Saint Georges ★☆☆☆

Tout s’écroule autour de Jorge. Son couple se délite. Son entreprise a déposé le bilan. Son pays est au bord de la faillite économique. Pour retenir son épouse, Jorge accepte de prendre un emploi de gros bras dans une entreprise de recouvrement de dettes.

Il y a deux films en un dans Saint Georges.

Le premier est un documentaire sur un Portugal comme on l’avait rarement vu. Loin des clichés touristiques sur le fado et la saudade, le Portugal filmé par Marco Martins est un pays gris, pauvre, frappé par la crise. On pense, la poésie en moins, à la trilogie de Miguel Gomes Les Milles et une nuits qui avait enchanté la Croisette en 2015.

Le second est le portrait d’un homme déchiré. Jorge est un boxeur qui n’a pas embrassé la carrière professionnelle auquel son père aspirait pour lui. Il ne sait que faire de son impressionnante musculature. On l’aura compris : c’est un géant au cœur tendre qu’embarrasse sa stature de videur. Mais c’est cette stature, précisément, qui intéresse la société de recouvrement de dettes aux méthodes peu orthodoxes qui l’emploie. Son rôle : intimider les payeurs récalcitrants voire les bousculer pour les contraindre à régler leurs dettes. Sauf que ces débiteurs sont de la même étoffe que Jorge : des malheureux broyés par la crise.

Ainsi croqué, Saint Georges a des accents scorcesiens. Mais Nuno Lopes n’est pas Robert de Niro dans Taxi Driver. Il en a pourtant l’étoffe, lui qui a pris vingt kilos et pratiqué la boxe pendant six mois pour endosser le rôle. Mais le scenario qui fait du surplace et une mise en scène qui abuse trop des ellipses sont les points faibles de ce film qui ne trouve jamais le bon rythme.

La bande-annonce

Psiconautas ★☆☆☆

Sur une île coupée du monde, après un grave accident industriel, les habitants survivent tant bien que mal. Birdboy est hanté par la mort de son père. Dinky ne supporte plus ses parents et décide de quitter l’île avec deux amis. Zacharias est un pêcheur, étouffé par une mère possessive, qui trafique de la drogue à ses heures perdues.

Alberto Vázquez a adapté sa bande dessinée avec le concours de Pedro Rivero. Il en a fait un dessin animé d’un genre bien particulier. A mi chemin de Lewis Caroll et de Guillermo Del Toro comme l’annonce orgueilleusement l’affiche de ce film présenté l’an passé au Festival d’Annecy.

Psiconautas est un plongée volontiers cauchemardesque dans la psyché torturé d’enfants malades. Leur mal trouve-t-il sa cause dans l’accident (nucléaire ?) qui frappe leur île ? Les premières minutes du film le laissent penser qui annoncent une histoire du genre de Sa majesté des mouches – pour la survie d’une bande d’enfants sur une île déserte – mâtinée de Ferme des animaux – pour le bestiaire de moineaux, souris, renards qui en constituent les personnages principaux.

Mais Psiconautas se perd dans tous les sens, transformant sa concision (une heure seize seulement) en handicap. Les histoires parallèles se multiplient, qui nuisent à la cohérence du récit. Ainsi du détour que Dinky et ses compagnons d’échappée font dans une décharge toxique désormais gouvernée par une bande d’orphelins qui rappellent les gamins de Mad Max 3 ou Los olvidados de Bunuel. À force de filer trop de métaphores, de vouloir dénoncer tous les maux qui menacent nos sociétés (de la pollution industrielle à l’addiction aux drogues en passant par le racisme et le consumérisme), Psiconautas se perd et nous perd.

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L’Amant double ★☆☆☆

Chloé a mal au ventre. Son mal lui dit-on, est psychosomatique. Elle consulte un psychiatre, dont elle tombe amoureuse, qui l’aide à identifier le syndrome familial qui en était la cause. Mais, après que le jeune couple se sera installé ensemble, elle découvrira que son conjoint lui a caché un pan de sa vie.

