Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique ★★☆☆

Ce documentaire québécois traite d’un sujet d’une brûlante actualité hélas : la misogynie en ligne. Il prend l’exemple du cyberharcèlement subi par quatre femmes : une étudiante canadienne victime d’un camarade de classe, une élue locale du Vermont afro-américaine violemment prise à partie par des internautes suprémacistes blancs, une bloggeuse française féministe et la présidente de la Chambre des députés d’Italie.
Elles ont toutes les quatre vécu la même histoire : leur exposition publique a provoqué un violent retour de bâton (le titre original Backlash est beaucoup plus intelligent que sa traduction française inutilement sacrilège). Elles sont devenues la cible d’une violence débridée, lâche, grégaire. Après une phase de sidération (« pourquoi tant de haine ? »), puis de révolte (« je refuse d’être agressée de la sorte ») et de combat (« je mets en oeuvre tout ce que la police et le droit m’autorisent pour répondre à cette agression »), les victimes, à bout de nerfs, peuvent être tentées de baisser les bras : effacer leur identité numérique, et donc renoncer à leur cyber-activisme, devient en effet la seule façon d’échapper à leurs agresseurs. Bien entendu, ce documentaire est un plaidoyer en faveur d’une prise de conscience du phénomène et d’une réaction citoyenne et juridique.

La violence en ligne, le cyberharcèlement est une pathologie moderne permise, sinon encouragée, par les nouvelles technologies. Heureusement, elle reste limitée. Internet est un lieu virtuel où s’échangent moins d’injures que d’informations, d’opinions, de déclarations d’amour…. et de photos de chatons ou de vacances. Elle n’en reste pas moins dévastatrice, poussant parfois ses victimes au suicide, comme Rehtaeh Parsons, une adolescente canadienne qui s’est suicidée en 2013 et dont le père est devenu un inlassable militant contre le cyberharcèlement.

Le sujet, de plus en plus étudié, est de mieux en mieux connu. On en identifie désormais mieux les facteurs. L’anonymat permis par les réseaux sociaux encourage des opinions que leur auteur ne se permettrait pas d’exprimer à visage découvert. La distance l’encourage aussi : on s’autorise à écrire en ligne des mots qu’on ne se permettrait jamais de dire dans les yeux à une personne en face de soi. Troisième facteur encourageant : l’entraînement du groupe. On rajoute plus facilement un commentaire désagréable voire haineux à une longue litanie de commentaires similaires qu’on n’ose en écrire un sur une page blanche.

Ses effets sont également bien documentés. Certes le cyberharcèlement reste virtuel. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le droit hésite à l’appréhender – sans parler des difficultés techniques à en identifier l’auteur. Mais pour être virtuel, le cyberharcèlement n’en est pas moins profondément violent et perturbateur. Une injure qu’on reçoit sur son téléphone n’est pas moins blessante que celle qu’on entend au coin d’une rue. Une victime avoue d’ailleurs avoir été moins traumatisée par le viol qu’elle a vécu, limité dans le temps, que par l’interminable cyberharcèlement qu’elle subit, qui s’étend indéfiniment et fait peser sur elle l’épée de Damoclès d’un éventuel passage à l’acte de ses agresseurs. Comme le dit clairement une experte interviewée : « Le cyberharcèlement, c’est du harcèlement. Point »‘

La commission de classification française a proposé l’interdiction aux moins de douze ans assortie d’un avertissement, signe qu’elle a hésité à proposer son interdiction aux moins de seize ans. Je ne comprends pas sa sévérité. Je considère au contraire que ce documentaire est d’utilité publique et qu’il devrait être montré aux adolescents, dès le collège, qui sont hélas exposés très jeunes à ces menaces en ligne.

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Linda veut du poulet ! ★★★☆

Linda a huit ans. Depuis la mort de son père, Paulette, sa mère, l’élève seule. Injustement punie par elle qui, pour se faire pardonner, lui promet de lui passer tous ses désirs, Linda réclame un poulet aux poivrons, souvenir nostalgique de la cuisine que lui mitonnait son père. Mais c’est la grève générale et tous les magasins sont fermés. Pour trouver un poulet, Paulette et Linda se lancent dans une folle odyssée.

