The Sparks Brothers ★★☆☆

Je n’avais jamais entendu parler de Sparks avant Annette et de voir Russell Mael, le chanteur du groupe, recevoir, en lieu et place de Leos Carax, le prix de la mise en scène du festival de Cannes.

Pourtant les deux frères Mael, Russell, le chanteur, chouchou de ces dames, et Ron, le claviériste moustachu pince-sans-rire, se produisent depuis près de cinquante ans. Inoxydables, ils ont traversé toutes les époques, du rock à la pop en passant par la new wave et l’electro (le style de leur single le plus connu When I’m with you sorti en 1980). S’ils n’ont jamais atteint la célébrité des Beatles ou des Stones, ils ont durablement influencé beaucoup de chanteurs contemporains (d’où le sous-titre qu’on lit au pied de l’affiche : « Le Groupe préféré de votre groupe préféré »).

Edgar Wright, réalisateur britannique éclectique (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Baby Driver) et fan de la première heure, leur consacre ce long documentaire. Il y raconte méticuleusement leur vie, commentant chaque album, l’un après l’autre. L’énumération est longue : Sparks en a sorti vingt-cinq. Et l’académisme de la mise en scène, alternant des images d’archives (au nombre desquelles on découvre avec surprise certaines de la télévision française) ne rend pas honneur à l’originalité de la musique de ce groupe à nul autre pareil. Au bout de deux heures quinze, une durée anormalement obèse pour un documentaire de ce style, l’ennui guette. Mais la curiosité qu’inspire ce duo bizarre maintient néanmoins l’intérêt.

On ne peut en effet s’empêcher de le trouver sympathique. C’est leur ténacité qui suscite le plus l’admiration. À la différence de tant de groupes qui ont atteint la gloire avant de sombrer dans l’oubli, de se déchirer et de se séparer, les deux frères Mael, réunis par on-ne-sait-quel lien ombilical, sont restés fidèles à eux mêmes et l’un à l’autre. Loin de reproduire sans cesse les mêmes formules, ils n’ont eu de cesse de se réinventer, au risque souvent de déboussoler leurs fans. Telles deux marionnettes du Muppet Show, on les voit avec émotion, à soixante-dix ans bien sonnés, continuer à travailler inlassablement chaque jour dans leur villa californienne, assis l’un à côté de l’autre, Ron devant son clavier, Russell devant son ordinateur.

The Sparks Brothers ne nous dit rien de leurs vies privées. On ne saura pas dans quelle famille ils ont grandi, avec quelles femmes ils ont vécu (car Ron et Russell sont hétérosexuels contrairement à l’image qu’ils donnent volontiers). Cette occultation frustre le spectateur en mal de transparence, qui aurait aimé connaître tous les petits ragots de leurs vies. Mais elle participe aussi d’un projet et d’une éthique : conserver une part de mystère.

La bande-annonce

La Loi de Téhéran ★★★☆

Le commandant Samad Majidi (Payman Maadi, l’acteur fétiche des premiers films de Ashgar Farhadi), dirige une unité de la brigade des stupéfiants de Téhéran. Il n’a qu’une obsession : coincer Nasser Khakzad (Navid Mohammadzadeh), un caïd de la drogue. Pour y parvenir, il ordonne le ratissage des bas-fonds de Téhéran où croupit une foule hagarde de toxicos. Il espère remonter une filière en arrêtant et en harcelant des intermédiaires : revendeurs, mules, dealers….

Plus de deux ans après sa sortie en Iran et sa projection à la Mostra de Venise, La Loi de Téhéran arrive enfin sur nos écrans précédé d’une réputation flatteuse. Sa renommée n’est pas usurpée. La Loi de Téhéran est un film fort, qui laisse une marque durable sur un public K.O. debout.

Son histoire fait fond sur une situation sociale qui fait froid dans le dos. L’Iran est devenu un pays de toxicos. Just 6.5 est son titre anglais : « à peine » 6.5 [millions] de toxicomanes sont recensés dans la République islamique d’Iran, une faune aux marges de la loi que la caméra virtuose de Saeed Roustayi (trente ans à peine) filme comme une armée de zombies. Deux scènes sont particulièrement impressionnantes : celle du début du film figure sur l’affiche – très moche – et dans la bande annonce ; je vous laisse découvrir le dernier plan du film, tout aussi marquant.

