Promesse ★☆☆☆

Laurène Hug de Larauze est morte en 2016 suite au rejet d’une greffe pulmonaire. Elle avait vingt-trois ans. Sept ans plus tôt, une leucémie lui avait été diagnostiquée à laquelle elle avait survécu grâce à une greffe de moelle osseuse. Son frère jumeau avait fait à sa sœur une promesse : monter les images qu’elle avait filmées sur la petite caméra vidéo qui ne la quittait pas. Il y a ajouté les témoignages des membres de sa famille qui ont accompagné Laurène dans sa longue maladie et qui portent aujourd’hui son deuil.

Promesse est un cénotaphe dressé à la mémoire de la défunte. Il ne peut qu’immanquablement émouvoir. Double émotion que suscitent d’une part la cruauté de cette maladie mortelle et d’autre part la candeur et la joie de  vivre de cette jeune fille trop tôt disparue.

Mais Promesse raconte autre chose : la réaction d’une famille ô combien unie face à la maladie de l’un des siens puis face au deuil. Laurène était la benjamine d’une fratrie de cinq frères et sœurs. Outre Thomas, son jumeau, elle pouvait compter sur sa sœur aînée – qui fut sa donneuse – et sur ses deux frères aînés. Et bien sûr sur l’amour indéfectible de ses deux parents.

Promesse essaie l’impossible : garder l’équilibre entre l’exhibitionnisme et la fausse pudeur. Les questions que Thomas pose à ses parents ou à ses frères et sœur face caméra sont aussi directes que leurs réponses : chacun évoque à sa façon son amour pour Laurène et sa façon de gérer son deuil.

Cette tragédie a frappé une famille incroyablement soudée et très privilégiée. Les Hug de Larauze sont une grande famille d’entrepreneurs nantais, engagés dans la vie de la cité, catholiques pratiquants. Le documentaire montre leur maison cossue, leur résidence secondaire les pieds dans l’eau. On devine que l’argent n’est pas un problème. Bref, on est chez les riches. Il serait bien mesquin de leur en faire le reproche. La leucémie frappe hélas tous les milieux.

Mais en revanche, une famille pauvre n’aurait sans doute pas eu l’idée de tourner un film sur leur fille défunte. Elle n’aurait certainement pas eu les moyens de le produire. Là encore, est-ce un argument à invoquer au débit de Promesse ? Certainement pas.

Ce qui est le plus dérangeant – et c’est la flèche du Parthe d’une critique maladroite – est la publicité de cette oeuvre. Thomas, ses frères et sœurs, ses parents font un travail de deuil admirable. C’est tout à leur honneur. Mais y avons-nous notre place ? Ne sommes nous pas kidnappés dans un deuil qui ne nous regarde pas ? On répondra que rien ne nous obligeait à aller voir ce film. On rétorquera que rien n’obligeait ses auteurs à le diffuser.

La bande-annonce

Le Clan des bêtes ★★☆☆

Une haine atavique oppose deux fermiers irlandais. Michael (Christopher Abbott) vit seul avec son vieux père handicapé (on reconnaît Colm Meany, second rôle récurrent du cinéma britannique et américain depuis quarante ans). Gary (Paul Ready) a épousé Caroline (Nora-Jane Noone, découverte dans The Magdalene Sisters), l’ancienne petite amie de Michael, et donné naissance à Jack (Barry Keoghan, révélée par Dunkerque). La haine entre les deux hommes dégénère en guerre ouverte après que Jack a volé à Michael deux de ses béliers.

À deux semaines d’écart sont sortis deux films irlandais assez proches qui auront attiré les amoureux de l’île d’Emeraude comme moi. Le 30 avril, Tu ne mentiras point qui revient sur l’affaire du couvent de la Madeleine et une semaine plus tôt cet As Bestas gaélique. On se souvient de ce film espagnol sorti en 2022 au succès si mérité qui montrait comment la violence dégénérait jusqu’à un apex dramatique, dans les montagnes de Galice, entre un couple de paysans français expatriés et leurs voisins envieux du cru.