Le pitch comme le titre de Linda veut du poulet ! pourraient dissuader bien des adultes d’aller voir ce film d’animation que le festival Télérama a eu la pertinence de reprogrammer en début d’année pour ceux qui, comme moi, en avaient raté la sortie en octobre dernier. Ils auraient bien tort de rater ce petit bijou, cristal du long métrage au dernier festival d’Annecy.

Co-réalisé par Sébastien Laudenbach, qui avait signé La Jeune Fille sans mains, Linda veut du poulet ! en a la même délicatesse de traits, la même gracieuse esthétique, pleine de couleurs et d’énergie. J’ai eu la chance d’entendre sa co-réalisatrice, l’italienne Chiara Malta, venue présenter son film aux dimanches de l’ACID. Elle en parle avec autant d’intelligence que de sensibilité. Linda… est un film pour enfants qui traite de sujets graves. Le deuil : il faut ne pas avoir de cœur pour ne pas verser une larme sur le chagrin de Linda et de Paulette. Le vivre-ensemble : la cité HLM où se déroule l’action (sommes-nous près de Paris ou en province ?) ressemble à un petit village chaleureux dont tous les personnages se tiennent les coudes jusqu’au joyeux sabbat final.

Entrecoupé de séquences musicales dispensables, Linda… est joué par de vrais acteurs dont on reconnaît les voix, Clotilde Hesme, Laetitia Dosch et surtout Esteban à la diction inimitable. C’est un spectacle drôle, tendre, attachant, qui plaira aux grands comme aux petits, à ne pas manquer.

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La Tresse ★★☆☆

Laetitia Colombani, qui avait déjà signé plusieurs films, avant de prendre la plume, a elle-même adapté son premier roman. Publié en 2017, La Tresse a remporté un immense succès. Son adaptation, retardée par le Covid, lui est très fidèle. Elle se déroule sur trois continents et entrelace, comme le faisait déjà le roman, l’histoire de trois femmes.

Smita est une Intouchable. Elle vit dans le nord de l’Inde, avec son mari et sa fille. Elle n’a d’autre solution, pour que sa fille échappe à sa condition misérable, que de l’entraîner avec elle dans un long voyage vers une vie plus heureuse.

Giulia est une jeune fille rêveuse, passionnée de littérature. Son père dirige la dernière perruquerie de Sicile. Mais lorsqu’un accident de la route la plonge dans le coma, c’est à Giulia, qui vient de rencontrer Kamal, de prendre en main la destinée de l’entreprise familiale menacée de faillite.

Sarah est une brillante avocate canadienne qui a tout sacrifié à sa carrière. Elle élève seule les trois enfants qu’elle a eus de deux lits différents. Quand un cancer du sein l’oblige à abandonner son poste, son monde s’écroule.

J’avais lu avec beaucoup de retard La Tresse, à la fois appâté par et méfiant de son immense popularité. J’en avais trouvé les effets faciles ; mais je mentirais en n’avouant pas avoir versé ma petite larme. J’ai eu exactement la même réaction devant le film. Je ne l’ai pas vu à sa sortie fin novembre, dissuadé par des critiques abominables et l’avis de quelques amis de confiance. Mais, le voyant encore caracoler en haut du hit-parade et n’ayant plus guère de films serbo-moldaves en noir et blanc à me mettre sous la dent, je me suis trouvé bien snob de l’ignorer. Je suis allé hier soir dans une petite salle de la rue Mouffetard pleine à craquer de spectateurs et de spectatrices de tous âges dûment équipés en Kleenex qui en sont sortis ravis.

J’en ai eu moi aussi pour mon argent et j’ai versé ma larme, avec plus de discrétion j’espère que mes bruyants voisins. Pas une seule surprise néanmoins devant un film qui adapte fidèlement le livre, sa construction alternée – qui a l’avantage de soutenir l’attention et l’inconvénient de devenir un peu mécanique, comme le tempo métronomique d’une valse – ses personnages charismatiques, ses rebondissements jusqu’à son dénouement qu’on avait déjà deviné, avant même de lire le livre, à la seule lecture de son titre.

