Elvis & Nixon ★☆☆☆

En 1970, l’homme le plus puissant du monde libre, Richard M. Nixon, reçoit à la ‎Maison-Blanche la star la plus adulée de son temps, Elvis A. Presley. Que se sont-ils dits ? Probablement pas grand’chose. Mais cette rencontre mythique a stimulé l’imagination de Liza Johnson qui en a fait un film.

Bien mal lui en prit. Car « Elvis &Nixon » est totalement dénué d’intérêt. L’histoire ? Il n’y en a pas. Sinon celle d’une rencontre que peine à organiser l’entourage de la star (qui tente tant bien que mal de satisfaire ses lubies) et celui du président (deux énarques à lunettes qui ont compris l’impact qu’une photo avec le King pourrait avoir sur la popularité du Président républicain). Bien piètre tension dramatique !

Le film se réduit au cabotinage de ses acteurs principaux. Michael Shannon est un immense acteur, par le talent et par la taille. Il endosse les costumes improbables du King et joue à merveille la folie mégalomane de la star au crépuscule de sa carrière. Que dire en revanche de Kevin Spacey, horriblement grimé pour ressembler à « Tricky Dick » (Richard le roublard) ? Il doit son rôle à son interprétation de Franck Underwood dans « House of Cards ». Dix ans plus tôt, le rôle aurait été confié à Martin Sheen, le président de « West Wing ». Il aurait été plus ressemblant et plus convaincant.

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Une nouvelle année ★☆☆☆

Igor et Zhenia forment un couple uni. Ils font leurs premiers pas à Moscou dans la vie active : Zhenia vient d’être embauchée dans un journal branché tandis que Igor travaille comme taxi clandestin. Mais lentement, le fossé entre eux se creuse.

Après l’amour, le désamour.

Il fut un temps où on filmait des histoires d’amour. Aujourd’hui, la mode semble être aux histoires de désamour, un nom commun mentionné par Littré mais qui s’est répandu depuis une vingtaine d’années seulement. J’ai dit ici tout le bien que je pensais de « L’économie d’un couple ». On pourrait citer « Blue Valentine » de Derek Cianfrance (2010) qui révéla Ryan Gosling ou « 5*2 » de François Ozon (2004) qui racontait une rupture à partir de son épilogue.

La démarche est la même chez Oksana Bychkova. Par petites touches, elle raconte la lente dissolution d’un couple. Des petites différences, qu’on croit solubles dans l’amour, deviennent des fossés. Elle est extravertie ; il est taciturne. Elle aime sortir et danser ; il préfère inviter des amis et boire jusqu’à l’ivresse.

Le scénario est d’une délicatesse toute tchékovienne ; le jeu des acteurs est parfait ; pour autant « Une nouvelle année » n’est jamais bouleversant, pas même dans sa dernière scène saluée par plusieurs critiques.

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La vie est belge ★★★☆

Deux fanfares, l’une wallonne, l’autre flamande, sont sélectionnées pour représenter la Belgique à la finale européenne. Uniront-elles leur force ou s’affronteront-elles dans un combat stérile ?

Vous pensez connaître d’avance la réponse à cette question ? Vous vous trompez. La moindre des qualités de La vie est belge (jolie traduction du titre originel Brabançonne qui n’aurait en effet pas été immédiatement compris d’un public français) n’est pas de sortir du chemin tout tracé qu’annonçait ce scénario prévisible. À cause du décès du soliste flamand, à cause des rêves de gloire du soliste wallon, l’histoire de ces deux fanfares avance sans un temps mort vers une conclusion aussi joyeuse qu’inattendue. Et elle le fait, sous la forme réjouissante de la comédie musicale, soutenant la gageure d’agrémenter le film de jolies chansons sans ralentir l’action. Rajoutez à cela le second rôle de Erika Sainte, une jolie espoir belge revue depuis dans Baron noir et vous comprendrez que ma joie a été totale.

