Showing Up ★★★☆

Lizzie (Michelle Williams), la petite quarantaine, n’arrive pas à mettre la dernière main aux céramiques qu’elle doit exposer dans quelques jours à peine. Tout conspire à la déconcentrer de sa tâche : son travail administratif dans l’école d’art que dirige sa mère, son vieux père, son frère psychotique, la maison qu’elle loue dont la propriétaire refuse de remplacer la chaudière hors d’âge, jusqu’au pigeon que son chat a laissé pour mort et que Lizzie se voit contrainte de soigner….

Tout en en reconnaissant la valeur, je ne suis pas un fan inconditionnel du cinéma de Kelly Reichardt (River of Grass, Old Joy, Certaines femmes, First Cow). Je lui reproche ses afféteries arty, cette façon de faire passer du silence pour de la profondeur… alors qu’il n’y a que du vide.

Aussi, suis-je allé voir à reculons son dernier film, attendant plusieurs semaines après sa sortie début mai, échaudé par les avis mitigés de plusieurs amis pourtant spontanément plus indulgents que moi pour les films de cette cinéaste indé très West Coast.

Pour autant, à rebours de mes préventions, j’ai beaucoup aimé ce Showing Up au titre intelligemment polysémique.
Certes il ne s’y passe pas grand-chose. On sait par avance que le récit s’organisera autour d’un compte à rebours jusqu’à ce vernissage qu’attend et redoute tant Lizzie.
Mais Showing Up a une vertu rare : il montre des artistes au travail. Trop souvent, les films consacrés à des écrivains, à des peintres, à des sculpteurs les montrent occupés à tout un tas de choses sauf à écrire, peindre ou sculpter. En particulier, Showing Up nous évite plusieurs passages obligés des biopics des grands artistes qui nous racontent leur ascension et leur chute ainsi que les impossibles amours que la passion dévorante de leur art les empêche de vivre sereinement sans jamais les montrer au travail.

Rien de tel dans Showing Up qui est beaucoup plus terre à terre. Son héroïne est une femme banale, que Michelle Williams, pourtant si belle (Manchester by the Sea, The Fabelmans), semble prendre plaisir à jouer en s’enlaidissant : le cheveu gras, chaussée de Crocs horribles et de chaussettes marronnasses et difformes.

On peut se demander la part d’ironie qu’il y a dans cette interprétation et, plus largement dans ce film.. Kelly Reichardt et Michelle Williams se moquent-elles de la petite communauté d’artistes qu’elles peignent ? Peut-être. Mais, elles le font avec beaucoup de délicatesse. Showing Up ne verse jamais dans la satire grinçante, mais préfère, comme Paterson de Jim Jarmusch, creuser un sillon rare et précieux : celui de la création artistique.

La bande-annonce

La Maleta ★☆☆☆

Mario mène une vie d’ermite, centrée sur son travail aux Objets trouvés de la ville de Madrid. Un jour on lui ramène une valise rouge abandonnée au fond d’un fleuve. En examinant son contenu, il y découvre les ossements d’un nouveau-né. Face à l’inertie de la police, il décide de mener seul l’enquête.

La Maleta est le titre français d’un film espagnol intitulé Objetos sorti en Espagne fin 2022 et distribué dans le reste du monde début 2023.

Il s’agit d’un thriller très classique dont la seule originalité, qui en fait l’intérêt, est le métier exercé par son héros. Dans le rôle principal, on retrouve Alvaro Morte, le « professeur » de La Casa del Papel. Il a pour notre plus grand plaisir quasiment la même barbe, le même regard fou et le même rôle de maniaque obsessionnel.

La première demi-heure est la plus réussie qui campe le personnage, décrit son lieu de travail et pose les bases de la mystérieuse énigme qu’il décide de résoudre. Le reste l’est nettement moins lorsqu’il découvre un réseau de prostituées de luxe opérant dans les grands hôtels madrilènes et cachant un trafic d’enfants. Le pire est atteint dans le dernier tiers du film quand l’action se délocalise en Argentine avant un épilogue à tiroirs, exagérément romanesque dans les neiges du Québec.