Sur cette toile de fond documentaire, La Loi de Téhéran confronte très traditionnellement un flic obsessionnel et un gros bonnet. La première partie du film est la plus réussie qui raconte la traque du trafiquant. On y croisera notamment trois mules inoubliables, dont on se demande si elles ont été déguisées de postiches ou si les corps qu’on nous montre sont bien les leurs. J’ai moins aimé la seconde moitié du film dont je n’ai pas toujours compris certains rebondissements.

La Loi de Téhéran est mené tambour battant, à un train d’enfer, qui ne laisse pas une minute de répit au spectateur. La tête sous l’eau, il est pris en otage par ce film de plus de deux heures. On ne connaît pas assez bien le tout-venant de la production cinématographique iranienne pour savoir si ce polar nerveux en est représentatif ou s’il est la marque d’un jeune réalisateur de génie dont on attend impatiemment le film suivant.

La bande-annonce

Profession du père ★★☆☆

Lyon. 1961. Emile a onze ans. Son père (Benoît Poelvoorde) exerce sur lui une emprise que sa mère (Audrey Dana) peine à endiguer. Partisan de l’Algérie française, opposant enragé à De Gaulle, il l’a enrôlé dans une organisation imaginaire qui fomente des attentats en métropole. Sous la coupe de ce père autoritaire et violent, Emile est incapable de lui opposer la moindre résistance et entraîne bientôt un jeune camarade dans son délire.

Je suis un fan inconditionnel de Sorj Chalandon. Je le découvre en 2006 grâce au prix Médicis qui couronne son deuxième roman, Une promesse. Je lis dans la foulée tous les autres avec une préférence pour le diptyque Mon traître/Retour à Killybegs sur le conflit irlandais. Jean-Pierre Améris, qui a l’habitude de s’inspirer d’auteurs contemporains (Anne Wiazemsky, Olivier Adam, David Foenkinos…), adapte son antépénultième roman sorti en 2015. Il y retrouve Benoît Poelvoorde qu’il avait déjà dirigé dans Les Émotifs anonymes et dans Une famille à louer.

Ce choix de casting est peut-être un des défauts du film. Car Poelvoorde est avant tout un acteur de comédie. Il a certes fait de nombreuses incursions dans la tragédie ; mais ses apparitions souvent bouffonnes prêtent plus souvent à rire qu’à trembler. Or le père de cette histoire n’est pas un personnage drôle. Au contraire, c’est un caractère violent, terrifiant. Ses apparitions devraient nous glacer, d’autant que ni sa femme, ni son fils ne lui opposent de résistance, laissant libre cours à sa mythomanie délirante. Le problème de Benoît Poelvoorde est qu’il ne nous fait pas peur.

Il y aurait de quoi. Car l’histoire est poignante qui confronte un homme malade, emporté par sa folie, et une femme et un enfant incapables de lui résister, victimes condamnées par avance de son emprise autoritaire. Le film de Jean-Pierre Améris est hélas un peu trop sage, sa reconstitution du début des années soixante un peu trop appliquée. Sa réalisation un peu fade peine à s’élever au-dessus du standard télévisuel.

La bande-annonce

Sous le ciel d’Alice ★★☆☆

Alice est une jeune infirmière suisse qui quitte dans les années cinquante son pays natal pour s’installer au Liban. Elle y fait bientôt la connaissance d’un astrophysicien libanais, Joseph, et de son envahissante et chaleureuse fratrie : Mimi sa sœur, Georges son frère et Amal sa belle-soeur ainsi que leurs trois enfants. Alice et Joseph se marient et ont bientôt une fille, Mona. Dans la « Suisse du Moyen-Orient » qu’est alors le Liban, Joseph travaille à un projet fou, envoyer le premier Libanais sur la lune, tandis qu’Alice dessine et vend quelques unes de ses oeuvres. Mais tout bascule en 1975 avec la guerre civile libanaise qui obligera Alice à quitter la terre qui l’avait si généreusement accueillie vingt ans plus tôt.

