99 Moons ★★☆☆

Bigna est sismologue, tout entière absorbée par ses recherches qui sont sur le point de la mener au Chili pour y étudier le comportement des animaux dans l’imminence d’un séisme. Sa vie sexuelle est organisée selon un protocole rigoureux que permettent les sites de rencontres en ligne auxquels elle est abonnée : elle donne rendez-vous à des inconnus sur un lieu désert, leur demande de porter un masque et de simuler une agression sexuelle. C’est ainsi qu’elle rencontre Franck et s’attache à lui. En l’espace de quatre-vingt-dix-neuf lunes, soit huit ans, les deux amants connaîtront une relation enflammée faite de soudains rapprochements et de déchirantes ruptures.

« Tu me fuis, je te suis ; tu me suis, je te fuis ». L’amour et ses obscures contradictions constitue un thème éculé. Jan Gassmann s’en saisit à bras le corps dans un film qui assume sans vergogne d’explorer les recoins les plus intimes de la sexualité. 99 Moons est interdit aux moins de douze ans et mérite sans guère de doute cette limitation. Il montre les corps nus, les sexes. Il le fait sans voyeurisme malsain, mais pour illustrer son propos : la description d’une relation qui cherche constamment le juste équilibre entre sexe et amour.

Un bandeau en haut de l’affiche annonce « une vision féministe au cinéma ». Peut-être cette promesse attirera-t-elle quelques spectateur.e.s mais on voit mal ce qu’elle reflète. Sans doute 99 Moons interroge-t-il l’amour, le couple, la sexualité en partant du personnage de Bigna, de son obsession du contrôle, de sa capacité à canaliser ses pulsions violentes dans des scénarios hyper-maîtrisés. Mais on voit mal en quoi cette vision-là est particulièrement « féministe ».

En revanche, l’affiche a bien raison d’évoquer des acteurs « irradi[a]nt de sensualité ». Le réalisateur explique avoir choisi des non-professionnels pour interpréter les rôles de Bigna et de Franck. On ne l’aurait pas cru tant Valentina Di Pace et Dominik Fellmann incarnent avec authenticité leurs personnages. Leurs corps sont insolemment beaux, trop peut-être si le film avait voulu se parer de la vertu, aujourd’hui si souvent revendiquée, du naturalisme.

Mais 99 Moons n’est pas un drame naturaliste. C’est une page de vie qui s’étire sur une dizaine d’années où l’on voit vieillir sinon s’assagir deux êtres attirés l’un par l’autre (comme la Lune l’est par la Terre ?) mais incapables de s’installer dans une relation « normale » – à supposer qu’une relation puisse être jamais « normale ».

Adolescent, j’avais, comme tous les adolescents de ma génération, ressenti un frisson d’excitation devant Neuf semaines ½ qui racontait la relation très érotique de Mickey Rourke et de Kim Basinger. Le film avait essuyé son lot de critiques assassines. Je ne suis pas sûr qu’il ait été un chef d’œuvre et qu’a fortiori il ait bien vieilli. Mais, près de quarante ans plus tard, les hormones un peu moins en ébullition qu’à l’époque, c’est la même émotion que j’ai ressentie devant ce film profondément sensuel.

La bande-annonce

Neptune Frost ☆☆☆☆

Sur les hauts plateaux du Burundi, dans un futur proche, Matalusa, un ancien forçat échappé de la mine où il était réduit en esclavage, et Neptune une hackeuse transgenre, rejoignent une communauté cyberpunk qui est entrée en résistance contre un pouvoir techno-autoritaire.

Neptune Frost est un OVNI cinématographique comme on en a rarement vu, au croisement de plusieurs genres : la science-fiction, la comédie musicale, le manifeste politique cyberqueer anticolonialiste et anticapitaliste…

Sur le papier, un tel programme est séduisant, qui fait penser aux romans d’anticipation d’Alain Damasio – dont on attend toujours avec impatience qu’un Terry Gillian ou un Gaspard Noé décide de les adapter. Mais il y fallait des moyens et un souffle que Neptune Frost hélas n’a pas. Faute de budget, la production a dû recourir à des bricolages qui, aussi ingénieux et réussis soient-ils, se voient un peu trop.
Quant au scénario, il essaie sans succès de cacher son inconsistance derrière des fulgurances qui se voudraient poétiques.

