Remorques ★★☆☆

Le capitaine André Laurent (Jean Gabin) commande Le Cyclone, un remorqueur basé à Brest qui secourt les navires en perdition en haute mer. Sa femme Yvonne (Madeleine Renaud) lui cache la grave maladie qui la ronge. À l’occasion d’une opération de sauvetage, le capitaine Laurent rencontre Catherine (Michèle Morgan) et en tombe éperdument amoureux au point de délaisser et sa femme et son équipage.

Remorques est un grand classique du cinéma français dont l’entrée en guerre de la France en septembre 1939 et la mobilisation de Gabin (qui obtiendra une permission spéciale pour achever ce film) et de Grémillon avaient retardé de deux ans le tournage : réalisation de Jean Grémillon, dialogues de Jacques Prévert (qui avait déjà signé pour Gabin ceux de Quai des Brumes et de Le Jour se lève), scénario de André Cayatte inspiré d’un livre de Roger Vercel (qui avait décroché le Goncourt quelques années plus tôt pour Capitaine Conan). Et Gabin-Morgan le couple le plus photogénique de l’époque qui répète à l’identique la scène mythique de Quai des brumes : « T’as de beaux yeux tu sais / Embrassez moi ». On a tous vu, sans l’identifier toujours, leur photo sur la plage du Vougot à Guissény, les cheveux battus par les vents.

Remorques s’inscrit volontiers dans une veine naturaliste – comme le cinéma de Renoir qui filmait la vie du rail dans La Bête humaine. Ici c’est la vie ô combien héroïque des sauveteurs en mer que Grémillon entend dépeindre, une activité qui perdure jusqu’à nos jours dans le port de Brest avec le remorqueur Abeille Bourbon. Mais les moyens de l’époque – qui reconstituent une tempête aux studios de Billancourt avec des maquettes dérisoires noyées dans un seau d’eau – prêtent aujourd’hui à sourire à supposer qu’elles aient semblé crédibles aux spectateurs de l’époque.

Remorques a donc vieilli. Mais il a bien vieilli. Ses artifices désuets, ses personnages mélodramatiques portent la marque d’une époque révolue. Remorques enchantera les cinéphiles qui aiment les films de cette époque. Pas sûr en revanche qu’il enthousiasme les autres.

Moi, Tonya ★★★☆

Une petite leçon de rattrapage pour ceux qui, en janvier 1994, ne s’intéressaient pas au patinage artistique et/ou n’avaient pas encore atteint l’âge de raison : à quelques semaines des Jeux olympiques de Lillehammer, la patineuse Nancy Kerrigan était tabassée. Une autre patineuse, Tonya Harding, elle aussi en lice pour la qualification aux J.O., fut  accusée d’avoir fomentée cette agression.

Moi, Tonya est un faux documentaire qui revient sur un fait divers qui, quelques mois avant l’affaire O.J. Simpson, avait tenu l’Amérique en haleine et marqué les débuts de l’info en continu. Ses principaux protagonistes, interprétés par des acteurs professionnels, sont interviewés face caméra, comme le seraient les participants à une enquête télévisée.

Mais Moi, Tonya s’intéresse moins à « l’incident » de janvier 1994 qu’à la vie de Tonya Harding. Abandonnée par son père, élevée par une mère violente, trop tôt mariée à un parfait loser, Tonya Harding était une « white trash » dans un sport qui ne lui a pas laissé sa chance.

Le scénario de Steven Rogers est subtil qui évite le manichéisme. Il donne la part belle à Tonya Harding, que campe une Margot Robbie enlaidie, une gageure pour l’actrice sans doute la plus sexy du moment (je ne me suis pas remis de sa scène dans Le Loup de Wall Street). Mais pour autant, Moi, Tonya n’instruit pas le procès en réhabilitation de l’athlète la plus haïe de l’histoire du patinage artistique. Si Tonya démontre un courage admirable, physique et psychologique, face à l’adversité, elle n’en affiche pas moins un refus buté d’accepter ses responsabilités.