Chloé Mazlo est une jeune réalisatrice française. Sous le ciel d’Alice est son premier long métrage inspiré de la vie de sa grand-mère. On ressent, à le voir, la nostalgie de cette femme, d’autant plus attachée à une terre ensanglantée par la guerre et réticente à l’abandonner, qu’elle a délibérément choisi de s’y installer. On imagine aussi la curiosité de sa petite-fille à écouter les souvenirs merveilleux de ce paradis perdu.

Pour faire revivre ce passé, plusieurs options s’offraient à la réalisatrice. La plus évidente était la reconstitution historique comme on en a tant vues, quitte à tourner sur un fond vert et à rajouter quelques effets spéciaux. Le parti qu’elle retient, outre qu’il est certainement moins onéreux, est autrement plus original et rappelle les bricolages géniaux d’un Michel Gondry : un tournage en studio, qui ne quitte guère les murs de l’appartement d’Alice et Joseph, des décors et des costumes très gais qui louchent vers la bande dessinée, quelques séquences en stop motion pour évoquer le départ d’Alice de Suisse…

Le tout, gentiment surréaliste, est d’une poésie charmante, d’une infinie douceur, d’un charme fou. La beauté diaphane de Alba Rohrwacher y est parfaite. On n’aurait pas imaginer interprète plus appropriée pour jouer Alice que cette actrice italienne de père allemand au français joliment maladroit. Le seul défaut de Sous le ciel d’Alice vient de sa modestie : son refus de pimenter son récit de rebondissements épiques en rend parfois le rythme un peu lent et sa fin annoncée – puisqu’on sait dès la première scène comment il se terminera – le prive de toute tension.

La bande-annonce

Sœurs ★★★☆

Zorah (Isabelle Adjani), Djamila (Rachida Brakni) et Norah (Maïwenn) sont sœurs. Elles vivent en France auprès de leur mère. Leur père les a quittées brutalement vingt huit ans plus tôt en kidnappant leur frère cadet, Redah, dont elles n’ont depuis aucune nouvelle. Ce choc a provoqué chez elles un traumatisme qu’elles ont plus ou moins bien vécu. Norah, la benjamine, que son père avait kidnappée avec son frère mais qui a réussi à revenir en France, ne s’en est jamais remise et n’est pas arrivée à se stabiliser. Djamila, la cadette, s’est intégrée à la société française au-delà de toute espérance et est devenue maire de Saint-Quentin. Zorah l’aînée est dramaturge. Elle monte actuellement, malgré l’hostilité de ses sœurs et de sa mère, une pièce autobiographique racontant la jeunesse de ses parents. Sa fille, Farah (Hafsia Herzi) y interprète le rôle de sa mère.
C’est alors qu’une nouvelle leur parvient d’Alger d’une lointaine cousine : leur père vient de subir un AVC. Elles décident d’aller à son chevet pour découvrir enfin le sort de leur petit frère.

Yamina Benguigui a un profil original. Cette documentariste, venue à la fiction sur le tard (Sœurs est son deuxième long métrage en bientôt trente ans de carrière) a fait un détour par la politique. Adjointe au maire de Paris, elle est même devenue ministre entre 2012 et 2014. Chargée de la francophonie au Quai d’Orsay, elle y a laissé un souvenir mitigé que le devoir de réserve m’interdit de détailler.

Son film s’est fait étriller par la critique. Sorti le 30 juin, il a vite disparu des écrans. Lui furent reprochés en vrac le manque de direction de ses actrices, le didactisme de son message, sa ressemblance avec ADN de Maïwenn.

C’est un procès injuste. En particulier, on ne saurait reprocher à Sœurs les hasards du calendrier qui ont retardé sa sortie après celle de ADN qui traite en effet de la quête par son héroïne de ses racines algériennes et avec lequel il partage le même mouvement : de la France vers l’Algérie où il se conclut en pleines manifestations populaires du Hirak.

