Revenir ★★☆☆

Douze ans plus tôt Thomas (Niels Schneider) a quitté la ferme familiale pour aller s’expatrier au Canada. Il y revient pour sa mère (Hélène Vincent), mourante. Mais le conflit qui l’oppose à son père (Patrick d’Assumçao) n’a pas trouvé sa solution. Entretemps son frère est mort dans des circonstances mystérieuses. Il laisse une veuve, Mona (Adèle Exarchopoulos) et un petit garçon.

Revenir creuse un sillon décidément à la mode : le drame rural. Mais il n’a pas la puissance de Petit paysan ou de Au nom de la terre (dont on espère très fort qu’il ne repartira pas bredouille de la prochaine cérémonie des Césars où il est trois fois nommé). La comparaison avec ces deux succès récents le condamne à l’invisibilité.

Pourtant ce petit film modeste, de soixante-dix sept minutes seulement, n’est pas sans charme. Il le tire de ce portrait très juste d’une famille meurtrie : meurtrie par la disparition brutale du frère, meurtrie par la mort imminente de la mère, meurtrie par la lente agonie d’une exploitation agricole condamnée à la faillite.
Il le tire aussi de la passion incandescente qui se développe entre Thomas et Mona. La photo de l’affiche est bien choisie où l’on voit Niels Schneider dévorer Adèle Exarchopoulos des yeux. Dans la moiteur de l’été, leurs deux corps se cherchent… et se trouvent. À la place de Virginie Effira, je me ferais du souci !

La bande-annonce

Cuban Network ★★★☆

Cuba. 1990. L’île communiste, privée du soutien de l’URSS étouffe sous l’embargo américain. Sans prévenir personne, René Gonzalez (Edgar Ramirez) décide de faire défection, abandonne sa femme et sa fille et rejoint Miami aux manettes d’un avion de tourisme. Quelques mois plus tard, un autre officier de l’armée de l’air cubaine le rejoint. Les deux hommes rejoignent à Miami la Fédération nationale américo-cubaine, un groupe de résistance anti-castriste qui porte secours aux réfugiés cubains qui tentent de gagner les côtes américaines à bord d’embarcations de fortunes mais qui est aussi impliquée dans le trafic de drogue et la réalisation d’actions violentes sur l’île.

Olivier Assayas est décidément un réalisateur à plusieurs facettes. Il réalise des grands drames bourgeois (Les Destinées sentimentales adapté de Chardonne, L’Heure d’été…) ou de petits thrillers futuristes (Demonlover, Boarding Gate…). Les pieds solidement ancrés en France, il a la tête tournée vers l’Asie – dont il fut l’un des premiers à s’intéresser au renouveau du cinéma alors qu’il était critique aux Cahiers – et vers l’Amérique latine.

Ce Cuban Network s’inscrit dans la veine de Carlos, le biopic-fleuve qu’il avait tourné en 2010 avec, déjà, Edgar Ramirez dans le rôle titre.
Son scénario est foisonnant, avec ses nombreux personnages et ses multiples rebondissements, plus ou moins inspirés d’une histoire vraie. Mais, sauf à se faire accuser de dévoiler le ressort du film, on ne peut évoquer l’histoire vraie dont il s’inspire.

Cuban Network se regarde comme une mini-série. C’est sa principale qualité. Mais c’est aussi son principal défaut.
Pendant plus de deux heures, on ne regarde pas sa montre tant l’action est dense et le film prenant. On est immédiatement en sympathie avec René Gonzalez, le héros du film, autour duquel toute l’histoire se construit, et avec sa femme, interprétée à la perfection par la toujours parfaite Penelope Cruz. La galerie de personnages cubains qu’ils croisent, castristes, anti-castristes, espions et agents doubles, est croustillante. À commencer par Walter Moura, l’acteur brésilien rendu célèbre par son interprétation de Pablo Escobar dans la série à succès Narcos. Un coup de chapeau à Ana de Armas dans un rôle ingrat, belle comme le diable.

Mais, on se demande si ce matériau, si riche, ne se serait pas précisément mieux prêté à la réalisation d’une mini-série. Le scénario est si dense qu’on aurait aimé qu’Olivier Assayas prenne un peu plus de temps pour le raconter. Je me plains souvent que les films soient trop longs. Je regrette que Cuban Network ait été trop court. Jamais content…

La bande-annonce

Jojo Rabbit ★★★☆

Allemagne. 1945. La Seconde guerre mondiale est sur le point de se terminer. Jojo (Roman Griffin Davis) a dix ans et pour lui tout est jeu. Il adore porter l’uniforme de la Deutsches Jungvolk qui fait subir à la jeunesse allemande un lavage de cerveau afin de l’enrégimenter dans l’effort de guerre. Et il n’a qu’une seule angoisse : ne pas être intégré à cette chaleureuse fraternité dirigée par un capitaine borgne de la Wehrmacht (Sam Rockwell). Pour le rasséréner, Jojo peut compter sur l’amour indéfectible de sa mère (Scarlett Johansson) et sur son ami imaginaire, Adolf Hitler (Taika Waititi).

