Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? ★☆☆☆

On avait laissé les époux Verneuil il y a cinq ans encaisser, non sans mal, l’annonce par leurs quatre filles de leurs mariages quasi-simultanés avec un Juif, un Arabe, un Noir et un Chinois. Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu ? a enregistré un tel succès (plus de douze millions d’entrées soit le troisième film français le plus populaire du siècle derrière Bienvenue chez les Ch’tis et Intouchables) que le tournage d’une suite s’imposait. L’entreprise n’était guère risquée et s’avère payante : le deuxième opus dépasse les six millions d’entrées et pourrait en engranger sept.

Le succès du premier volet reposait sur un cocktail éprouvé. Une comédie française portée par quelques acteurs reconnus enchaînant des situations cocasses. Un sujet d’actualité dans lequel tous les spectateurs, quels que soient l’âge ou le milieu, pourraient se reconnaître. Une conclusion à laquelle tous encore, de droite, de gauche ou d’ailleurs, pourraient adhérer : l’éloge du vivre-ensemble et des valeurs familiales.

Il n’y avait aucune raison d’ajouter à ce film une suite – si ce n’est celle d’exploiter la veine jusqu’à épuisement. La tâche des scénaristes n’était pas simple : il s’agissait d’écrire la même histoire pour ne pas dérouter les spectateurs sans écrire tout à fait la même pour ne pas leur donner trop ostensiblement l’impression d’être pris pour des poires. Après des séances de brainstorming qu’on imagine nombreuses et houleuses, ils ont accouché d’une histoire improbable : les gendres des Verneuil, fatigués des discriminations dont ils sont l’objet, décident de quitter la France. Sous la pression de sa femme, traumatisée par le départ de ses petits enfants, Claude Verneuil va tenter de leur faire renoncer à leurs expatriations. Ce seul ressort ne suffisant pas à faire un film, les scénaristes en ajoutent un autre : le mariage de Viviane Koffi – dont le père, Ivoirien bon teint, n’avait accepté qu’avec les plus extrêmes réserves l’union de son aîné avec une Blanche – avec… une femme.

Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? réussit à dire tout et son contraire. Il réussit tout à la fois à pointer les tares de la France (le racisme, les communautarismes et les embouteillages) et à en exalter les atouts (les Châteaux de la Loire, le bon vin et sa douceur de vivre). Cette schizophrénie n’est qu’apparente. Elle est au fond profondément en phase avec l’opinion publique contemporaine. La morale est empruntée à Sylvain Tesson, cité dans le texte : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ».

Mais c’est bien là la seule qualité de ce film sans finesse. Chaque personnage se réduit à une caricature aussi simpliste que raciste : David le gendre juif est un entrepreneur raté, Chao le gendre chinois vit dans l’obsession des agressions dont les touristes asiatiques sont victimes… Tous les gags s’annoncent de si loin qu’ils peinent à arracher un sourire : ainsi du jardinier afghan qui porte une ceinture lombaire que Claude Verneuil suspectera de cacher des explosifs.

Éloge du vivre-ensemble et ode à la France éternelle, Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, feel good movie revendiqué, voudrait faire rire la France des bobos et la France de l’apéro. Son succès au box office montre qu’il est en passe d’y parvenir. De là à les réconcilier…

La bande-annonce

Si Beale Street pouvait parler ★★★☆

Tish a dix-neuf ans, Fonny trois de plus. Amis depuis l’enfance, ils s’aiment d’un amour infini. Mais l’Amérique des années soixante-dix n’est pas douce aux Noirs. Fonny est emprisonné pour un viol qu’il n’a pas commis. Épaulée par ses parents et par sa sœur, Trish, qui attend un enfant, tente de l’innocenter.