Qui est François Ozon ? Le réalisateur le plus brillant de sa génération ? Ou un faiseur dont les énigmes prétentieuses se dégonflent comme des baudruches ?

Ce n’est pas L’Amant double qui permettra de trancher cette question qui accompagne peu ou prou la sortie de chacun des films d’une désormais bien remplie filmographie. Sous le sable ou Swimming pool, Jeune & jolie ou Frantz sont, chacun à leur façon, suffisamment réussis pour susciter l’intérêt, mais un peu trop artificiels pour ne pas éveiller le soupçon.

Il y a certes du génie dans la façon dont Ozon campe ses personnages. Et une bonne part de provocation. Comme ce premier plan d’un sexe de femme fouillé par un spéculum,  filmé en gros plan. L’ovale du sexe se confond dans celui de l’œil de Chloé, qui pleure sur la table d’examen de son gynécologue. Cette entrée en matière louche un peu trop du côté de L’Origine du monde pour surprendre. Mais, ces réserves levées, on se laisse vite hypnotiser par Chloé, incarnée avec une fragile beauté par Marine Vacth, qui gravi de vertigineux escaliers colimaçon et se perd dans des intérieurs glaçants.

L’Amant double serait une version moderne de Vertigo s’il ne se perdait pas, dans sa second partie, dans un salmigondis psychanalysant sur fond de gémellité pathologique. David Cronenberg avait déjà tourné un film sur le même thème en 1988 avec Jeremy Irons et Geneviève Bujold. Entre Paul qu’elle aime et Louis qu’elle désire, la malheureuse Chloé ne sait plus où donner de la tête. Hélas, on ne partage jamais son trouble, la faute peut-être à Jérémie Renier, un acteur trop doux pour jouer des rôles de durs.

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Le Trou ★★★☆

La Cinémathèque française a consacré le mois dernier une rétrospective à Jacques Becker. l’un des plus grands réalisateurs des années 50, il a laissé une œuvre hétéroclite : des films naturalistes (Goupi mains rouges, Casque d’or), des polars (Touchez pas au grisbi), des œuvres plus intimistes qui annoncent la Nouvelle vague (Rendez-vous de juillet, Rue de l’estrapade).

Le Trou est son dernier film. Jacques Becker est mort avant d’en avoir fini le montage. C’est son chef d’œuvre.

Il est inspiré d’une histoire vraie : la tentative d’évasion d’un groupe de prisonniers de la prison de la Santé relatée par l’un de ses protagonistes, José Giovanni, dans son tout premier roman. Toute l’action se déroule dans leur cellule et dans les sous-sols de la prison dont ils essaient de s’évader. Avec une économie de moyens remarquable et une efficacité redoutable, sans aucune musique mais avec une attention aigüe au bruitage, Becker filme en longs plans séquences quasi-documentaires la réalisation d’une évasion. On voit ces co-détenus mettre en œuvre un plan méticuleusement exécuté ; on partage vite leur anxiété et leur impatience.

L’enjeu dramatique ne se résume pas à la question de savoir s’ils parviendront à creuser ce trou dans le plancher de leur cellule pour accéder aux souterrains de la prison qui communique avec les égouts de Paris. Un autre enjeu est la solidarité des prisonniers auxquels se greffe un cinquième détenu dont on se demande pendant tout le film s’il les trahira ou pas.

À sa sortie en 1960, le film avait été d’autorité réduit de trente minutes par son producteur. Il ressort dans son version originale de deux heures douze. Happé par le suspense de cette évasion dont on ignore juste à l’ultime scène si elle réussira ou pas, je n’ai pas regardé ma montre une seule fois.

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Le Chanteur de Gaza ★☆☆☆

En 2013, le jeune Palestinien Mohammed Assaf a remporté le concours Arab Idol, suscitant dans son pays une liesse populaire jamais vue.

