Cómprame un Revólver ★☆☆☆

Dans un Mexique dystopique où la violence des cartels fait rage, une petite fille vit avec son père dans la crainte des enlèvements. Junkie, il a déjà perdu sa femme et sa fille aînée et impose à sa cadette le port d’un masque pour cacher son sexe et tromper d’éventuels kidnappeurs. Il a la charge de l’entretien d’un terrain de baseball que fréquentent quelques voyous.
Un jour, le caïd l’invite à son anniversaire.

Julio Hernández Cordón a déjà réalisé sept longs métrages. Projeté à la dernière Quinzaine des réalisateurs, Cómprame un Revólver est le second seulement à sortir en France. Il s’inscrit dans une longue généalogie de films mexicains décrivant la violence insensée qui gangrène ce pays et dont les plus faibles – les femmes, les enfants… – sont souvent les victimes : Les Élues, Miss Bala, Después de Lucia, La Zona

Dans un décor à la Mad Max, Cómprame un Revólver raconte l’innocence fracturée de l’enfance. On comprend vite que l’amour d’un père cabossé ne protègera guère la petite Huck d’une société régie par la loi du plus fort. Elle trouvera plus de secours dans la bande de petits orphelins qui rôdent autour du terrain.

Cómprame un Revólver est un film éprouvant. La tension permanente laisse augurer une explosion de violence dont ses héros, à chaque instant, risquent d’être victimes. Mais, bien vite, cette tension tourne à vide. À force de ne rien expliquer (qu’est-il arrivé aux femmes disparues ?), à force de refuser toute psychologisation de ses personnages, à force de se complaire dans des plans esthétisants, Julio Hernández Cordón se perd et nous perd.

La bande-annonce

Us ★★☆☆

Adelaide (Lupita Nyong’o révélée par son rôle dans Twelve Years A Slave qui lui valut en 2014 l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle avant d’intégrer l’univers Star Wars et Marvel Comedy) et Gabe (Winston Duke, M’Baku de MCU) amènent leurs deux enfants en vacances dans une belle maison au bord de la mer, non loin de la frontière mexicaine. C’est là que Adelaide a connu en 1986 un traumatisme qu’elle a longtemps eu du mal à dominer.

C’est peu dire qu’on attendait avec impatience le nouveau film de Jordan Peele. Le jeune réalisateur, venu de la stand-up comedy où ses imitations du président Obama l’avait rendu célèbre, avait révolutionné le cinéma de genre avec Get Out (Oscar 2018 du meilleur scénario original), mariant intelligemment horreur et politique.

Sans doute Us n’est-il pas tout à fait à la hauteur des espérances que son matraquage publicitaire avait fait naître. On escomptait, comme dans Get Out, que le message politique serait aussi fort que la terreur que le film ferait naître. On imaginait au titre une polysémie qu’il n’a pas : Us, ç’aurait pu être nous, mais aussi les États-Unis.

Or, si la bande-annonce de Us est terrifiante, Us ne fait pas vraiment peur. Certes, sa première demie-heure, où l’intrigue se met lentement en place, est angoissante durant laquelle il ne se passe rien mais où le spectateur redoute le surgissement violent d’une horreur glaçante. Mais ensuite, Us ne se distingue guère d’un slasher movie ordinaire où une sympathique famille américaine – à laquelle ne manque guère qu’un animal de compagnie – doit se défendre de méchants zombies. D’ailleurs le scénario ne réussit pas à respecter l’unité de lieu (un chalet au bord de mer) et l’unité de temps (une nuit de pleine lune).

Pire : Us n’a pas la force politique de Get Out. Quand se révèle l’origine des zombies en rouge et l’objet de leur soudaine intrusion dans le monde des vivants, on en est pour son argent.

On n’aurait mis qu’une seule étoile à Us si sa conclusion renversante à la M. Night Shyamalan ne l’avait au dernier moment distingué du tout-venant.

La bande-annonce

Les Témoins de Lendsdorf ★★☆☆

Yoel (Ori Pfeffer) est un Juif orthodoxe qui travaille à l’Institut d’histoire de Jérusalem. Il est spécialiste de la Shoah. Il est chargé d’enquêter sur le charnier de Lendsdorf en Autriche où deux cents Juifs auraient été tués en 1945 durant les « marches de la mort » après l’évacuation des camps d’extermination. Sur place, la commune souhaite lotir un terrain où les recherches archéologiques n’ont pas permis de localiser le lieu de l’exécution.