C’est avec un humour jubilatoire, qui rappelle celui des frères Cohen, que ces pauvres types décérébrés et violents sont croqués. Il faut rester jusqu’au bout du générique, qui nous montre les interviews des véritables protagonistes pour constater avec effarement que la réalité surpassait la fiction : Tonya, sa coiffure ridicule, ses tenues impayables, son mari bas du front avec son inénarrable moustache, sa mère (interprétée avec une délectation sadique par Allison Jeanney l’inoubliable porte-parole de la Maison-Blanche dans West Wing) et un garde du corps glouton et mythomane…

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Wajib – L’invitation au mariage ★☆☆☆

Un père marie sa fille. Comme le veut l’usage en Palestine, il sillonne Nazareth pour remettre en mains propres aux invités les invitations à la cérémonie. Son fils l’accompagne, qui a choisi le chemin de l’exil.

On comprend vite l’intention de Annemarie Jacir, une jeune réalisatrice palestinienne à l’œuvre délicate. Elle est double. D’une part, faire la radioscopie de la société palestinienne à travers les amis que les deux protagonistes rencontrent au fil de leur pérégrination : Chrétiens ou Musulmans, riches ou pauvres, conservateurs ou modernistes, pro- ou anti-OLP… D’autre part, brosser le portrait d’un père et de son fils que la vie a éloignés, sur lesquels plane la figure de la mère absente, partie vivre avec un autre à l’étranger. Le père a choisi de rester en Palestine et de s’y accommoder des difficultés d’un régime d’occupation, quitte à nouer avec des Juifs des liens d’amitié que le fils réprouve. Le fils lui, a choisi de vivre à l’étranger, en Italie, dans le souvenir idéalisé d’un pays qui a bien changé depuis son départ.

Le projet du film est estimable. Sa réalisation est loin d’être mauvaise, servie par l’interprétation impeccable de ses deux protagonistes principaux, père et fils à l’écran comme à la ville. Le problème de Wajib est que le fil qui le tient est trop ténu pour susciter l’intérêt. On se lasse vite de la déambulation de ce père et de son fils, de leurs rencontres répétitives, de leur dialogue à fleurets mouchetés et de leurs franches engueulades.

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La Forme de l’eau ★☆☆☆

C’est l’histoire d’un homme-poisson que des méchants ont emprisonné et que des gentils veulent libérer.

Je pourrais – comme je  m’évertue à le faire chaque matin – faire un effort et vous présenter un résumé autrement plus élaboré de La Forme de l’eau. Je pourrais vous dire que son action se déroule au début des années soixante, en pleine Guerre froide, à Baltimore, que son héroïne est une jeune femme muette employée comme femme de ménage dans une base secrète de l’armée américaine, qu’une créature aquatique, mi-poisson, mi-homme, y a été capturée et y est soumise aux pires sévices par un gardien sadique, que notre héroïne se prend de compassion pour la mystérieuse créature et décide de la libérer avec l’aide d’une collègue noire, d’un voisin homosexuel et d’un espion russe. Mais ce serait bien long pour un scénario qui, tout bien considéré, se résume aisément en une phrase plus courte.

Je plaide coupable par avance car La Forme de l’eau est le grand favori des Oscars – et que je n’aurais rien à redire à sa victoire annoncée sur les autres films nommés, tels Get OutPhantom Thread ou 3 Billboards qui ne m’ont guère plus convaincu. Mais ce plébiscite critique et public ne m’empêchera pas de faire entendre une voix dissonante. La créature filmée « dans une diaprure bleu-vert » (dixit Le Monde) ? Le copier-coller de la créature du lagon noir sorti en 1954 – qui fut le premier film visionnable en trois dimensions grâce à des lunettes bicolores. L’héroïne muette ? Un personnage dont on ne comprend pas le traumatisme originel et l’étonnante attirance pour l’eau – dans laquelle elle se livre chaque matin à des libations étonnamment lestes pour un film tout public. Les autres personnages ? une galerie politiquement correct de ce que tout ce que l’Amérique compte de minorités opprimées.