On a connu Hany Abu-Assad, le réalisateur de Paradise now, l’histoire de deux Palestiniens sur le point de commettre un attentat-kamikaze, mieux inspiré. Sa plate biographie du chanteur de téléréalité Mohamed Assaf aligne les pires lieux communs. Pour nourrir une histoire qui n’aurait pas suffi à tenir la durée d’un film, il lui invente une enfance dans les rues de Gaza.

L’adorable bambin a une voix d’ange – l’inverse aurait été surprenant. Il a aussi une sœur qui est la complice de ses facéties malicieuses et l’inspiratrice de ses rêves de gloire. Mais cette sœur connaîtra un destin cruel, de ceux qui font sangloter dans les chaumières, qui nourrira chez le jeune chanteur une inaltérable soif de revanche.

On le retrouve une dizaine d’années plus tard, le poil au menton, mais le filet de voix toujours aussi enchanteur. Il étouffe à Gaza – subtile allusion au blocus israélien. Contre l’avis de son meilleur ami devenu entretemps fondamentaliste – subtile allusion au conflit entre le Fatah et le Hamas – et au nez (et à la barbe voir supra) de douaniers malhonnêtes – subtile allusion à la corruption qui gangrène l’Autorité palestinienne, notre héros parvient à se glisser en Égypte pour participer aux éliminatoires de l’émission Arab Idol. Et devinez ce qu’il adviendra …

À son extrême fin, lorsqu’il insère les images documentaires de la victoire de Mohammed Assaf, Le Chanteur de Gaza prend une autre dimension. Il révèle l’impact de cette victoire en Palestine. Un peuple asservi s’est soudainement découvert une fierté nationale. Dommage que le film n’ait pas plus creusé cette veine documentaire au lieu de s’égarer dans un soap opera au suspens éventé.

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Life – Origine inconnue ★☆☆☆

Depuis une station spatiale internationale en orbite géostationnaire autour de la Terre, deux Américains, deux Britanniques, une Russe et un Japonais (mais pas de Français) scrutent les traces d’une vie possible sur Mars. Ils se réjouissent d’en avoir rapporté un organisme unicellulaire présentant toutes les caractéristiques de la vie biologique. Mais leur joie sera de courte durée.

Life – auquel les distributeurs français ont bizarrement accolé un sous-titre elliptique histoire de rendre moins clair un titre qui l’était pourtant déjà – aurait été un chef d’œuvre s’il ne se contentait pas de plagier scrupuleusement ses prédécesseurs.

La poétique kinesthésie des corps des spationautes flottant dans l’espace ? Gravity l’a déjà filmé – avec la sublime musique d’Arvo Part en prime. La terreur suscitée par une créature extra-terrestre qui joue au chat et à la souris avec l’équipage d’un vaisseau spatial en détresse ? Pas moins de cinq épisodes de Alien lui ont été consacrés.

Lesté de l’embarrassante ressemblance avec ces illustres blockbusters, Life se réduit du coup à une honnête série B. Un jump scare movie en apesanteur de plus servi par une brochette de stars hollywoodiennes qui font honnêtement le job : Kevin Reynolds qui flirte avec le registre parodique de Deadpool, Jake Gyllenhaal, la mâchoire toujours aussi crispée et la larme à l’œil, et Rebecca Ferguson (révélée dans Mission impossible 5 et La Fille du train) dans le rôle – interchangeable – de la spationaute de service. La vraie star aurait dû être la créature – naïvement surnommée Calvin. Mais, une fois encore, ce poulpe gluant, sanguinaire et hyper-résistant (au feu, au froid et à l’absence d’oxygène) ressemble trop à la créature d’Alien pour étonner.

Seule – agréable – surprise : un dénouement aux antipodes des happy end convenus des survival movies.

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Mustang ★★★☆

Pour avoir été se baigner à la sortie des cours avec des garçons de leur école, cinq sœurs sont cloîtrées chez leur oncle jusqu’à leur mariage.