Si Beale Street pouvait parler est réalisé par Barry Jenkins, auréolé du succès de son précédent film. Moonlight a un défaut rédhibitoire : il a usurpé, dans les conditions que l’on sait l’Oscar du Meilleur film 2017 à La La Land. Mais, cette réserve posée, Moonlight était l’œuvre d’un grand réalisateur dont on voit la marque dans son film suivant. On y retrouve le même esthétisme, les plans très rapprochés, presque caressants, la musique élégiaque, le soin apporté à la direction d’acteurs.

Si Beale Street… est l’adaptation d’un roman de James Baldwin. Robert Guédiguian s’en était déjà librement inspiré, transposant l’action de New York à Marseille. La vie et l’œuvre de James Baldwin ont connu, depuis la sortie de I am not your Negro de Raoul Peck en 2017, un regain de popularité. Son intarissable colère contre le sort de ses frères de couleur, son combat pour leur donner une voix (on parlerait en américain d’empowerment, expression que traduit mal le terme « émancipation ») percent dans ce roman dès son titre et dans l’adaptation qu’en fait Barry Jenkins. Les Blancs n’y ont pas le bon rôle : flic odieux, prédateur sexuel… seul le jeune avocat qui accepte d’assurer la défense de Fonny sauve la mise.

Mais on se tromperait à résumer ce film à un seul plaidoyer en faveur des Noirs. Si Beale Street… est plus que cela. C’est d’abord, c’est surtout le portrait lumineux d’un jeune couple fou d’amour. Ils s’aiment avec la légèreté de leurs vingt ans et la gravité de qui aime pour la première fois. Sans doute ce film a-t-il des longueurs et aurait-il pu être amputé d’une bonne demie-heure. Sans doute a-t-il une gravité qui vire parfois à l’ostentation. Il n’en conserve pas moins une beauté, une majesté qui forcent l’admiration.

La bande-annonce

Colette ★★☆☆

Née en 1873 dans un petit village de Bourgogne, Gabrielle-Sidonie Colette rencontre encore adolescente Willy, un écrivain parisien à succès et un homme à femmes. Elle l’épouse à vingt ans à peine et s’installe avec lui à Paris. Pour soutenir un train de vie dispendieux, Willy fait travailler autour de lui plusieurs nègres qui rédigent des ouvrages qu’il signe de son nom. Il convainc son épouse de raconter ses souvenirs d’enfance. Claudine à l’école, publié sous le nom de Willy, connaît un succès retentissant qui appelle vite une suite.
Mais celle qui se fait désormais appeler Colette supporte de plus en plus mal son inconstant époux. Elle découvre son homosexualité avec Georgie Raoul-Duval (la « Rézi » des Claudine) puis avec Mathilde de Morny. Surtout, elle exige de son mari le droit de signer ses livres de son propre nom.

Encore un biopic. Après Oscar Wilde, après Cézanne, après Rodin, après Paula Modersohn-Becker, après Toulouse-Lautrec, voici un nouveau biopic ayant pour cadre le Paris de la Belle époque. Il raconte la libération d’une femme qui, à l’époque de #MeToo, se teinte d’un écho particulier : Colette revendique son droit à vivre librement sa (bi)sexualité et gagne celui de le faire hors de l’emprise d’un mari phallocrate et spoliateur dont elle divorcera en 1910 et dont elle récupèrera les droits qu’il s’était arrogés sur la série des Claudine.

La production est anglo-saxonne. Il faut lui reconnaître le mérite d’y avoir mis le budget nécessaire et un soin tout particulier dans les décors et dans les toilettes (je peine à me remettre de la façon dont la rousse Eleanor Tomlinson s’en dévêt). Le rôle principal est confié à Keira Knightley qui s’est fait une spécialité des films en costumes : Orgueil et préjugés, The Duchess, Anna Karenine… Elle joue excellemment. Là n’est pas le problème. Elle est ravissante. Trop peut-être. Car Colette n’était pas jolie. Colette n’était pas gracieuse. Colette était une fille de la campagne dont l’accent rocailleux faisait la risée des cercles parisiens où Willy l’introduisit. Yolande Moreau – dont l’interprétation de Séraphine lui a valu le César de la meilleure actrice en 2009 – aurait mieux convenu pour le rôle.