Sorti la semaine dernière en salles, La Maleta n’y sera probablement plus la semaine prochaine après quinze jours d’exploitation. Si vous le ratez, vous le verrez en VOD. Et si vous ne le regardez pas en VOD, vous ne raterez rien…

La bande-annonce

L’Île rouge ★★☆☆

Nous sommes en 1972. Le petit Thomas a huit ans. Il est le troisième fils de Robert (Quim Gutierrez) et Colette (Nadia Tereszkiewicz), un couple de Français expatriés à Madagascar où Robert, sous-officier dans l’armée de l’air, a été muté sur la base 181 tandis que Colette, femme au foyer, assure la charge du ménage. Thomas est un enfant timide qui n’aime rien tant que de lire les aventures de Fantomette. Il observe sans toujours les comprendre les adultes qui l’entourent.

Robin Campillo s’est vu décerner la Palme d’Or en 2017 pour 120 bpm. Personne ne se souvient du discours qu’il a prononcé lorsqu’elle lui a été remise. Il a fallu attendre six ans pour que sorte son film suivant, éclipsé par la polémique suscitée par la discours de réception de Justine Triet samedi dernier.

L’Île rouge est un film largement autobiographique. Né en 1962, Robin Campillo a passé son enfance à suivre son père, sous-officier de l’Armée de l’air, dans ses affectations outre-mer au Maroc, en Algérie puis à Madagascar.
Quiconque a eu la chance de vivre dans son enfance une telle expérience en est marqué pour la vie. Ce fut le cas de nos enfants, au gré de nos affectations au Kenya et au Sénégal, même s’ils étaient trop jeunes pour en garder des souvenirs précis. La vie en expatriation dans l’Afrique post-coloniale est une expérience à la fois paradisiaque et déstabilisante pour le Blanc, souvent richement rémunéré, logé dans un luxe qu’il ne connaîtra jamais en métropole, entouré d’une nombreuse domesticité, mais confronté à une réalité culturelle et sociale aux antipodes de son monde.

Ces ambiguïtés-là, rarement filmées au cinéma (on ne peut guère citer que Chocolat de Claire Denis qui vécut enfant au Cameroun avant l’indépendance), sont remarquablement appréhendées par la caméra sensible de Robin Campillo qui restitue, à travers les yeux de Thomas, le parfum et la texture d’une époque dont témoignent sa musique et surtout ses costumes.
Nadia Tereszkiewicz, teinte en noir corbeau, aurait pu sembler bien jeune (elle est née en 1996) pour avoir un fils aîné qui se rase la moustache ; certains esprits bien-pensants auraient pu s’insurger que le rôle ne soit pas confié à une actrice plus âgée ; mais, une fois, encore, comme dans ses précédents films qui ont fait d’elle la révélation de l’année, elle crève l’écran. Mention spéciale à Sophie Guillemin, qu’on avait découverte en lolita dans L’Ennui et qui, vingt-cinq ans plus tard, assume sans complexe ses rondeurs et sa quarantaine bien entamée

L’Île rouge est moins original quand il chronique, à hauteur d’enfants, la vie des adultes et leurs contradictions. Thomas observe des couples qui s’ennuient et qui se distraient dans des soirées joyeusement alcoolisées. Il fait le procès de maris machistes qui étouffent leurs femmes dans un patriarcat que mai-68 ne semble pas avoir remis en cause. Il sent que le mariage de ses parents est en train de battre de l’aîle. La petite Suzanne, sa camarade de jeu, et Thomas forment hélas un duo déjà filmé bien souvent avec autrement plus d’intensité : Jeux Interdits, Cria cuervos, Fanny et Alexandre

