Harvest ★★☆☆

Où sommes-nous ? En Ecosse peut-être. Quand ? Au Moyen-Âge ou bien quelques siècles plus tard. La quiétude d’un village éloigné de tout est brusquement interrompue par une succession d’événements malheureux. Une nuit, la grange prend feu, sans doute par la faute de quelques freluquets insouciants. Deux hommes et une femme qui passaient par là servent de boucs émissaires à la colère de la populace. Les deux hommes sont cloués au gibet ; la  femme accusée de sorcellerie est abandonnée à son sort dans les bois environnants. Le maître des lieux est de passage avec un homme, noir de peau, chargé d’en dresser la cartographie. Il annonce une mauvaise nouvelle : la terre va revenir à son cousin qui entend la consacrer à l’élevage intensif du mouton et en chasser les habitants.

Harvest est un film déconcertant. Sa première séquence donne le la. On y voit (un flashback ? un flash forward ?) Walt, le principal protagoniste, errer seul et hagard dans la nature, le corps répugnant de crasse. On se demande dans quel film on est tombé : une réflexion esthétisante sur l’impossible symbiose de l’homme et de la nature façon Terrence Malick ? un film historique ? un folk horror movie façon The Wicker Man ou Midsommar ?

Harvest, adapté d’un roman à succès de l’auteur britannique Jim Crace, est un peu tout cela. C’est ce qui fait sa richesse. C’est ce qui fait aussi son originalité. Son affiche est intéressante, qui a peut-être été dessinée par une intelligence artificielle et qui rappelle les foisonnantes compositions de Brueghel l’ancien. Certains plans d’ailleurs sont de purs émerveillements qui dépeignent un Eden supralapsaire (!), des paysans vêtus des étoffes qu’ils tissent semant, labourant et moissonnant au rythme des saisons, dans une concorde fraternelle que rien n’obscurcit.

Harvest a un défaut : il dure plus de deux heures. Car sa réalisatrice, la Grecque Athina Rachel Tsangari, a voulu y faire entrer tous les rebondissements – et ils sont nombreux – du roman. Son autre défaut est que son enjeu – l’expropriation décrétée par le nouveau maître – ne se dévoile que très tardivement. mais ce défaut-là n’en est pas un ; car le principal intérêt du film réside précisément dans son indétermination et dans le flou laissé pendant toute sa première moitié sur son réel sujet.

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Festa major ★★☆☆

Chaque année à Fillols, dans la Catalogne française, au pied du Canigou, se tient pendant cinq jours de rang une fête votive, la Festa major. Elle réunit tous les habitants du village. Le documentariste Jean-Baptiste Alazard en a filmé les longs préparatifs et le déroulement dionysiaque.

Rarement affiche de film aura été mieux choisie que celle de Festa major. La folle bacchanale peinte par Brueghel (?) rappelle en effet l’ambiance carnavalesque de la Festa major, dans ses couleurs, dans sa liesse débordante, dans son renversement des valeurs et de l’ordre établi.

Ce documentaire aurait pu être historique (il l’est un peu en évoquant les premières éditions de la Festa major au début du siècle dernier et celles dont les anciens perpétuent la mémoire), sociologique (on ne saura rien de l’activité principale des organisateurs de la fête et de ses participants), anthropologique (quel rôle cette fête joue-t-elle dans la vie du village et de ses habitants ?). Il n’est rien de tout cela et c’est d’ailleurs dommage. On aurait aimé avoir les réponses à ces questions-là. On se contentera donc – mais c’est déjà pas mal – d’une plongée sensorielle dans un événement qui joue sur deux cordes sensibles : le collectif et le lâcher-prise. Et il a la modestie de le faire en une heure et huit minutes à peine.

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La Fin des slows ★★☆☆

Laurent Metterie recycle le même dispositif que celui qu’il avait utilisé dans Les Petits Mâles pour scruter le couple : une caméra statique filmant en plan moyen une quinzaine de couples qu’il interroge.

Le titre de son documentaire m’a induit en erreur. Je pensais que « la fin des slows » renvoyait à un moment historique : celui où les couples avaient cessé de se former, comme ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses, sur les pistes des dancings ou des night clubs, à l’occasion des rapprochements discrets que la musique slow permettait. Je pensais qu’il évoquerait les nouvelles modalités de la rencontre amoureuse : au travail, dans les salles de sport, sur les sites de rencontres et les réseaux sociaux….