La bande-annonce

Le Mystère Henri Pick ★☆☆☆

À Crozon en Bretagne existe une bibliothèque des livres refusés qui rassemble des manuscrits recalés par les éditeurs. Une jeune directrice de collection parisienne (Alice Isaaz) y déniche un roman qu’elle fait publier et qui remporte un éclatant succès.
Mais le célèbre critique Jean-Michel Rouche (Fabrice Luchini) flaire la supercherie. Il ne croit pas que ce chef d’œuvre ait pu être écrit par Henri Pick, un pizzaiolo aujourd’hui décédé. Avec la complicité de sa fille, Joséphine Pick (Camille Cottin), il mène l’enquête.

Adapté d’un roman de David Foenkinos, un auteur à succès, Le Mystère Henri Pick rassemble tous les ingrédients du film à succès : un acteur (Fabrice Lucchini égal à lui même) qui sous son seul nom attire les séniors mieux qu’une liquidation de stock chez Damart, une actrice (Camille Cottin moins drole que dans les sketchs qui l’ont fait connaître) qui s’est désormais fait un nom, une intrigue policière, un film qui fait l’éloge de la lecture, bref l’assurance d’un spectacle agréable « sans sexe ni violence ».

Ce cahier des charges honnête à défaut d’être ambitieux est scrupuleusement rempli. Le Mystère Henri Pick ne réserve aucune mauvaise surprise. Aucune bonne non plus : les passages les plus drôles étaient déjà dans la bande annonce généreusement diffusée pendant tout le mois de février.

Ceux qui aiment Fabrice Luchini se régaleront. Ceux que son élocution pédante et son sourire arrêté exaspèrent n’iront pas voir ce film. Bref, tout le monde sera content.

La bande-annonce

Compañeros ★★☆☆

De 1973 à 1985, trois opposants politiques à la dictature uruguayenne ont été mis au secret, sans procès. Compañeros raconte les conditions inhumaines de leur détention et la force d’âme qu’ils ont manifestée pour ne pas sombrer dans la folie.

Nous est venu d’Amérique latine un grand nombre de témoignages sur la dictature. Le premier en date, Missing de Costa-Gavras, concernait le Chili de Pinochet et remportait à bon droit la Palme d’Or à Cannes dès 1982. En 1985, L’Histoire officielle de Luis Puenzo, dont l’action se déroule en Argentine, avait marqué les esprits. Jusqu’à nos jours sortent régulièrement des films argentins (Kamchatka, Buenos Aires 1977, L’œil invisible) ou chiliens (La Jeune fille et la Mort, Mon ami Machuca, Santiago 73, Post Mortem) qui reviennent sur ces temps troublés.

On connaît moins bien l’histoire de l’Uruguay, ce petit pays coincé entre ses voisins, dont le seul titre de gloire international est d’avoir accueilli la première Coupe du monde de football en 1930 – et Jacques Médecin, l’ancien maire de Nice, au début des années quatre vingt dix. On oublie qu’un coup d’État y porta au pouvoir le 27 juin 1973 une dictature militaire dont les méthodes n’avaient rien à envier à celle de ses voisines argentine ou chilienne.

Les opposants politiques à la dictature furent emprisonnés dans des conditions dégradantes. Compañeros raconte l’histoire de trois Tupamaros, placés à l’isolement, interdits de communiquer entre eux, régulièrement transférés d’une prison à l’autre. Parmi eux José Mujica devint président de la République entre 2010 et 2015.

Compañeros est construit sur un ressort simple sinon simpliste. Ce film de plus de deux heures décrit non sans complaisance, comme l’avait fait en son temps Midnight Express pour les geôles turques, les tortures physiques et psychologiques infligées à des prisonniers. Mais ce spectacle parfois traumatisant n’a d’autre but que de magnifier la résilience des trois prisonniers. S’ils oscillent sur les bords de la folie – on oscillerait à moins – on sait qu’ils ne flancheront pas. Cette confiance dans l’invulnérabilité des trois héros met paradoxalement l’émotion à distance.