Le principal défaut de L’Île rouge est la place réduite qu’il donne aux Malgaches. Ils sont quasiment invisibles dans les trois premiers quarts du film. Cette invisibilité est un parti pris revendiqué : il s’agit de montrer que les Blancs vivent dans une bulle coupée du monde, sans contact et sans désir d’en avoir avec les Malgaches qui les entourent – et dont ils sont pourtant censés travailler au développement. Pourtant, comme le faisait par exemple Chocolat, il y avait une place à faire aux domestiques de la maison et à la relation structurellement ambiguë que les Blancs et leurs enfants nouent avec eux.
Les Malgaches n’apparaissent que dans le dernier quart du film où on les voit participer aux manifestations qui conduiront à la chute du président Tsiranana et à la dénonciation des accords de coopération avec la France. Mais cette postface au film, qui laisse hors champ les protagonistes dont nous avions partagé la vie depuis près d’une heure et demie, ne présente pas grand intérêt.

La bande-annonce

Sparta ★★★☆

Ewald, la quarantaine bien entamée, a quitté l’Autriche, où son vieux père se meurt dans un EHPAD, pour la Roumanie. Il décide de rompre avec la barmaid locale qui partageait sa vie pour prendre un nouveau départ. Dans un village perdu de l’arrière pays, il réhabilite une ancienne école pour en faire un centre d’accueil pour les jeunes du village dénommé « Sparta ». Une dizaine de gamins y passent leurs journées. Mais bientôt, leurs parents s’inquiètent du comportement d’Ewald et lui demandent des comptes.

C’est peu dire que le cinéma de Ulrich Seidl est malaisant ou, pour éviter l’emploi de ce terme que le Grévisse condamne probablement, dérangeant. Je me souviens du choc éprouvé à la découverte de son triptyque Paradis, au titre antinomique : ses héros étaient une quinquagénaire dévorée par la solitude en vacances sur la côte kenyane, une Autrichienne confite en dévotion et une jeune boulimique amoureuse de son nutritionniste. Suivait Sous-sols un documentaire sur les délires refoulés d’Autrichiens ordinaires : adeptes du SM, nostalgiques du Troisième Reich, freaks en tous genres… Puis vient ce diptyque racontant la vie de deux frères : le premier, découvert dans Rimini, est crooner sur la Côte adriatique, le second, qu’on avait entr’aperçu dans le premier volet, traîne sa gueule cabossée (que j’avais longtemps prise pour celle de Franz Rigowski mais qui est en fait celle de son partenaire dans Great Freedom Georg Friedrich) et sa voix de fausset en Roumanie. Les deux films peuvent se voir séparément ; mais il serait dommage de se priver du plaisir de les découvrir ensemble.

Le cinéma d’Ulrich Siedl est formellement très original. Refusant tout psychologisme, la caméra du réalisateur autrichien montre sans rien démontrer. Dans Rimini, elle suivait les déambulations de Richie Bravo dans le décor surréaliste d’une cité balnéaire recouverte par la neige. Dans Sparta, elle suit en longs plans fixes celles de son frère, aussi mutique et introverti que son aîné était bavard et plastronneur.
On ne saura rien des motifs qui ont conduit Ewald à quitter l’Autriche pour la Roumanie ni des circonstances dans lesquelles il a rencontré sa compagne. La première moitié du film y raconte – mais s’agit-il d’un récit à proprement parler ? – la vie ennuyeuse qu’il y mène avant une rupture dont on ne comprend pas vraiment lequel des deux partenaires la provoque. C’est la seconde moitié qui est la plus intéressante, et la plus malaisante, pour reprendre ce terme décidément omniprésent.

Un malaise accru par la polémique lancée par Spiegel en septembre 2022 autour des conditions du tournage de Sparta en Roumanie : les parents auraient été tenus dans l’ignorance du sujet du film et les enfants maltraités. Si les procédures judiciaires engagées en Roumanie et en Allemagne depuis lors n’ont pas abouti, la polémique a conduit les organisateurs du festival du film de Toronto à le déprogrammer – ceux du Festival de San Sebastian l’ont au contraire maintenu.

