La Foire aux vanités ★★☆☆

Rebecca Sharp (Olivia Cooke, brunette piquante qu’on avait remarquée dans Katie Says Goodbye avant qu’elle partage la tête d’affiche de Ready Player One) est orpheline. Élevée à l’institut de jeunes filles de Mme Pinkerton, elle cherche sa place dans l’Angleterre géorgienne. Elle peut compter sur sa meilleure amie Amelia Sedley (Claudia Jessie), promise au capitaine George Osborne, qui lui présente bientôt son frère Joseph, aussi gras que riche.

La Foire aux vanités est un roman immensément célèbre outre-Manche, que les adolescents britanniques lisent comme nous Les Misérables ou Sans famille mais qui, peut-être parce qu’il n’est guère enseigné dans nos écoles, n’est guère connu en France. Aussi le risque est-il grand que cette mini-série commandée par la chaîne de télévision britannique ITV en 2018 s’exporte mal.

Elle est pourtant l’occasion de réviser ses classiques et de (re)découvrir une œuvre qui n’a pas pris une ride. Le roman-feuilleton de William Makepeace (ah ! ces seconds prénoms ! Robinette, Milhous, etc…) Thackeray est d’abord, comme les œuvres de Dickens dont il est l’exact contemporain, une rebondissante cavalcade à travers l’Angleterre du début du XIXème siècle, avant et après la bataille de Waterloo qui constitue son point d’orgue. Comme chez Dickens, c’est un roman d’apprentissage qui suit, de leur sortie du pensionnat jusqu’à leur vieillesse, deux héroïnes aussi proches que dissemblables. Comme chez Jane Austen, c’est l’occasion d’une peinture toute en nuances d’une société corsetée dans ses règles.

Mais, ce qui fait le sel de La Foire aux vanités est son profond immoralisme. Becky Sharp est un personnage sans foi ni loi dont l’appétit de vie est la seule boussole. Elle a toujours un « plan » dans sa poche pour tromper les aléas du sort, quitte à trahir sa parole, tromper ses amis et… vendre ses charmes. Avec la même ambiguïté que le Choderlos de Laclos des Liaisons dangereuses, Thackeray se pose en moraliste, critiquant le comportement de Becky, sans parvenir tout à fait à cacher la sympathie que l’immoralisme du personnage lui inspire – et inspirera à ses lecteurs.

La mini-série écrite par Gwyneth Hughes et réalisée par James Strong ne brille pas par sa modernité. Tout y est très classique, des costumes aux décors (largement reconstitués en Hongrie, économies budgétaires obligent). Le film de Mira Nair sorti en 2004, avec Reese Whitherspoon dans le rôle de Becky Sharp, souffrait des mêmes défauts. Mais l’un comme l’autre ont eu la bonne idée de se mettre au service d’une œuvre exceptionnelle dont l’intérêt suffit, à lui seul, à aller en voir toutes les adaptations aussi quelconques soient-elles.

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Made in Bangladesh ★☆☆☆

Shimu a vingt-trois ans. Elle vient de se marier. Elle travaille à Dacca, la capitale du Bangladesh, dans un atelier qui fabrique des T-shirts pour l’exportation. Ses conditions de travail et celle de ses camarades sont exécrables. Son salaire est misérable ; ses horaires sont élastiques et ses heures supplémentaires ne sont pas rémunérées ; la sécurité n’est pas assurée et lorsqu’un incendie se déclare, une employée trouve la mort.
Cet événement provoque chez Shimu une prise de conscience : avec l’aide d’une ONG, elle va créer un syndicat pour la défense des droits des travailleuses. Mais, pour atteindre son objectif, il faudra que Shimu franchisse bien des obstacles à commencer par le veto de son mari, les hésitations de ses collègues, l’inertie de l’administration et les coups fourrés de la direction de l’entreprise prête à tout pour bâillonner la moindre contestation sociale.

La condition féminine au Bangladesh. L’exploitation des travailleuses dans une usine textile au service d’une industrie mondialisée. Les sujets les plus graves ne font pas toujours les meilleurs films.

Bien sûr, on n’aurait ni cœur ni cerveau si on ne laissait pas toucher par Made in Bangladesh. Le précédent film de Rubaiyat Hossain, Les Lauriers-roses rouges (qui diable a eu la fumeuse idée d’une pareille traduction ?), avait déjà fait mouche. Mais celui-ci a décidément trop de défauts pour emporter la conviction : une direction d’acteurs trop lâche, une image surexposée et artificielle, un scénario cousu de fil blanc qui se termine en queue de poisson… Le spectateur européen s’enthousiasmera devant la chatoyance des saris multicolores ; mais cet atout-là ne saurait, à lui seul, faire oublier les défauts trop nombreux dont ce Made in Bangladesh est lesté.