La Tresse est un hymne à la résilience. C’est aussi un hymne aux femmes. C’est enfin un tour du monde. Le film souligne chacun de ces éléments. Les personnages et les situations frisent la caricature. Les trois héroïnes réussissent vaillamment à se relever des pires échecs. La beauté des paysages filmés grand angle est amplifiée par la musique envahissante de Ludovico Einaudi.

La Tresse ne fait pas dans la nuance. Est-ce pour autant un mauvais film ? Je suis partagé. Tout dépend de la définition qu’on donne d’un « bon » film. Une question qu’il serait grand temps que je me pose alors que je suis sur le point de signer la 2867ème critique de ce blog. Un film qui tient le spectateur en haleine avec un scénario palpitant comme La Mort aux trousses ? Un film qui innove par sa façon de raconter une histoire ou de filmer ses acteurs comme Citizen Kane ? Un film qui exalte la beauté de ses stars comme Gilda ? Un film qui interroge la condition humaine comme 2001 ou La Liste Schindler ? Un film qui nous fait rire ? qui nous fait pleurer ?
« La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » disait Racine, qui doit se retourner dans sa tombe alors que j’utilise ses mots pour défendre La Tresse aujourd’hui et, qui sait, Les Tuche 5 demain.

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L’Enfant du paradis ★☆☆☆

La petite quarantaine, Yazid est un acteur qui a décroché quelques rôles avant de sombrer dans l’alcool et dans la drogue. Son couple s’y est fracassé. Mais Yazid est en train de remonter la pente, de renouer avec son fils désormais adolescent, de construire une relation stable avec Garance, une actrice comme lui, avant de retrouver la scène.

Salim Kechiouche est venu au cinéma adolescent grâce à Gaël Morel, avant de faire une école de théâtre. Il a tourné dans une vingtaine de films avec Ozon et Kechiche, dans autant de courts métrages, pour le cinéma et pour la télévision ; il a joué au théâtre. Il passe pour la première fois derrière la caméra pour rendre un hommage à son ami, l’acteur Yasmine Belmadi, mort en 2009 dans un accident de scooter, après la fête de fin de tournage de son dernier film, Adieu Gary.

Salim Kechiouche dit avoir croisé beaucoup d’éléments autobiographiques avec ceux de la vie de son ami défunt. Il revendique aussi la part de pure fiction de son film : ni lui ni Yasmine Belmadi n’a ou n’a eu de fils adolescent comme celui qu’on voit dans le film.

Tourné avec un petit budget, quasiment pas distribué (il est sorti le mois dernier en catimini dans deux salles parisiennes), L’Enfant du paradis dure une heure et douze minutes seulement. C’est un film à l’os, dont l’acteur principal, qui en signe aussi la réalisation, beau brun à la virilité incandescente, est de tous les plans.

Sa principale qualité est aussi son principal défaut : sa concision. L’Enfant du paradis se réduit finalement à pas grand-chose. Reproche paradoxal sous ma plume qui a si souvent reproché aux films leurs inutiles longueurs et leurs demi-heures excédentaires !

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Pour ton mariage ★★★☆

Oury Milshtein est inconnu du grand public. Il est pourtant une personnalité importante du cinéma français qui a produit depuis quarante ans plusieurs dizaines de films aux côtés d’Agnès Varda, de Jacques Doillon, d’Arnaud Desplechin ou d’Alex Lutz. Marié à la fille d’Enrico Macias, divorcé, remarié, il a eu de ces deux unions cinq enfants, avant de vivre quelques années avec Kate Barry, la fille de Jane Birkin dramatiquement disparue en 2013. Sa vie, qui pourrait ressembler à celle, joyeusement neurasthénique, de n’importe quel Juif ashkénaze français, a été marquée par un drame dont il est resté inconsolable.

