Vers la bataille ★☆☆☆

Louis (Malik Zidi) est photographe dans les années 1860 à une époque où la photographie est encore un art balbutiant et le photojournalisme un métier inédit. Il vient de perdre son fils Lazare, jeune officier prometteur fauché à la bataille de Sébastopol. Il s’est mis en tête d’aller photographier le corps français expéditionnaire au Mexique. Mais, sans escorte militaire, ralenti par son lourd équipement, il se perd dans la forêt mexicaine. Il doit la vie sauve à la rencontre de Pinto (Leynar Gomez), un paysan analphabète.

Il faut reconnaître au réalisateur Aurélien Vernhes-Lermusiaux une sacrée audace pour son premier film qu’il est allé tourner en Colombie, au cœur de la forêt amazonienne (pourquoi n’avoir pas tourné au Mexique ? parce que les conditions administratives ne le permettaient pas ? ou parce que les décors qu’il avait imaginés n’y étaient pas disponibles ?). Il n’est pas fréquent en effet que l’expédition française au Mexique (1861-1867), qui visait à doter ce jeune pays d’un empereur catholique et francophile, soit évoquée au cinéma. On cherche en vain un précédent.

Mais, film à petit budget, Vers la bataille ne montre rien des luttes de pouvoir autour de Maximilien. Il se focalise sur un homme qui, tel Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, ne verra rien de la bataille à laquelle il était censé participer. Vers la bataille tourne bientôt à la description de son vertige, de sa folie et enfin de sa chute.

On pense à Dead Man de Jim Jarmusch. Malik Zidi porte la même pelisse que Johnny Depp et il a peut-être autant de talent que lui (j’ai toujours trouvé surcoté le héros de Pirate des Caraïbes) à défaut d’avoir le quart de sa célébrité. Mais hélas, Aurélien Vernhes-Lermusiaux n’a pas le talent de Jim Jarmusch.

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Hospitalité ★★☆☆

Mikio Kobayashi a repris la petite imprimerie familiale tenue par son père. Elle est installée au rez-de-chaussée de sa minuscule maison tokyoïte qu’il partage avec Seiko, sa sœur divorcée, Eriko, la petite fille qu’il a eue de sa première femme, et Natsuki, sa seconde épouse qui tient les comptes de la petite entreprise.
L’aimable routine familiale est rompue par l’arrivée de Hanataro, un homme qui se présente comme le fils d’un ami du père de Mikio. Profitant de l’hospitalisation de l’unique employé de l’imprimerie, Hanataro s’y fait embaucher avant de prendre ses quartiers à l’étage. Il y est bientôt rejoint par sa femme et par une cohorte d’étrangers en situation irrégulière.

Né en 1980, Kōji Fukada s’est fait une place dans le cinéma japonais contemporain pourtant déjà richement doté avec des créateurs aussi intéressants que Hirokazu Kore-eda (The Third Murder, Une affaire de famille, La Vérité), Kiyoshi Kurosawa (Creepy, Avant que nous disparaissions, Invasion) Naomi Kawase (Les Délices de Tokyo, Vers la lumière), Tatsushi Ōmori (Dans un jardin qu’on dirait éternel) ou Ryusuke Hamaguchi (Senses, Asako I & II). Étaient déjà sortis en France Sayonara et Harmonium en 2017, L’Infirmière en 2020. Art House qui le distribue en France a pris l’initiative bienvenue de combler les trous de sa filmographie en sortant Hospitalité (2010) puis, le 4 août prochain, Le Soupir des vagues.

Hospitalité est un film étonnant qui rappelle, ou plutôt qui annonce car il leur est antérieur, Un air de famille ou Parasite, deux films qui, excusez du peu, furent couronnés par la Palme d’or en 2018 et en 2019. Avec le premier, il a en commun de prendre comme sujet une famille vibrante, riche de ses adjonctions hétéroclites. Avec le second, il partage la figure du corps étranger qui pénètre brutalement un foyer et en perturbe l’équilibre.