Vous avez aimé La petite sirène de Walt Disney ? Vous aimerez peut-être Le grand triton de Guillermo del Toro [je viens de passer deux heures à chercher l’équivalent masculin de la sirène et ne me cherchez pas des poux dans la tête si le triton ne correspond pas tout à fait]. La somptuosité gothique des décors ? la merveilleuse histoire d’amour ? l’hymne à la tolérance ? Je n’ai vu dans le conte de fées de Guillermo del Toro à la naïveté assumée qu’une historiette simpliste aux personnages manichéens et à l’intrigue cousue de fil blanc.

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Corps étranger ★☆☆☆

Samia a fui son son pays pour gagner la France. Elle y retrouve Imed, un ami de son frère, qui lui offre l’hospitalité. Samia, qui vit dans la peur d’être arrêtée et expulsée, trouve un travail chez Laila, une riche bourgeoise, qui vient de perdre son époux. Laila prend Samia sous son aile. Mais Imed se montre vite jaloux.

Raja Amari s’était fait connaître en 2002 en tournant Satin rouge, un film sur une mère de famille trop sage qui s’adonne à la danser du ventre dans un cabaret. C’était la première fois qu’Hiam Abbas occupait la tête de l’affiche. Depuis l’actrice palestinienne a fait la carrière qu’on sait en France, au Moyen-Orient et même aux États-Unis (on l’a vue au casting de Blade Runner 2049 ou du Munich de Spielberg). Pendant ce temps, la jeune réalisatrice tunisienne a disparu, sortant un seul film en 2010.

Raja Amari retrouve son actrice fétiche quinze ans après Satin rouge. Elle a vieilli, mais pas vraiment changé. À cinquante ans passé, Hiam Abbas joue le rôle d’une femme dont le mariage lui a permis de s’intégrer à la société française mais dont le veuvage la laisse désemparée. La relation qu’elle noue avec la jeune Samia est ambigüe. Elle l’accueille comme une mère, l’héberge, lui achète des vêtements, lui donne de l’argent. Mais, sevrée de tout contact physique depuis la mort de son mari, Laila nourrit envers Samia des sentiments plus troubles.

Imed vient compliquer cette relation – qu’illustre à merveille la belle affiche du film. Par délégation du frère de Samia, emprisonné au pays pour son intégrisme religieux, il veille sur elle. Il fait peser sur la jeune femme le double interdit de la religion et de la tutelle masculine. Corps étranger est l’histoire de ce trio, ou plutôt de ce quatuor car le frère quoiqu’absent et invisible – on ignore s’il est encore en prison ou s’il s’en est échappé pour la France – est présent dans tous les esprits.

La première moitié du film est stimulante qui met lentement ce trio en place. La seconde moitié déçoit qui peine à l’exploiter. Après une scène phare qui réunit dans l’appartement cossu de Laila les trois protagonistes, ivres d’alcool, de musique et de solitude, Corps étranger se dégonfle. Comme si le scénariste avait manqué d’idées pour exploiter une situation pourtant riche de potentialités. Dommage…

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Les Amants diaboliques ★☆☆☆

Gino Costa, un vagabond, descend d’un camion et pénètre dans une station service dans la plaine du Pô. Elle est tenue par Bragana, un vieux barbon, marié à Giovanna, une femme trop jeune pour lui. Entre Gino et Giovanna, c’est le coup de foudre. Sous prétexte de donner un coup de main à Bragana, Gino se fait embaucher. Mais dès que le mari a le dos tourné, il rejoint sa femme.
Les deux amants échafaudent des plans d’évasion. Mais Giovanna renonce à suivre Gino qui rêve de prendre la mer et quitter l’Italie. Finalement, un soir où ils reviennent tous les trois plus soûls que de raison, les deux amants optent pour l’option la plus macabre : se débarrasser de Bragana en maquillant un meurtre en accident de la route. Tandis que la police mène son enquête, Gino et Giovanna sont rongés par la culpabilité.