Jetez un œil à cette affiche. On y lit – ce qui n’est pas fréquent – une blague juive. On la croirait tout droit sortie d’un film de Woody Allen. Si on se fie au titre de ce film et si on en lit le pitch, qui insiste sur le mariage grandiose et raté d’Oury Milhstein avec Jocya, la fille d’Enrico Macias, on imagine volontiers un documentaire autobiographique centré sur cette cérémonie ostentatoire et peut-être sur ses suites calamiteuses.

Mais Pour ton mariage n’a pas grand chose à voir avec son titre. À soixante-six ans, Oury Milshtein pressent qu’il n’aura guère d’autres occasions de revenir sur sa vie et, sans y mettre pour autant la moindre ostentation, entend l’embrasser tout entière.

Le résultat est décapant. Décapant dans la façon de le raconter, en partant d’un grand dîner familial avec ses deux ex-femmes – qui s’entendent comme larrons en foire alors qu’on aurait plutôt imaginé une franche détestation entre elles nourrie de mille et une trahisons – et ses enfants soudés dans une étonnante et chaleureuse complicité. Décapant dans ce qu’il raconte de la vie d’un homme, de ses parents et de la relation compliquée qu’il entretint avec son père et avec sa mère, de son éducation en Israël chez une tante, de ses mariages successifs et finalement de sa vie qui va s’achever.

Le résultat est gai comme la blague juive de l’affiche, et triste comme elle. Mazel Tov !

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Un corps sous la lave ☆☆☆☆

En 1492, trois marins profitent d’une escale aux Canaries de la flotte conduite par Christophe Colomb vers les Indes pour fausser compagnie à l’équipage. Au même moment, en Galice, dans le nord de l’Espagne, une femme tente de sauver sa sœur plongée dans le coma après une tentative de suicide.

J’avais beau avoir lu les critiques peu engageantes de ce film tourné par un couple de réalisateurs espagnols, j’avais voulu lui donner sa chance et, avant qu’il disparaisse de l’écran, suis allé le voir dans une salle quasiment vide. Bien mal m’en a pris. Je m’y suis copieusement barbichonné.

J’aurais dû me méfier de Culturopoing qui écrit : « Le film se vit comme une expérience sensorielle, philosophique, touchant aux sensations intimes et à la mémoire collective plus qu’à la raison didactique » et écouter au contraire Télérama : « l’ensemble reste obscur, trop crypté pour convaincre. Faute d’incarnation et de sensations, on reste comme sur le seuil de cette traversée qui vise l’hallucination façon Werner Herzog, sans y parvenir tout à fait ».

Un corps sous la lave est un film quasiment muet qui raconte successivement deux histoires entre lesquelles je ne suis pas sûr d’avoir compris le lien. Tourné en 16mm, le grain est épais, terne, sale, comme si les réalisateurs avaient refusé d’esthétiser des paysages pourtant grandioses. Faute d’admirer de belles images, on est condamné à suivre un récit languissant, silencieux et incompréhensible. Le film a beau durer une heure et quinze minutes seulement, on s’y ennuie copieusement si on ne s’y endort pas.

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Blackbird, Blackberry ★★☆☆

Orpheline de mère, longtemps étouffée par un père et un frère possessifs, Ethero a désormais près de cinquante ans. Elle tient seule une petite épicerie dans un village reculé de la Colchide géorgienne. Après un accident en montagne, qui manque l’emporter, sa vie change du tout au tout. Restée vierge jusqu’alors, elle se donne sans préavis à Mourmane, le routier qui livre chaque semaine son magasin, et connaît dans ses bras ses premiers émois amoureux.

Elene Naveriani est une jeune cinéaste géorgienne installée en Suisse. Blackbird, Blackberry, adapté d’un roman géorgien, est son troisième film. Je n’ai pas vu les deux premiers dont je ne suis pas sûr qu’ils soient sortis en salles en France.

J’espère que mes amis géorgiens ne se formaliseront pas que j’utilise le mot exotisme pour en parler. Exotisme d’une langue que je n’avais pas réussi à reconnaître en regardant la bande annonce. Exotisme des paysages. Exotisme des situations dans un pays où, nous dit la réalisatrice non binaire, le patriarcat impose encore sa loi et où le féminisme peine timidement à s’exprimer.