Dans les festivals européens du cinéma organisés aux quatre coins du monde, chaque pays d’Europe a son film fétiche, censé donner de lui l’image la plus positive. Ce fut longtemps Amélie Poulain pour la France, Good Bye Lenin! ou La Vie des autres pour l’Allemagne, La Grande Bellezza pour l’Italie. Si j’étais ambassadeur de Belgique je proposerais sans hésiter La vie est belge.

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Colonia ★☆☆☆

Lena (Emma Watson) est anglaise et hôtesse de l’air ; Daniel est allemand et photographe. Ils se rencontrent au Chili, à la veille de l’assassinat de Salvador Allende et sont emportés dans le coup de filet de la junte d’Augusto Pinochet. Lena est rapidement libérée ; mais Daniel, membre des jeunesses socialistes, est transporté à Colonia Dignidad, une colonie agricole sectaire fondée par un gourou allemand pédophile qui y fait régner un ordre de fer et qui abrite une prison secrète de la junte. Pour libérer Daniel, Lena décide de s’y enrôler.

« Basée sur des faits réels », Colonia utilise les recettes éculés du drame. Deux héros incarnent le Bien : beaux, jeunes, animés de valeurs humanistes et prêts à mourir l’un pour l’autre. Face à eux le Mal est incarné par Paul Schäfer (Michael Nyqvist) qui fut en effet, après sa participation à la Seconde guerre mondial dans les rangs de la SS et ses démêlés judiciaires en RFA, le fondateur de cette colonie en 1961.

Entre le Bien et le Mal une lutte à mort s’engage. Daniel est passé à la gégenne, Léna à tabac. Le statut de stars des deux protagonistes nuit à la crédibilité de leurs personnages : on a du mal à oublier Harry Potter en regardant Emma Watson et Good Bye Lenin! Daniel Brühl. L’histoire pourrait être bouleversante ; mais l’issue en est trop prévisible pour rendre le suspense haletant. Et si même la dernière scène nous tient en suspens, elle n’atteint pas le niveau d’intensité de l’épilogue de Argo qui lui ressemble beaucoup.

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Man on High Heels ★★★☆

L’inspecteur Ji-wook est un policier redoutable, passé maître dans les arts martiaux, qui terrifie les caïds les plus chevronnés. Mais l’inspecteur Ji-wook est aussi un homme animé, depuis son enfance, du désir inavouable de changer de sexe.

Imaginez d’un côté un polar coréen agrémenté de combats chorégraphiés par John Woo ou Wong Kar-wai (l’inspecteur Ji-wook et son parapluie rappellent furieusement  le héros de The Grandmaster). Imaginez de l’autre un film sur le transgenrisme : Tangerine, Transamerica ou The Danish Girl. Mélangez les deux ! Impossible me direz-vous ! Et vous aurez raison ! Quoi de plus macho que ces films de kung-fu où des mâles bodybuildés dérouillent des méchants à la douzaine.

Mais, à la réflexion, le mélange a plus de sens qu’il n’y paraît. L’imagerie du kung fu charrie en effet, sous couvert d’une glorification très macho de l’hypervirilité, une dimension profondément homo-érotique. Le même paradoxe s’appliquait aux combats de gladiateurs des années 60 – ou à Charlton Heston, le héros de Ben Hur, promu icône gay à son corps défendant.

C’est sur cette ambiguïté à la fois totalement paradoxal et parfaitement sensée que joue le film de Jan Jin, honnête faiseur coréen qui compte déjà à son actif quatre polars inédits en France. Sans doute le fait-il parfois sans subtilité. Les flashbacks, s’ils donnent au personnage de Ji-Wook une épaisseur psychologique, sont filmés dans une lumière inutilement radieuse. La conclusion, certes inattendue, s’allonge inutilement à force de rebondissements. Mais Man on High Heels (puissamment traduit Le Flic aux talons hauts) est suffisamment original pour mériter le détour.