Les Amants diaboliques (aussi connu sous son titre original Ossessione) est un film marquant de l’histoire du cinéma. Selon certains historiens, le tout premier film de Luchino Visconti marque le début du néo-réalisme – même si d’autres le situent quelques années plus tard avec Rome ville ouverte (1945), Le Voleur de bicyclette (1947) ou Riz amer (1949). Les raisons de ces hésitations tiennent au sujet des Amants diaboliques qui est inspiré d’un roman noir américain de James M. Cain Le Facteur sonne toujours deux fois (1934).
Le roman de James M. Cain connut une extraordinaire postérité puisqu’il eut pas moins de quatre adaptations, toutes exceptionnelles. La première en France, avec Michel Simon en 1939 qu’avait vu le jeune Visconti qui y travaillait alors aux côtés de Jean Renoir. La deuxième donc en Italie en 1943, même si le livre n’est pas crédité au générique car la déclaration de guerre entre l’Italie et les États-Unis en décembre 1941 avait empêché la négociation des droits – cette sombre histoire de droits allait interdire la sortie des Amants aux États-Unis jusqu’à la mort de James M. Cain en 1977. La troisième aux États-Unis en 1946 avec Lana Turner. Et la dernière dans un remake de 1981 avec Jack Nicholson et Jessica Lange dont une scène avait fait scandale. On la devine dans la version de Visconti lorsque les deux amants se rencontrent dans la cuisine de Giovanna ; on la montre quarante plus tard dans le film de Bob Rafelson où Nicholson et Lange font furieusement l’amour sur la table au milieu de la farine et des œufs écrasés.

Les Amants diaboliques est un vrai plaisir de cinéphile. Tourné en plein fascisme, ce film qui parle d’érotisme, de meurtre et de misère sociale, étonne par sa liberté de ton. Visconti lui même aurait été étonné de n’avoir pas subi les foudres de la censure. Il aurait dit-on bénéficié de la protection de la propre fille du Duce. La tension érotique entre Clara Calamaï, l’actrice la plus célèbre des années de guerre, et Massimo Girotti est palpable. Les scènes d’extérieur, qui feront la marque du cinéma néo-réaliste, sont exceptionnelles.

Alors pourquoi une étoile seulement ? Parce que le film s’étire durant deux heures vingt. Une durée interminable pour un sujet qui aurait pu être ramassé en une heure de moins. Je me souviens déjà avoir trouvé les deux films américains bien longs (Le Facteur de 1946 dure cent-treize minutes, celui de 1981 cent-vingt). Si la rencontre des deux amants est électrique, le temps qu’ils prennent à décider de tuer le mari cocu, puis à regretter leur acte, est bien long.

Un jour ça ira ★☆☆☆

L’Archipel est un centre d’hébergement en plein Paris qui accueille, dans les anciens locaux de l’Institut national de la protection intellectuelle, avant leur réfection, des familles étrangères. Les frères Zambeaux y ont posé leur caméra, s’attachant notamment à deux pré-ados d’une douzaine d’années, Djibi et Ange. Djibi  vit avec sa mère immigrée du Sénégal ; Ange est seule avec son père. Grâce aux ateliers d’écriture et de chant qui leur sont proposés, Djibi et Ange créent un peu de beauté et d’espoir.

Pendant douze ans Edouard Zambeaux a présenté Périphéries sur France Inter. Il s’y intéressait aux marginaux, aux petits, aux sans-grades. C’est avec la même empathie qu’il filme les familles du 115, le numéro d’urgence des mal-logés, ballottés d’hôtels en meublés. Djibi les appelle les « serial déménageurs ».

Un jour ça ira décrit la vie des occupants, l’ennui de leurs journées sans but, l’inquiétude que suscite la fermeture imminente de l’Archipel et le relogement hypothétique de ses résidents. Il décrit aussi le travail remarquable de dévouement des travailleurs sociaux qui en assurent la gestion et qui animent les activités proposées aux jeunes. On ne peut, en particulier, s’empêcher de saluer le talent de la chanteuse-parolière-pianiste Peggy Rolland dont la voix et la rythmique permettent, le temps d’une chanson, de faire oublier les couacs de ses élèves pas toujours doués.