Hospitalité joue sur le fossé des cultures. Son histoire confronte des Japonais « ordinaires » empêtrés dans leur parfaite politesse au comportement très occidental d’un intrus encombrant. Cette histoire-là n’aurait pas marché une seconde en Occident où l’entrisme de l’intrus se serait heurté à l’hostilité plus ou moins brutale de ses hôtes. Mais une telle réaction est inconcevable de la part de Japonais « ordinaires » condamnés, par leur éducation, à faire bonne figure. C’est ce décalage qui rend le sujet de Hospitalité particulièrement croustillant pour un spectateur français.

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Sons of Philadelphia ★★☆☆

Peter (Matthias Schoenaerts) a grandi avec son cousin Michael (Joel Kinnaman). Leur travail dans le BTP est une façade qui cache leur activité de racket et de trafic pour la pègre irlandaise, une activité que menace la malavita italienne. Volontiers psychopathe, Michael aurait tendance à jeter de l’huile sur le feu. Plus prudent, Peter tente avec plus ou moins de succès de réfréner la violence de son cousin. Mais, plus profondément, cette guerre des gangs est l’occasion pour les deux cousins de solder de vieux comptes.

Auteur à succès de polars noirs, Jérémie Guez passe derrière la caméra et porte à l’écran pour sa seconde réalisation Brotherly Love, un livre de Pete Dexter (dont j’avais beaucoup aimé Paperboy adapté avec Matthew McConaughey et Nicole Kidman au début des années 2010).

Bien sûr, ce petit polar poisseux invoque les mânes de Martin Scorsese ou de James Gray, de leurs sagas familiales tendues et ténébreuses. Rapporté à cette aune, Sons of Philadelphia peine à supporter la comparaison. Il n’a pas la nervosité, la noirceur, l’exubérance, en un mot le génie des œuvres de ces réalisateurs d’exception. Mais qui peut se targuer de les posséder ?

Sons of Philadelphia n’en est pas pour autant un mauvais film, même s’il plaira plus aux amateurs du genre et à ceux qui acceptent de se laisser prendre à son rythme un peu lent. Il est servi par l’interprétation du toujours impeccable Matthias Schoenaerts qui, décidément, depuis De rouille et d’os, tisse une carrière exceptionnelle sur les deux rives de l’Atlantique (A Bigger Splash, Maryland, Red Sparrow, Frères ennemis, Kursk, Nevada, The Laundromat, Une vie cachée…). Son intérêt vient surtout de son scénario qui, lentement, fait ressurgir des secrets de famille trop longtemps refoulés.

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Envole-moi ★☆☆☆

Thomas (Victor Belmondo), vingt-six ans, est un jet-setteur invétéré qui a abandonné ses études et passe ses nuits en boîte. Après une énième avanie (il a noyé le coupé BMW dans la piscine familiale), son père (Gérard Lanvin), chirurgien en pédiatrie, décide de le mettre au pied du mur : Thomas sera jeté dehors s’il n’accepte pas de s’occuper de Marcus (Yoann Eloundou), un jeune garçon de douze ans affecté d’une grave malformation cardiaque. Entre les deux jeunes gens naîtra une amitié improbable qui les fera mûrir tous les deux.

Le pitch de Envole-moi vous fait fuir par son trop-plein de bien-pensance dégoulinante ? Fuyez-le ! C’est ce que j’aurais dû faire si ma curiosité maladive pour tout ce qui fait le cinéma français et le mauvais temps qui s’entêtait à Paris durant le dernier week-end de mai ne m’avaient pas conduit à en pousser les portes. Pour autant, ai-je perdu mon temps ? Pas vraiment !

Envole-moi est construit sur le modèle désormais breveté du binôme de deux personnages unis pour le bien de l’un au corps défendant de l’autre. Intouchables en a déposé le brevet et il est à craindre qu’il soit utilisé jusqu’à la corde. Envole-moi en joue jusqu’à la caricature : Victor est blanc, Marcus est noir ; Victor est riche, Marcus est pauvre ; Victor est bien portant, Marcus est malade, etc.