Dans la seconde partie de Sparta, on voit Ewald ouvrir une école de judo dans laquelle on ne fait guère de judo. Il s’agit plutôt d’un centre aéré, d’un lieu de vacances, où les quelques gamins du village viennent chasser l’ennui avec la complicité bienveillante d’Ewald. La canicule estivale aidant, les pré-adolescents passent leur temps en maillot de bain. On voit même Ewald, nu, prendre une douche avec eux.

Le sujet pourrait être choquant s’il n’était traité avec une extrême intelligence. La pédophilie d’Ewald n’y est jamais montrée frontalement. Tout laisse à penser d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de passage à l’acte de sa part, son attirance pour ses pensionnaires restant au stade du fantasme. Cette attirance, malsaine et condamnable, s’exprime dans une immense tendresse pour ces gamins. Cette situation met le spectateur en porte-à-faux : faut-il la réprouver au motif des pulsions pédophiles qu’elle cache ou au contraire la saluer comme une sublimation de pulsions réfrénées ?

La réaction des villageois est hélas moins subtile. Et c’est là peut-être le seul faux-pas de ce film si intelligent. Les parents des gosses – et au premier chef le père de l’angélique Octavien – sont décrits comme des abrutis alcooliques et xénophobes. J’aurais bien imaginé une fin christique à la Pasolini. Mais la fin de Sparta m’a réservé une ultime surprise, volontairement anti-spectaculaire.

La bande-annonce

Le Principal ★★☆☆

Sabri Lahlali (Roschdy Zem) est le principal adjoint d’un collège d’une grande ville de province. Issu de l’immigration, ce passionné de lettres dur à la tâche a réussi à s’intégrer à force de persévérance, à la différence de son frère (Hedi Bouchenafa) qui a sombré dans la dépendance. Sabri soumet Naël, son fils unique, dont la musique est la seule passion, à une discipline de fer contre l’avis de sa mère (Marina Hands), qui enseigne dans le même collège et dont Sabri est séparé depuis peu. Il nourrit pour Naël de grandes espérances au point de franchir la ligne rouge le jour des épreuves du brevet que l’adolescent passe et que Sabri a la responsabilité de superviser.

Roschdy Zem a réussi à atteindre une célébrité telle que désormais un film peut se faire sur son seul nom. Ce Principal en est la preuve, dont l’acteur mange en majesté toute l’affiche et dont son seul nom occupe le sommet – sacrifiant au passage ceux de Yolande Moreau, qui interprète sa supérieure directe, et de Marina Hands. Mais le procédé est efficace, qui m’aura appâté et aura sans doute appâté aussi tous les spectateurs – et ils sont nombreux – qui apprécient cet acteur.

Le personnage qu’il interprète ici est ambigu. Il est spontanément antipathique. Les premières images du film le montrent engoncé dans son costume cravate impeccable, le bureau rangé au cordeau dans un ordre maniaque, aussi exigeant avec lui-même qu’avec les collégiens dont il a la charge et même avec son propre fils. Mais cette froideur apparente cache des failles internes qui le rendent plus sympathique : on imagine que ce proviseur-adjoint a dû se battre pour en arriver là où il est et que la moindre erreur pourrait lui faire dégringoler l’échelle sociale qu’il a péniblement gravie.
Je ne connais pas assez bien le fonctionnement de l’Education nationale pour savoir si le scénario est crédible. Il me semble l’être.

Le film est sec comme une trique. S’il compte quelques personnages secondaires – ce frère paumé envers qui Sabri fait preuve d’une humanité dont il est par ailleurs bien avare, cette principale jouée par la gouailleuse Yolande Moreau qui nourrit pour son adjoint des sentiments maternels voire plus – il se concentre en 1h22 montre en main sur son intrigue.