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Les Reines de la nuit ★★☆☆

Eva Carlton, Framboise, Galipette, Lulubelle, Antoine, Pétunia, Roxane, Sweety, Morian, Golda, Vénus, Lulu, Gia : Les Reines de la nuit s’attache aux pas de treize transformistes qui se produisent dans des cabarets.

Christiane Spiéro tenait un sujet en or. Elle interviewe treize travestis – le mot, trop connoté, est passé de mode – chez eux, dans leur environnement quotidien, loin des strass et des paillettes. Ils sont tous différents : des jeunes, des vieux, des beaux, des laids. Certains sont un peu paumés entre leurs doubles vies ; d’autres l’assument parfaitement. Ils sont tous gays, mais très virils et revendiquent cette masculinité, à l’exception d’une, Roxane, qui a franchi le pas et s’est faite opérer, et d’un.e autre, Romain/Morian, qu’on sent prêt.e à le faire. Leur vie sentimentale n’est pas simple : ils sont mal vus des gays (et doivent parfois cacher leur profession à leurs amants) et suscitent chez les hétéros des réactions ambiguës de fascination et de répulsion.

Mais tous ont en commun un formidable plaisir à pratiquer leur art. Un art auquel ils consacrent leur vie, leur temps et leur argent : il faut voir le soin maniaque que chacun prodigue à ses numéros, à son maquillage, à sa coiffure, à ses robes. Un transformiste doit être multi-tâches : chanteur, danseur, chorégraphe, éclairagiste, couturier, coiffeur, maquilleur…

Un art aussi où ils s’accomplissent et qui les a sauvés. Pour chacun, la scène est un accomplissement et une libération. Dans les interviews qu’elle a recueillies, Christiane Spiéro nous livre des pans de vie parfois tragiques, témoignages bouleversants d’une homophobie ordinaire qui laisse sur le trottoir des enfants reniés par leurs parents, chassés du foyer familial. Le cabaret devient pour eux un refuge et une nouvelle famille.

Les Reines de la nuit souffre hélas de sa facture télévisuelle très convenue. C’est bien le comble pour un tel sujet qui donnerait presque aux plus audacieux le désir de chausser des hauts talons pour la première fois de leur vie et aux autres, plus sages, d’assister à une soirée cabaret.

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Jésus ★★☆☆

Suite au décès de son grand-père, Yura, huit ans, et ses parents quittent Tokyo pour s’installer chez sa grand-mère. Bien qu’il ne soit pas pratiquant, Yura est inscrit dans une école catholique. Les rites qui en scandent le quotidien lui sont inconnus. Mais son intégration devient plus facile lorsque Jésus en personne lui apparaît, invisible de tout autre, et lorsque Yura se fait un ami parmi ses camarades de classe.

Sortir le 25 décembre un film intitulé Jésus, il fallait oser !

Jésus est un film minuscule. Aussi minuscule que la figure de Jésus qui apparaît miraculeusement à Yura. Cette apparition aurait pu provoquer une série d’événements, comiques ou dramatiques. Mais Hiroshi Okuyama a refusé ces facilités scénaristiques pour n’en faire qu’un épiphénomène de la difficile intégration du jeune garçon à son nouvel environnement.

Jésus dure 1h16 seulement. Il ne s’y passe pas grand-chose sinon un drame qui coupe le film en deux et dont j’ai déjà trop dit.

Jésus est un film gracieux sur les amitiés enfantines, aussi délicat et poétique que les dessins animés de Miyazaki – les avions et les créatures chimériques en moins. Mais Jésus n’en est pas moins un film grave sur la foi interrogée à hauteur d’enfant.

À vingt-trois ans à peine, Hiroshi Okuyama signe son premier film. Il en a écrit le scénario, signé la photo, dirigé le montage. Son film pèche paradoxalement par excès de modestie. Mais y bruisse une petite musique qui donne envie de voir le suivant.