Comme il fallait le craindre, Envole-moi est un feel good movie qui ne recule devant aucun moyen pour nous arracher une larme. Comme dans le cochon, tout est bon pour y parvenir : le charme irrésistible du petit-fils Belmondo, le courage émouvant du jeune Yoann Eloundou (qui aurait, ceci étant, été plus émouvant encore s’il avait eu quatre ans de moins, des taches de rousseur et des couettes), le courage plus émouvant encore de sa courageuse maman, mère célibataire d’un enfant qu’elle entoure d’un amour infini, l’amitié improbable et pourtant immédiate qui naît entre les deux héros, la bucket list des vœux de Marcus que Thomas s’emploiera à exaucer et qui constituera le fil rouge du film, etc.

Quelle déception de la part d’un réalisateur comme Christophe Baratier dont le premier film, Les Choristes, en 2004, avait nourri tant d’espoirs et qui, depuis maintenant quinze ans, ne cesse de les décevoir avec une belle constance ?

On pourrait en rester là et attribuer à ce film racoleur un zéro pointé. Pour autant, la vérité oblige à dire qu’aussi racoleur et bien-pensant soit-il, Envole-moi m’a arraché cette petite larme qu’il s’emploie démonstrativement à nous faire couler. Des centaines de milliers de spectateurs sont allés le voir, auront versé la leur et en garderont le souvenir d’un film émouvant. Qui sommes nous pour leur donner tort ?

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Promising Young Woman ★★☆☆

Cassie (Carey Mulligan) fut longtemps une jeune femme à l’avenir prometteur. Mais, à l’aube de la trentaine, elle végète chez papa-maman dans un job minable. Chaque week-end, outrancièrement maquillée, elle va en boîte où elle simule la gueule de bois pour donner une leçon aux prédateurs qui feignent de jouer au bon Samaritain pour abuser d’elle. Quel drame dans sa vie explique un tel comportement ? La rencontre de Ryan (Bo Burnham), un ancien camarade de faculté, qui lui fait une cour assidue, la conduira-t-elle à enfin tourner la page ?

Promising Young Woman, premier film d’Emerald Fennell, l’actrice qui campe Camilla Parker Bowles dans la série The Crown, vient d’obtenir l’Oscar du meilleur scénario original. Original, son scénario l’est en effet, qui est construit autour d’une énigme qu’on découvre peu à peu et qui nous ménage jusqu’à sa conclusion d’étonnants rebondissements.

Ces énigmes, ces twists, compliquent la tâche de la critique bien en mal de parler d’un film dont elle s’interdit de divulgâcher ce qui en fait tout le prix. Dire, comme on en lit partout, qu’il relève du rape and revenge, c’est déjà trop en dire – sauf à ajouter immédiatement, pour contredire la conclusion à laquelle vous avez, cher lecteur, trop vite sauté, que, non, Cassie n’a pas été violée durant ses études. Mais cet ajout – dont le seul but était de vous éviter de vous lancer sur une fausse piste – n’est-il pas déjà de trop, l’un des ressorts du film étant peut-être justement de laisser imaginer au spectateur qu’elle avait en fait été violée ? Oh la la… je sens que je m’enfonce…..

Bref, comme on l’aura compris (ou pas !), Promising Young Woman est construit autour d’un concept (mais n’en dis-je pas déjà trop en l’écrivant ?) : l’espoir post #MeToo de modifier les comportements prédateurs masculinistes qu’on a subis en frappant ceux qui les ont fait subir.

Le sujet est d’actualité. Il est même d’utilité publique. Il parlera, espérons-le, aux jeunes spectateurs, garçons ou filles, auxquels le film s’adresse. Reste maintenant, au-delà de toutes considérations éthiques ou politiques, à apprécier sa valeur cinématographique. Et c’est là peut-être que le bât blesse.