Pourquoi n’est-il pas aussi réussi qu’on aurait pu l’espérer ? Peut-être parce que son scénario, même s’il reste ouvert, demeure somme toute assez prévisible : on se doute bien, rien qu’en voyant la bande-annonce, qu’à un moment ou un autre, la tricherie de Sabri sera découverte et que son fils et lui devront en supporter les conséquences. Peut-être aussi parce que ses personnages manquent d’épaisseur et de mystère : celui interprété par Marina Hands manque par exemple de profondeur, celui interprété par Hedi Bouchenafa, aussi réussi soit-il, n’apporte rien au récit.

La bande-annonce

Trenque Lauquen ★☆☆☆

Laura a disparu. Cette botaniste solitaire s’était récemment installée dans la petite ville de Trenque Lauquen, perdue dans la pampa, à plusieurs centaines de kilomètres à l’ouest de Buenos Aires. Elle y avait même une émission à la radio locale consacrée aux femmes célèbres. Pour la préparer, elle était devenue une habituée de la bibliothèque municipale. C’est là qu’elle découvrit, dans les plis d’un vieil ouvrage, une missive oubliée qui la mit sur la piste d’une relation secrète entretenue près de cinquante plus tôt entre une institutrice de la ville et un bel Italien.
Lorsque Laura disparaît, deux hommes partent à sa recherche. Le premier est son compagnon, le second un employé municipal qu’elle avait associé à sa quête et qui était lentement tombé amoureux d’elle.

Avez-vous vu La Flor, cet objet cinématographique non identifié long de 814 minutes et diffusé en salles début 2019 en quatre épisodes, nonobstant le sage adage de Hitchcock : « La durée d’un film devrait être directement liée à la capacité de la vessie humaine » ? L’avez-vous aimé – ce qui, si vous vous souvenez de la critique décoiffante que j’en avais faite, n’était pas mon cas ?

Si – pour ma plus grande admiration s’agissant de la question 1 et pour ma plus grande surprise s’agissant de la question 2 – vous répondez positivement à ces deux questions, courez voir Trenque Lauquen qui reproduit les mêmes schémas labyrinthiques et volontairement incompréhensibles que La Flor, dans un format plus humain (quatre heures seulement ce qui, à l’aune des treize heures passées de La Flor, lui donne des airs de court métrage).
Si non, ce qui, au doigt mouillé, doit représenter environ 99.99 % de la population, n’allez pas y perdre votre temps sauf si vous avez, comme moi, une tendance coupable au masochisme.

Pourquoi, me direz-vous lui mets-je alors une étoile et pas zéro ? La première raison en est, je l’ai dit, cette durée plus supportable : La Flor était un supplice narcoleptique qui s’est étalé sur deux jours alors que Trenque Lauquen n’a hypothéqué qu’une seule soirée. La seconde, ironie mise à part, est le respect dû au cinéma inventé par ce drôle de collectif de cinéastes argentins, El Pampero Cine, dont j’ai le droit de dire que je ne l’aime pas, mais pas celui d’affirmer qu’il ne vaut rien.

La bande-annonce

Ramona fait son cinéma ★☆☆☆

Tout commence mal entre Ramona et Bruno… ou tout commence trop bien entre ces deux trentenaires madrilènes qui se rencontrent par hasard et tombent amoureux l’un de l’autre sans savoir que le lendemain Ramona participera au casting du film que Bruno est sur le point de réaliser. La jeune femme, en couple avec Nico, se cabre : elle ne veut pas être engagée sur de mauvaises bases et surtout a peur de tromper son copain. Bruno au contraire s’enflamme.

Ramona fait son cinéma a tout pour séduire. À commencer par sa bande-annonce qui m’avait fait de l’oeil. Un pressentiment accentué par la critique de Berthe Edelstein (uniquement accessible hélas sur Facebook, mais à mon grand dam largement meilleure aux miennes) qui en disait le plus grand bien.
On me promettait « un croisement ibérique entre Woody Allen, Hong Sang Soo et la Nouvelle Vague française ». J’ai beaucoup pensé au Frances Ha de Noah Baumbach : dans le même noir et blanc trendy, une héroïne trentenaire (ici, la sylphide Greta Gerwig, là la brune Lourdes Hernandez) se cherche. On pourrait aussi citer – car Ramona lui ressemble – l’héroïne de Eva en août, un film que je n’avais pas aimé mais que tous mes amis encensent.