Un ratage complet….

La bande-annonce

The Wild One ★★☆☆

Connaissiez-vous Jack Garfein (1930-2019) ? Moi pas.
Le documentaire de Tessa Louise-Salomé a le mérite de corriger cette lacune et de lever le voile sur ce réalisateur méconnu, proche de Lee Strasberg, le fondateur de l’Actor’s Studio.

Garfein fut metteur en scène de théâtre. Il réalisa deux films à Hollywood qui furent vite blacklistés pour leur audace. Adapté de la pièce de Broadway qu’il avait mis en scène et produit, Demain ce seront des hommes (1957) se déroule dans une académie militaire du sud des Etats-Unis et a pour héros un sergent sadique interprété par Ben Gazzara. Le second et dernier film de Jack Garfein, Au bout de la nuit (Something Wild dans la version originale … qui a inspiré le titre de ce documentaire) met en scène une jeune femme victime d’un viol dans Central Park. Le rôle est interprété par la femme de Jack Garfein, Carroll Baker, révélée quelques années plus tôt dans le rôle titre de Baby Doll d’Elia Kazan. Après ces deux films, Jack Garfein ne tourna jamais plus mais se consacra à l’enseignement.

Le jeune Jakob Garfein avait grandi dans une petite ville de l’actuelle Slovaquie sous la menace de l’antisémitisme nazi. Réfugié en Hongrie après l’annexion de la Tchécoslovaquie, il y fut néanmoins arrêté et déporté vers Auschwitz. Il survécut par miracle aux marches de la mort et fut libéré à Bergen-Belsen en 1945 alors qu’il pesait vingt-deux kilos à peine. Envoyé dans un orphelinat en Suède, il émigra aux Etats-Unis en 1946.

Le documentaire de Tessa Louise-Salomé est construit sur l’alternance de ces deux volets de la vie de Jack Garfein : ses souvenirs d’enfant et d’adolescent pendant la Seconde Guerre mondiale et sa carrière vite brisée à Hollywood dans les 50ies et 60ies. Bien sûr, les premiers sont poignants. Mais c’est le second volet de sa vie qui m’intéressait le plus. Et je regrette que la documentariste se soit laissée aller à la facilité de s’appesantir sur le premier, au risque de nous raconter une histoire qui, pour dramatique qu’elle ait été, nous est hélas tristement familière, alors que le second ne nous l’est pas.

La bande-annonce

L’Odeur du vent ★★★☆

Dans une vallée reculée du Sud-Ouest iranien, un herboriste privé de l’usage de ses jambes s’occupe seul de son fils tétraplégique. L’électricité tombe en panne. Il parvient, non sans mal, à appeler un technicien qui va tout mettre en oeuvre pour la rétablir.

Le cinéma iranien, ou du moins ce que nous en connaissons hors des frontières de ce pays si hostile, à la population pourtant si hospitalière, se divise grossièrement en deux branches. La première est urbaine et se nourrit du rythme trépidant de villes qui ne dorment jamais pour raconter des histoires compliquées dont les héros sont confrontés à d’inextricables dilemmes moraux et pour faire, en passant, la critique subtile du régime des mollahs. Elle est incarnée par Ashgar Farhadi (Une séparation, Un héros) Saeed Roustaee (La Loi de Téhéran) ou Mohammad Rassoulof (Le diable n’existe pas). L’autre est rurale, moins politique et filme en longs plans, fixes ou depuis le siège passager d’une voiture cahotant sur des chemins cabossés, la nature immuable dans laquelle les hommes vainement s’agitent. Cette veine-là est dominée par l’ombre encombrante d’Abbas Kiarostami (Au travers des oliviers, Le Goût de la cerise). [Où se situent les films de Jafar Panahi , qui sont aussi urbains (Taxi Téhéran) que ruraux (Aucun ours) me demanderez-vous avec la joie de me coincer ? Entre les deux rétorquerai-je en ayant conscience de répondre par un tour de passe-passe à cette question qui souligne la grossièreté de la dichotomie que j’ai suggérée]

Ce film de Hadi Mohaghegh, son quatrième, mais le premier diffusé en France, s’inscrit clairement dans cette seconde branche qu’on pourrait qualifier de kiarostamienne. On y voit en longs plans fixes de splendides paysages d’une nature majestueuse et quasi désertique. Un chemin parfois s’y dessine, goudronné ou pas, où circule lentement une voiture, une moto ou un piéton. Sa lenteur témoigne à la fois de son impuissance et de sa persévérance.