Car, après s’être laissé prendre au jeu d’une bande annonce aguichante, on se retrouve face à un rouleau compresseur. Le personnage de Cassie, loin de susciter l’empathie, et aussi remarquablement interprété qu’il soit par la toujours excellente Carey Mulligan (Une éducation, Drive, Shame, Gatsby le magnifique, Loin de la foule déchaînée, Wildlife, The Dig …), se réduit à une seule dimension : être l’instrument d’une vengeance voire d’une croisade. Une fois qu’on a compris son rôle, on prend moins d’intérêt aux événements qu’elle traverse. On en prend d’autant moins que leur crédibilité se réduit de plus en plus jusqu’à un dénouement certes surprenant, mais totalement abracadabrantesque.

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Il Mio Corpo ☆☆☆☆

Deux destins se croisent dans une petite ville de Sicile écrasée par le soleil, aux alentours d’une mine de soufre abandonnée. Oscar, la quinzaine, est italien ; son père ferrailleur l’élève à la dure. Stanley, la vingtaine, est un immigré nigérian en attente de régularisation ; il vit des petits boulots que lui confie le prêtre de la paroisse.

Il Mio Corpo, nous apprend le dossier de presse, est le troisième volet  d’une trilogie que le jeune réalisateur italien Michele Pennetta a consacrée aux laissés-pour-comptes de Sicile. Pourquoi les deux premiers n’ont-ils pas trouvé le chemin des salles françaises ? Mystère. Pourquoi celui-ci y était-il projeté ? Mystère encore.

Un mystère d’autant plus épais qu’on peine à trouver dans ce film, qui flirte avec le documentaire, le moindre intérêt. La construction en miroir a-t-elle un sens ? le réalisateur a-t-il voulu montrer que la pauvreté n’a pas de couleur ? que Blancs et Noirs partagent les mêmes conditions misérables d’exploitation et d’abrutissement ?
A-t-il voulu raconter une histoire ? montrer une convergence entre deux destins ? À défaut d’avoir compris comment le film se termine – la faute peut-être à un coupable endormissement autour de la soixante-dixième minute – je ne saurais dire. Oscar et Stanley finissent-ils par se rencontrer ? À mon grand soulagement, je constate en lisant les commentaires que je ne suis pas le seul à ne pas être en mesure de répondre à cette question pourtant censée aimanter le film. Bref, si j’avais voulu vous en spoiler la fin, j’en aurais été bien incapable !

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Balloon ★★☆☆

Drolkar et son mari Dragye mènent une vie heureuse dans les hauts plateaux tibétains, sur les rives du lac Kokonor avec leurs trois enfants. L’aîné va déjà au collège à la ville tandis que les deux facétieux cadets aident leur père et leur grand-père à la ferme. Pour éviter de tomber une quatrième fois enceinte, Drolkar utilise les préservatifs distribués au compte-gouttes à l’hôpital au risque  que ses enfants les lui subtilisent pour en faire des ballons gonflables. C’est ainsi qu’elle tombera enceinte et sera confrontée à un cruel dilemme : avorter pour se conformer à la politique officielle de l’enfant unique (qui, exceptionnellement, tolère trois enfants au Tibet, mais pas un de plus) ? ou garder cet enfant comme le lui demande son mari auquel le lama vient de dire que son père récemment décédé est sur le point de se réincarner ?

Pema Tseden n’est plus un inconnu. C’est le troisième film de ce réalisateur tibétain qu’on voit en France après Tharlo, le berger tibétain en 2018 et Jinpa, un conte tibétain en 2020. Comme les deux précédents, il séduira les cinéphiles en quête d’exotisme, une niche que la distribution française a bien identifiée en lui proposant régulièrement des films qui se déroulent dans les paysages infinis du Tibet ou de Mongolie (La Femme des steppes, le Flic et l’Œuf, L’Histoire du chameau qui pleure, Le Chien jaune de Mongolie, Le Mariage de Tuya).