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Cats ★★☆☆

Qui ne connaît pas Cats, la flamboyante comédie musicale montée au tout début des années quatre-vingts à Londres par Andrew Lloyd Webber ? Qui n’a pas vibré en attendant Memory, le solo repris par Barbara Streisand, soit pour verser des torrents de larmes, soit pour chausser des boules Quies ?
Cats a inauguré au début des années quatre vingts un genre, celui des megamusicals, ces comédies musicales à gros budget, destiné à attirer en foule les spectateurs à Broadway ou dans le West End avant de faire le tour du monde. Après Cats vinrent Les Misérables (1985), Le Fantôme de l’Opéra (1986), Le Roi Lion (1997), Mamma Mia! (2001)…

Bizarrement, il a fallu attendre près de quarante ans l’adaptation au cinéma de Cats. Tom Hooper s’y est collé qui avait déjà signé celle, fort réussie, des Misérables en 2012 avec Hugh Jackman dans le rôle de Jean Valjean – et deux ans plus tôt le multi-primé Discours d’un roi.

Mais le défi s’est révélé double. Cats est en effet moins une histoire qu’un spectacle de cabaret où s’enchaînent les numéros. Il a fallu écrire un scénario et donner à Victoria, interprétée par Francesca Howard, une danseuse étoile du Royal Ballet, un rôle central. Il a fallu aussi inventer une technologie hybride pour les maquillages et les costumes qui ont été rajoutés au montage. Signe des temps et d’un patriarcat en crise : le rôle de Old Deuteronomy, normalement interprété par un homme, est confié à Judi Dench.

Le résultat est ambivalent. Il comblera les afficionados de la comédie musicale. Il consternera les autres. Le problème est que Cats a mal vieilli. Le film a fait un flop aux États-Unis comme en France.

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La Vérité ★★☆☆

Fabienne (Catherine Deneuve) est une immense star. À l’occasion de la publication de ses mémoires, sa fille Lumir (Juliette Binoche), scénariste à New York, lui rend visite à Paris. L’accompagnent sa propre fille et son mari (Ethan Hawke), longtemps tenu à l’écart des tournages par son alcoolisme. Fabienne est en train de tourner un film de science-fiction avec une jeune actrice en pleine ascension (Manon Clavel) qui interroge son statut de mère et de star.

La présence en France du réalisateur japonais Kore-Eda pour y tourner avec deux des plus grandes actrice françaises son dernier film, juste après Un air de famille sacré à Cannes en 2018, n’était pas nécessairement une bonne nouvelle.

Parce que les précédentes expériences françaises des grands réalisateurs asiatiques n’avaient pas vraiment convaincu. Qu’on aime ou pas Kiyoshi Kurosawa, Hong Sang-Soo ou Hou Hsia Hsien, on ne saurait tenir Le Secret de la chambre noire (avec Tahar Rahim), La Caméra de Claire (avec Isabelle Huppert) ou Le Voyage du ballon rouge (avec Juliette Binoche) pour les œuvres les plus accomplies de ces grands cinéastes.

Parce que, surtout, on ne comprend pas ce qu’il faut attendre de cette fertilisation croisée. Car de deux choses l’une a priori. Soit le réalisateur asiatique expatrié en France n’arrivera pas à se départir de ses habitudes et on voit mal pourquoi s’être donné le mal de venir tourner en France. Soit, au contraire, il les aura si bien gommées qu’on lui reprochera d’y avoir perdu son identité.

Kore-Eda est-il tombé dans l’un de ses travers ? En partie. La Vérité est un film absolument français qu’on aurait volontiers attribué à André Téchiné ou Benoît Jacquot si on n’avait rien su du nom de son réalisateur. Est-ce en soi un mal ? Nullement. Au contraire. L’ironie grinçante du film fait mouche, peu importe l’identité de celui qui l’a réalisé. Et  Kore-Eda ne peut qu’être félicité pour avoir su avec autant de finesse, sans parler un mot de français, s’approprier les codes de notre cinéma.

Sauf que… Sauf que on ne voit pas très bien les raisons de lui avoir fait traverser l’Eurasie pour réaliser ce film-là. Il démontre certes l’étendue de ses talents, la richesse de sa palette. Mais à quoi bon ? Proposerait-on à Bong Joon-Ho de tourner après Parasite un remake du Dernier métro.

On pourra ne pas me suivre dans cette argumentation spécieuse qui dit tout et son contraire et préférer considérer le film pour ce qu’il est : une formidable entreprise par Catherine Deneuve d’auto-démythification – si on m’autorise ce néologisme hardi.
J’ai déjà dit souvent mon ras le bol devant cette actrice qui n’a pas quitté la tête d’affiche depuis cinquante ans. Mais force m’est de reconnaître son immense talent et son audace à endosser le rôle quasi-autobiographique d’une diva péremptoire, hautaine, égocentrique, cruelle et injuste avec ses proches. J’ignore ce que sa fille Chiara en a pensé ; mais j’imagine volontiers que ses rires furent parfois jaunes.
Chapeau l’artiste !