Car L’Odeur du Vent met en scène la petitesse de l’homme face à la nature et sa capacité sinon à en devenir le maître du moins à venir à bout à force de ténacité des obstacles qu’elle lui oppose. L’Odeur du Vent est une fable sur la bonté humaine. Elle raconte tout simplement comment Eskandari, agent 752, va tout mettre en oeuvre pour que l’électricité de l’herboriste lui soit rétablie. Attention ! Qu’on n’imagine pas ici des rebondissements hollywoodiens et rocambolesques. Il s’agira tout simplement – si on ose dire – d’aller chercher une douille dans un autre village pour réparer le transformateur en panne, de se tromper d’adresse, de rebrousser chemin, de s’embourber dans une rivière à gué, de croiser en chemin un aveugle et de l’accompagner à un rendez-vous galant, de découvrir, une fois la douille remplacée, qu’une fuite d’huile empêche le courant de revenir alors que la nuit tombe et que la maisonnée est plongée dans le noir, d’aller chercher un générateur, etc.

On ne racontera pas l’histoire jusqu’à son terme, même si le dénouement est proche ; car le film repose peut-être sur un minuscule suspense : oui ou non, le courant sera-t-il rétabli ?
Mais on aura compris que l’essentiel n’est pas là. Il n’est pas tant dans le résultat des efforts démesurés déployés par l’agent 752 que dans ses efforts eux-mêmes. Quel en est le ressort ? Qu’est-ce qui pousse cet homme à soudainement consacrer autant de temps et d’énergie à un résultat dérisoire ? N’a-t-il pas d’autres tâches urgentes à accomplir pour d’autres clients ? N’a-t-il pas une hiérarchie qui le surveille et qui pourrait s’émouvoir du temps gaspillé pour un seul client ? N’a-t-il pas une femme, des enfants, une famille qui l’attend ?

On n’en saura rien. Et ce refus de toute explication, de toute psychologisation participe de la réussite de ce film construit comme une parabole.
« Le Bien ne fait pas de bruit » dit-on. Qui ne croit ni en Dieu ni en l’Homme croira peut-être après avoir vu L’Odeur du vent, un film touché par la grâce.

La bande-annonce

Faces cachées ☆☆☆☆

Rose (Ann Skelly, des faux airs de Julia Roberts jeune) est étudiante en école vétérinaire. Enfant adoptée, obsédée par la quête de ses origines, elle réussit à retrouver la trace de sa mère biologique, Ellen (Orla Brady), devenue actrice à succès, qui lui fait la plus traumatisante des confessions : Rose, prénommée Julie à sa naissance, est le fruit d’un viol perpétré par Peter Doyle (Aidan Gillen, iconique Littlefinger dans Game of Thrones), un célèbre archéologue.

Faces cachées (improbable traduction de Rose Plays Julie qui a autrement plus de sens) est un film irlandais sorti en Angleterre fin 2019 qui a mis plus de trois ans à traverser la Manche. Sorti le 24 mai, il avait disparu des écrans dès la semaine suivante. Tout cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille sur sa qualité. Pour autant, j’ai réussi à dénicher une séance improbable et à le voir dans une salle quasi-vide, mais délicieusement climatisée en ces temps de canicule.

Faces cachées se distingue du tout-venant télévisuel par sa forme très travaillée. La musique, le son parent le film d’un halo de mystère. Tout est clinique et froid dans cette Irlande lugubre, qui m’a rappelé la Norvège de Thelma, le film déroutant de Joachim Trier qui mettait lui aussi en scène une jeune étudiante désemparée. Mais cette forme sophistiquée (Marie Sauvion évoque à raison des « afféteries » dans sa critique de Télérama) est mise au service d’un scénario qui se veut haletant mais qui se révèle hélas très pauvre. Il se vautre lamentablement dans un épilogue aussi peu crédible qu’outrancier.

