La Belle Affaire ★☆☆☆

Nous sommes en 1990 à la veille de la réunification allemande. Un quatuor d’Allemands de l’Est en rupture de ban mettent la main sur une montagne d’Ostmark voués à la destruction. Ils ont trois jours pour les échanger.

Sandra Hüller (Toni Erdmann, Sibyl, Anatomie d’une chute, La Zone d’intérêt), Max Riemelt (La Vague, Matrix 4) et Ronald Zehrfeld (Barbara, Phoenix, Fritz Bauer, un héros allemand) sont des acteurs allemands quadragénaires qui ont acquis, dans leur pays et à l’étranger, une certaine renommée. On a un peu l’impression que la réalisatrice leur a proposé de se retrouver quelques jours ensemble pour un tournage sympathique.

Ils s’en donnent à cœur joie dans une comédie qui s’inspire de faits réels, rappelés par les images d’archives qui accompagnent le générique de fin. Profitant du délai laissé aux Allemands expatriés pour changer leurs DDM au taux de deux pour un – ce qui éclaire le titre original Zwei für Eins – des Allemands de l’Est qui avaient réussi à mettre la main sur des sacs de vieux billets froissés ont décroché le jackpot.

L’arnaque est tellement compliquée, elle suppose la participation d’un si grand nombre de personnes, qu’on peine à croire qu’elle ait pu réussir, en tous cas pas avec le même épilogue que dans le film. Il s’agit, si je l’ai bien compris, d’acheter à vil prix en Ostmark des produits électroménagers à l’Est et d’aller les revendre à l’Ouest au taux fort.

Moins que cette arnaque compliquée, le vrai sujet du film est l’Ostalgie, la nostalgie paradoxale que nourrissent les Allemands de l’Est pour la période honnie et pourtant regrettée du communisme. Le film qui en a lancé la mode, avec le succès que l’on sait fut Good Bye Lenin! (2003). Etalon indépassable que La Belle Affaire hélas est bien loin de dépasser.

La bande-annonce

Septembre sans attendre ★☆☆☆

Après quatorze ans de vie commune, Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) ont décidé de rompre. Sans fracas ni bris de vaisselle. Bien au contraire ! Ils ont même décidé de célébrer l’événement en organisant une « fête de séparation » le dernier jour de l’été. Cette annonce plonge leurs amis dans la sidération, qui essaient par tous les moyens de les en dissuader.

Jonás Trueba est le fils de son père, le grand Fernando Trueba, et la nouvelle coqueluche du cinéma espagnol. Souvent comparé à Rohmer, il a deux acteurs fétiches : Itsaso Arana, sa compagne – qui est elle-même passée à la réalisation avec Les filles vont bien – et Vito Sanz. Septembre sans attendre peut d’ailleurs se lire comme le troisième (et dernier ?) volet d’une trilogie qui les met en scène : le premier, Eva en août, un film accueilli par une critique unanime, la mienne exceptée, racontait la naissance du sentiment amoureux ; le deuxième, Venez voir, la banalité quotidienne de la vie d’un couple ; le troisième met en scène sa séparation.

Décidément hermétique au cinéma de Jonás Trueba dont aucun des films n’a trouvé grâce à mes yeux (j’avais trouvé ambitieux et décevant son documentaire de 3h40 sur la jeunesse madrilène Qui à part nous), je reproche à Septembre sans attendre deux défauts.

Le premier est son postulat de base, que je trouve improbable. Qui aurait l’idée malaisante d’organiser une « fête de séparation » ? Quel en serait le déroulement ? Quels discours y seraient prononcés : « je souhaite beaucoup de bonheur à Nathalie et à Eric…. mais pas ensemble » ?! D’ailleurs [attention spoiler] le scénario ne sait pas comment s’en dépêtrer qui ne montre quasiment rien de cette fête alors que tout le film est consacré à ses préparatifs.

Le second est l’enjeu du film. Dès ses premières minutes, alors qu’on ne sait pas les motifs de la séparation d’Ale et d’Alex – et qu’on n’en saura rien – le principe de cette fête est arrêté. Dès lors, le film se réduit à l’annonce, répétitive, de cette échéance aux amis du couple, à son père à elle, à sa mère à lui. Et son seul enjeu devient : Ale et Alex se sépareront-ils comme ils l’ont décidé ou y renonceront-ils, comme tous leurs amis et tous les spectateurs le souhaitent et comme leur complicité manifeste le laisse augurer ?