Que dire du jeu des artistes ? Yamina Benguigui a eu la chance de réunir trois stars – quatre si on inclut Hafsia Herzi injustement bannie de l’affiche. Qu’elle leur fasse la part belle n’a rien de blâmable, filmant longuement leurs déchirements. C’est l’inverse qui aurait été décevant. Maïwenn fait du Maïwenn : en colère contre le monde entier. Rachida Brakni a un peu de mal à trouver sa place. C’est Adjani qui est la plus étonnante, la peau diaphane et lisse d’une adolescente, jouant sur un mode un peu décalé le rôle de la grande sœur cathartique.

Reste le didactisme du message. Sœurs parle d’une famille franco-algérienne écartelée entre deux cultures et deux pays, traumatisée par l’amputation de l’un de ses membres, kidnappé par son père. Un tel thème n’est pas léger. Il se serait mal prêté à un traitement sur un mode mineur. Sans doute les flashbacks qui émaillent le film manquent-ils parfois de subtilité ; mais ils ont le mérite d’illustrer une histoire familiale complexe qui se déroule à trente ans de distance. D’autant que s’y superposent les répétitions de la pièce de Zorah qui produit une mise en abyme particulièrement efficace.

Sœurs ne mérite peut-être pas les trois étoiles que je lui décerne avec trop de laxisme. Mais il a reçu une telle volée de bois vert que je veux, par mon indulgence, essayer de contrebalancer cette injustice.

La bande-annonce

Bonne Mère ★☆☆☆

Nora, la cinquantaine, habite les quartiers nord de Marseille. Chaque matin, elle se lève aux aurores pour aller, en métro puis en bus, à Marignane faire le ménage dans les avions. Elle doit élever seule ses enfants. L’aîné, Ellyes, est en prison. Les trois autres sont à sa charge : un garçon, gros nounours paresseux, deux filles, dont la cadette, Sabah,  à la recherche d’argent facile, est sur le point se prostituer, sans oublier sa belle-fille et son petit-fils. Nora a patiemment épargné l’argent nécessaire à une coûteuse opération dentaire. Pourra-t-elle utiliser cet argent pour elle-même ou devra-t-elle une fois de plus le sacrifier pour sa famille ?

La jeune actrice Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche dans La Graine et le Mulet, poursuit une belle carrière devant la caméra (La Source des femmes, L’Apollonide, L’Amour des hommes, Madame Claude…) et tourne avec Bonne mère son second film après Tu mérites un amour. Il est dédié à sa mère, qui comme la Nora du film, a élevé seule dans une cité HLM de Marseille Hafsia, ses deux sœurs et son frère.

Sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard, Bonne mère décrit la vie quotidienne de Nora, sa fatigue, sa bonté, sa résilience. Il fait la part belle aux scènes de groupe, filmées en plans rapprochés, à leur joyeux brouhaha où fusent les vannes et les invectives. Comme son titre, malin, l’annonce, il aspire à être la description d’une ville tout entière à travers celle d’une de ses habitantes.

Sauf à avoir un cœur de pierre, il est difficile de ne pas s’attacher à ces personnages. Pour autant, les bons sentiments ne suffisent pas à faire de bons films. Les situations de Bonne mère sont trop archétypales (l’aîné en prison, la cadette au tapin) pour être intéressantes, les acteurs pas assez dirigés pour être convaincants (Halima Benhamed, l’actrice non professionnelle qui interprète Nora, semble figée dans une seule attitude). Dommage…

La bande-annonce

Old ★☆☆☆

Des touristes se retrouvent piégés sur une plage mexicaine où ils vivent une terrifiante expérience de vieillissement accéléré.

Old est la dernière oeuvre en date de M. Night Shyamalan, le réalisateur de Sixième Sens, Incassable, Le Village… Le twist final – c’est à dire le renversement à la fin du film qui conduit le spectateur à reconsidérer  l’ensemble de l’histoire d’un oeil neuf – est devenu sa marque de fabrique. Chacun connaît celui de Sixième Sens. La conséquence en est qu’on regarde chacun des films de Shyamalan dans la vague attente de ce fameux twist-là. Y en aura-t-il un ? Et si oui quel sera-t-il ?