N’en rajoutons pas de peur de faire crouler ce petit film sous trop de références écrasantes. Car hélas, Ramona croule vite. Si sa première scène est délicieuse, celle de la rencontre, dans un café où les deux héros marivaudent, puis dans ses alentours, les autres, organisées dans une succession de saynètes séparées par des intertitres, sont plus laborieuses. Le scénario devient inutilement bavard provoquant vite un ennui croissant. D’autant que l’enjeu est faible – Ramona quittera-t-elle Nico pour Bruno ? – et le suspense ténu.

Loin de la légèreté attendue et malgré sa louable concision (1h20 au compteur et au comptoir) et le charme indéniable de sa ravissante héroïne, Ramona fait son cinéma m’a donné l’impression d’un produit stéréotypé, voué à une péremption fatale (dans dix ans, je fais le pari que ce film sera effroyablement daté et démodé) sans profondeur et sans intérêt.

La bande-annonce

Jeanne du Barry ★★★☆

Rarement un film aura-t-il autant monopolisé l’attention. La responsabilité en revient-elle au festival de Cannes qui agit comme une caisse de résonance ? À la disette qui nous sèvre chaque année en avril et mai de bons films ? À la personnalité éruptive de sa réalisatrice qui a réussi opportunément en crachant à la figure d’Edwy Plenel à susciter la polémique ? À celle de Johnny Depp dont l’image de star a été écornée par ses démêlés judiciaires avec Amber Heard, son ex-femme, et dont le recrutement sur ce tournage pourrait constituer un défi lancé au féminisme #MeToo ?

Jeanne du Barry a fait l’ouverture du festival de Cannes mardi soir et, depuis, il ne se passe pas un seul jour sans qu’on me demande mon avis sur lui. C’est un peu contraint et forcé que je suis allé le voir hier. Je ne le regrette pas une seconde.

J’en ai lu déjà tant de critiques fielleuses que, par esprit de contradiction, j’ai envie d’en prendre la défense.

La plupart évoquait moins le film lui-même que ce qu’il y avait autour. À commencer par sa réalisatrice-actrice principale -co-productrice. J’ai nommé Maïwenn « l’hystérique » (le mot étant désormais voué aux gémonies par les féministes radicales en raison de son étymologie, je n’ose plus l’employer sans guillemets). On critique son omniprésence (elle est de tous les plans… mais le film n’a-t-il pas pour titre le nom de son personnage et pour sujet l’histoire de son ascension, de sa gloire et de sa chute ?), son égocentrisme (elle filme moins la favorite de Louis XV qu’une métaphore de sa propre vie lorsque, à dix-sept ans à peine, Luc Besson l’intronisa Première Dame du cinéma français), les libertés qu’elle a prises avec l’Histoire (par exemple, Jeanne n’épousa pas Jean du Barry, lequel était déjà marié, mais son frère Guillaume pour devenir comtesse et être admise à la Cour) son jeu et parfois même – ce qui n’est pas galant – son physique.
Sur un point, Maïwenn me semble en effet critiquable : son anachronisme. La désinvolture de la du Barry, sa coiffure et jusqu’au tutoiement qu’elle s’autorise avec le Roi sont apocryphes. Une telle liberté à la Cour du Roi n’était tout simplement pas concevable. Mais cet anachronisme est-il si grave ? Ni vous ni moi n’avons jamais été à la Cour du Roi pour attester du préjudice causé par ce film pour en avoir travesti la réalité. Et si cet anachronisme en sert l’esprit, lequel cherche à mettre en scène une femme libre qui entend insuffler un peu d’air frais dans un protocole empesé, pourquoi ne pas le lui autoriser ?