J’ai lu que Septembre sans attendre serait une « comédie du remariage ». La coupe à la Kathrine Hepburn de Itsaso Arana en serait la preuve, ainsi que la référence au livre de Stanley Cavell À la recherche du bonheur qui en a théorisé la structure. Hélas, il n’a pas l’élégance frivole des meilleurs films de Hawks, de Capra ou de Lubitsch. Vendu, par Télérama et par une excellente amie expatriée en Roumanie comme une « comédie douce-amère », Septembre sans attendre n’est ni drôle, ni doux, ni amer, mais bavard et insipide. Ma belle-soeur et ma nièce avaient bien raison qui ont failli quitter la salle au bout de trente minutes !

La bande-annonce

La nuit se traîne ★★☆☆

Mady est serrurier à Bruxelles. Il se fait piéger par une jeune femme et fracture pour son compte la porte d’un appartement qui n’est pas le sien. Elle s’en échappe avec un magot laissant Mady aux prises avec son propriétaire et bientôt entre les mains d’un gang de criminels. Une course contre la montre commence : Mady doit retrouver, au péril de sa vie, la jeune fille et le magot avant l’aube.

La nuit se traîne nous vient de Belgique. Il est l’oeuvre d’un jeune réalisateur dont c’est le premier long. Le court-métrage de Michiel Blanchart T’es morte Hélène, primé à Gérardmer en 2021, avait été short-listé aux Oscars en 2022 et ses droits avaient été rachetés par Sam Raimi pour en faire l’adaptation.

La nuit se traîne est un polar rebondissant façon After Hours de Scorsese, qui plonge son héros contre son gré dans une spirale de violence dont il ne trouve pas l’issue. Le procédé est efficace, servi par un scénario sans temps mort et un solide casting. Jonathan Feltre n’a peut-être pas encore les épaules suffisamment larges pour endosser le rôle principal ; mais Romain Duris est particulièrement convaincant dans le rôle à contre-emploi de chef de gang sadique.

La nuit se traîne ne laissera probablement pas un souvenir impérissable. Mal distribué à la fin de l’été, il a vite quitté les écrans. Mais pour qui aime les thrillers haletants, il reste un spectacle distrayant en DVD ou VOD.

La bande-annonce

Toubib ★★★☆

Pendant douze années, de sa rentrée en première année de médecine à Besançon jusqu’à la soutenance de sa thèse en 2021 à la Timone à Marseille, Antoine Page a filmé son frère cadet.

On pourrait croire le sujet ultra balisé. Il l’est. L’hôpital en général, la formation des jeunes médecins en particulier ont fait l’objet d’une palanquée de fictions et de documentaires. Il suffit de citer Hippocrate ou Première Année. Le réalisateur Thomas Lilti semble s’être même fait une spécialité de ce sujet au point de l’ériger en nouveau genre cinématographique.

Pour autant, ce Toubib réussit à surprendre et à émouvoir.

On ne peut d’abord qu’être admiratif devant l’ambition de ce projet au long cours mené sur plus de dix années. On imagine les écueils qu’il a rencontrés, les aléas qu’il a subis. Combien de fois le réalisateur ou son frère ont-ils failli y renoncer avant de finalement le mener à bien et lui conserver, grâce à un montage intelligent, son unité ?

Toubib nous parle de médecine. Il interroge la formation des futurs médecins, obligés, durant la première année, à un bourrage de crâne qui sollicite moins leur intelligence que leur mémoire et leur endurance. À rebours des valeurs portées par la profession, la sélection ne retient pas les plus humains ni les plus altruistes, mais les plus endurants et les plus déterminés. Toubib interroge aussi le sens du soin, l’attention portée à l’autre, à sa souffrance, l’écoute nécessaire… Comme en a la révélation le jeune étudiant « la médecine, c’est très simple : ce sont quelques connaissances et beaucoup d’observation ».
Le propos est politique. Soigner les corps ne sert à rien dans une société malade. « Voter à gauche est le meilleur service à rendre à la santé publique » nous dit-il en riant lors d’un remplacement dans le désert médical des monts des Cévennes.