Le problème de Old réside précisément dans sa conclusion que, comme je viens de le dire, le spectateur attend avec d’autant d’impatience que Shyamalan place la barre très haut en nous habituant à nous renverser.

Ce qui précède cette conclusion est sans surprise, que la bande-annonce a déjà dévoilé. Après une introduction gentillette et dispensable d’une vingtaine de minutes, qui introduit les personnages, à commencer par les deux héros, Trent (Gael Garcia Bernal) et Prisca (Vicky Krieps qu’on vient de voir la semaine dernière dans Bergman Island), et leurs deux enfants Trent et Maddox, l’action peut enfin commencer lorsque tous les personnages sont réunis sur cette fameuse plage. Là, bientôt, des indices macabres révèlent l’étonnant phénomène physique qui la caractérise : la faramineuse accélération du vieillissement biologique des cellules humaines.

À ce stade, l’action est tendue par deux questions : nos personnages parviendront-ils à s’évader de cette plage et à éviter la mort inéluctable qui les attend dans une poignée d’heures ? Ont-ils été piégés par le hasard ou par une volonté humaine perverse et manipulatrice ? La fin du film répondra à ces deux questions d’une façon plate et décevante.

Reste alors seulement à passer quelques instants de ce huis clos en plein air, façon Koh Lanta, avec cette dizaine de touristes dont on sait par avance qu’ils seront décimés les uns après les autres. Le seul suspens est de savoir dans quel ordre et à quel rythme. M. Night Shyamalan les filme avec beaucoup de brio dans des plans virevoltants qui donneront la nausée à qui font vomir les mouvements trop brusques de caméra à l’épaule. Mais hélas, les quelques considérations philosophiques qui accompagnent cette course contre la montre – sur la jeunesse qui passe trop vite et sur l’amour, seul rempart contre le temps – sont bien trop frelatées pour en rehausser l’intérêt de ce qui, in fine, se réduit à un divertissement sans intérêt.

La bande-annonce

Vers la bataille ★☆☆☆

Louis (Malik Zidi) est photographe dans les années 1860 à une époque où la photographie est encore un art balbutiant et le photojournalisme un métier inédit. Il vient de perdre son fils Lazare, jeune officier prometteur fauché à la bataille de Sébastopol. Il s’est mis en tête d’aller photographier le corps français expéditionnaire au Mexique. Mais, sans escorte militaire, ralenti par son lourd équipement, il se perd dans la forêt mexicaine. Il doit la vie sauve à la rencontre de Pinto (Leynar Gomez), un paysan analphabète.

Il faut reconnaître au réalisateur Aurélien Vernhes-Lermusiaux une sacrée audace pour son premier film qu’il est allé tourner en Colombie, au cœur de la forêt amazonienne (pourquoi n’avoir pas tourné au Mexique ? parce que les conditions administratives ne le permettaient pas ? ou parce que les décors qu’il avait imaginés n’y étaient pas disponibles ?). Il n’est pas fréquent en effet que l’expédition française au Mexique (1861-1867), qui visait à doter ce jeune pays d’un empereur catholique et francophile, soit évoquée au cinéma. On cherche en vain un précédent.

Mais, film à petit budget, Vers la bataille ne montre rien des luttes de pouvoir autour de Maximilien. Il se focalise sur un homme qui, tel Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme, ne verra rien de la bataille à laquelle il était censé participer. Vers la bataille tourne bientôt à la description de son vertige, de sa folie et enfin de sa chute.

On pense à Dead Man de Jim Jarmusch. Malik Zidi porte la même pelisse que Johnny Depp et il a peut-être autant de talent que lui (j’ai toujours trouvé surcoté le héros de Pirate des Caraïbes) à défaut d’avoir le quart de sa célébrité. Mais hélas, Aurélien Vernhes-Lermusiaux n’a pas le talent de Jim Jarmusch.