Un jour ça ira a le défaut de ses qualités. L’émotion qu’il nous fait partager est parfois un peu trop racoleuse. La larme qu’il nous fait verser est souvent de trop. Autrement plus critiques et autrement plus convaincants étaient les documentaires sur l’accueil en Cada (Les Arrivants, 2008) et sur l’apprentissage du français à des jeunes étrangers (La Cour de Babel, 2013).

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L’Insoumis ★★☆☆

Gilles Perret, savoyard revendiqué, s’est fait une réputation de documentariste sérieux et engagé en traitant à bras le corps des sujets austères : l’histoire industrielle (De mémoire d’ouvriers, 2011), la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance (Les Jours heureux, 2012), la création de la Sécurité sociale (La Sociale, 2016).
Il a suivi au jour le jour la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon de février à avril 2017.

Difficile de critiquer un documentaire sur Jean-Luc Mélenchon sans critiquer Jean-Luc Mélenchon. Car le personnage clive. Soit il séduit ; soit il horripile.

Gilles Perret n’avance pas masqué. De gauche voire d’extrême-gauche, il confesse sa sympathie pour le candidat de la France insoumise ou, à tout le moins, pour les idées qu’il a portées durant cette campagne présidentielle chamboule-tout. Il ne nous fait pas croire en une impossible neutralité – que revendiquait Depardon en 1974 mais que tout son fameux documentaire 1974, une partie de campagne contredit.

Et l’image qu’il donne de Jean-Luc Mélenchon est largement positive. Ses qualités sont exaltées : sa formidable énergie, sa capacité de travail, son aisance oratoire et surtout son attachement aux petits, aux sans-grades. Ses défauts sont excusés : ses accès de colère sont présentées comme une force de caractère et un signe d’authenticité, son histrionisme est la marque d’une légitime ambition, son soi-disant autoritarisme est corrigée par les nombreuses séquences où on le voit recueillir les avis et les conseils de son comité de campagne.

Est-ce à dire que le portrait de Gilles Perret vire à l’hagiographie ? Ce serait lui faire un procès injuste. Car Gilles Perret est sincère. Sincère quand il décrit un candidat vieillissant, agacé par le jeunisme d’un Macron, incapable de lire autrement qu’à travers les œillères étriquées d’un marxisme daté. Sincère quand il le suit le soir du premier tour, convaincu qu’il se qualifiera d’un cheveu pour le second, s’accrochant aux sondages qui le lui font miroiter et tardant, du coup, à accepter la défaite et à appeler à voter pour Emmanuel Macron et contre Marine Le Pen.

Quelle que soit l’opinion qu’on a de Jean-Luc Mélenchon, L’Insoumis mérite d’être vu. Il ne fera changer d’avis personne : ceux qui l’aiment l’aimeront sans doute un peu plus – et verseront une larme sur cette campagne pleine d’espoir. Ceux qui le détestent ne le détesteront pas moins – même si peut-être ils lui reconnaîtront plus d’humanité qu’ils ne lui en avaient soupçonné.

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The Ride ★☆☆☆

En décembre 1890, trois cents Sioux lakota sont massacrés par le 7ème de cavalerie à Wounded Knee. Pour entretenir leur mémoire, leurs descendants entreprennent chaque année une chevauchée commémoratives de plusieurs de centaines de kilomètres à travers les plaines enneigées du Dakota. La documentariste Stéphanie Gillard les a suivis.

Mise à part une brève introduction très pédagogique qui nous explique les événements historiques de la fin du dix-neuf siècle, The Ride adopte un parti pris radical et minimaliste. Le documentaire commence le premier jour de la chevauchée et se termine à son arrivée à Wounded Knee. Ni plus ni moins. Pas de voix off. Pas d’inserts. Un documentaire qui alterne de longs plans séquences filmant en panoramique la caravane qui s’achemine lentement et des discussions, à la veillée, avec des anciens ou des plus jeunes.