Mais Toubib est aussi un Bildungsroman. C’est la formation, de dix-huit à trente ans, d’un homme qu’on voit murir sous nos yeux en moins de deux heures. Toubib est servi par son héros : Angel , non content d’être très intelligent et diablement séduisant, est profondément sympathique. Le documentaire nous apprend qu’il a perdu son père dans son enfance et qu’il marche sur ses traces en devenant, comme lui, médecin généraliste. Mais sa vocation n’est pas purement le produit de l’hérédité. Elle s’affine avec l’expérience. Sous nos yeux, Angel devient médecin social, façon Bardamu, dans les quartiers nord de Marseille.

Cette évolution est d’autant plus émouvante qu’elle a été filmée par son propre frère. On s’imagine ce qui s’est noué entre eux pendant le tournage, le lien fraternel qui a utilisé ce prétexte pour se prolonger et peut-être se renforcer après la fin de l’enfance. La pudeur avec laquelle il est suggéré ne le rend que plus touchant.

La bande-annonce

Girls Will Be Girls ★★☆☆

Mira a seize ans. Elle est l’élève modèle d’un pensionnat situé dans l’Uttarakhand, sur les contreforts himalayens. Elle vient même d’en être élue « préfète », une première dans ce lycée mixte. Y règne une discipline de fer qu’elle a désormais la charge de faire respecter en lien avec la proviseure. Toute relation inappropriée entre garçons et filles est prohibée ; mais cela n’empêche pas Mira de flirter avec Srinavas, un séduisant lycéen fraîchement débarqué de Hong Kong. La mère de Mira ne voit pas d’un bon oeil cette relation.

On pouvait craindre que le premier film de la réalisatrice Shuchi Talati manque d’originalité. Son thème est rebattu : le coming-of-age, en bon français la sortie de l’adolescence, les premières amours, l’éveil à la sexualité…
Mais Girls Will Be Girls réussit à faire du neuf avec du vieux.

La raison en est d’abord son cadre : ce pensionnat indien dont on voit plus souvent les cours de récréation et les espaces de circulation que les salles de classe (il n’y a quasiment pas de professeurs dans ce lycée et on n’y voit guère qu’une scène ou deux en classe !).

La raison en est aussi la délicatesse et la bienveillance – deux qualités à la mode – avec lesquelles sont filmés les deux adolescents. Leur innocence, leurs troubles, leurs audaces sont particulièrement touchants.

La raison enfin et surtout en est l’inhabituel trio autour duquel s’organise le film : Mira, son copain Sri et sa mère Anila. Signalons que la bande-annonce – dont je me plains régulièrement qu’elles divulgâchent le miel des films – est ici remarquable d’ambiguïté. En la regardant, on pressent que quelque chose se noue entre la mère, très jeune et peut-être malheureuse dans son couple, et ce séduisant jeune homme, sans en être tout à fait certain : si Anila flirte avec Sri, est-ce pour protéger sa fille en lui montrant que son boyfriend est volage ? ou est-ce pour se prouver qu’elle est encore séduisante ?

L’intrigue aurait pu se limiter à ce trio. Elle ressent le besoin d’ajouter un autre fil narratif en évoquant le sexisme des lycéens. Ce fil renvoie certes à la situation indienne et aux violences sexistes qui y sont fréquentes. Le sujet est grave. Mais il alourdit inutilement l’intrigue qui aurait pu en faire l’économie.

La bande-annonce

La Prisonnière de Bordeaux ☆☆☆☆

Les chemins d’Alma (Isabelle Huppert), une grande bourgeoise bordelaise, et de Mina (Hafsia Herzi), une modeste employée d’un pressing dans l’Aude, n’auraient jamais dû se croiser. Elles se rencontrent pourtant au parloir de la prison où leurs maris sont emprisonnés : celui d’Alma, un neurochirurgien, a fauché en état d’ivresse deux piétonnes, celui de Mina a braqué une bijouterie. Alma, qui s’ennuie dans sa maison trop grande, propose à Mina d’y emménager avec ses enfants.

Quelques semaines à peine  après Les Gens d’à côté, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi se retrouvent. Leur binôme inspire décidément le cinéma français. Il incarne à merveille deux générations d’actrices (Isabelle Huppert a 71 ans, Hafsia Herzi 37) si différentes. L’une a grandi dans les beaux quartiers parisiens ; l’autre est née à Manosque d’un père tunisien et d’une mère algérienne.