La bande-annonce

Sembène ! ★★☆☆

Ousmane Sembène (1923-2007) est souvent présenté comme le père du cinéma africain. Samba Gadjigo fut son bras droit pendant les vingt dernières années de sa vie. Il lui consacra une longue biographie, d’abord publiée aux Etats-Unis en 2010, car Gadjigo est professeur outre-Atlantique, puis traduite en français en 2013. C’est le même itinéraire qu’a suivi ce documentaire réalisé en 2015. Il sort sur nos écrans six ans plus tard seulement, à l’occasion de la réédition du Mandat, un des films les plus attachants de Sembène.

Ousmane Sembène fut un réalisateur militant. Il développe une conscience de classe dans les rangs de la CGT, à Marseille, où il avait trouvé à s’employer sur les docks. C’est à cette époque qu’il écrit son premier roman, Les Bouts de bois de Dieu, qui raconte, sur un mode volontiers lyrique, la grève des cheminots du Dakar-Bamako. Formé au cinéma en URSS, il en revient avec une caméra super-8 avec laquelle il tourne ses premiers courts-métrages.

Ses films traitent à bras-le-corps de sujets politiques. La Noire de… (1966) évoque le sort cruel des bonnes africaines employées par des petits blancs, mesquins et racistes. Ceddo (1977) dénonce l’islamisation forcée des campagnes. Camp de Tiaroye (1987) rappelle une page oubliée de la Seconde Guerre mondiale : la révolte, matée dans le sang, de tirailleurs sénégalais démobilisés qui réclamaient le paiement de leurs soldes. Moolaadé (2003), son dernier film, est un réquisitoire contre l’excision.

Le documentaire de Samba Gadjigo déroule révérencieusement cette prestigieuse filmographie. Il alterne très classiquement les images d’archives et les interviews face caméra. Il évite de justesse l’hagiographie en ne passant pas sous silence les défauts du grand réalisateur qui fut peut-être un immense homme de cinéma, mais aussi un être irascible et un père exécrable (le témoignage d’Alain Nidaye, son premier fils, est particulièrement impitoyable).
Samba Gadjigo évoque sa relation avec Sembène, son admiration pour son oeuvre, les conditions de leur rencontre. Assez paradoxalement, cette dimension du documentaire, qui décentre le regard trop longtemps fixé sur le réalisateur et son oeuvre édifiante, est la plus touchante et on regrette qu’elle n’ait pas été plus explorée.

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Zero Kelvin (1995) ★★★☆

À Oslo, dans les années 1920, le jeune poète Henrik Larsen (Gard B. Eidsvold) essaie sans succès de vivre de sa plume. Il est amoureux de Gertrude mais n’est pas certain des sentiments qu’elle lui porte en retour. Pour amasser un pécule, il décide d’aller passer une saison de chasse au Groenland. Il y rejoint un trappeur irascible (Stellan Skarsgård) et un scientifique placide (Bjørn Sundquist). La cohabitation entre les trois hommes tourne vite à l’aigre.

Kjærlighetens kjøtere est le titre original de ce film norvégien, le seul à figurer parmi les 1001 Movies You Must See Before You Die. Il a été diffusé à l’étranger sous le titre anglais Zero Kelvin. Il n’est jamais sorti en salles en France.

Le film, tourné au Svalbard, au-delà du cercle polaire arctique, vaut d’abord pour ses paysages majestueux. On regrette de ne pas les voir dans une salle de cinéma ; et on se console devant l’écran de sa télévision.

Il vaut ensuite pour le jeu halluciné de Stellan Skarsgård, qu’on reconnaît à peine, emmitouflé qu’il est sous d’épaisses fourrures. Cet acteur suédois hors normes, à l’impressionnante filmographie, a roulé sa bosse sur tous les plateaux du monde. Il sait jouer aussi bien les pères de famille bonhommes (dans Mamma Mia) que les assassins sadiques (dans Millénium). Il interprète ici le rôle d’un homme enragé, prompt aux plus subites colères, qui prend vite comme tête-de-turc le jeune poète Henrik Larsen.

Comment leur face-à-face se dénouera-t-il ? S’entretueront-ils ? ou devront-ils faire taire leur rivalité pour unir leurs forces afin de survivre dans le froid arctique ? J’ai été surpris du dénouement que je n’attendais pas et je vous laisserai l’être si, par hasard, vous croisez un jour ce film étonnant.

La bande-annonce