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Déesses indiennes en colère ★★☆☆

Freida, photographe surdouée, convie dans le plus grand secret ses meilleures amies à son mariage dans une belle maison portugaise à Goa. Mad, la chanteuse, Pam, la bourgeoise mal mariée, Nargis, la militante, Jo, l’actrice métisse, Su, la businesswoman, et même Laxmi, la bonne, sont chacune à leur façon des « déesses indiennes en colère ».

Le film de Nan Palin est indien à 200 %. 100 % de vitalité, de musique, de rires et de larmes. 100 % d’académisme à sa façon de consacrer une saynète à chaque personnage, qui incarne une des facettes des violences faites aux femmes en Inde : le viol, l’homophobie, la violence de classe, l’exploitation capitaliste, la phallocratie triomphante, le mariage arrangé…

Le sujet est grave. Et, par un tournant que rien n’annonçait, il bascule aux deux tiers du film dans le drame, sauvant Déesses indiennes en colère de la guimauve très girly dans laquelle il s’était gentiment installé. Pour autant ce film qui se prétend féministe défend avec une touchante maladresse la cause des femmes : avec des top models longilignes filmées dans des décors de rêve, une domestique traitée comme une sœur mais rappelée régulièrement à sa condition ancillaire et une working girl qu’on culpabilise de délaisser son rôle de mère. Dans le même registre La Saison des femmes de Leena Yadav était autrement plus subtil.

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Genius ★★☆☆

Dans l’Amérique de la Dépression, Tom Wolfe est un écrivain dont les manuscrits touffus ne sont pas publiés. Il trouve chez Maxwell Perkins un éditeur compréhensif et un père de substition.

Comme l’illustre son affiche,Genius est un double biopic. On pourrait croire qu’il a pour personnage principal Thomas Wolfe (1900-1938). Le rouge au front, j’avoue que je ne le connaissais pas et le confondais avec son homonyme, Tom Wolfe, l’auteur du Bûcher des vanités.

Mais le génie annoncé est moins celui du jeune écrivain maudit que celui de son taiseux éditeur. Dans l’Amérique des roaring twenties et des depressing thirties, Max Perkins fut l’éditeur de Francis Scott Fitzgerald et de Ernest Hemingway – qui font tous deux des apparitions superflues. Il est en vérité le personnage principal de Genius qui choisit de décrire le rôle essentiel et méconnu de l’éditeur, condamné à l’invisibilité par sa mission : il coupe et corrige pour rendre l’œuvre plus lisible et lui permettre de trouver son public mais a pour limite l’interdiction de trahir l’auteur.

Colin Firth est excellent dans ce rôle ingrat. En revanche le choix de Jude Law est particulièrement malvenu. Outre qu’il cabotine outrancièrement, il est trop vieux pour rendre crédible sa relation quasi-filiale avec Colin Firth, à peine plus âgé que lui. Le choix d’un acteur plus jeune aurait été autrement plus judicieux.

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Guibord s’en va-t-en guerre ★☆☆☆

Hockeyeur cloué au sol par une aérodromophobie (sic !), Steve Guibord est devenu le député indépendant de Prescott-Makadewa-Rapides-aux-Outardes au Québec. Lorsque le Parlement doit donner son feu vert à l’intervention militaire canadienne au Moyen-Orient, la voix de Steve Guibord va s’avérer déterminante. Bien embarrassé, le député québecois ne sait quelle opinion suivre : celle de sa fille pacifiste, opposée à la guerre ? ou celle de sa femme, plus pragmatique ? La solution lui viendra peut-être de son stagiaire haïtien, qui puise son inspiration dans Rousseau et Montesquieu.

L’engagement d’un pays dans une guerre extérieure est une situation éminemment cinématographique. S’engagera ? s’engagera pas ? On imagine les thrillers qu’on pourrait tirer de l’engagement de la guerre en Irak en 2003 — c’est d’ailleurs la toile de fond de la bande dessinée « Quai d’Orsay » portée à l’écran par Bertrand Tavernier — ou des tergiversations occidentales face à lasituation en Syrie.