Le pitch des Témoins de Lendsdorf pointe dans une direction. On escompte une enquête sur un crime, commis à la fin de la Seconde guerre mondiale, où peut-être des intérêts se ligueront pour conduire à une exécution massive : l’antisémitisme des Autrichiens, la complicité passive de l’Armée rouge voire la participation de quelques Juifs, prêts à trahir leurs coreligionnaires pour sauver leur peau. Comme récemment dans Le Labyrinthe du silence ou dans Fritz Bauer, un héros allemand, on attend aussi peut-être un procès à charge contre l’Autriche contemporaine emmurée dans la loi du silence et le déni de ses responsabilités. Mais rien de tout cela ne se concrétise.

L’enquête obsessionnelle menée en Autriche par l’austère Yoel, sa course contre la montre contre le projet immobilier qui risque d’enterrer sous le ciment les dernières traces des disparus, n’est qu’une des deux facettes du film. L’autre, sans doute la plus intéressante, est la révolution intérieure que cette enquête provoque dans la vie du héros. À l’occasion de ses investigations, il va découvrir sur sa mère des faits dont il ignorait tout. Le travail du critique est compliqué par l’interdiction qui pèse sur lui de révéler ces faits sinon de dire qu’ils interrogent l’identité du héros et sa foi.

À la fois thriller mémoriel et drame personnel, mêlant enquête historique et quête identitaire, Les Témoins de Lendsdorf fait coup double.

La bande-annonce

Ma vie avec John F. Donovan ★★☆☆

John F. Donovan (Kit Harington) est mort à vingt-six ans. C’était un acteur de séries adulé dans le monde entier. Mais, John F. Donovan ne supportait plus de cacher son homosexualité que son succès lui interdisait de révéler.
Dix ans après sa mort, à Prague, Rupert Turner (Ben Schnetzer) donne une interview à une journaliste du Times (Thandie Newton). Avant d’être un acteur à succès, Rupert fut un enfant précoce qui entretint pendant cinq ans une relation épistolaire avec John F. Donovan.

C’est peu dire que le dernier film de Xavier Dolan était attendu, trois ans après Juste la fin du monde (César du meilleur réalisateur et Grand prix du Festival de Cannes), cinq ans après Mommy (César du meilleur film étranger et prix du Jury à Cannes). C’est peu dire que son premier film anglophone, avec une brochette de stars a fait couler beaucoup d’encre et que les difficultés réelles ou présumées de son tournage ont excité la curiosité. La première mouture, dit-on, faisait plus de quatre heures et Xavier Dolan a dû l’écourter, au risque de renoncer à le montrer à Cannes le printemps dernier et à celui de sacrifier au montage le rôle tenu par Jessica Chastain.

Le résultat est-il à la hauteur des espérances ? Tout dépend de l’opinion que l’on a de Xavier Dolan, l’enfant terrible du cinéma canadien, et de l’intérêt qu’on a porté à ses précédentes réalisations. On retrouve ici ses thèmes de prédilection : les relations mère-fille hystérisées, les enfants précoces, les coming out douloureux… On retrouve aussi ses tics notamment celui de saturer la bande son de tubes plus ou moins remixés qui donnent parfois à ses films la fausse allure de soirées dédicaces sur NRJ ou Skyrock. Et, le plus rédhibitoire pour ceux que la personnalité de Xavier Dolan horripile, on retrouve son ego exacerbé dans ce récit doublement autobiographique puisque Xavier Dolan s’identifie à la fois au jeune Rupert, à la recherche d’un modèle (Dolan aurait dit-on écrit au même âge que son héros une lettre à Leonardo Caprio restée sans réponse) et à John F. Donovan dont l’homosexualité excite les ragots dans un Hollywood faussement libéral.

Mais La Vie de John F. Donovan est passé à la moulinette des studios hollywoodiens. Il n’a plus la fraîcheur, la spontanéité des premières œuvres de Xavier Dolan – qui avait vingt ans à peine lorsqu’il réalisait J’ai tué ma mère. Du coup, non sans une certaine malhonnêteté, on pourrait lui adresser deux critiques alternatives : la première serait de lui reprocher de nous resservir les mêmes plats fût-ce dans un service plus luxueux, la seconde d’avoir perdu son âme en quittant le Canada. Voilà pour les arguments CONTRE.