La bande-annonce

Convoi exceptionnel ★☆☆☆

Taupin (Gérard Depardieu), ancien taulard, et Foster (Christian Clavier), grand bourgeois en manteau en poil de chameau, se rencontrent au milieu d’un carrefour embouteillé. Taupin et Foster sont les deux acteurs d’un film en train de se tourner suivant un scénario en train de s’écrire.

Depuis plus de quarante ans, on aime – ou pas – le cinéma de Bertrand Blier, ses textes au millimètre, ses provocations, ses mises en abyme, ses obsessions. Les Valseuses, Buffet froid, Tenue de soirée, Trop belle pour toi comptent parmi les films les plus marquants du cinéma français.

Mais depuis vingt ans, cette veine s’est tarie. Diminué par la maladie, Bertrand Blier n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses derniers films se réduisent à des bégaiements. C’est le cas de ce Convoi exceptionnel – un titre dont le sens échappe à la compréhension. On y retrouve Gérard Depardieu à bout de souffle, qui tourne avec Blier depuis toujours, et Christian Clavier dont c’est le premier film avec le réalisateur mais qui n’est pas pour autant un inconnu.

Certes, on prend plaisir à retrouver ces monstres sacrés, sortes de Vladimir et Estragon en quête d’auteur. On renoue avec jubilation avec l’ironie froide de Blier, son goût de l’absurde, ses contrepieds deconcertants. Mais passée la première demie-heure, la mécanique tourne à vide. Le plaisir cède la place à l’ennui. La machinerie chaotante se révèle dans toute sa nudité. Jusqu’au dernier quart d’heure maladroitement annexé à l’édifice qui achève de nous perdre.

La bande-annonce

Sibel ★★★☆

Depuis l’âge de cinq ans, Sibel est muette. Pour communiquer, elle s’exprime avec la langue sifflée qu’utilisent les habitants de son village. Son handicap la maintient à distance des membres de la communauté et lui autorise une liberté que les autres femmes n’ont pas.
Toute la journée, le fusil en bandoulière, elle arpente les collines à la recherche d’un loup qui terrifie les paysans. C’est ainsi qu’elle rencontre Ali, un déserteur.

Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti viennent du documentaire. Leur première  réalisation Noor (2012) traitait des transgenres au Pakistan. On retrouve dans Sibel cette veine ethnographique : il s’agit de documenter la pratique toujours vivace de la langue sifflée à Kusköy, un village reculé de Turquie non loin de la Mer noire.

Mais il s’agit surtout de raconter l’émancipation d’une femme. Dans la communauté, Sibel jouit d’un statut paradoxal : son père, le maire du village, qui l’a élevée seul après la mort de sa femme lui laisse la bride lâche alors qu’il surveille sa cadette comme le lait sur le feu. Personne ne songe à la marier. C’est elle qui a la responsabilité de Narin, une vielle recluse dont on apprendra bientôt le terrible traumatisme qui l’a rendue folle.

Sibel a des allures de conte. Avec son bandana coloré autour du cou, dans lequel elle refuse de voiler sa chevelure, l’héroïne a des airs de Petit chaperon rouge ; Narin serait une gentille sorcière ; Ali un gentil méchant loup.
Sibel oppose deux mondes. En haut, la forêt qu’elle parcourt à grandes enjambées, comme pressée par on-ne-sait quelle urgence : une espace sauvage, vierge, anomique. En bas la société des hommes qui font régner un patriarcat sans faille sur des femmes dures à la tâche (elles seules semblent travailler), aux corps invisibles sous d’épaisses couches de vêtements, qu’on imagine déformés par les mariages et les grossesses.
L’héroïne pousse un long cri muet qui rappelle inévitablement Munch, cri de haine contre cette société qu’elle vomit, cri d’amour pour son amant qu’elle a perdu dans la nuit.

