisation. Le pari est réussi. le film nous tient en haleine jusqu’à ses ultimes et étonnants rebondissements.

Rebecca Marder, l’étoile montante du cinéma français (Mon crime, La Grande Magie, Simone, le voyage du siècle, Les Goûts et les Couleurs, Une jeune fille qui va bien…), y est épatante : au risque de la caricature, elle est l’ambition politique faite femme. Benjamin Lavernhe a un rôle ingrat qui, lui aussi, frise la caricature. Mention spéciale aux seconds rôles : Emmanuelle Bercot étonnante dans le rôle de la mentor en politique de Madeleine et Marc Barbé qui, depuis des décennies, promène sa gueule cassée reconnaissable entre mille dans le cinéma français sans jamais avoir obtenu la reconnaissance qu’il mérite. En revanche, le choix de Thomas Thévenoud, ministre éphémère devenu célèbre pour sa « phobie administrative », pour interpréter le rôle d’un ministre du Travail pataud et ridicule, laisse perplexe.

La bande-annonce

Les Mutants de l’espace (2001) ★☆☆☆

Un astronaute, lâché dans l’espace par un savant fou, en revient vingt ans plus tard. Il n’est pas seul

Résumer d’une (courte) phrase, ou de deux, les délires cartoonesques de Bill Plympton n’a pas grand sens. D’autant que les scénarios de ses films comptent moins que ses scènes toutes plus paroxystiques les unes que les autres.

Ressortent en salles deux films d’animation, vieux de plus de vingt ans, et qui pourtant n’ont pas pris une ride : L’Impitoyable Lune de miel (1998) et Les Mutants de l’espace (2001). Au premier coup d’œil on reconnaît la patte unique du vieux cartooniste de Portland, Oregon : situations loufoques, couleurs pop, corps hypersexués, perspectives déformées, rythme d’enfer….

Le grand souffle d’air frais que fait souffler Bill Plympton est ébouriffant. Pendant les premières minutes du film, on est scotché à son fauteuil et on se demande où diable on vient d’atterrir. Mais, l’effet de surprise ne dure qu’un temps. Bientôt, on se mithridatise aux outrances à répétition. Le charme n’opère plus. On finirait presque par s’ennuyer.

La bande-annonce

Domingo et la brume ☆☆☆☆

Domingo est veuf. Il croit entendre la voix de sa femme dans la brume qui noie la colline où il habite. Sa maison est menacée d’expropriation pour construire une autoroute. Avec quelques propriétaires irréductibles, Domingo s’entête à tenir tête aux investisseurs véreux qui le menacent physiquement. Sa fille essaie en vain de le convaincre de déménager.

Domingo et la brume nous vient du Costa Rica. Je ne suis pas certain d’avoir jamais vu de film de ce petit pays d’Amérique centrale. Mais ma soif d’exotisme a été bien déçue devant ce film qui refuse toute imagerie de carte postale et ne nous montre quasiment rien du Costa Rica sinon quelques collines tropicales et anonymes noyées dans la brume.

L’autre défaut du film – et c’est le principal – est sa pauvreté. Une fois l’intrigue posée, quasiment rien ne s’y passe. Si bien que lentement, le spectateur sombre avec Domingo et les personnages du film dans la brume et dans l’ennui.

La bande-annonce

Le Barrage ★☆☆☆

Maher travaille dans une briqueterie, au bord du Nil, au Soudan, près du barrage de Merowe. Alors que la révolution gronde dans le pays, provoquant la chute du président Béchir, Maher consacre tout son temps libre à l’érection d’une curieuse structure de terre glaise au milieu du désert.

Pour qui, comme moi, a eu le privilège rare de descendre le Nil soudanais, de Khartoum à Napata, Le Barrage est l’occasion de revoir les majestueux paysages désertiques du Gebel Barkal, un site égyptologique consacré à Amon bâti sous les dynasties nubiennes.

Mais tel est à mon sens l’unique attrait de ce Barrage, un film quasi-muet du plasticien franco-libanais Ali Cherri, dont le sens m’a échappé. Il ne s’y passe rien si bien qu’une fois dissipé le charme produit par l’exotisme de son premier quart d’heure, on plonge dans une profonde léthargie.

La bande-annonce

Atlantic Bar ★★☆☆

La jeune photographe Fanny Molins a commencé par photographier les habitués de l’Atlantic Bar, un modeste café situé à une encablure des Arènes d’Arles, avant de décider d’y tourner un long métrage documentaire. Initialement centré sur le personnage de Sandro, le fils de la patronne, il s’est finalement focalisé sur sa mère, Nathalie, une alcoolique en rémission.

Atlantic Bar est un documentaire profondément touchant qui se déroule quasi exclusivement dans un seul lieu. On n’en sortira que pour quelques échappées belles, les mardis, le jour de fermeture du bar, à Port Saint Louis, à l’embouchure du Rhône, où Nathalie et Jean-Paul vont pêcher, avec leur chien et avec un ami, ancien clochard, qu’ils ont adopté comme l’un des leurs.