Laissons toutefois au POUR le mot de la fin. Et reconnaissons de bonne grâce le souffle qui habite La Vie de John F. Donovan, l’intelligence de son scénario zébré de flash-back qui maintiennent le rythme du récit sans jamais égarer le spectateur et la qualité du jeu des acteurs, à commencer par celui des actrices (Susan Sarandon et Natalie Portman dans le rôle des mères respectives de John et de Rupert).

La bande-annonce

Rosie Davis ★★★☆

Rosie Davis, son mari et leurs quatre enfants sont à la rue. Cette famille modeste était locataire d’un pavillon, dans la banlieue de Dublin. Leur propriétaire a décidé de le vendre. Mais Rosie et son mari n’avaient pas les moyens de l’acheter. En attendant de trouver un nouveau toit, ils en sont réduits à vivre dans leur voiture.

L’affiche du film, sa bande annonce donnent une impression de déjà-vu. Des histoires de femmes célibataires qui se battent courageusement pour sauver ce qui leur reste de dignité et offrir un meilleur avenir à leurs enfants, on en a déjà vu treize à la douzaine. La plupart ont été réalisées par Ken Loach dont Moi, Daniel Blake, Palme d’Or en 2016, racontait à s’y méprendre la même histoire. Mais le cinéma français y a pris aussi sa part : Y aura-t-il de la neige à Noël ? en 1996 et, plus récemment, le bouleversant Louise Wimmer qui révéla Corinne Masiero.

Pour autant, en dépit de cet effet de répétition, Rosie Davis émeut profondément. Comme dans un film des frères Dardenne – qui avait filmé dans Rosetta une héroïne aussi résiliente – le tempo ne se relâche jamais. Pendant vingt-quatre heures, on suit pas à pas Rosie dont la détermination à protéger ses enfants et à leur trouver un toit se fracasse à mille et uns obstacles dérisoires : un doudou perdu, un pyjama souillé, la benjamine malade, l’aînée qui disparaît….

Contrairement à ce que l’affiche pourrait laisser croire, Rosie n’est pas célibataire – à la différence des héroïnes des films précités. Elle a un partenaire qui travaille et qui l’épaule. Cette situation matrimoniale rend peut-être sa situation plus encore touchante : elle fait partie de la classe moyenne inférieure, de ces working poors qui, sans tares particulières, peuvent sombrer dans la pauvreté sur un coup du sort.

Rosie Davis est d’une étonnante brièveté. Sans qu’on s’y attende, il s’interrompt là où on escomptait qu’il se prolonge une bonne demie-heure supplémentaire. Sa conclusion est aussi abrupte que poignante. Elle laisse une trace qui ne s’efface pas.

Bien que sa bande annonce ait été largement diffusée, bien que son affiche soit placardée dans le métro parisien, Rosie Davis est très mal distribué. Pour sa première semaine, il n’était à l’affiche que de deux cinémas dans Paris intra muros et d’une quarantaine dans toute la France. Raison de plus pour courir le voir.

La bande-annonce

Sorry to Bother You ★★☆☆

Cassius Green (Lakeith Stanfield) vit dans le garage de son oncle avec Detroit, une performeuse (Tessa Thompson). Le couple, qui tire le diable par la queue, est recruté par une société de télémarketing.
En prenant au téléphone la voix nasillarde d’un Blanc, Cassius (prononcer : Cash is) en devient bientôt le meilleur employé. Mais tandis qu’il obtient une promotion éclair auprès du patron cocaïnomane de la société Worryfree, engagée dans un obscur projet de déshumanisation de la chaîne de travail, , ses camarades se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail.

Sorry to Bother You est un film désopilant qui avait fait sensation à Sundance avant sa sortie en salles. Sa forme emprunte volontiers aux dystopies DIY et gentiment surréalistes d’un Michel Gondry – qui a d’ailleurs réalisé le film publicitaire qu’on voit dans la seconde moitié du film.

Sorry to Bother You est d’abord un film sur la condition noire aux États-Unis et sur la difficulté pour y vivre dans un monde de Blancs. Le sujet n’est pas nouveau et avait été traité avec la même féroce ironie par Justin Simien en 2014 dans Dear White People.