Avant de reprocher à Maïwenn son égocentrisme et son hystérie, il faudrait faire bonne mesure et saluer le chemin qu’elle a parcouru. Hystériques, ses précédents films l’étaient sans conteste :  Polisse, Mon roi, ADN… Par contraste, Jeanne du Barry marque un tournant dans son oeuvre, vers un cinéma plus apaisé, plus classique.
Classique ! Le mot est lancé. Est-ce une insulte ? Pas sous ma plume.
Et précisément, pour le résumer en une phrase, Jeanne du Barry est à mes yeux un grand et beau film classique.

Par son histoire : celle d’une courtisane, pour ne pas dire une catin, sortie du ruisseau qui, moins par ambition personnelle que poussée par l’homme qui lui sert à la fois de proxénète et de mari (Melvil Poupaud), sera présentée au Roi et partagera bientôt sa couche. Maïwenn a la faiblesse de peindre son héroïne comme une grande amoureuse. La réalité fut sans doute moins romantique. Jeanne a vingt-cinq ans quand elle est présentée au Roi ; Louis XV en a cinquante-huit et est déjà rongé par la vérole qui l’emportera six ans plus tard. Leur relation fut moins une longue histoire d’amour que le point de fixation d’une sourde guerre de chapelles à la Cour entre coteries.

Par ses décors somptueux, filmés à l’intérieur même du château de Versailles, ses costumes, ses coiffures, ses bijoux.

Et enfin, on ne l’a pas assez souligné, par sa brochette de seconds rôles exceptionnels. On a beaucoup glosé sur Johnny Depp, méconnaissable. On a parfois l’impression qu’il consacre toute son énergie à parler correctement le français. Il n’en est pas moins excellent dans un jeu tout en retenue. En douteriez-vous ? Regardez sa bouche dans la bande-annonce lors de la présentation de Jeanne du Barry à la Cour !
Mais il faut dire un mot des autres acteurs qui, perruqués et costumés, s’effacent derrière leurs rôles : j’ai bien failli ne pas reconnaître Pierre Richard, Noémie Lvovsky, India Hair, Pascal Greggory…
Mention spéciale à Benjamin Lavernhe, curieusement dénommé La Borde alors que le premier valet du roi s’appelait Lebel. Il est absolument irrésistible dans le rôle du plus proche confident du Roi – et de son pourvoyeur de maîtresses – attaché à faire respecter le protocole implacable de la Cour mais manifestant à l’égard de Jeanne une humanité touchante.

La bande-annonce

Temps mort ★★☆☆

Trois détenus bénéficient d’une permission le temps d’un week-end. La soixantaine, Julien Hamousin est sur le point d’achever une longue peine. Il cherche un emploi pour se réinsérer et hésite à revoir sa femme et ses enfants avec lesquels il n’a eu aucun contact pendant les vingt années qu’il vient de passer en prison. La quarantaine, Anthony Bonnard souffre de graves troubles psychiques et d’une dépendance à l’alcool qui se marie mal avec son traitement médical. Son état l’empêche de renouer avec sa famille et avec son fils des liens normaux. La vingtaine, Colin Elajmi est tombé pour un sombre trafic sans dénoncer ses complices. Sa mère ne le lui a pas pardonné.

La prison, Eve Duchemin l’a d’abord filmée avec l’oeil du documentariste avant d’avoir l’idée d’en faire l’objet d’une fiction. Cette familiarité avec son sujet se sent dans un film qui, comme le récent Je verrai toujours vos visages, mais avec moins de bonheur que lui, flirte avec les frontières de ces deux genres. Avec une grande sensibilité est exploré le défi de la réinsertion, un angle mort des films sur la prison (ils sont pourtant pléthore) qui filment à foison des détenus entre quatre murs sans envisager un jour leur élargissement (je suis injuste en ne pas mentionnant l’avant-dernier film de Robert Guédiguian Gloria Mundi). Que devient un ancien détenu après sa sortie de prison ? Comment ses proches l’accueillent-ils ? Retrouve-t-il sa place ? Retrouve-t-il une place ?