Car cette chevauchée, on le comprend vite, a une vocation pédagogique. Il s’agit pour les aînés de transmettre aux plus jeunes le souvenir de leur histoire. Ils le font avec une grande douceur, sans désir de vengeance ce qui donne à The Ride un parfum de western mélancolique. Sans quitter la petite communauté des cavaliers, on comprend vite qu’elle est isolée au milieu des États-Unis, qui ont dépossédé les Amérindiens de leur identité culturelle. (Mal) intégrés, ils parlent anglais, portent des jeans et vivent comme des Américains de la classe pauvre. Juchés sur leurs chevaux, avec leurs bâtons de prière, ces descendants des Sioux massacrés à Wounded Knee sont tout à la fois majestueux et dérisoires.

Le problème est que The Ride manque de souffle et que l’interprétation (stimulante ?) que je viens d’en faire est plus le produit d’une relecture a posteriori que d’un ressenti sur le coup. En se bornant à suivre la morne caravane, qui traverse la plaine gelée sans qu’aucune péripétie ne vienne égayer sa lente pérégrination, Stéphanie Gillard n’échappe pas à l’ennui qui bientôt s’installe et ne nous quittera plus.

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L’Apparition ★★★★

Reporter de guerre, traumatisé par la mort de son photographe en Syrie, Jacques Mayano (Vincent Lindon) est mystérieusement convoqué au Vatican. On lui propose d’y présider une commission d’enquête canonique. Une jeune novice (Galatea Bellugi), dans les Alpes françaises, prétend avoir vu apparaître la Vierge. Couvée par un prêtre en rupture de ban (Patrick d’Assumçao), cette jeune orpheline élevée en foyer qui vient de rejoindre un couvent de moniales avait seize ans à peine au moment des faits. Des pèlerins affluent en masse sur les lieux de l’apparition, inquiétant à la fois les autorités civiles et religieuses.

Cinéaste de la mystification, le réalisateur de Marguerite et À l’origine s’avance sur le terrain miné de la foi. Il traite une apparition mariale sur le mode du thriller – en confiant bizarrement le soin de l’enquête non à un policier mais à un journaliste. Et il y réussit magistralement, multipliant les fausses pistes et les rebondissements.

Il y est aidé par une distribution impeccable. Vincent Lindon joue toujours le même rôle : celui du type taiseux et bourru qui ne comprend pas, s’interroge et s’énerve. mais ce rôle là lui va comme un gant et colle au personnage de Jacques Mayano. Déjà remarquée dans les excellents Réparer les vivants et Keeper, deux de mes films préférés de l’année 2016, Galeata Bellugi irradie. Ses yeux bleus, sa peau diaphane, sa voix douce donnent au personnage de la jeune voyante une crédibilité sans laquelle le film aurait boîté.

Mais le thriller a ses limites : il appelle une fin simple où l’on voit l’enquêteur élucider le mystère. Et bien souvent cette élucidation est plus décevante que l’enquête qui y a conduit. Ici, le problème semble binaire : soit les apparitions ont eu lieu, soit elles sont le produit du cerveau malade d’une jeune fille mythomane. Tout le film navigue entre ces deux possibilités et nous fait toucher du doigt la difficulté de prouver aussi bien la réalité d’un phénomène paranormal (comment « prouver » une apparition mariale ?) que son inexistence (comment apporter la preuve négative que la Vierge n’est pas apparue ?).

La critique hélas n’a pas le droit de révéler la solution de l’énigme. Elle est étonnante. Je lis ici ou là qu’elle est artificielle. Le Monde, qui a la dent dure, évoque – non sans humour – un deus ex machina. Bien au contraire. J’ai rarement vu conclusion plus intelligente, résolution d’une énigme plus subtile et plus appropriée. Elle tient à distance le mensonge et la vérité et dépasse l’alternative simpliste dans laquelle le scénario semblait s’être enferré. Surtout, elle esquisse une voie de sainteté inattendue loin du Barnum ridicule des lieux de pèlerinage, vers une démarche plus modeste de pardon, de sacrifice et d’amour.

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