Ethero est « une féministe instinctive » raconte la réalisatrice. Sans bagage intellectuel, elle prend néanmoins conscience de la minorisation dont elle a été victime toute sa vie durant [cette phrase ! Judith Butler, sors de ce corps !]. Son éveil tardif à la sexualité et à l’amour la conduit à reconsidérer ses priorités. Paradoxalement, c’est l’ombre de la mort qui plane bientôt sur elle.

Elle m’a fait penser à l’héroïne de Bagdad Café, ce film devenu bizarrement culte grâce à sa musique languissante et au physique atypique de son héroïne, la gironde Marianne Sägerbrecht.

La conclusion de Blackbird, Blackberry est surprenante. et pourtant parfaitement logique. Elle clôt le film et, en même temps, laisse ouvertes plusieurs interrogations plus stimulantes les unes que les autres.

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Dream scenario ★☆☆☆

Paul Matthews (Nicolas Cage) est un scientifique raté qui végète dans une petite université où il enseigne sans passion la biologie. Sa vie bascule du jour au lendemain suite à un phénomène étrange qui lui attire une gloire soudaine. Une foule d’individus, plus ou moins proches de lui, le voient apparaître dans leurs rêves.

Dream Scenario repose sur un pitch délirant. C’est sa plus grande qualité. Hélas, c’est quasiment la seule. L’autre, bien sûr, c’est l’interprétation à contre-emploi de Nicolas Cage en quinquagénaire chauve, bedonnant et mal fringué [toute ressemblance avec l’auteur de ces lignes serait purement fortuite] qui aurait pu être l’une des plus grandes stars de son temps, du niveau d’un Jack Nicholson ou d’un Dustin Hoffmann, s’il n’avait gâché son talent dans une kyrielle de films dispensables.

Le réalisateur de Dream Scenario est norvégien. On lui doit Sick of Myself, sorti en France le printemps dernier. Si je le mentionne, ce n’est pas pour étaler ma science ni pour recopier la notice d’IMDb. C’est parce que les deux films se ressemblent. Ils partagent un même pitch étrange – l’héroïne de Sick of Myself contracte pour attirer l’attention sur elle un eczéma monstrueux – et une même critique sous-jacente de nos sociétés contemporaines. L’un comme l’autre en effet ont un sous-texte politique : les réseaux sociaux et la visibilité qu’ils permettent produisent à la fois de l’anomie et de la surexposition. Pour le dire autrement : comme les zèbres qu’évoque Paul Matthews à ses étudiants, nous sommes tous tiraillés entre le souci de rester invisibles et le désir de sortir du lot.

Ce sous-texte là n’est pas sans intérêt. Mais il est un peu lourdaud. Et surtout, une fois décrypté, il n’y a pas grand chose à en tirer.
C’était déjà le défaut de Sick of Myself. C’est aussi le piège dans lequel tombe Dream Scenario. Pour des motifs qui resteront obscurs – et que la logique peine à comprendre – la soudaine célébrité de Paul Matthews, qui flattait secrètement son orgueil et cautérisait les plaies ouvertes par les humiliations dont il avait longtemps été victime, se mue bientôt en vindicte populaire. Le héros devient paria. Le film raconte l’inexorable délitement de sa vie qui s’achèvera… en France. Mais j’en ai déjà trop dit !

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Voyage au pôle sud ★☆☆☆

Écologue de formation, Luc Jacquet est un documentariste français qui a acquis une renommée mondiale grâce à son tout premier film, La Marche de l’empereur, sorti en 2005.
La cinquantaine bien entamée, il raconte à la première personne l’irrésistible attraction qui le lie à l’Antarctique et à ses curieux habitants.