Le titre se prêtait aussi à une autre lecture : la « fin des slows » aurait pu renvoyer à ce moment du couple où la passion amoureuse des commencements a cessé de brûler, où le couple s’installe dans une lente routine et court le risque de l’affadissement. 

Mais le documentaire de Laurent Metterie n’évoque aucun de ces deux sujets. Il en traite un autre, plus banal, qui aurait pu lui servir de titre : le couple aujourd’hui.

Il a un mérite : la qualité de son échantillonnage. La Fin des slows filme des couples des villes, des couples des champs, des jeunes, des vieux, des homos et des hétéros, des tradis et des poly-amoureux. La Fin des slows avait pour ambition de couvrir le champ. Mission accomplie.

Le parti pris est d’interroger les deux membres du couple systématiquement ensemble. Leurs réponses auraient été sans doute différentes s’ils avaient été interrogés séparément. D’ailleurs un des intérêts du documentaire est de montrer les interactions que suscitent ces questions entre les deux membres du couple : la réponse de l’un provoque la réaction de l’autre…. et vice versa.

La loi du genre (!) est de poser la même liste de questions à tous les couples. Viennent sur le tapis la répartition des tâches domestiques, la charge mentale, la sexualité, l’attachement au couple et à ses valeurs…. Se dessine ainsi une sociologie du couple en 2025 qui peut-être, si elle résiste à l’usure du temps, aura valeur de témoignage historique dans un demi-siècle, comme l’est aujourd’hui la France des années 60 dans Le Joli Mai de Chris Marker ou dans Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin.

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The Grill ★☆☆☆

Une immigrée mexicaine fraîchement débarquée à New York réussit sur un malentendu à se faire embaucher dans les cuisines d’un grand restaurant proche de Times Square. Son personnel est composé de travailleurs en situation précaire, originaires de tous les pays du monde. Parmi eux, une Américaine, Julia (Rooney Mara), doit prendre sans tarder une décision cornélienne. Le chef comptable est confronté à une difficulté d’un tout autre d’ordre : 823 dollars manquent à la caisse. Pedro, l’amoureux de Julia, est accusé du vol.

The Grill est l’adaptation d’une vieille pièce de théâtre new-yorkaise des années 50 qui avait d’ailleurs déjà fait l’objet d’une première adaptation à l’écran au début des années 60. Elle est pourtant furieusement contemporaine. Par son style. Par son sujet.

Le réalisateur mexicain Alonzo Ruizpalacios a en effet entendu utiliser l’espace clos d’une immense cuisine new-yorkaise pour y filmer un bruyant microcosme. Sa caméra virtuose s’agite dans tous les sens, passant d’un protagoniste à un autre dans une course étourdissante. On comprend que cette agitation est censée nous faire ressentir la frénésie d’un « coup de feu » en cuisine. On comprend moins bien le recours au noir et blanc qui affadit les plats savamment concoctés et gomme leurs couleurs qu’on imagine éclatantes.

The Grill raconte une tour de Babel, de nationalités et de langues : on y parle en espagnol (beaucoup) mais aussi en français, en arabe et parfois (très peu) en anglais. Pendant que les WASP déjeunent dans la salle à manger Art nouveau, les soutiers s’épuisent à préparer leurs repas en cuisine, pour un salaire de misère, dans l’espoir toujours déçu d’une hypothétique régularisation qu’un patron cynique leur fait miroiter.

Le sujet est intéressant et l’ambition artistique du réalisateur méritoire. D’où vient alors que The Grill ne fonctionne pas ? Ce n’est pas la faute des deux acteurs principaux, la star Rooney Mara (The Social Network, Millenium, Carol…) et Raúl Briones. C’est celle d’un scénario qui tourne un peu en rond, qui ne sait pas trop que faire de ce lieu et des personnages qui y travaillent une fois qu’ils ont été introduits.

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Les Fleurs du silence ★★☆☆

Dans l’Angleterre du début du vingtième siècle, Owen, un écrivain homosexuel enfermé dans un hôpital, raconte à une infirmière compatissante son histoire déchirante. Il a vécu une romance avec Philip, un étudiant en médecine qui était convaincu d’avoir découvert le moyen de combattre médicalement l’homosexualité et s’était mis en tête d’expérimenter sur lui un nouveau protocole.