C’est la même logique qui est à l’oeuvre ici qui montre une escalade de violence. Chaque infraction appelle en retour une réponse, entraînant les deux familles pétries de haine dans une vendetta toujours plus meurtrière. Cet engrenage est raconté de deux points de vue, à la « Rashomon » (du nom du célèbre film de Kurosawa qui, le premier, a utilisé cette ficelle au tout début des années 50). Le film est coupé en deux en son milieu. Pendant la première partie, l’histoire est racontée du point de vue de Michael ; dans la seconde, elle est racontée du point de vue de Jack. Pas sûr que cette structure originale apporte une plus-value sinon celle de montrer que les torts sont partagés et que cette violence parochiale repose sur des malentendus – le film aurait tout aussi bien pu respecter la linéarité du récit, en se plaçant alternativement du point de vue des deux protagonistes.

Le Clan des bêtes est un film noir rural rugueux et captivant. Il lui manque toutefois un je-ne-sais-quoi pour le hisser au-dessus du lot commun.

La bande-annonce

Little Jaffna ★★☆☆

Michael (Lawrence Valin) est d’origine tamoule. Il est arrivé en France à l’âge de quatre ans et y a été élevé par sa grand-mère. Devenu policier, il est chargé par la DGSI d’une mission périlleuse : infiltrer les Killi’z, une bande mafieuse tenue d’une main de fer par son parrain, Aya, qui prélève « l’impôt révolutionnaire » à Little Jaffna, le quartier tamoul de Paris, et en reverse le fruit à l’Eelam Tamoul, mouvement de guérilla qui se bat pour l’indépendance au nord du Sri Lanka.

Little Jaffna est un film original qui cumule deux qualités rares.

Son sujet : il nous plonge dans une communauté méconnue, celle des immigrés tamouls à Paris, forte de plusieurs dizaines de milliers de membres, concentrée dans le quartier de la Chapelle, à la frontière des 10ème et 18ème arrondissements. Je ne crois pas que le cinéma s’y soit déjà intéressé – alors qu’on ne compte plus les films sur les autres communautés émigrées à Paris, maghrébine (Barbès, Little Algérie), vietnamienne (Dans la cuisine des Nguyen), chinoise (Les Fleurs amères) subsaharienne (L’Histoire de Souleymane), portugaise (La Cage dorée), etc. Le héros de Dheepan, Palme d’or 2016, est certes tamoul et porte le traumatisme de son passé violent ; mais le film de Jacques Audiard évoquait un homme seul, coupé de sa communauté.

Lawrence Valin au contraire adopte un parti quasi documentaire, nous plongeant dans le bruit et les odeurs de ce quartier haut en couleurs. Il filme les fêtes populaires où les Ganesh portés à dos d’hommes paradent dans les rues et les tablées joyeuses où les convives plongent les mains (utiliser une fourchette est une manifestation honnie d’acculturation) dans le plat commun.

L’autre qualité de Little Jaffna est sa forme. Lawrence Valin a le culot de réaliser un film de gangsters et de se frotter à des maîtres indépassables. On pense aux Infiltrés ou à Mean Streets de Martin Scorsese, à La nuit nous appartient de James Gray au film hongkongais Infernal Affairs, au diptyque indien Les Gangs de Wasseypur… Mesuré à cette aune, Little Jaffna peut sembler bien pâlot. Ce n’en est pas moins un premier film tendu, audacieux et réussi.

La bande-annonce

Ghostlight ★★★☆

Dan est employé de la voirie de Chicago. Il n’est plus le même homme depuis qu’un drame a anéanti sa vie. Le hasard d’une rencontre le conduit à rejoindre une troupe de théâtre où il jouera Roméo et Juliette. Cette expérience cathartique sera pour lui le moyen de se réconcilier avec sa femme et avec sa fille, en pleine crise d’adolescence.