Jojo Rabbit nous montre la Seconde guerre mondiale, sa violence, son idéologie dévoyée, son antisémitisme idiot à travers les yeux d’un enfant. La perspective n’est pas nouvelle. On ne compte pas les films ou les livres qui ont embrassé le même point de vue, percutant l’innocence de l’enfance au chaos meurtrier de la guerre : Le Journal d’Anne Franck, Un sac de billes, L’Oiseau bariolé, Requiem pour un massacre, La Voleuse de livres… Mais, dans toutes ces oeuvres, le ton était grave, sinon tragique. Jojo Rabbit prend le parti de la comédie voire de la farce.

Traiter la Seconde guerre mondiale par l’ironie n’est pas non plus nouveau. De grands réalisateurs l’ont déjà fait : Chaplin, Lubitsch, Brooks, Tarantino… La vie est belle de Roberto Benigni est la référence qui vient la plus spontanément à l’esprit. L’histoire de ce gamin déporté dans un camp de concentration, qui y survit grâce à la loufoquerie déployée par son père, fut un immense succès critique (Grand prix du jury à Cannes, Oscar du meilleur acteur et du meilleur film étranger, César du meilleur film étranger…) et public (plus de dix millions d’entrées en Italie, près de cinq en France…)

La vie est belle réussissait à faire le grand écart entre le rire et les larmes. Jojo Rabbit y réussit aussi. Je comprends les critiques qui estiment que, une fois le pitch exposé, le film fait un peu du surplace. Mais la découverte dans la maison de Jojo d’une jeune fille juive hébergée en cachette par sa mère (formidable Thomasin MacKenzie découverte dans Leave No Trace et à laquelle on souhaite une brillante carrière) le relance au bon moment.

La bande-annonce

Dernier Amour ★★☆☆

Artiste désargenté, Picchio (Ugo Tognazzi) échoue dans une maison de retraite dirigée d’une main de fer par un ancien militaire. Ses gags hilarants ont tôt fait d’y semer la zizanie. Picchio y fait la connaissance de Renata (Ornella Mutti), une femme de chambre. Quand le retraité touche un magot qui lui permet de quitter son mouroir, il fuit à Rome avec la jeune fille.

Les Acacias distribuent une retrospective consacrée à Dino Risi, le prince de la comédie italienne. Servi par d’admirables interprètes comme Vittorio Gassman (avec qui il a touné pas moins de dix-sept films dont l’inoubliable Parfum de femme, son chef d’oeuvre), Alberto Sordi ou Nino Manfredi, Dino Risi s’est fait une spécialité du film à sketchs, un genre qui connaît une récente et surprenante renaissance (Les Nouveaux Sauvages, La Ballade de Buster Scruggs des frères Cohen en exclusivité sur Netflix, Selfie…). Les personnages qu’il y caricature sont autant de spécimens de la société italienne, fanfarons, obsédés sexuels, hypocrites et lâches.

Le cinéma de Dino Risi est caustique. Dernier Amour n’échappe pas à la règle qui ne se moque pas toujours gentiment de ses protagonistes. Picchio est un vieux clown pas toujours drôle auquel Renata ne cèdera pas tant qu’il n’a pas le sou. Renata est une jeune écervelée qui quittera Picchio à la première occasion pour un amant plus jeune ou plus riche. Les autres personnages de la maison de retraite forment une galerie de « monstres » séniles et pathétiques.

Le titre original en italien est Primo amore, un titre plus optimiste et plus ambigu que sa traduction en français. Premier amour de Renata ? ou première aventure amoureuse de Picchio après sa retraite ?

Dernier Amour a vieilli, comme a vieilli toute l’oeuvre de Dino Risi. Le cabotinage de Ugo Tognazzi est insupportable – il allait tourner l’année suivante La Cage aux folles. Ornella Muti est sans doute très jolie ; mais elle joue comme une quiche et on comprend mal – ou alors on comprend trop bien – les motifs pour lesquels son interprétation lui a valu la Grolla d’oro de la meilleure actrice en 1978. Surtout, au-delà de son cynisme doux-amer, Dernier Amour baigne dans une atmosphère innocemment phallocratique démodée, sinon révoltante, quand on la regarde avec les lunettes de #MeToo.

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Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part ★★★☆

Les quatre enfants d’Aurore (Aurore Clément) l’entourent pour son soixante-dixième anniversaire dans sa grande maison de campagne : Jean-Pierre (Jean-Paul Rouve), l’aîné, est marié et père de famille mais n’a jamais oublié son premier amour ; Juliette (Alice Taglioni) apprend qu’elle attend enfin son premier enfant ; Mathieu (Benjamin Lavernhe) n’ose pas avouer sa flamme à une collègue de bureau ; Margaux (Camille Rowe), la benjamine, n’arrive pas à vivre de son art.