Les Fleurs du silence – dont le titre original, Lilies Not for Me, référence au poème de Digby Mackworth Dolben, est autrement plus inspiré – évoque une page de l’histoire de la médecine qui fait froid dans le dos. Au début du vingtième siècle, un médecin autrichien avait cru pouvoir soigner les homosexuels de leur vice en leur ôtant leurs testicules et en les remplaçant par celles d’un porteur « sain ». Cette pratique monstrueuse fut testée sur plusieurs « malades » dans les années 10 et 20, provoquant la mort de plusieurs et n’en « soignant » bien évidemment aucun.

L’évocation de cette thérapeutique est l’un des deux volets du film. Le second, loin des salles d’opération et du cachot où Owen est retenu, est autrement plus aimable. Comme le montre l’affiche des Fleurs du silence, on y voit, dans un cadre édénique les amours d’Owen et de Philip, puis celles d’Owen avec un autre garçon tout aussi agréable à regarder.

« Burnes Out » titre la critique de Libération avec l’ironie qui caractérise la rubrique cinéma de ce quotidien. Le trait d’esprit est plaisant ; mais le film ne prête pas à rire. La critique a eu la dent dure avec lui, lui reprochant à la fois la noirceur de son sujet et l’afféterie de ses nus david-hamiltoniens. Je serais moins sévère. Sans doute Will Seefried n’a-t-il pas l’élégance de James Ivory, son modèle, et Les Fleurs du silence souffre-t-il de la comparaison avec Maurice. Mais il n’en réussit pas moins à toucher dans son évocation de l’homosexualité il y a un siècle à peine, de sa pathologisation et de la difficulté à la vivre, à l’accepter pour soi et à la faire accepter des autres.

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Toxic ★☆☆☆

Marija et Kristina, deux collégiennes abandonnées à elles-mêmes par des familles qui les dédaignent, s’inscrivent dans un cours de mannequinat. Quitte à se détraquer la santé, elles rêvent de s’arracher au milieu sordide dans lequel elles ont grandi.

Toxic a obtenu le Léopard d’or au dernier festival de Locarno. Son sujet est banal et a déjà été traité bien souvent. À Cannes l’an passé, Diamant brut mettait en scène une adolescente en surpoids qui rêvait de se qualifier pour une émission de téléréalité. On pense aussi au film serbe Clip qui avait défié la censure en filmant très crûment les premières relations sexuelles d’une adolescente dans la banlieue de Belgrade. On ne compte plus les films français  mettant en scène le mal-être d’une adolescente qui peine à sortir de l’enfance et qui fait l’expérience souvent douloureuse de l’âge adulte : Sans toi ni loi d’Agnès Varda, À nos amours de Maurice Pialat, L’Effrontée de Claude Miller, Seize printemps de Suzanne Lindon….

Si Toxic se distingue de cette longue généalogie, c’est en raison de sa forme, étonnamment audacieuse et maîtrisée chez une jeune réalisatrice. Saule Bliuvaite filme ses héroïnes de loin, en plaçant sa caméra très haut dans l’espace. Le procédé pourrait sembler artificiel. Mais il crée un décentrement du regard, un malaise qui est cohérent avec le point de vue du film.

Toxic est néanmoins victime de sa radicalité. Son scénario est très plat. Il refuse d’épicer un récit qui se languit. Par exemple, les tourments que Kristina s’inflige pour perdre du poids, en cultivant un ver solitaire, ne tournent pas au body horror façon The Substance ou Swallow. Aussi l’intérêt qu’on avait pris au début du film se dissipe-t-il bien vite…

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Familia ★★☆☆

Luigi et son frère aîné Alessandro ont souffert de souffrances domestiques. Franco, leur père violent, battait Licia, leur mère. Emprisonné, tenu à distance de sa femme par une mesure d’éloignement après son élargissement, il n’exerçait pas moins sur elle une emprise maladive, qui le laissait se réinstaller au domicile familial où il reprenait vite ses vieilles habitudes. Par réaction à cette menace, Luigi s’est engagé dans un groupuscule fasciste.

Familia est l’adaptation d’u roman autobiographique de Luigi Celeste. Il y raconte son enfance traumatisante, son enrôlement et ses conséquences funestes.