Le scénario de Ghostlight pourrait sembler bien artificiel : il croise le deuil d’une famille inconsolable et la mise en scène par une troupe de théâtre amateur de la pièce archiconnue de Shakespeare. Pourtant, à partir de ce point de départ improbable, Kelly O’Sullivan et Alex Thompson, le couple derrière la caméra, signent un film d’une bouleversante justesse qui m’a fait pleurer de la première (j’exagère : disons la deuxième) à la dernière minute.

La raison de ma réaction est double : mon histoire familiale et mon goût immodéré pour Roméo et Juliette auquel je voue, depuis l’adaptation millenial et musicale de Baz Luhrmann avec Leonardo DiCaprio et Clare Danes en 1996 qui avait divisé la critique et m’avait transporté, une admiration irraisonnée. À la même époque, j’en avais vu au théâtre des Amandiers la mise en scène de Stuart Seide qui est restée gravée dans ma mémoire. Il suffit que j’entende les premiers mots de son prologue (« Two households both alike in dignity/ In fair Verona…« ) pour que je tombe en pâmoison.

Les trois rôles principaux – le père, la mère et leur fille – sont joués par une « vraie » famille à la ville :  Keith Kupferer (une sorte de Michel Barnier aux cheveux bouclés), sa femme Tara Mallen et leur fille Katherine Mallen Kupferer. Cette dernière est particulièrement remarquable. Elle joue à la perfection une adolescente en surtension permanente, aussi prompte à se révolter (contre la bêtise des adultes et la routine du lycée) qu’à s’enthousiasmer (pour la troupe de théâtre qui, après avoir ouvert ses portes à son père, lui ouvre ses bras). Sa folle énergie contraste avec la placidité dépressive de son père qui s’est muré dans le silence.

La bande-annonce

Les Musiciens ★★☆☆

Astrid Carson (Valérie Donzelli) est l’héritière de son père, un richissime homme d’affaires récemment décédé. À la tête de la fondation qu’il a créée, elle essaie de réaliser son rêve : réunir quatre Stradivarius et leur faire jouer le quatuor qu’il avait commandé un quart de siècle plus tôt au compositeur Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot). Mais réunir quatre musiciens d’exception pour monter cet enregistrement s’avère plus difficile que prévu.

Le film de Grégory Magne (Les Parfums) a un défaut quasi rédhibitoire : on sait par avance comment il va se terminer. On sait par avance que les tensions qui existent entre les quatre musiciens finiront par s’apaiser et que, dans la dernière scène du film, ils interpréteront, à l’unisson, devant son compositeur ému aux larmes, une oeuvre sublime.

Fort heureusement, ce défaut est compensé par trois qualités remarquables. La première est un scénario rebondissant, qui maintient la tension et soutient l’attention. Il montre l’évolution au sein du groupe entre ses quatre membres : le premier violon si égocentrique, le second violon, malvoyant, qui fait les yeux doux (sic) à la violoncelliste, la jeune altiste, en mal de reconnaissance…

La deuxième est Frédéric Pierrot, dans le rôle d’un compositeur lunaire (!), qui entend se départir de tout artifice, pour revenir à ce qui, selon lui, constitue l’essence de la musique : sublimer les bruits de la Nature. Frédéric Pierrot est particulièrement drôle dans ce rôle qui frise le burlesque. Mais il réussit en même temps à y être d’une étonnante profondeur.

Enfin, et c’est le plus important, Les Musiciens vaut par sa musique. Une oeuvre originale en quatre mouvements a été commandée à Grégoire Hetzel. Ce célèbre compositeur de musique de films est régulièrement nominé aux César : en 2011 pour L’Arbre, en 2016 pour Trois souvenirs de ma jeunesse, en 2019 pour Un amour impossible, en 2020 pour Roubaix, une lumière, en 2023 pour L’Innocent. Sa composition est superbe. Je craignais que le dernier plan se termine à la seconde où le concert commencerait. J’ai été heureux, même si l’effet dramatique est moins fort, que la caméra tourne encore quelques minutes pour nous laisser écouter ce résultat splendide.