La Prisonnière de Bordeaux, un titre au singulier pour un film pourtant dual, imagine leur rencontre. Elle est pour le moins improbable. Et c’est là la première incongruité d’un film qui en compte beaucoup. Certes, le parloir est un lieu d’attente, essentiellement féminin, où des personnes se croisent que rien n’aurait dû rapprocher. L’idée avait inspiré Rachida Brakni qui en avait fait un film en 2017, De sas en sas. On pourrait peut-être imaginer qu’Alma, attendrie par Mina, propose de la raccompagner jusqu’à la gare. Mais de là à lui proposer de l’héberger ! [On me rétorquera que j’ai le cœur bien sec et que je n’ai jamais hébergé un inconnu rencontré dans la rue. Ce qui est vrai. Mais l’avez-vous déjà fait vous-même ?].

La suite du film est mollement construite sur ce postulat improbable. Le sommet du ridicule est atteint dans une soirée donnée par Alma avec quelques amis proches. L’associé de son mari joue quelques notes de saxo [vos amis jouent spontanément du saxo dans vos soirées ? les miens pas !] Mina déboule, que l’avocat d’Alma prend pour la nouvelle femme de ménage. façon lourdingue de souligner la différence de classe sociale entre les deux femmes.
Dans une autre scène, on voit Mina jeter son téléphone par la fenêtre de sa voiture [Ça vous arrive souvent ? Moi pas !].

Ceux d’entre vous qui me connaissent un peu savent mon allergie pour Isabelle Huppert. Ceux qui me connaissent très bien savent que j’en pense autant de Hafsia Herzi. Autant dire que j’ai été servi avec ces deux actrices ! L’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’Isabelle Huppert joue très bien, même si décidément ses efforts pour lutter contre l’âge se voient trop et que son hystérie sautillante m’exaspère. Mais c’est à Hafsia Herzi que je veux réserver mon fiel. Depuis la folle énergie dont elle faisait preuve dans La Graine et le Mulet, je ne l’ai jamais trouvée convaincante. Je trouve son jeu monocorde et monotone. Dans Borgo, dans Les Gens d’à côté ou ici, elle est la même : même expression, même diction, même présence anesthésiée…

L’antipathie que m’inspirent ces deux actrices aurait pu être compensée par un scénario intelligent. Mais hélas, trois scénaristes ont beau s’être attelés à la tâche, le résultat, lui non plus, ne m’a pas convaincu et m’a semblé bien pauvre : une sororité – le mot est tellement à la mode qu’il en devient suspect – de deux femmes que tout oppose et qui vont trouver grâce à l’autre la voie de leur libération.

La bande-annonce

Emilia Perez ★★★☆

Avocate pénaliste, Rita Moro (Zoe Saldaña) est recrutée par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascón), un seigneur de la drogue mexicain, pour une mission très particulière : organiser son changement de sexe, simuler sa disparition et accompagner en Suisse sa femme (Selena Gomez) et ses enfants.

Tout ou presque a déjà été dit sur le dixième film de Jacques Audiard. À Cannes, en mai dernier, il a raflé deux prix : celui du Jury – ce qui laisse penser qu’il a raté de peu la Palme d’or – et celui de l’interprétation féminine pour ses quatre actrices – solution un peu batarde pour réconcilier ceux qui voulaient l’attribuer à Zoe Saldaña et ceux qui lui préféraient Karla Sofia Gascón. En couverture de Télérama et de PremièreEmilia Perez est accueilli par une critique d’autant plus enthousiaste que l’été cinématographique a été pauvre en sorties retentissantes. Certes quelques voix dissidentes se font entendre (Les Cahiers du cinéma, Les Inrocks) ; mais elles sont largement minoritaires.

Le thème du film est à la fois trop improbable pour être crédible et trop dans l’air du temps pour ne pas être suspect : la réassignation de genre d’un chef de cartel, interprété par une actrice qui, elle aussi, a vécu dans sa chair la même transition. Il n’y a aucun suspens autour de cet enjeu, qui est annoncé dans la bande annonce, révélé dès le début du film et qui en constitue le principal argument publicitaire. L’identité  est un thème passionnant, qui d’ailleurs traverse le cinéma d’Audiard depuis ses tout premiers films (Un héros très discret racontait l’histoire d’un homme ordinaire qui se faisait passer pour un héros de la Résistance). Il aurait pu être plus creusé encore ici : pourquoi Manitas décide-t-il de changer de sexe ? par une irrésistible pulsion refoulée depuis l’enfance ? pour échapper à ses rivaux ? pour consacrer sa vie désormais au Bien ?