La bande-annonce

Sick of Myself ★☆☆☆

À Oslo, de nos jours, Signe vit en couple avec Thomas, un artiste avant-gardiste qui s’est fait une petite réputation dans le milieu underground avec des installations réalisées à partir de meubles et de chaises volés. La jeune femme vit mal d’être constamment dans l’ombre de son conjoint et cherche par tous les moyens à attirer l’attention sur elle au risque de verser dans la mythomanie : elle prétend avoir sauvé la vie d’une cliente du café qui l’emploie, mordue par un chien, ou s’invente une allergie alimentaire lors du dîner offert à Thomas par son agent.
Après avoir découvert sur Internet les effets secondaires très nocifs d’un médicament, elle en passe commande et en prend au-delà des doses prescrites. Un eczéma monstrueux la défigure bientôt.

Sick of Myself avait été présenté à Cannes l’an passé dans la section Un Certain Regard. Mais Kristoffer Borgli, son réalisateur, avait été éclipsé par la seconde Palme d’or décernée à Ruben Ostlund, scandinave comme lui et plus radical encore.
Sick of Myself ressemble étrangement à Sans filtre. Leurs premières scènes semblent calquées l’une sur l’autre qui voient un couple de jeunes amoureux dîner dans un restaurant chic. L’un comme l’autre sont des satires grinçantes de nos sociétés contemporaines et de leurs dérives narcissiques.

Le personnage de Signe est particulièrement croustillant qui va jusqu’à se défigurer pour attirer enfin l’attention. Sa démarche est particulièrement aberrante, qui consiste, à rebours de la tendance contemporaine à rêver de perfection physique, à s’enlaidir pour sortir de l’anonymat abrutissant dans lequel la banale symétrie de ses traits et la blondeur de sa chevelure la maintenaient.

Le problème de Sick of Myself est de ne pas réussir à trouver à ce postulat de départ – une femme s’inflige une maladie de peau pour attirer l’attention sur elle – un sens, dans le double sens du terme. Une signification : quel sens donner à son geste sinon celui parodique voire pathologique d’une quête de célébrité poussant aux plus absurdes abus ? Un objectif, une finalité : et c’est là que le bât blesse, le scénario du film semblant bien en peine d’utiliser ce matériau pourtant très riche et de l’amener quelque part.

La bande-annonce

Omar la fraise ★☆☆☆

Omar Zerrouki dit « la fraise » (Reda Kateb) est un malfrat franco-algérien. Condamné en France à vingt ans de prison par contumace, il n’a d’autre solution que de s’installer en Algérie sans espoir de retour. Son inséparable ami d’enfance, Roger Lhermitte (Benoît Magimel), l’accompagne dans son exil doré.

Omar la fraise est un film éminemment sympathique qui met en scène deux des plus talentueux acteurs du moment : Benoît Magimel, enfant de la balle (Chatiliez le révèle à treize ans dans La vie est un long fleuve tranquille), qui faillit se brûler les ailes au feu de la célébrité avant de connaître sur le tard une étonnante rédemption (il vient d’obtenir en 2022 et 2023 deux Césars consécutifs pour De son vivant et Pacifiction) et Reda Kateb qui provoque chez mes amies cinéphiles une incompréhensible pâmoison malgré son menton en galoche, son œil borgne et ses dents en pointe.
On imagine volontiers le plaisir que ces deux potes ont pris, amis à la ville et amis à l’écran, en tournant ce film et en passant ensemble quatre semaines de vacances tous frais payés sous le soleil d’Alger.

Ce plaisir est communicatif ; mais c’est le seul atout d’un film qui n’en compte pas d’autres. Car, tout faraud d’avoir recruté ces deux pointures et de les faire tourner ensemble, son réalisateur, le novice Elias Belkeddar, a oublié l’essentiel : un scénario. L’idylle qu’il imagine entre Omar et une jolie Algérienne (Meriem Amiar), employée dans l’usine qu’il rachète pour blanchir son argent tourne vite court.