Francesco Costabile, dont le premier film était inédit en France, réussit à recréer une atmosphère étouffante qui justifie largement l’interdiction de Familia aux moins de douze ans. La réussite du film doit beaucoup à l’interprétation de Francesco Di Leva (Dernière Nuit à Milan, Nostalgia) dans le rôle de ce père en apparence bonhomme. Elle lui a valu l’an dernier à Rome le David du meilleur second rôle, l’équivalent du César. Le reste du casting est au diapason, qu’il s’agisse de la mère (Barbara Ronchi), de Luigi (Francesco Gheghi, prix d’interprétation masculine de la section Orizzonti à la Mostra en 2024) ou même de sa petite amie (Tecla Insolia) qui essaie sans succès de l’arracher à l’atavisme auquel il semble condamné.

Familia est un film glaçant sur les violences familiales. Le sujet semble être en Italie encore plus d’actualité qu’en France si on en croit l’audience l’an passé de Il reste encore demain – un titre optimiste qui résonne avec celui du livre de Luigi Celeste Non sarà sempre così. Il rappelle aussi l’un de tes tout meilleurs films français de ces dix dernières années au succès mérité, Jusqu’à la garde, cinq César en 2019 dont celui du meilleur film.

Il évoque aussi le fascisme et la manière dont il enrégimente les plus fragiles. Le sujet n’est pas nouveau qu’on a vu traité aux Etats-Unis (American History X), au Royaume-Uni (This is England), en France ( Un français, Chez nous) et même en Italie (Dogman).

Familia utilise un matériau documentaire pour un thriller noir, tourné dans des lumières artificielles très contrastées, surligné par une musique oppressante. Il évite le piège du manichéisme : Luigi et sa mère ne se réduisent pas à être les victimes passives de la violence de Franco mais sont aussi celles de leurs choix malheureux.

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Promesse ★☆☆☆

Laurène Hug de Larauze est morte en 2016 suite au rejet d’une greffe pulmonaire. Elle avait vingt-trois ans. Sept ans plus tôt, une leucémie lui avait été diagnostiquée à laquelle elle avait survécu grâce à une greffe de moelle osseuse. Son frère jumeau avait fait à sa sœur une promesse : monter les images qu’elle avait filmées sur la petite caméra vidéo qui ne la quittait pas. Il y a ajouté les témoignages des membres de sa famille qui ont accompagné Laurène dans sa longue maladie et qui portent aujourd’hui son deuil.

Promesse est un cénotaphe dressé à la mémoire de la défunte. Il ne peut qu’immanquablement émouvoir. Double émotion que suscitent d’une part la cruauté de cette maladie mortelle et d’autre part la candeur et la joie de  vivre de cette jeune fille trop tôt disparue.

Mais Promesse raconte autre chose : la réaction d’une famille ô combien unie face à la maladie de l’un des siens puis face au deuil. Laurène était la benjamine d’une fratrie de cinq frères et sœurs. Outre Thomas, son jumeau, elle pouvait compter sur sa sœur aînée – qui fut sa donneuse – et sur ses deux frères aînés. Et bien sûr sur l’amour indéfectible de ses deux parents.

Promesse essaie l’impossible : garder l’équilibre entre l’exhibitionnisme et la fausse pudeur. Les questions que Thomas pose à ses parents ou à ses frères et sœur face caméra sont aussi directes que leurs réponses : chacun évoque à sa façon son amour pour Laurène et sa façon de gérer son deuil.

Cette tragédie a frappé une famille incroyablement soudée et très privilégiée. Les Hug de Larauze sont une grande famille d’entrepreneurs nantais, engagés dans la vie de la cité, catholiques pratiquants. Le documentaire montre leur maison cossue, leur résidence secondaire les pieds dans l’eau. On devine que l’argent n’est pas un problème. Bref, on est chez les riches. Il serait bien mesquin de leur en faire le reproche. La leucémie frappe hélas tous les milieux.

Mais en revanche, une famille pauvre n’aurait sans doute pas eu l’idée de tourner un film sur leur fille défunte. Elle n’aurait certainement pas eu les moyens de le produire. Là encore, est-ce un argument à invoquer au débit de Promesse ? Certainement pas.

Ce qui est le plus dérangeant – et c’est la flèche du Parthe d’une critique maladroite – est la publicité de cette oeuvre. Thomas, ses frères et sœurs, ses parents font un travail de deuil admirable. C’est tout à leur honneur. Mais y avons-nous notre place ? Ne sommes nous pas kidnappés dans un deuil qui ne nous regarde pas ? On répondra que rien ne nous obligeait à aller voir ce film. On rétorquera que rien n’obligeait ses auteurs à le diffuser.