Mustang est à la fois très cohérent et très disparate.
La cohérence : l’histoire linéaire depuis leur exclusion du lycée jusqu’à leurs noces de cinq sœurs organiquement liées par les liens du sang et le partage de la réclusion.
L’éclectisme : Mustang fait rire, pleurer, trembler. Rire de la malice que déploient, pendant le premier tiers du film, ces gamines pour tromper la vigilance de leurs geôliers débonnaires. Pleurer du drame qui frappe l’une d’entre elles, qu’on avait senti venir, mais dont la soudaine brutalité, au milieu du film, surprend. Trembler devant la tentative d’évasion des deux benjamines, filmée comme un film d’aventures et qui occupe le dernier tiers du film.

Salué par la critique, plébiscité par le public ce premier film d’une jeune réalisatrice franco-turque fut le succès surprise de l’été 2015. Un succès amplement mérité.

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The Duke of Burgundy ★★☆☆

The Duke of Burgundy traite – comme son titre ne l’indique pas – de la relation sadomasochiste qui unit une lépidoptériste et sa jeune collaboratrice

A première vue, on dirait du porno chic. Dans une grande demeure hors du temps, Cynthia, une maîtresse sévère et raffinée accueille Evelyn, une domestique timide et en retard, lui ordonne de laver son linge et la menace de la punir si elle le fait mal.

Mais à regarder de plus près, on s’éloigne des canons de Marc Dorcel – même si les deux actrices (Sidse Babett Knudsen, la Première ministre de Borgen en Domina sévère, et Chiara D’Anna en soumise plus manipulatrice qu’il n’y paraît) le sont.
Peter Strickland interroge le sado-masochisme, toujours menacé de sombrer dans le ridicule. Comment ne pas éclater de rire en entendant « I just… might tie you up
and use you as my chair for the afternoon. » ?! Mais comment ne pas aussi, dans le même temps, être troublé ?

Dans un mouvement très hégélien, la dominatrice est asservie par les pulsions de son esclave. Evelyn, la soumise, exige de sa maîtresse des scenarii toujours plus compliqués dont Cynthia, qui aspire à une relation plus spontanée, se lasse.

Le sadomasochisme est-il une impasse ou une issue de secours ? C’était la question posée par Lune de fiel de Brückner/Polanski. La fin du film donne, à sa façon, une réponse. Autrement plus intelligente que Cinquante nuances …

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Vice versa ★★☆☆

Sentiments ambigus devant l’avant-dernier Pixar encensé par une critique dithyrambique.
Admiration face à l’audace du choix d’un sujet si abstrait (la psyché d’une pré-adolescente), à l’inventivité d’un scénario rebondissant, à la richesse des illustrations.
Émotion lacrymale devant quelques scènes qui feraient pleurer des pierres.
Mais malaise face à la bien-pensance trop sucrée d’une superproduction Disney toute entière vouée à la glorification des valeurs de la famille nucléaire blanche, aisée et américaine.

La bande-annonce

L’Échappée belle ★★★☆

Une femme à l’ouest un gamin en quête de mère = un sujet qu’on a vu dix fois.

Néanmoins le charme opère grâce à la fraîcheur de Clotilde Hesme.
Elle ressemble un peu trop à Cécile de France pour qu’on l’identifie sans se tromper. Pourtant le César du meilleur espoir féminin 2012 pour Angèle et Tony est en train de creuser sa place. Elle est parfaite dans L’Échappée belle où elle réussit à rendre crédible un personnage qui ne l’est pas : une adulescente d’une trentaine d’années, fille d’un milliardaire dépressif (Peter Coyotte prisonnier de son grand château), abonnée aux soirées privées (où elle croise Frédéric Beigbeder qui joue très mal) et aux amours impossibles avec des hommes mariés.

Last but not least : un film tourné sous les arcades du Palais-Royal ne peut qu’être réussi !

La bande-annonce