Et puis, même si la prestation de Mlle Deneuve (ansi qu’elle est créditée au générique) pourrait lui valoir le troisième César de son interminable carrière, il faut saluer celle des autres acteurs auxquels pourtant elle ne laisse guère de place. Juliette Binoche – dont l’anglais est décidément excellent – accepte le rôle ingrat de la fille écrasée par sa mère qui tente en vain de s’en affranchir. Ethan Hawke est épatant dans le rôle de l’Américain à Paris – qu’il a, il est vrai, déjà endossé auprès de Julie Delpy. Il n’est pas jusqu’à la gamine, interprétée par Clémentine Grenier, qui ne soit pas juste.

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Lillian ★★☆☆

En 1927, Lilian Alling a disparu en ralliant à pied la Russie depuis New York en traversant le continent américain puis le détroit de Béring. Un réalisateur autrichien, Andreas Horvath, a transposé cette histoire vraie à notre époque et confié le rôle principal, quasiment muet, à une plasticienne polonaise, Patrycja Planik.

Lillian est une longue errance à travers les États-Unis. On y retrouve la soif d’absolu qui nourrissait déjà Into the Wild, Wild, Captain fantastic ou Leave no Trace dont les protagonistes mutiques tournaient le dos à la société et revenaient à la nature. Si Lilian a la même radicalité que ces quatre films-là, il n’est pas aussi réussi qu’eux.

La faute peut-être à une trop grande radicalité. Le réalisateur refuse d’expliquer la dromomanie de Lillian : on ne saura rien de son passé, de ce qu’elle fuit et de ce vers quoi elle va. Il refuse également d’enjoliver les étapes de son périple de rencontres édifiantes. Il filme à l’os une femme qui marche, seule, dans une nature, splendide et indifférente. Seule dérogation à ces principes rigoureux : des épisodes quasi-documentaires qui sont autant de témoignages sur l’Amérique profonde, celle même que documentait Frederick Wiseman dans Monrovia, Indiana, Claus Drexel dans America ou Stéphanie Gillard dans The Ride, ses rednecks confits dans leurs préjugés, ses rares belles âmes compatissantes.

Les images sont belles. On peut se laisser happer par leur beauté hypnotique. Jusqu’à un épilogue étonnant filmé au milieu du détroit de Béring, auprès d’Inuits chassant la baleine au harpon comme au temps jadis.
Mais on risque aussi de trouver le temps long. Très long.

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Docteur ? ★☆☆☆

Le soir de Noël, à Paris, le docteur Serge Mamoumani (Michel Blanc) est de garde. Brinquebalé d’un bout à l’autre de la capitale par le standard de SOS-Médecins (on reconnaît la voix inimitable de Chantal Lauby), ce médecin bougon et vieux jeu rassure les hypocondriaques et soulage les vrais malades.
Son chemin croise celui de Malek (Hakim Jemili), un livreur Uber Eats.

Nous arrive sur les écrans le 10 décembre une comédie de Noël. La présence de Michel Blanc en tête d’affiche rappelle inévitablement Le père Noël est une ordure. Mais hélas, le drôlerie de Docteur ? n’arrive pas à la cheville de celle, iconique, de la troupe du Splendid.

Tristan Séguéla utilise la trame archi-usée du buddy movie, en plaçant côte à côte deux héros antinomiques, le vieux docteur amer et le jeune livreur ubérisé, respectivement interprétés par une vieille gloire du cinéma comique français et une star montante du seul-en-scène YouTubisé.

Il faut presqu’une demie heure au scénario pour poussivement réunir ces deux personnages. La maladresse du second ayant entraîné l’incapacité du premier à continuer sa garde, le docteur Mamoumani va envoyer le jeune Malek à sa place en visite, le téléguidant par une oreillette avec son portable. Le dispositif se décline ensuite en une demie-douzaine de gags, plus ou moins réussis, plus ou moins drôles. J’y aurai appris un mot nouveau : fécalome.

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La Sainte Famille ★☆☆☆

Jean (Louis-Do de Lencquesaing) est un universitaire installé propulsé sur le devant de la scène par sa nomination au Gouvernement au poste de ministre de la famille.
Issu de la meilleure bourgeoisie parisienne, il vit à l’abri du besoin. Mais cette aisance matérielle ne le protège pas des aléas de la vie. Sa femme (Léa Drucker) menace de le quitter. Sa fille aînée (Billie Blain) est en pleine crise d’adolescence. Son frère (Thierry Godard) tourne mal. Sa mère (Marthe Keller) s’est mise en tête de répartir l’héritage familial avant le décès de sa grand-mère. Et sa cousine (Laura Smet), qu’il retrouve à l’occasion des funérailles de leur bonne, exerce sur lui une attirance trouble.