Sibel rappelle Mustang. Il en a la puissance dramatique et l’élan vital. Souhaitons lui le même succès.

La bande-annonce

Mon bébé ★★☆☆

Héloïse (Sandrine Kiberlain), la quarantaine bien entamée, élève seule ses trois enfants depuis son divorce. Ses deux aînés ont déjà quitté le nid familial. Et c’est au tour de Jade (Thaïs Alessandrin), sa benjamine, son « bébé », de le faire. Pour cette maman poule follement attachée à ses enfants, le choc s’annonce rude.

Dix ans après LOL et son dispensable remake made in USA, Lisa Azuelos continue à creuser le même sillon : la relation mère-fille racontée sur le mode de la comédie tendre.

Le succès sera au rendez-vous. Mon bébé fera fondre les mères de quarante ans qui s’identifieront illico à Sandrine Kiberlain. C’est que l’actrice a du talent, un naturel fou et un charme irrésistible. Elle incarne à merveille la femme idéale : encore attirante, inconditionnellement aimante.

Mais le critique scrogneugneu osera néanmoins trois reproches.

Le premier vise le reste du casting qui manque faire basculer Mon bébé dans l’insipide comédie ado. En particulier le choix de la propre fille de la realisatrice pour partager la tête d’affiche avec Sandrine Kiberlain. Christa Théret était autrement plus convaincante face à Sophie Marceau dans LOL. D’ailleurs on sait la carrière qu’elle a eue depuis. On ne pariera pas sur celle de Thaïs Alessandrin.

Le deuxième frise la mauvaise foi. Il a un parfum de marxisme aigri ou de gilet jaune dominical. Il pointera l’apesanteur sociale de Mon bébé : si Héloïse invoque des difficultés pour financer les études supérieures de Jade au Canada, elle vit dans un appartement cossu du 75017, ses enfants sont habillés à la dernière mode. On est loin de la comédie sociale façon Les Invisibles ou Rosie Davis.

Le troisième est le plus délicat. Il s’agit du jeunisme revendiqué du film. Sandrine Kiberlain – qui a fêté ses cinquante-et-un ans en février – joue une femme qui ne fait pas son âge. Mieux : une femme qui ne s’en soucie pas. On ne la voit pas s’astreindre à un régime : elle a naturellement une taille de top model. On ne la voit pas s’inquiéter de ses rides : elle n’en a pas. Si elle vit seule, c’est par choix. Si elle partage les joints de sa fille, c’est par jeu. « Tu es beaucoup trop belle pour t’inscrire sur Tinder » lui lance sa fille… les clientes de Tinder apprécieront.
Est-ce ainsi que les femmes sont au tournant de la cinquantaine ? Peut être. Peut être pas. Et les hommes ? C’est hélas une autre histoire…

La bande-annonce

Dernier amour ★☆☆☆

Au crépuscule de sa vie, exilé dans un glacial château en Bohème, le vieux Giacomo Casanova (Vincent Lindon) écrit ses mémoires. C’est l’occasion pour le célèbre séducteur de raconter son histoire d’amour la plus blessante. Elle a eu lieu trente ans plus tôt à Londres où Casanova, qui ne parlait pas un mot d’anglais, venait de s’installer. C’est là qu’il rencontra une demie-mondaine, la Charpillon (Stacey Martin).

À soixante dix ans passés, Benoît Jacquot a une longue carrière cinématographique derrière lui. Sa filmographie alterne drames contemporains et films en costumes avec une prédilection pour le dix-huitieme siècle : Les Adieux à la reine racontait les derniers jours de Marie-Antoinette à Versailles, La Fausse Suivante adaptait Marivaux et Adophe Benjamin Constant. Ici il s’inspire d’un chapitre du journal de Casanova.