Plus que par son sujet, c’est par son traitement que Emilia Perez impressionne. C’est un film hybride, qui mêle les genres. Une comédie musicale servie par la musique de Camille et de son compagnon Clément Ducol et par les chorégraphies endiablées de Damien Jalet. Le genre, artificiel à souhait, est casse-gueule. Il ralentit la narration. Pour un peu que les chansons ou leur interprétation soient ratées, tout peut chavirer. Ce danger est évité de justesse dans certaines séquences dispensables. Mais Emilia Perez tient crânement la route, entre polar et mélo.

Emilia Perez n’est peut-être pas le meilleur film de Jacques Audiard. Un prophète le surpassait à mon avis. Pour autant, la capacité de ce réalisateur, aux soixante-dix ans bien sonnés, de se réinventer dans chacun de ses films (le western avec Les Frères Sisters ou la comédie sentimentale avec Les Olympiades) force l’admiration. Pour son œuvre si puissante et si diverse, il aura à bon droit sa place dans les encyclopédies du cinéma du XXIème siècle.

La bande-annonce

Dieu peut se défendre tout seul ★☆☆☆

Richard Malka est depuis 1992 l’avocat de Charlie Hebdo. Il a défendu le directeur de sa publication en 2007 et en 2008 dans les procès que lui avaient intentés l’Union des organisations islamiques de France et la Mosquée de Paris pour avoir repris les caricatures de Mahomet publiées par le journal danois Jyllands-Posten et obtenu sa relaxe en première instance puis en appel. Ces procès avaient fait l’objet en 2008 d’un film, C’est dur d’être aimé par des cons, et d’un livre, Éloge de l’irrévérence, rassemblant les plaidoiries de Richard Malka et de Georges Kiejman lors de ces procès.

Le même dispositif est déployé autour de la plaidoirie qu’il prononce en décembre 2020, en qualité d’avocat des parties civiles au procès qui se tient devant la cour d’assises spéciale contre les complices des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. Elle est publiée chez Grasset en 2021 sous le titre Le Droit d’emmerder Dieu. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un documentaire sous un titre légèrement moins provocateur.

Sorti en catimini, dans deux salles parisiennes et cinq villes de province à peine, au cœur de l’été 2024, près de quatre ans après le procès, le documentaire d’Isabelle Cottenceau peine, par sa durée – une heure vingt à peine – et par sa qualité à se différencier du docu TV de 52 minutes. Il est tout entier centré sur Richard Malka, laissant à penser que l’homme travaille seul, sans associé ni collaborateur. Il lit face caméra le texte de sa plaidoirie et revient sur la généalogie de ce procès.

Richard Malka a donné un visage à un combat : celui de Charlie Hebdo pour la liberté d’expression et même pour le droit au blasphème. Il a raison d’affirmer qu’en France, société pluraliste et laïque, le respect de toutes les croyances doit pouvoir se conjuguer avec le droit de critiquer toutes les religions. Pour autant, le vibrant plaidoyer de Richard Malka serait plus convaincant encore si l’avocat ne prenait pas la défense de Manuel Valls dans le procès intenté en 2015 contre Dieudonné pour injure publique, celle de la crèche de Baby Loup demandant le licenciement d’une salariée voilée, celle enfin de Charlie Hebdo dans le procès qui l’opposait à une publication pastiche Charpie Hebdo. Dans ces trois instances là, Malka reprochait précisément à ses adversaires ce qu’il revendiquait à raison dans sa plaidoirie de 2020 : la liberté d’expression.

La bande-annonce

La Mélancolie ★☆☆☆

Malheureuse dans son couple, Watako a un amant. Elle réussit à ménager avec lui quelques parenthèses privilégiées jusqu’à sa mort brutale quasiment sous ses yeux. Le chagrin de Watako est d’autant plus poignant qu’elle est dans l’obligation de l’étouffer.

Le jeune réalisateur Takuya Katô utilise le triangle amoureux mari-femme-amant d’une façon étonnante. Ce triangle a été usé jusqu’à la trame au cinéma ou au théâtre,  sous le mode du drame (Jules et Jim), de la comédie (Vicky Cristina Barcelona) voire du polar (Liaison fatale). Il en donne une image, à ma connaissance, jamais vue en faisant disparaître l’amant et en interdisant à la femme d’en porter le deuil, sauf à révéler son adultère.