Atlantic Bar est un troquet ordinaire dont la porte, toujours ouverte, donne sur une rue sans caractère du vieil Arles. On y vient prendre un noir – à 1,50€ à peine – un pastis ou une bière. On y vient surtout pour y passer un moment, taper le carton et la discute avec Nathalie la patronne. On découvre sa vie cabossée et sa longue addiction à l’alcool qui ressurgit périodiquement. Son conjoint, Jean-Paul, un taiseux au grand cœur, les chicots jaunis par l’abus de cigarettes, la couve d’un regard protecteur.

Le bar compte ses habitués aux trognes incroyables, Alain, Claude, Gilbert… L’un est un ancien clochard, l’autre un ancien taulard, le troisième un poète un peu fou. On les croirait tout droit sortis d’un film de Pagnol ou d’Audiard.

Le tableau serait ennuyeux si un événement ne venait bousculer le train-train quotidien de ses personnages : la décision du propriétaire du fonds de le mettre en vente et, si Nathalie et Jean-Jacques ne s’en portent pas repreneurs, de les évincer. L’annonce bouleverse Nathalie qui replonge dans l’alcool. Les frères Dardenne en auraient fait une fiction suffocante dans laquelle le couple aurait tenté, par tous les moyens, dans une course à la montre haletante, de réunir la somme exigée par le propriétaire. Rien de tel dans Atlantic Bar qui ne quittera pas le registre qui est le sien : celle de la chronique pleine de tendresse, à hauteur d’homme.

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Eternal Daughter ★☆☆☆

Julie, une réalisatrice d’une cinquantaine d’années, vient séjourner quelques jours avec sa mère Rosalind dans un hôtel chic de la campagne anglaise. Il s’agit d’un manoir où Rosalind a jadis passé une partie de son enfance. Julie travaille à l’écriture de son prochain film qu’elle souhaite consacrer à sa mère. Les deux femmes sont froidement accueillies par la réceptionniste qui n’accepte qu’après un long conciliabule de les loger dans la chambre au premier étage que Julie avait réservée. La première nuit se passe mal pour Julie, réveillée par des bruits étranges. Pourtant l’hôtel semble curieusement vidé de tout occupant.

La réalisatrice britannique a dû attendre d’avoir dépassé la soixantaine pour que son quatrième film, le diptyque The Souvenir lui permette enfin d’accéder à une célébrité toute relative de ce côté-ci de la Manche. Tilda Swinton y interprétait la mère de l’héroïne. Elle relève ici  le défi d’interpréter simultanément les deux rôles de Julie et de Rosalind – avec la même robe vert d’eau que celle qu’elle portait déjà dans The Souvenir.
Sa performance dans ces deux rôles-là force l’admiration : bien sûr, le costume, le maquillage, la coiffure permettent de distinguer immédiatement les deux personnages, mais Tilda Swinton, d’une intonation de voix, d’un silence, réussit, par son seul talent, à leur donner une identité bien distincte. C’est bien sûr l’atout principal du film.

L’inconvénient est qu’il n’en compte guère d’autres. Eternal Daughter emprunte à la veine fantastique sinon horrifique en situant son intrigue dans un manoir lugubre plongé dans la nuit et dans la brume. Cet environnement crée bien sûr une ambiance sombre. Julie est réveillée par des fantômes dont on attend l’apparition sans que cette attente suscite vraiment ni effroi ni impatience. Très vite, on devine le ressort sur lequel le scénario repose. L’intérêt qu’avait suscité le film s’est, sitôt né, déjà évanoui. Dans la brume de la campagne anglaise.

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Christophe… définitivement ★☆☆☆

La plasticienne Dominique Gonzalez-Foerster avait aidé le chanteur Christophe à orchestrer son retour sur scène, à l’Olympia, en 2002, après vingt-six ans d’absence. Son complice Ange Leccia y avait volé quelques images du concert et de ses préparatifs, sans jamais envisager de les rendre publiques. Elles résonnent comme un hommage posthume, trois ans après la mort du chanteur, frappé par le Covid en mars 2020.

On y voit les préparatifs du concert et l’exigence tyrannique avec laquelle Christophe procède aux derniers réglages : la profondeur d’un vibrato, l’enchaînement entre deux chansons, la couleur du texte qui défile sur son prompteur…. Le vieux crooner porte encore beau, derrière ses verres fumés qu’il ne retire jamais, sinon pour une séance de maquillage volée sur le vif. Il recoiffe avec un soin maniaque les mèches de sa belle tignasse blonde (teinte ?). Il effrange au ciseau le col de ses T-shirts.

Il ne se livre guère. On n’apprendra rien sur sa vie, sur ses origines, sur sa célébrité foudroyante à vingt ans à peine, en pleine période yéyé avec son tube Aline – qui l’a fait instantanément détesté de toutes les Aline de France (et à l’époque il y en avait beaucoup), ni sur sa longue éclipse avant son retour sur scène avec une musique plus électro qu’avant.

Ce documentaire « définitif » le montre enfin sur scène. On l’y voit interpréter, de sa voix étrange qui fait le grand écart entre des aigus de castrat et des basses de choriste corse (Christophe, de son vrai nom, s’appelle Daniel Bevilacqua) ses tubes les plus connus dans des orchestrations souvent inédites : Aline, Les Paradis perdus, Señorita, Petite Fille du soleil et, pour finir, bien entendu, Les Mots bleus.
Les fans adoreront. Quant aux autres….

La bande-annonce