Mais Sorry... ne se réduit pas à cette seule dimension. C’est avant tout une œuvre politique qui dénonce la cupidité des entreprises et les tares du capitalisme. Quoique distribué par une major hollywoodienne, Sorry to Bother You est un film profondément subversif qui ridiculise autant qu’il récuse les valeurs du système américain.

Première réalisation de l’ancien rappeur Boots Riley, Sorry to Bother you n’est pas sans défaut. On sent que son auteur a voulu y mettre trop de choses et trop en dire. Comédie poilante, satire grinçante, anticipation effarante, plaidoyer vibrant, Sorry to Bother you est beaucoup pour un seul film.

La bande-annonce

Les Éternels (Ash is purest white) ★☆☆☆

Valse en trois temps.
1. 2001 : Qiao (Zhao Tao) est amoureuse de Bin (Liao Fan) qui dirige la pègre locale. Elle n’hésite pas à risquer la prison pour le sauver d’un gang rival.
2. 2006 : Qiao ressort libre de cinq années de captivité. Elle traverse la Chine pour retrouver Bin qui ne l’a pas attendue
3. 2018 : À force d’intelligence, Qiao a repris le pouvoir sur la pègre de Datong. Bin, victime d’un accident vasculaire, n’est plus que l’ombre de lui-même.

Il est de bon ton de considérer Jia Zhang-ke comme l’un des plus grands réalisateurs chinois contemporains. Ses films sont régulièrement sélectionnés dans les grands festivals européens : les quatre derniers étaient en compétition à Cannes et A Touch of Sin y a remporté en 2013 le prix du scénario. On lui reconnaît deux qualités. La première : volontiers naturaliste, il documente les changements que traverse la Chine contemporaine et filme « l’envers du miracle chinois ». La seconde : une grande maîtrise de la mise en scène et du montage permettant de marier des fresques ambitieuses organisées sur une longue temporalité et des récits intimistes.

Son dernier film s’inscrit dans la continuité des précédents. Il en a les mêmes caractéristiques, la même ambition. À travers l’histoire de Qiao et Bin, Jia Zhang-ke veut raconter l’histoire de la Chine, de sa folle modernisation, de sa lente déshumanisation. Il brosse aussi un admirable portrait de femme qui fait primer contre tout et contre tous les valeurs de droiture et de loyauté.

Sur le papier, tout cela est bel et bon. Mais Les Éternels a un défaut rédhibitoire. C’est un film qui suinte l’ennui. Très vite, le spectateur comprend que Qiao est une femme droite et Bin un homme lâche. Pas besoin de visiter toutes les gares de Chine, du Hubei au Shanxi, pour le comprendre. Le film dure plus de deux heures. C’est une purge interminable.

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Rebelles ★☆☆☆

Sandra (Cécile Defrance), ex Miss Nord Pas de Calais, revient habiter chez sa mère près de Boulogne-sur-mer. Sans argent, sans travail, elle trouve à s’employer à la pêcherie locale. Elle y retrouve Marilyn (Audrey Lamy), une ancienne camarade d’école qui élève seule son fils, et fait la connaissance de Nadine (Yolande Moreau), une collègue plus âgée qui subvient seule aux besoins de sa famille depuis que son époux a été licencié.
Sandra a tôt fait d’attirer l’attention du contremaître qui, un soir, après la fermeture des bureaux, tente de la violer. Sandra se défend tant et si bien qu’elle le tue sous les yeux de Marilyn et de Nadine. Que faire du cadavre et des affaires du défunt dont le sac contient des liasses de billets à l’origine douteuse ?

Rebelles n’est pas la suite de Belles. C’est une comédie française formatée pour le grand écran où ses stars attireront la ménagère de vingt à soixante-dix ans. Sa BOF passe sans transition de Saint-Saëns à Niagara. Son scénario ne nous épargne ni les clichés ni les rebondissements peu crédibles. Dans un instant d’indulgence, le public masculin rira aux circonstances douloureuses de la mort du contremaître et le public féminin à la façon dont son corps est sorti de la pêcherie.

Rebelles repose sur le jeu outré des acteurs qui s’en donnent à cœur joie. Cécile Defrance est comme d’habitude excellente, mâchonnant son chewing gum avec autant de talent qu’elle faisait tourner son ombrelle dans son précédent film Mademoiselle de Jonquières. Sans surprise, Audrey Lamy joue la meilleure copine à la voix haut perchée et Yolande Moreau la dondon pas futée qu’il ne faut pas titiller. Une mention spéciale pour Simon Abkarian, abonné aux seconds rôles, qui interprète le mafieux local, et à Béatrice Agenin dans le rôle de la mère de Sandra.