La promotion de Omar la fraise laissait miroiter un Tarantino à l’algérienne. C’est peut-être sur cette promesse là que le film a obtenu son ticket pour Cannes où il a été projeté hors compétition. La promesse fait long feu. Passée sa première scène, Omar la fraise troque les délicieuses parodies tarantinesques pour une exaltation sans saveur de l’amitié indéfectible qui unit deux arsouilles sur fond de coucher de soleil sur la Méditerranée. Du couscous sans harissa.

La bande-annonce

L’Amour et les Forêts ★☆☆☆

La trentaine bien entamée, Blanche Renard (Virginie Efira) peine à se remettre d’un chagrin d’amour quand elle revoit Grégoire Lamoureux (Melvil Poupaud), un ancien camarade de lycée, et en tombe immédiatement amoureuse. Les décisions s’enchaînent au rythme de leur folle passion : le mariage, le premier enfant, le déménagement de Normandie où Blanche a ses racines vers la Lorraine où Grégoire a obtenu sa mutation…
Mais bientôt, Blanche réalise la jalousie pathologique de Grégoire et l’emprise toxique qu’il exerce sur elle.

Je suis allé voir à reculons L’Amour et les Forêts, qui est sorti depuis trois semaines et que tous mes amis cinéphiles ont déjà vu et abondamment commenté. Pourquoi cette réticence ? Parce que sa bande annonce me donnait l’impression d’en connaître par avance tous les rebondissements.

J’ai finalement cédé à mes préventions et pris mon ticket. Je me suis retrouvé dans une salle encore bien pleine (preuve que les spectateurs aiment toujours le cinéma ou fuient la canicule ?), très majoritairement féminine (signe que le sujet du film les touche particulièrement ou que le charme vénéneux de Melvil Poupaud exerce sur elles plus d’attirance que sur les spectateurs masculins celui de Virginie Efira ?).

Mes préventions ont-elles été réfutées ? Pas vraiment. Au contraire. J’ai passé le film à maugréer, comme le vieux scrogneugneu que je suis. J’ai lu quelque part que L’Amour et les Forêts évitait le piège du film à thèse. Eh bien, j’aurais écrit exactement le contraire : le sixième film de Valérie Donzelli (La guerre est déclarée, Marguerite et Julien, Notre dame) aurait parfaitement introduit le débat que Les Dossiers de l’écran aurait consacré à la masculinité toxique et à l’emprise. Car c’est son sujet, son seul sujet, son unique sujet.

Certes, il le traite bien. Mais il le traite sans l’ombre d’une surprise ou d’un pas de côté (et qu’on ne m’oppose pas l’idylle sylvestre de Blanche avec un bel inconnu rencontré sur un site en ligne). Ainsi du premier tiers du film où on voit la passion naître entre Blanche et Grégoire dont on sait par avance qu’elle sera bientôt obscurcie par la jalousie dévorante de Grégoire. Ainsi des deux derniers qui dissèquent lentement le chemin de croix vécu par Blanche.

Il y avait peut-être un suspense que la bande-annonce n’éventait pas : Blanche finirait-elle par mourir entre les mains de Grégoire, ajoutant son nom à ceux des centaines de femmes, de toutes conditions et de tous milieux, qui meurent chaque année sous les coups de leurs maris ? Ce suspense là est nié par la construction même du film en flashbacks avec une Blanche bien vivante qui se confie à l’avocate qui la défendra dans le procès qui l’opposera à Grégoire (PS : pour être tout à fait honnête, c’est plus tard qu’on découvre que cette femme est avocate et on pourrait imaginer qu’elle exerce une autre profession, qu’elle soit par exemple la policière ou la juge d’instruction chargée d’interroger Blanche après qu’elle aurait tué Grégoire).

Je l’ai dit, le film se tient. Ses acteurs sont évidemment parfaits. Virginie Efira décroche déjà sa nomination aux prochains Césars avec le talent qui la caractérise à se glisser dans des rôles de femmes ordinaires avec lesquelles l’identification est non seulement immédiate mais aussi très valorisante (qui ne rêverait pas de lui ressembler ?). Melvil Poupaud a depuis toujours ce mélange de force et de faiblesse, de virilité brutale et de sexualité ambigüe, qu’Ozon a su si bien exploiter. Je ne sais lequel des deux est plus talentueux et se glisse le mieux dans son personnage.