Voyage au pôle sud a bien entendu une qualité indiscutable : ses paysages grandioses, filmés grand angle, qu’il faut absolument voir sur grand écran pour les apprécier à leur juste mesure. Luc Jacquet choisit de les filmer en noir et blanc. La raison en est sans doute qu’ils sont ainsi plus majestueux encore. Il faudrait pondérer leur beauté des difficultés techniques et humaines difficiles à imaginer que leur tournage a probablement rencontrées.

Mais cette qualité esthétique est hélas la seule d’un documentaire dont le sujet et surtout le traitement suscitent une irritation croissante. Très narcissiquement, Luc Jacquet s’y met seul en scène. On le voit, marchant solitaire sur la banquise, ou au milieu des manchots empereurs qui ont fait sa célébrité. Ces images, qu’on croirait tout droit sorties d’Instagram, sont lestées d’une voix off qui pèse des tonnes où l’omniprésent réalisateur d’une voix sentencieuse nous assène des vérités définitives sur le sens de la vie et l’état de notre planète : « Tout nous dépasse, le temps, les forces en présence », « Qu’il est apaisant de pouvoir vivre sans les animaux sans leur faire peur ! ».
Sur ce dernier point, ma plume fielleuse s’égare : ce Voyage n’est pas lesté du prêchi-prêcha écologiste que la plupart des documentaires animaliers se sentent obligés de s’adjoindre. Mais son contenu est si plat, si fat, qu’on en viendrait presque à le regretter.

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La Fille de son père ★★☆☆

Etienne (Nahuel Perez Biscayart) a vingt ans à peine. Avec Valérie, c’est le coup de foudre. Mais Valérie disparaît sans une explication, laissant à son compagnon le soin d’élever seul leur fille. Le temps a passé et Rosa (Céleste Brunnquell) a dix-sept ans. L’heure est venue pour elle de quitter son père pour aller à Metz poursuivre des études d’art.

Je ne suis pas au nombre de ceux, nombreux, qui se sont enflammés pour Perdrix, le premier film décalé d’Erwan le Duc. Je ne lui reconnais pas moins un certain talent et un talent certain qu’on retrouve à l’identique dans son deuxième film, aussi décalé que le premier.

Tout y est léger, joyeux et burlesque. À commencer par le duo improbable que forment ce père immature et sa fille tôt montée en graine. Des deux, on comprend vite qui veille sur l’autre et qui est le plus indispensable à l’autre. Ce duo bancal et attachant était déjà au centre de Normale avec Benoît Poelvoorde sorti il y a quelques mois à peine. Mais La Fille de son père est un anti-Normale. Ses choix de mise en scène sont perpendiculaires à ceux, lourdement conventionnels, de ce film oubliable, dont j’avais dit pourtant qu’il m’avait bien plu et auquel j’avais (trop ?) généreusement décerné deux étoiles.

La Fille de son père joue dans une autre catégorie, plus ambitieuse. Sans doute, son sujet n’est-il pas très original. Et la façon dont il se conclut, par une échappée belle, à Nazaré au Portugal, dont on ne dira rien pour ne pas en spoiler le dénouement, ne l’est-elle guère plus. Mais son traitement est sacrément détonant. Il convoque tous les arts, la peinture, que la jeune Rosa pratique en amateure douée avant d’en faire peut-être un jour son métier, la poésie que son sigisbée, le chevaleresque Youssef (Mohamed Louridi) lui récite, et même le théâtre, comme lors de cette scène splendide qui réunit dans son lycée Rosa et son père.

Il faut dire un mot des deux acteurs principaux. On n’a pas attendu ce film pour savoir qu’ils sont sans doute parmi les plus prometteurs de leur génération. Nahuel Perez Biscayart a trente-sept ans et des yeux bleus à se damner. On l’a vu dans Au revoir là-haut, 120 bpm et Les Leçons persanes. Céleste Brunnquell a vingt-et-un ans à peine mais son talent a déjà explosé dans Les Éblouis et dans la série En thérapie. Ce duo surdoué ne doit pas éclipser les autres acteurs, Maud Wyler – qui jouait déjà dans Perdrix – et le jeune Mohamed Louridi dont l’élocution élégante m’a rappelé celle de Quentin Dolmaire.

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