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McQueen ★★☆☆

Enfant terrible de la mode, Alexander McQueen a gravi à toute allure tous les échelons.
D’origine modeste, il a commencé en apprentissage dans les ateliers de Saville Row, se forme à Milan – sans parler un mot d’italien – puis à l’école Saint Martins de Londres. Il est remarqué par la journaliste et fashionista Isabella Blow qui avait déjà lancé Philip Tracy et qui restera son amie jusqu’à son suicide en 2007.
En 1995 sa collection « Le Viol de l’Écosse », où ses mannequins défilent dans des vêtements lacérés et déchirés, fait sensation. Bernard Arnault l’embauche pour succéder à John Galliano à la tête de Givenchy. Lee McQueen – qui s’était entre temps rebaptisé Alexander – et la troupe d’artistes bohèmes qui l’entourent y font sensation. La greffe ne prend pas et McQueen retraverse la Manche cinq ans plus tard.
Bourreau de travail, s’imposant à lui-même et imposant aux autres une tension hystérique, il multiplie les collections. Chacun de ses défilés, de plus en plus macabres et provocateurs, fait sensation.
Mais Alexander McQueen s’enfonce dans la drogue et dans la dépression. Sa carrière ressemble à celle de Amy Winehouse ou de Whitney Houston auxquelles des documentaires viennent d’ailleurs d’être consacrés. Très proche de sa mère, il ne supporte pas sa mort des suites d’une longue maladie. La veille de ses obsèques, il se pend.

Deux Britanniques, Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, lui consacrent un documentaire. Sa facture est très classique. Les images d’archive alternent avec les interviews des proches de McQueen. La musique de Michael Nyman, aussi riche soit-elle, est un peu trop envahissante. Les créations de McQueen sont éblouissantes, notamment l’incroyable robe du Cygne en 1999 peinte par deux bras articulés entourant le modèle tournant sur une plateforme. Un happening délirant dont la vision suffit à elle seule à retenir l’intérêt d’un documentaire qu’on peut volontiers regarder en coupant le son.

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A Thousand Girls Like Me ★★☆☆

Depuis l’âge de dix ans, Khatera a été violée par son père. De cet inceste, pas moins de six enfants ont été conçus. Le premier est abandonné par son père dans le désert. Khatera avorte des quatre suivants. Le dernier naît à terme.
En 2014, âgée de vingt-trois ans, Khatera témoigne à la télévision afghane des violences qu’elle subit. Son père est arrêté. La réalisatrice Sahra Mani la filme pendant trois ans avec sa mère et sa fille. Khatera est encore enceinte. Elle va accoucher.

A Thousand Girls Like Me ne documente pas le sort des enfants victimes d’inceste en Afghanistan. Mais il suit pendant trois années une victime qui a eu le courage de briser la loi du silence. Si les violences qu’elle a subies sont terribles, leur révélation publique n’améliore guère son sort. Elle se heurte à un appareil judiciaire inerte, corrompu et patriarcal qui met en doute sa parole et la traite plus en coupable qu’en victime. Les tests ADN sont rares et chers en Afghanistan et tardent à démontrer la paternité de son enfant. Les oncles de Khatera défendent leur frère et harcèlent Khatera. Fille mère, sans travail, sans emploi, elle peine à trouver un logement, est contrainte à d’incessants déménagements dès que ses voisins découvrent son identité et est condamnée à passer ses journées dans des pièces minuscules avec la seule compagnie de sa mère et de ses enfants turbulents.

Il est des sujets qui bâillonnent la critique. A Thousand Girls Like Me est de ceux-là. Le sort de Khatera est si effroyable qu’on aurait mauvaise conscience de dire du mal du documentaire qui en est tiré, dont on imagine sans peine les difficultés qu’il a rencontrées pour être tourné et monté. Que sa réalisation ne brille pas par sa virtuosité n’a guère d’importance. Le drame qu’il relate est si déchirant, le courage déployé par la souriante Khatera sur le long chemin de la reconnaissance de ses droits si admirable que A Thousand Girls Like Me mérite en tout état de cause d’être vu.

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