À ces questions, Temps mort apporte une réponse bien pessimiste à travers les cas presqu’archétypaux d’un vieux détenu dont la vie gâchée est désormais derrière lui sans espoir de nouvelle chance, d’un malade qui aurait plus sa place dans un hôpital psychiatrique que dans un centre de détention et d’un jeune dealer (dont je n’ai pas compris ce qu’il advenait à la dernière image) sevré d’amour maternel.

On reprochera au film son montage qui, un peu trop systématiquement, passe d’une histoire à l’autre sans établir de ponts entre elles. Le scénario et le montage de Je verrai toujours vos visages étaient, de ce point de vue, mieux réussis. Temps mort devient inéluctablement un film à sketches où fatalement on s’attache à une histoire plus qu’à une autre. Celle de Colin est, selon moi, la plus faible ; celle d’Anthony m’a plus marqué. Le mérite en revient à Karim Leklou, grenade dégoupillée prête à exploser à chaque instant. Cet acteur est décidément incroyable. À chacune de ses apparitions, mes critiques lui consacrent un long paragraphe dithyrambique. Qu’y a-t-il dans son jeu, dans sa présence qui m’impressionne autant ? Sa corpulence qui rappelle Gérard Depardieu ou Raimu ? Son regard halluciné ? Sa voix ? Son rire dément ?

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Fairytale ☆☆☆☆

Staline, Hitler, Mussolini, Churchill sont morts. Ils errent dans les limbes et monologuent, chacun dans leur langue, croisent Napoléon et Jésus, en attendant que les portes du Paradis s’ouvrent… ou pas…

Élève de Tarkovski, Sokourov a toujours interrogé le pouvoir. Il a consacré une trilogie aux grandes figures du XXième siècle : Hitler (Moloch), Lénine (Taurus) et Hiro-Hito (Le Soleil). Il en convoque quelques-unes dans une oeuvre qui pourrait être qualifiée de testamentaire, du fait d’une part de l’âge du réalisateur septuagénaire, d’autre part de sa tonalité crépusculaire.

C’est en effet dans l’outre-tombe que sont réunis quatre des hommes qui ont le plus funestement marqué le siècle dernier. L’hypothèse résonne comme le début d’une blague puérile, mais n’a rien de comique.
Le réalisateur, aidé de quelques geeks, a plongé dans les images d’archives et les a retravaillées numériquement. Le résultat est étonnant. Les quatre protagonistes sont immédiatement reconnaissables mais étrangement déformés, comme s’ils flottaient dans un au-delà fantomatique. Précisément, c’est dans les limbes que ces quatre figures sont censées errer, mâchant – ou remâchant – leurs souvenirs (comme les images en donnent l’impression, bien en peine de coordonner les mouvements de leurs lèvres à leurs propos).

Ces figures curieusement réincarnées évoluent dans de curieux décors. Sokourov dit s’être inspiré de Piranèse, un graveur italien du XVIIIème siècle dont Yourcenar disait : c’est un « monde factice, et pourtant sinistrement réel, claustrophobique, et pourtant mégalomane (qui) n’est pas sans nous rappeler celui où l’humanité moderne s’enferme chaque jour davantage… »

Ce dispositif expérimental est stimulant. Pendant un quart d’heure on y plonge avec autant de curiosité que de fascination. Le problème est que Sokourov s’en contente. Son récit sans queue ni tête ne raconte rien. Hitler, Staline, Churchill (que vient-il faire, le pauvre, dans cette bande de criminels ?) et Mussolini errent sans but, soliloquent en marmonnant. On n’apprend rien. On ne ressent rien sinon l’ennui qui gagne. L’expérience lysergique devient vite lassante sinon exténuante. Seule qualité : elle dure soixante-dix-huit minutes à peine.

La bande-annonce