Louis-Do de Lencquesaing est une figure bien connue du cinéma français qu’on a croisée dans une multitude de films où il tenait le premier (Le Père de mes enfants, Francofonia) ou, plus souvent, un deuxième rôle (La Danseuse, Un peuple et son roi, L’amour est une fête…). Il était passé une première fois derrière la caméra en 2012 avec Au galop, où il se mettait en scène avec sa propre fille, Alice de Lencquesaing, et Marthe Keller, déjà, dans le rôle de sa mère.

Il récidive sept ans plus tard dans un film qu’on devine en partie autobiographique. Si son patronyme à particule et son prénom peu commun ne le trahissaient pas, Louis-Do de Lencquesaing est issu des meilleurs quartiers (il a fait sa scolarité à « Franklin ») et ne s’en cache pas. On le voit dans La Sainte Famille vouvoyer sa mère et être vouvoyé par elle.

Les petits drames de ce milieu là (faut-il vendre le château familial ? la grand-mère a-t-elle couché avec le garde-chasse ?) feraient ricaner L’Humanité – qui n’en a pas publié de critique. Ils enchantent Le Figaro et Closer.
Si Louis-Do de Lencquesaing réussit paradoxalement à éviter l’égocentrisme en se filmant dans chaque plan, il n’évite pas la banalité avec cette chronique douce-amère. Son principal défaut : avoir bombardé son héros au Gouvernement, un choix de scénario hasardeux qui n’est bizarrement pas utilisé. Sa principale qualité : sa scène finale d’une humble humanité.

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Le Lac aux oies sauvages ★★☆☆

Sous la pluie battante d’une nuit sans lune, un homme et une femme se rencontrent sur le quai d’une gare. Ils ne se connaissent pas ; mais leurs destins seront désormais liés. Lui est un petit malfrat dont la tête a été mise à prix par la police ; elle est une « baigneuse », une prostituée, qui rêve d’une vie merveille.

En 2014, Diao Yinan remportait l’Ours d’or à Berlin avec Black Coal, un polar noir de la couleur du charbon de Mandchourie. Il a fallu attendre cinq ans son film suivant, sélectionné illico en compétition officielle à Cannes. Il y creuse la même veine, celle du polar expressionniste, mélange efficace du film noir américain des années cinquante façon Raoul Walsh et du cinéma hongkongais esthétisant des années quatre-vingt-dix façon Wong Kar Wai.

Le polar est en train de devenir un genre chinois à part entière. Comme si le cinéma chinois se réappropriait toutes les variantes du cinéma américain. Sans remonter bien loin, on en a vu, ces deux dernières années, toutes les déclinaisons possibles : les héros criminels (Les Éternels), la traque du serial killer (Pluie sans fin), l’enquête policière neurasthénique (Un été à Changsha) et même le film d’animation tarantinesque (Have a nice day), des quatre précédemment cités celui que j’ai préféré.

Dans cette galerie très riche, les films de Diao Yinan ne font pas pâle figure. Ils ont du style, voire même une certaine flamboyance. Mais le souci porté à la forme, qu’il s’agisse de l’image très travaillée ou du scénario construit autour de savants flash-back qui reviennent toujours à la même gare inondée de pluie, se fait au détriment du fond.

On ne comprend pas toujours tout du scénario alambiqué de ce Lac aux oies sauvages. On nous rétorquera qu’on ne comprenait pas grand-chose non plus au Faucon maltais. Mais le plus gênant est qu’on ne s’attache pas vraiment non plus aux personnages, réduits à des caricatures sans relief. Comme Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui encaisse les coups et les balles en serrant les dents tandis qu’elle démontrera une grandeur d’âme et une fidélité inhabituelle dans sa profession.

Et qu’on ne vienne pas nous dire que Le Lac… dessine un portrait accusateur de la Chine contemporaine. Ce n’est pas parce que son action se déroule dans des immeubles décrépits, qu’il met en scène des policiers et des voyous usant quasiment des mêmes méthodes expéditives, qu’il faut y voir un témoignage à charge sur les laissés-pour-compte de la croissance chinoise. On n’a jamais donné une telle portée au Grand Sommeil ou au Faucon maltais ; ne la donnons pas à leurs épigones chinois.

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