La bande-annonce

Mexico 86 ★☆☆☆

Maria (Bérénice Bejo) est une militante de l’Armée révolutionnaire guatémaltèque qui combat contre la dictature et milite pour le retour de la démocratie dans cette petite république d’Amérique centrale. Après l’assassinat de son mari à la fin des années 70, elle s’est exilée au Mexique, y vit sous couverture comme correctrice dans un journal et poursuit la lutte clandestine. Elle a laissé son fils au Guatemala aux bons soins de sa mère qui, atteinte d’une maladie incurable, ne peut plus assumer sa garde.

Mexico 86 est un film d’autant plus touchant que son réalisateur, César Diaz, s’est inspiré de sa propre vie et de celle de sa mère. Comme son titre l’indique, il se déroule à Mexico, en 1986, au moment de la Coupe du monde de football (dont la France, on s’en souvient, s’est fait une nouvelle fois éliminer par la Mannschaft en demi-finale sans réussir à prendre sa revanche de Séville quatre ans plus tôt).

Le film tisse deux histoires. La première est celle d’un récit d’espionnage avec ses fausses identités, ses postiches, ses filatures, ses courses-poursuites. La seconde investit un tout autre registre, celui de la relation mère-fils.

Le problème de Mexico 86 est qu’il échoue à tenir la balance entre ces deux dimensions.
Autant la première est réussie, grâce à la performance de Bérénice Bejo, délicieusement paranoïaque, dont on sait combien elle est une grande artiste (OSS 117, The Artist, Le Passé, L’Economie du couple…). On retrouve le parfum des vieux films des années 70 façon Les Hommes du président, accompagnés par une musique nerveuse.
Autant la seconde est trop convenue, trop prévisible, trop tire-larmiste pour convaincre.

La bande-annonce

Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé ★★☆☆

Le 21 décembre 1989, en direct à la télévision roumaine, le dictateur Nicola Ceaușescu est hué par la foule. Il sera exécuté quatre jours plus tard avec sa femme après un procès expéditif. Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, Grand Prix du dernier festival de Venise, suit pas à pas la vie de six Bucarestois ordinaires la veille de la chute du régime : un ouvrier dont le fils vient d’envoyer au Père Noël une bien embarrassante missive, un réalisateur à la télévision nationale obligé de retourner dans l’urgence la soirée du Nouvel An et de trouver une nouvelle actrice après la défection de la précédente, son fils qui a décidé de fuir le pays, un employé de la Securitate, la police secrète, sa mère qui refuse d’abandonner la maison où elle a toujours vécu….

On connaît la richesse du cinéma roumain depuis la Palme d’or ô combien méritée attribuée en 2007 à Christian Mungiu pour Quatre mois, trois semaines, deux jours. On sait que la fin du régime de Ceaușescu est un de ses sujets de prédilection. Ainsi 12h08 à l’est de Bucarest (2006) de Corneliu Porumboiu montrait avec une cruelle ironie comment les Roumains avaient souvent héroïsé leur participation à la chute de la dictature. 

Ce Nouvel An… a une texture quasi documentaire. Il vaut d’abord par son échantillonnage sociologique : quatre hommes, deux femmes, de tous les âges et de tous les milieux. Parmi eux, un, l’employé de la Securitate, sert le régime, deux autres, l’actrice et le fils, le détestent, les trois autres le subissent avec résignation. Il vaut surtout par la finesse des caractères dépeints : ni héros, ni salaud, chacun a ses raisons et interroge celles que nous aurions eues si nous avions été dans la même situation. Défendre des valeurs, certes ; mais surtout sauver sa peau et celle des siens face à un avenir encore inconnu.

Ce Nouvel An… souffre d’une faiblesse structurelle. On en sait par avance la fin. On sait comment l’histoire se finira et on sait qu’elle se finira « bien », par la chute du dictateur et la fin de la dictature. Cette connaissance rétrospective éclaire d’un jour moins dramatique les événements traversés par les six protagonistes. Le drame devient moins dramatique (on ne tremble pas quand Laurențiu est arrêté), la comédie plus drôle. Il est caractéristique que l’épisode le plus réussi du film soit le plus ironique : la lettre au père Noël du fils de Gelu l’ouvrier.