J’avais reproché aux deux précédents films de Pema Tseden leur maniérisme et leur esthétisme un peu vain. Je leur avais mis une étoile seulement. Je serai plus indulgent avec celui-ci qui s’inscrit dans une veine plus naturaliste et renonce aux afféteries wongkarwai-esques qui les parasitaient. À mi-chemin du documentaire et de la fiction, Pema Tseden narre les jours et les heures d’une famille de fermiers – filmant par exemple la curieuse façon de négocier le prix d’une brebis ou la veillée funéraire du grand-père défunt.

Pour autant, je n’ai pas été totalement transporté. J’adresserai à ce film deux critiques. La première est sa trop longue exposition, l’intrigue tardant à se mettre en place avant une bonne soixantaine de minutes et s’égarant notamment dans des récits secondaires sans intérêt, telle celui de la sœur de Drolkar dont on comprend qu’elle a décidé d’entrer dans les ordres après avoir perdu sa vertu dans les bras d’un professeur. La seconde, qui n’est pas sans lien avec la première, est la trop grande soudaineté de sa conclusion qui, après avoir installé un suspense dont on se demande comment le scénario réussira à se sortir, ne le dénoue pas vraiment à force d’ambiguïtés.

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The Father ★★★★

Anthony (Anthony Hopkins) est un vieil homme au crépuscule de sa vie. Il vit seul dans son grand appartement londonien. Sa fille Anne (Olivia Colman) passe régulièrement lui rendre visite car sa condition se dégrade rapidement. Anthony est en effet atteint par la maladie d’Alzheimer qui le rend chaque jour plus confus. Anne doit lui annoncer la décision qu’elle vient de prendre : ayant rencontré un nouveau compagnon, elle a choisi de le suivre à Paris, l’obligeant à placer son père en institution.

The Father arrive sur nos écrans précédé d’une réputation élogieuse. Il s’agit de l’adaptation de la pièce à succès de Florian Zeller, créée à Paris en 2012 avec Robert Hirsch, déjà auréolée d’un succès planétaire. Son créateur a réalisé lui-même son adaptation cinématographique qu’il est allé tourner à Londres. Bien que le film ne soit pas sorti en salles en 2020, il a obtenu six nominations aux Oscars et en a remporté deux : le prix du meilleur acteur pour Anthony Hopkins et celui de la meilleure adaptation pour Florian Zeller et Christopher Hampton (l’immense scénariste britannique qui avait déjà signé notamment les scénarios des Liaisons dangereuses, de Carrington, de Reviens-moi ou de Perfect Mothers).

Ces éloges sont amplement mérités. On aurait pu redouter qu’ils parasitent la réception de ce film, que les attentes qu’ils auraient suscitées soient déçues, qu’il s’agisse en particulier d’un énième film tire-larmiste sur Alzheimer et les dégâts que cette maladie terrible cause, après Floride, Se souvenir des belles choses, Remember Me, Loin d’elle (un des films les plus bouleversants que j’aie jamais vu, adapté d’une courte nouvelle du prix Nobel Alice Munro), le dessin animé espagnol, remarquable de justesse La Tête en l’air, Still Alice qui valut à Julianne Moore un Oscar de la meilleure actrice en 2015, Les Plus Belles Années d’une vie, le dernier – et oubliable – Lelouch en date…. On pense aussi – même si je ne me souviens plus si son héroïne souffrait de cette maladie – à Amour, le chef d’oeuvre étouffant de Michael Hanneke et à Falling de Viggo Mortensen dont la sortie la semaine dernière vient percuter celle de The Father cette semaine.

Pourtant, le propos de The Father est sans surprise. Le résumé que j’en ai fait, comme ceux qu’on en lit, partout, aurait peut-être pu laisser augurer un de ces films hollywoodiens au twist improbable : Anthony ne souffrirait pas d’Alzheimer mais serait la victime innocente de sa fille, moins aimante qu’il n’y paraît, manipulée par un époux machiavélique (Rufus Sewell, le héros de la série Le Maître du haut chateau) pour faire passer son père pour fou et le chasser de son appartement. Il n’en est rien et c’est tant mieux : son sujet, son seul sujet est bien Alzheimer et la confusion que cause cette terrible maladie dégénérative aux ressorts médicaux encore inconnus.