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Le Clan des bêtes ★★☆☆

Une haine atavique oppose deux fermiers irlandais. Michael (Christopher Abbott) vit seul avec son vieux père handicapé (on reconnaît Colm Meany, second rôle récurrent du cinéma britannique et américain depuis quarante ans). Gary (Paul Ready) a épousé Caroline (Nora-Jane Noone, découverte dans The Magdalene Sisters), l’ancienne petite amie de Michael, et donné naissance à Jack (Barry Keoghan, révélée par Dunkerque). La haine entre les deux hommes dégénère en guerre ouverte après que Jack a volé à Michael deux de ses béliers.

À deux semaines d’écart sont sortis deux films irlandais assez proches qui auront attiré les amoureux de l’île d’Emeraude comme moi. Le 30 avril, Tu ne mentiras point qui revient sur l’affaire du couvent de la Madeleine et une semaine plus tôt cet As Bestas gaélique. On se souvient de ce film espagnol sorti en 2022 au succès si mérité qui montrait comment la violence dégénérait jusqu’à un apex dramatique, dans les montagnes de Galice, entre un couple de paysans français expatriés et leurs voisins envieux du cru.

C’est la même logique qui est à l’oeuvre ici qui montre une escalade de violence. Chaque infraction appelle en retour une réponse, entraînant les deux familles pétries de haine dans une vendetta toujours plus meurtrière. Cet engrenage est raconté de deux points de vue, à la « Rashomon » (du nom du célèbre film de Kurosawa qui, le premier, a utilisé cette ficelle au tout début des années 50). Le film est coupé en deux en son milieu. Pendant la première partie, l’histoire est racontée du point de vue de Michael ; dans la seconde, elle est racontée du point de vue de Jack. Pas sûr que cette structure originale apporte une plus-value sinon celle de montrer que les torts sont partagés et que cette violence parochiale repose sur des malentendus – le film aurait tout aussi bien pu respecter la linéarité du récit, en se plaçant alternativement du point de vue des deux protagonistes.

Le Clan des bêtes est un film noir rural rugueux et captivant. Il lui manque toutefois un je-ne-sais-quoi pour le hisser au-dessus du lot commun.

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Little Jaffna ★★☆☆

Michael (Lawrence Valin) est d’origine tamoule. Il est arrivé en France à l’âge de quatre ans et y a été élevé par sa grand-mère. Devenu policier, il est chargé par la DGSI d’une mission périlleuse : infiltrer les Killi’z, une bande mafieuse tenue d’une main de fer par son parrain, Aya, qui prélève « l’impôt révolutionnaire » à Little Jaffna, le quartier tamoul de Paris, et en reverse le fruit à l’Eelam Tamoul, mouvement de guérilla qui se bat pour l’indépendance au nord du Sri Lanka.

Little Jaffna est un film original qui cumule deux qualités rares.

Son sujet : il nous plonge dans une communauté méconnue, celle des immigrés tamouls à Paris, forte de plusieurs dizaines de milliers de membres, concentrée dans le quartier de la Chapelle, à la frontière des 10ème et 18ème arrondissements. Je ne crois pas que le cinéma s’y soit déjà intéressé – alors qu’on ne compte plus les films sur les autres communautés émigrées à Paris, maghrébine (Barbès, Little Algérie), vietnamienne (Dans la cuisine des Nguyen), chinoise (Les Fleurs amères) subsaharienne (L’Histoire de Souleymane), portugaise (La Cage dorée), etc. Le héros de Dheepan, Palme d’or 2016, est certes tamoul et porte le traumatisme de son passé violent ; mais le film de Jacques Audiard évoquait un homme seul, coupé de sa communauté.

Lawrence Valin au contraire adopte un parti quasi documentaire, nous plongeant dans le bruit et les odeurs de ce quartier haut en couleurs. Il filme les fêtes populaires où les Ganesh portés à dos d’hommes paradent dans les rues et les tablées joyeuses où les convives plongent les mains (utiliser une fourchette est une manifestation honnie d’acculturation) dans le plat commun.

L’autre qualité de Little Jaffna est sa forme. Lawrence Valin a le culot de réaliser un film de gangsters et de se frotter à des maîtres indépassables. On pense aux Infiltrés ou à Mean Streets de Martin Scorsese, à La nuit nous appartient de James Gray au film hongkongais Infernal Affairs, au diptyque indien Les Gangs de Wasseypur… Mesuré à cette aune, Little Jaffna peut sembler bien pâlot. Ce n’en est pas moins un premier film tendu, audacieux et réussi.

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