Ce deuil confisqué est le sujet du film. Un sujet d’autant plus intéressant qu’il est inédit. Il plonge son héroïne dans un état qu’on pensait démodé : la mélancolie. Se combinent ainsi deux exotismes : celui du lieu, le Japon, où le film est tourné et celui d’une époque révolue à laquelle on associe spontanément la mélancolie : les années trente et les personnages désespérés des romans de Drieu la Rochelle.

Ainsi présenté, le programme est alléchant. Hélas le résultat déçoit ces espérances excessives. La Mélancolie est un film minimaliste et qui se revendique tel, jusqu’à son refus obstiné jusqu’au tout dernier plan de tout accompagnement musical. Le silence dans lequel il nous plonge est déroutant. Le cinéma contemporain ne nous y avait pas habitués.

La bande-annonce

Le Roman de Jim ★★★☆

Aymeric (Karim Leklou) est un gentil garçon. Après un passage en prison, pour un cambriolage auquel de mauvaises fréquentations l’avaient associé, il tombe amoureux de Florence (Laetitia Dosch) et élève Jim, l’enfant qu’elle a eu avec Christophe, comme si c’était le sien. Les années passent, heureuses, dans une ferme retirée du Haut-Jura. Mais l’usure du couple et le retour de Christophe provoquent la rupture. Florence, Christophe et Jim partent au Canada laissant Aymeric seul et détruit. Il se reconstruira auprès d’Olivia (Sara Giraudeau).

Au cœur d’un été bien pauvre en sorties cinématographiques, Le Roman de Jim constitue une surprise bienvenue. Une surprise de la part des frères Larrieu qui ne nous avaient pas habitués à autant de classicisme et dont le cinéma un peu foutraque ne m’avait pas toujours embarqué (j’ai détesté Tralala que d’autres ont pourtant adoré). Une surprise d’un film à la construction originale, qui s’étend sur un quart de siècle sans presque sortir du Jura (on reconnaît Saint-Claude et les bords du lac de Vouglans).

J’ai eu la chance de voir Le Roman de Jim en avant-première, en présence de Karim Leklou, un acteur que j’adore depuis ses tout premiers films. Coup de chaud était un petit film français sans grande ambition qui, de mon point de vue, frôlait la perfection et que j’ai classé en 2015 dans mon Top5. Je l’ai beaucoup aimé dans la série Hippocrate, dans BAC Nord ou, plus récemment encore, dans Temps mort. Cet acteur atypique a une manière unique de mouvoir ses kilos excédentaires. Il a dans le regard, selon les cas, une douceur qui fait fondre ou un éclat de folie qui terrifie.

Il est remarquablement entouré par trois actrices qui ont en commun une étonnante particularité : une voix immédiatement reconnaissable. Laëtitia Dosch, Sara Giraudeau et Noée Abita, hélas sous-employée dans un rôle trop secondaire, ont des voix de petit canard qui, selon les cas, réjouissent ou horripilent. Elles sont aussi toutes les trois, chacune à leur façon, extraordinairement douées.

Le titre du film est trompeur. Son héros est moins Jim qu’Aymeric. La question qui y est posée n’est pas neuve. C’est celle de la filiation et de ses deux dimensions biologique et affective. Tout récemment, deux films espagnols nettement moins réussis que Le Roman de Jim la traitaient : Dos Madres et León. Ici, elle est posée du point de vue du père adoptif sans droit sur l’enfant qu’il a éduqué et chéri.
Mais Le Roman de Jim n’est pas un film à thèse. Son vrai sujet, c’est le destin d’un homme, le roman d’Aymeric, qui est loin d’être un héros, mais qui a une qualité rare : une profonde gentillesse. Un tel sujet pourrait prêter à la caricature. Mais grâce à la justesse de l’écriture, grâce à la qualité de l’interprétation de Karim Leklou et des actrices qui l’entourent, Le Roman de Jim ne tombe jamais dans la mièvrerie.

Le Roman de Jim est l’adaptation d’un livre à succès, sorti il y a trois ans à peine, de Pierric Bailly, que je suis impatient de lire. Des amis au goût très sûr m’en ont déjà dit beaucoup de bien. Il me tarde de le lire et de retrouver à sa lecture l’immense plaisir que j’ai pris à ce film.

La bande-annonce