Comment la filmer ? C’est là que Florian Zeller fait preuve de génie. Il aurait pu nous montrer, comme on s’était préparé à le voir et comme l’affiche un peu gnangnan du film nous l’avait laissé escompter, un face-à-face : d’un côté, Anthony Hopkins en chêne-qu’on-abat, figure emblématique du vieil homme digne que la maladie lentement fissure ; de l’autre Olivia Colman (qui fut si parfaite dans The Crown que je n’arrive plus à la regarder sans voir Elizabeth II et esquisser une révérence) en incarnation de l’amour filial sacrificiel, condamné par avance à échouer à enrayer la progression du mal.

il y a de ça bien sûr dans The Father. Mais il y a surtout autre chose. Florian Zeller ne se contente pas de montrer Alzheimer ; il la filme de l’intérieur en se glissant dans le cerveau dérangé d’Anthony. Comment fait-il ? En nous montrant la réalité distordue que son cerveau fabrique.
Dans un livre, le procédé est courant et facile. On peut écrire : « Ce matin, il rasa sa moustache » sans pour autant être absolument certain que le héros ait réellement rasé ladite moustache ou que, au contraire, comme d’ailleurs ses proches vont le lui dire toute la journée et les jours suivants, il ait imaginé dans son esprit confus avoir rasé une moustache qu’il n’avait jamais portée.
Au cinéma, le procédé semble a priori impossible : si on voit le héros se raser sa moustache, c’est, sans l’ombre d’un doute possible, qu’il en avait une.
Sauf si…. sauf si l’image que l’on voit n’est pas réelle mais produite par l’esprit du personnage. Tel est précisément le procédé, qui flirte avec le fantastique polanskien, que Zeller utilise dans The Father ouvrant sous les pieds de Anthony – et sous ceux des spectateurs époustouflés qui l’accompagnent dans sa chute – un abîme et un abyme.
L’abime, c’est le vertige qu’éprouve le héros devant son état dégradé. Une réalité que le film nous fait toucher du doigt et nous fait partager jusqu’à son ultime scène qui se voudrait la plus déchirante – même si j’y vois le seul point faible du film.
La mise en abyme, c’est le récit déstructuré d’un temps dilaté où les temporalités se confondent et se superposent, où les lieux se ressemblent et se rassemblent, où les personnages intervertissent leur rôle. L’épisode le plus magistral, celui qu’on montrera dans les écoles de cinéma, étant cette discussion autour de la table du repas auquel Anthony assiste – ou croit assister – dont les derniers mots sont les échos vertigineux des premiers.

Bien sûr, on m’opposera que The Father n’est pas bien gai, qu’en ces jours de déconfinement, on n’a pas envie de s’enfermer dans un appartement londonien, aussi cossu soit-il, en compagnie d’un vieillard malade, même s’il est interprété par le cannibale du Silence des agneaux ou le majordome de Les Vestiges du jour. Dont acte. Mais qui a dit que le cinéma devait être gai ?

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Si le vent tombe ★☆☆☆

Alain Delage (Grégoire Colin) est un Français, travaillant pour une compagnie d’audit. Il a été missionné au Haut-Karabakh, cette enclave arménienne en Azerbaïdjan, pour y autoriser la réouverture de l’aéroport international de Stepanakert. Il débarque dans un aéroport fantôme, trop proche de la ligne de cessez-le-feu pour qu’aucun avion ne prenne le risque d’y atterrir, et suscite chez ses hôtes l’immense espoir d’un avis positif qui desserrerait l’étau qui les broie.

Le premier film de Nora Martirosyan, qui sort enfin en salles après bien des rebondissements, veut nous faire toucher du doigt une réalité géopolitique fascinante : celle du Haut-Karabakh, un territoire grand comme deux départements français seulement, dont le tiers de sa population d’à peine 150.000 habitants vit dans sa capitale, Stepanakert. Cette enclave arménienne en Azerbaïdjan est, depuis la chute de l’URSS, un sujet de tension entre Bakou et Erevan. Une première guerre s’y déroula entre 1988 et 1994 aboutissant à un cessez-le-feu fragile. Une seconde éclata l’automne dernier qui se solda par la victoire des forces azéries, avec le soutien de la Turquie, et l’annexion des deux tiers de  l’enclave.