C’est sous l’angle comique que le Québecois Philippe Falardeau décide de la traiter. Pourquoi pas. Le problème est que le prétexte du film est bien vite oublié pour se focaliser sur un autre sujet : la restauration d’une authentique démocratie représentative loin des compromissions et des calculs politiciens. Mais Philippe Falardeau n’est pas Frank Capra et « Guibord s’en va-t-en guerre » n’arrive pas à la cheville de « Monsieur Smith au Sénat ». Les efforts de Steve Guibord pour gérer l’encombrante responsabilité qui lui est bien involontairement échue ne sont pas d’une grande intelligence. Plus grave : ils ne font même pas sourire.

Et on regrette que le film ne se soit pas concentré sur son premier sujet : pour quels motifs décider — ou pas — d’entrer en guerre ? Au nom d’une responsabilité internationale ? d’une destinée manifeste ? Pour défendre les droits de l’homme ? ou un modèle culturel ? Au prix de la vie de ses propres soldats ? Jusqu’à quel niveau de sacrifice ? Autant de questions que cette gentille bluette ne pose même pas.

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L’Olivier ★★☆☆

Alma est très attachée à son grand-père inconsolable de la perte de l’olivier ancestral déterré par ses fils pour financer leurs projets immobiliers. Elle ira jusqu’en Allemagne pour retrouver ce symbole perdu d’une enfance heureuse.

L’Olivier est réalisé par Icíar Bollaín et mis en scène par son époux Paul Laverty, scénariste attitré de Ken Loach. On y retrouve tous les ingrédients des films du réalisateur britannique deux fois Palme d’or : des personnages au grand cœur qui se battent courageusement contre le système, une histoire tire-larmes qui frôle la mièvrerie sans y sombrer, une critique sociale en creux qui prend ici pour cible la spéculation immobilière en Espagne qui a détourné de braves paysans de la culture de la terre (qui, elle, ne ment pas ?)…

L’Olivier est sauvé du mélo par la belle énergie de son héroïne et par une fin aussi surprenante que logique.

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D’une famille à l’autre ★★☆☆

« L’histoire vraie », nous dit l’affiche, « avait ému le Brésil ». Depuis quelques années, l’argument fait florès. Autant en emporte le vent ou La Grande Vadrouille étaient-ils « basés sur une histoire vraie » ? Pourquoi faut-il que les films se réclament de la réalité ? Pour émouvoir le spectateur plus qu’une œuvre de pure fiction ne le ferait ? Pour se donner une crédibilité dont l’absence l’affaiblirait ? Ou tout simplement parce que les scénaristes sont en panne d’imagination ?

L’histoire de Felipe/Pierre avait donc ému le Brésil. Felipe est élevé dans un milieu populaire. À dix-sept ans, il apprend qu’il a été volé à la maternité. Pierre de son vrai nom est recherché par ses parents biologiques, des bourgeois aisés qui espèrent rattraper le temps perdu.

Le précédent film d’Anna Muylaert m’avait beaucoup touché. Une seconde mère racontait l’ambiguïté des liens unissant un fils de famille à sa nounou. D’une famille à l’autre traite lui aussi, à sa façon, d’un dilemme familial. Vers qui la loyauté de Felipe/Pierre ira-t-elle ? Vers sa mère adoptive, aimante mais criminelle ? Ou vers ses parents biologiques qui ne conçoivent pas qu’il puisse être nostalgique de son passé ?

Le film d’Anna Muylaert souffre d’un défaut peu commun : sa brièveté. Il tisse des intrigues (le sort de la mère adoptive), trace des pistes (la bisexualité de Felipe/Pierre), esquisse des personnages secondaires (une sœur adoptive, un frère biologique) qu’il ne se donne pas, en une heure vingt-deux seulement, les moyens de traiter. La brièveté de ce format oblige son héros à ne se poser qu’une seule question : non pas celle de l’identité de ses parents mais celle de la sienne.

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