La bande-annonce

Tu ne mentiras point ★★☆☆

William Furlong (Cilian Murphy) est charbonnier à Wexford dans le sud-ouest de l’Irlande des années 80. Son passé se dévoile à travers plusieurs flashbacks. Il a été élevé dans les années 50 par une mère célibataire recueillie par une riche douairière. Il s’est marié, a fondé un foyer et est aujourd’hui le père de pas moins de cinq filles. Il livre le charbon régulièrement au couvent de la Madeleine et prend lentement conscience des mauvais traitements que ses pensionnaires y subissent.

En 2002, le film de Peter Mullan, The Magdalene Sisters, avait popularisé les sévices subis par plusieurs dizaines de milliers de jeunes filles pendant plus de soixante-dix ans dans des établissements religieux irlandais. Dix ans plus tard, Philomena de Stephen Frears racontait l’histoire vraie d’une Irlandaise dont l’enfant lui avait été retiré à la naissance un demi-siècle plus tôt. Tu ne mentiras point (dont le titre anglais, plus subtil, est Small Things Like These) revient sur ce passé irlandais qui ne passe pas.

C’est l’adaptation d’un livre de Claire Keegan, dont un autre roman très réussi vient tout juste d’être porté à l’écran : The Quiet Girl racontait les quelques semaines passées par une fillette renfermée chez un couple aimant d’agriculteurs sans enfant. J’ai trouvé que ces deux films se ressemblaient – même si l’un se déroulait pendant un été ensoleillé alors que l’autre baigne dans un hiver humide. Ils ont en commun un rythme lent, le refus des rebondissements spectaculaires, une pudeur à ne pas trop en dévoiler.

Tu ne mentiras point a le défaut de ses qualités : sa retenue le dessert. Il est happé, comme un trou noir, par la composition magistrale de Cillian Murphy, sans doute l’un des acteurs les plus impressionnants de sa génération, comme l’a montré son interprétation de Oppenheimer. Son mutisme, dont on se demande ce qu’il cache, aspire tout, au risque de réduire le film au silence.

La bande-annonce

Les Linceuls ★☆☆☆

Karsh (Vincent Cassel) est un riche quinquagénaire rendu fou de chagrin par la mort de sa femme. Avec sa fortune, il a commercialisé un procédé technologique futuriste permettant de suivre, grâce aux capteurs qui tapissent le linceul dans lequel le cadavre est enterré, la lente putréfaction du corps de l’être cher. Or, le cimetière où repose Rebecca son épouse (Diane Kruger) est profané. Qui est à l’origine de cet acte de vandalisme ? Une ONG écologiste basée en Islande ? L’investisseur hongrois qui souhaite prendre des parts dans la société de Karsh ? Les services de renseignement chinois ou russe ? Le propre frère de Karsh (Guy Pearce), brisé par son divorce ? L’ex-oncologue de Rebecca mystérieusement disparu à l’occasion d’un congrès international ?

David Cronenberg, à quatre-vingts ans passés, fait partie de ces géants du cinéma, dont l’œuvre impressionnante (La Mouche, Le Festin nu, Crash, A History of Violence…) suscite une admiration révérencieuse. Chacun de ses nouveaux films – dont on peut craindre légitimement qu’il soit le dernier – est ipso facto sélectionné à Cannes (ce fut le cas de Maps to the Stars en 2014 et des Crimes du futur en 2022) quelles que soient ses qualités intrinsèques. Et d’ailleurs, si je suis allé voir dès sa sortie son dernier film, c’est précisément en raison de l’admiration respectueuse que je porte à l’un des plus grands réalisateurs canadiens contemporains (ex aequo avec Denis Villeneuve, Xavier Dolan et James Cameron).