Comme dans beaucoup de ses films, comme dans Sade notamment où Daniel Auteuil prêtait ses traits au vieux libertin, Benoît Jacquot s’intéresse à des héros vieillissants, des hommes ou des femmes (Isabelle Huppert a souvent joué de tels rôles sous sa direction) d’âge mûr qui vacillent dans leurs convictions, qu’une rencontre avec une jeune femme ou un jeune homme fait prendre conscience du temps qui passe.

C’est le sujet de ce Dernier amour au titre et à la lumière volontiers cafardeuse. C’était déjà celui de Villa Amalia tiré d’un court roman de Pascal Quignard ou de L’École de la chair inspiré de Mishima. Le cahier des charges est honnêtement respecté depuis l’éclairage qui rappelle Barry Lindon et les toilettes Gainsborough. Le tempo n’est pas celui d’une mazurka endiablée mais d’une valse à quatre temps. Si on s’ennuie, c’est avec élégance.

Le problème vient du choix des acteurs. Si Stacey Martin, comme souvent les jeunes actrices dirigées par Benoît Jacquot (Virginie Ledoyen, Judith Godrèche, Sandrine Kiberlain…), a juste ce qu’il faut d’ambiguïté, Vincent Lindon est un contre-sens absolu. Les yeux lourdement cernés de khôl, le cheveu gras, l’élocution pâteuse, l’acteur n’est ni séduisant ni sensuel. Un comble pour qui prétend interpréter le roi des Dom Juans.

La bande-annonce

M ★☆☆☆

Menahem Lang a grandi dans le quartier ultra-orthodoxe de Bnei Brak près de Tel Aviv. Pendant toute son enfance, il chantait à la synagogue. Mais il y fut aussi régulièrement violé par ses maîtres. Ses parents, membres de la même communauté, n’ont rien fait.
Arrivé à l’âge adulte, Menahem a rompu avec son milieu, a renié sa foi et s’est installé à Tel Aviv pour faire l’acteur chez Amos Gitaï. Il a témoigné à la télévision des sévices subis. Sa confession a fait scandale.

M lève le voile sur la pédophilie dans la communauté juive haredim. Son titre peut revêtir plusieurs significations : référence à Fritz Lang dont le héros partage le pseudonyme ? allusion à la stigmatisation dont il fait désormais l’objet de la part de ses proches qui lui reprochent la publicité qui a entouré sa confession ?

Largement filmé en caméra cachée, M suit Menahem Lang dans son retour à Bnei Brak. Il y tente, sans succès, d’entrer en contact avec ses anciens agresseurs. Il recueille le témoignage d’anciens camarades de yeshiva qui ont subi les mêmes sévices que lui et peinent à s’en remettre. Chez certains, la confession de ces traumatismes a provoqué la réprobation de leur famille, les transformant paradoxalement de victimes en coupables. Chez d’autres, leur refoulement a perturbé leur vie sexuelle et les a empêchés de se construire.

Le sujet est, hélas, d’une brûlante actualité. On ne compte plus les films qui s’en sont emparés, produisant souvent des œuvres bouleversantes. Je garde un souvenir déchirant de The War Zone avec Tim Roth, sorti en 2000, injustement méconnu. On peut également citer Festen de Thomas Vinterberg, Mysterious Skin de Gregg Araki ou La Mauvaise Éducation de Pedro Almodovar. Plus près de nous, deux films récents ont marqué l’actualité cinématographique française :  Les Chatouilles de Andréa Bescond et Grâce à Dieu de François Ozon.

M soulève une autre difficulté. Il ne remet jamais en cause le témoignage de son héros. Il n’est pas question ici de nier son traumatisme ni le fait d’en avoir été durablement marqué. Mais on ne peut qu’être gênés à le voir harceler un ancien agresseur à son domicile sans la médiation de la justice ou de la police (les faits sont prescrits). Le doute se dissipe dans la seconde partie du film où se dessine l’objet profond et paradoxal de sa démarche : non la vengeance mais la réintégration à la communauté qui l’a exclu.

La bande-annonce