Mais aussi bien joué soit-il, L’Amour et les Forêts ne m’a pas touché, faute de sortir d’un scénario tracé d’avance.

La bande-annonce

Le Paradis ★☆☆☆

Joe (Khalil Gharbia, repéré en sublime Adonis dans Peter von Kant) a dix-sept ans. Encore mineur, il purge la peine de prison à laquelle il a été condamné dans un IPPJ, l’équivalent belge de nos centres d’éducation fermés. C’est là qu’il fait la connaissance de William (Julien de Saint-Jean révélé dans Arrête avec tes mensonges sur lequel j’ai fait l’impasse) pour lequel il éprouve une immédiate attirance.

Le pitch du Paradis laisse ouverts les possibles. On imagine volontiers un film construit autour d’un double interdit. L’interdit que les deux adolescents, élevés dans la culture viriliste de l’IPPJ, se poseraient à eux-mêmes en refusant de reconnaître l’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. L’interdit que l’institution elle-même opposerait aux deux adolescents en leur déniant le droit de s’aimer.

Mais, le film ne prend pas cette direction là. Joe et William tombent amoureux l’un de l’autre sans avoir le temps d’interroger leur désir. Et si bien sûr, l’institution ne les encourage pas (la parfaite Eye Haidara, remarquable d’humanité et d’empathie, dit à Joe : « Ce n’est pas le bon endroit pour vivre cette histoire-là »), elle ne les décourage pas non plus..

S’il l’avait fait, on lui aurait reproché de ne guère nous réserver de surprises.
Voilà qu’il ne le fait pas et qu’on ne l’en félicitera pas pour autant. Jamais content ! Pourquoi ? Parce que Le Paradis, du fait de ce parti pris, devient un film trop lisse, trop terne. Même si les deux acteurs déploient une vibrante ardeur, Le Paradis se réduit vite à un banal premier amour homo-érotique à huis clos.

La bande-annonce

War Pony ★★☆☆

War Pony est le portrait croisé de deux Indiens lakota qui vivent dans la réserve de Pine Ridge au Dakota du Sud. La casquette vissée sur la tête, Bill, la vingtaine, vit aux crochets de sa grand-mère sans guère s’occuper de son fils. Il vit de petits trafics minables et s’est mis en tête d’élever des caniches de race avant de trouver à s’employer chez un riche Blanc. Matho, douze ans à peine, est laissé à lui-même après la mort brutale de son père. Il va trouver refuge dans une curieuse maison dont la propriétaire offre un toit à des orphelins comme lui en les employant comme dealers.

War Pony est né d’une rencontre, celle de l’actrice Riley Keough – la petite-fille du King Elvis Presley – avec deux chefs Indiens lakota lors du tournage de American Honey d’Andrea Arnold en 2015, un film que je n’avais pas aimé malgré ses excellentes critiques. À partir de leurs récits de vie et de ceux d’autres membres de la communauté, Riley Keough a écrit un scénario aidée de Gina Gammell qui co-réalise avec elle War Pony. Le résultat s’en ressent qui se situe à égale distance du documentaire et de la fiction.

War Pony est une ethnofiction qui n’évite pas parfois le misérabilisme. Rien n’est épargné à nos jeunes héros qui vont d’une avanie à l’autre sans espoir de rémission.

Le film, qui dure près de deux heures, a un rythme lent auquel on aurait tort de reprocher la langueur. Car ce rythme est emblématique de vies engluées dans un morne ennui. Autre reproche qu’on pourrait ou pas lui adresser : celui de l’entrelacement de ces deux récits, sous la forme d’un film choral à deux voix (pourquoi deux ? et pas trois ? ou quatre ?) mais dont je dis et je redis qu’il s’agit d’un procédé diablement efficace pour rythmer un scénario et en enrichir l’horizon.

Dernier reproche dont là encore, sitôt formulé, j’interroge la pertinence : War Pony a le défaut (rédhibitoire ?) d’arriver après les films de Chloé Zhang Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017) qui se déroulaient exactement au même endroit. J’ai du mal à dire lequel de The Rider et de War Pony est le meilleur film (je les classe ex aequo avec deux étoiles chacun) ; mais celui-ci a le défaut d’arriver après celui-là et ne plus posséder l’originalité de son prédécesseur.

La bande-annonce