Pour autant, quitte à passer pour un ilote, force m’est de confesser que je n’aime pas Cronenberg. Je n’ai jamais compris ses névroses, ses pulsions refoulées, son obsession pour le corps humain et sa mutilation. Crash par exemple sur l’érotisation de l’accident de la route et la fusion de l’humain et du mécanique (une thématique faussement transgressive plagiée par Julia Ducournau dans Titane dont je soutiens qu’il ne méritait pas la Palme d’or) m’a profondément mis mal à l’aise.

Aussi très logiquement n’ai-je pas aimé ces Linceuls. J’ai trouvé son idée de départ peu réaliste. Qui aurait sérieusement l’idée de filmer le lent pourrissement du cadavre de sa femme ? D’autant que Vincent Cassel, un acteur toujours aussi sautillant et débordant d’énergie, n’est guère crédible dans le rôle d’un veuf inconsolable. Le jeu des acteurs, à commencer justement par celui de Vincent Cassel, qu’on sent à chaque réplique obsédé par sa prononciation anglaise, m’a semblé particulièrement mauvais. J’ai  également trouvé le film terriblement bavard, enchaînant les longs face-à-face paresseusement filmés en plans/contre-plans mettant en présence le héros avec tous ceux qu’il soupçonne successivement de l’abuser. Le scénario enfin m’a semblé excessivement filandreux, qui multiplie, comme un mauvais James Bond, les fausses pistes.

C’est à ma déférence envers le vieux maître que le film doit sa seule étoile. Si j’avais été moins respectueux, je ne lui en aurais mis aucune.

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La Chambre de Mariana ★★☆☆

Dans la Bucovine, occupée depuis l’été 1941 par les troupes allemandes, les Juifs sont persécutés. Le père de Hugo, douze ans, a déjà été arrêté. Pour le sauver d’une mort certaine, la mère de Hugo le confie à la garde de Mariana, une amie d’enfance aujourd’hui prostituée dans un bordel dont l’essentiel de la clientèle est constitué de soldats allemands. Mariana le cache dans un débarras adjacent à sa chambre.

La Chambre de Mariana est l’adaptation du livre éponyme et en partie autobiographique de Aharon Appelfeld, écrivain israélien né en 1932, qui, comme il le raconte dans Histoire d’une vie, s’est caché pendant trois ans dans les forêts d’Ukraine.

Le film est réalisé par Emmanuel Finkiel qui clôt avec lui une trilogie entamée en 1999 avec Voyages et poursuivie en 2017 avec La Douleur, l’adaptation du livre de Marguerite Duras. Mélanie Thierry y jouait le rôle principal et c’est elle qu’on retrouve en tête d’affiche. Pour interpréter Mariana, elle a relevé un défi qui force l’admiration : apprendre l’ukrainien et le parler quasiment à la perfection. À part elle, l’ensemble du casting est ukrainien. Le film aurait dû être tourné sur place mais le tournage s’est délocalisé en Hongrie après l’invasion russe de février 2022, compliquant considérablement le travail de la production.

La Chambre de Mariana a deux héros. Son histoire nous est racontée par les yeux et les oreilles de Hugo qui n’en a qu’une perception amputée. Le film joue intelligemment sur les cadrages. Hugo observe, par un trou de son réduit, la cour où il voit des colonnes de Juifs déportés et des Allemands en uniforme. Il regarde par l’entrebaîllement de la porte la chambre où Mariana se dénude et reçoit ses clients. Mais la principale héroïne est Mariana elle-même, Maman et putain, Juste sans le savoir, donnant à l’enfant placé sous sa garde l’amour dont il a été trop tôt sevré.

La Chambre de Mariana coche toutes les cases du drame historique, de l’enfance martyrisée, du lait de la tendresse humaine. D’où vient alors qu’il nous laisse insensible ? D’où vient qu’on ne s’y laisse pas emporter ? De sa longueur ? Il n’a pas suffisamment à dire pour occuper efficacement ses deux heures vingt. De sa prévisibilité ? Rien ne s’y passe qu’on ne voie venir longtemps à l’avance et qui ne nous y surprenne. De la médiocrité du jeu des acteurs, Mélanie Thierry mise à part ?

La bande-annonce