C’est ce contexte très lourd que raconte Si le vent tombe. Nora Martirosyan aurait pu choisir la voie du documentaire. Elle lui préfère celle de la fiction. Elle filme un lieu fantomatique : un aéroport sans avions. Son héros est un Français sans passé qui découvre, sans a priori, la situation d’un territoire qu’il n’imaginait pas. Plusieurs Arméniens croisent sa route : le directeur de l’aéroport qui essaie patiemment de lui expliquer le contexte, un jeune porteur d’eau en guenilles qui traîne sur les pistes, un ancien combattant, une jolie journaliste (dont l’idylle cousue de fil blanc avec le héros nous est de justesse épargnée)…

Si le vent tombe nous fait découvrir une réalité géopolitique passionnante et méconnue ; mais l’histoire qu’il raconte, aussi intéressant qu’en soit le pitch, manque trop de chair pour satisfaire les attentes que le résumé de ce film avait suscitées.

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Mandibules ☆☆☆☆

Amis pour la vie, Jean-Gab (David Marsais) et Manu (Grégoire Ludig) n’ont pas inventé le fil à couper le beurre. Associé à une combine louche – apporter contre 500 euros une mystérieuse mallette à son riche propriétaire – Manu vole une vieille Mercédès dont le coffre  contient… une mouche géante. Sans guère d’hésitation, les deux compères abandonnent leur mission pour dresser la mouche. Ils kidnappent le propriétaire d’un camping car (Bruno Lochet) avant de croiser la route de Cécile (India Hair) qui croit reconnaître dans Manu un ancien amoureux. Cécile habite avec son frère (Romé Elvis) et deux amies (Adèle Exarchopoulos et Coralie Russier) la grande villa de ses parents en bord de mer où elle accueillera quelque temps Jean-Gab, Manu… et leur mouche géante.

Quentin Dupieux creuse dans le cinéma français un sillon bien à lui : celui d’un humour absurde qui divise les spectateurs. La moitié se gondole tandis que l’autre ne rit pas et ne comprend pas l’hilarité de la première moitié de la salle, qui lui semble de plus en plus incompréhensible et exaspérante, ce qui la conduit, dans un cercle vicieux d’une logique implacable, à trouver encore moins plaisant un spectacle qu’elle ne goûtait guère…

Hélas, j’appartiens à la seconde moitié.
Cela ne m’a pas empêché, avec le masochisme qu’on me connaît, de sortir de mon lit pour voir tous les films de Dupieux (lol) : Steak mettait déjà en scène deux amis (Eric & Ramzy) passablement demeurés, Rubber suivait les traces d’un pneu tueur en série (sic), Wrong racontait la disparition d’un chien et l’enquête de son maître pour le retrouver, Au Poste ! (avec déjà Grégoire Ludig) retraçait le quotidien d’un poste de police, Le Daim avait pour héros un Jean Dujardin…. qui se prenait pour un daim.

Replacé dans sa filmographie, Mandibules ne détonne pas. Pire : il n’étonne plus. L’effet de surprise sinon de sidération produit par les premiers films de Quentin Dupieux ne joue plus. On sait par avance à quoi s’attendre…. et on est d’autant plus déçu de ne pas en rire. Le duo vedette du Palmashow ? Deux acteurs vidés de leurs verves par des rôles surjoués et des dialogues sans étincelles. Une mouche géante ? Son apparition, annoncée par le running gag le plus besogneux qui soit (« T’as pas entendu un bruit ? »), est censée être le moment le plus drôle du film… c’est dire… Adèle Exarchopoulos dans le rôle d’une handicapée dysphonique ? Elle m’a fait penser à Zézette, le personnage du Père Noël est une ordure interprétée par Marie-Anne Chazel, la drôlerie en moins.

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