Dans les années 2000, comme la France tout entière, j’ai cédé à la Gavalda-mania. Je l’ai découverte avec Je l’aimais (porté à l’écran par Zabou Breitman avec Daniel Auteuil et Marie-Josée Croze). Deux ans plus tard, je dévorais d’une traite  les six cents pages de Ensemble c’est tout (adapté par Claude Berri himself avec Audrey Tautou et Guillaume Canet). Du coup, j’achetais son tout premier recueil de nouvelles au titre tarabiscoté. Et puis Anna Gavalda a disparu. En 2013, elle a publié Billie, étrillé par la critique, que je n’ai pas lu. Et en 2017 un recueil de nouvelles qui sent trop les fonds de tiroir pour être crédibles.

Il a fallu attendre plus de vingt ans pour que Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part soit porté à l’écran. La tâche en est revenue à Arnaud Viard. En 2003, ce jeune réalisateur signait son premier film, Clara et moi, pour lequel j’avais eu un coup de foudre, au point de le classer dans mon Top 10 et d’en acheter la BO. ce blog n’existait pas encore ; mais je lui aurais mis sans hésiter quatre étoiles.

Il n’est pas facile de porter à l’écran un recueil de nouvelles. Je n’ai qu’un souvenir très confus de leur contenu. Aussi serai-je bien incapable de dire lesquelles Arnaud Viard a retenues, lesquelles il a écartées dans ce film choral quit met en scène quatre frères et sœurs.

Les acteurs y sont parfaits, à commencer par Jean-Paul Rouve qui, depuis quelques années, abandonne peu à peu le registre comique qui a fait son succès. Il est très émouvant dans le rôle de ce quadragénaire nostalgique, dévoré par le regret. Elsa Zylberstein a un petit rôle. C’est le troisième film d’elle qu’on voit en quinze jours après Selfie et Je ne rêve que de vous, tous deux sortis le 15 janvier. Et on réalise que sa voix haut perchée et ses yeux qui rient manquent au cinéma français. Enfin, il y a Camille Rowe, qui, non contente d’être la plus belle fille au monde, démontre qu’elle sait jouer.

Leurs vies banales ressemblent aux nôtres, avec leurs joies et leurs peines. On pleure beaucoup. Mais Je voudrais… n’en est pas pour autant un film larmoyant. Car ses larmes sont pudiques. Ses larmes font paradoxalement du bien. Je voudrais… est un feel-good movie triste, un mélodrame qui fait du bien.

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Le Photographe ★★☆☆

Rafi est un Indien pauvre qui a quitté son village pour Bombay afin d’y rembourser la dette contractée par son père et racheter la maison familiale. Installé dans un appartement minuscule qu’il partage avec quelques camarades d’infortune, il travaille sur le front de mer, à la Porte de l’Inde, où il prend les touristes en photo. C’est là que sa route croise celle de Miloni, une jeune étudiante, première de sa classe, issue de la classe moyenne, dont les parents sont en train d’organiser l’avenir.
Pressé par sa grand-mère de se marier, Rafi lui envoie une photo de Miloni en prétendant qu’il va l’épouser. Mais les choses pour lui se corsent quand sa grand-mère lui annonce sa venue prochaine à Bombay pour faire la connaissance de Miloni.

Un tel pitch aurait pu donner lieu à un film comique fait de quiproquos et de renversements, façon Au théâtre ce soir. Mais telle n’est pas la marque de fabrique de Ritesh Batra qui revient en Inde après un détour (pas vraiment convaincant) par Hollywood, six ans après le succès mondial de The Lunchbox. Le monde entier – moi inclus – avait été séduit par cette romance délicate entre une épouse mal mariée et un employé de bureau timide qu’un destin malicieux réunissait par le biais d’un panier-repas mal distribué.

C’est un peu le même principe qui est appliqué dans Le Photographe. Un titre mal choisi car il braque les projecteurs sur l’un des deux héros au détriment de l’autre. La Photo ou Le Mariage aurait été un titre plus pertinent qui, comme le panier-repas du film précédent, aurait insisté sur le medium mettant en relation les deux protagonistes.

Loin des comédies musicales virevoltantes auxquelles Bollywood nous a habitués, Ritesh Batra nous offre l’image d’un cinéma indien tout en subtilités – dont d’ailleurs la principale cible n’est pas domestique mais internationale. Il y est question de sentiments, comme dans toute romance. Mais il y est surtout question de relation de classes comme c’était déjà le cas dans l’excellent Monsieur (qui méritait dans mon souvenir une étoile de plus que les deux que je lui ai mégottées). Il ne s’agit pas ici de la relation entre une servante et son patron comme dans Monsieur mais entre deux amoureux d’une classe sociale différente.

Sanya Malhotra est parfaite dans le rôle de la jeune fille, d’une maladive timidité, qui a laissé ses parents prendre sa vie en mains. Le grand acteur Nawazuddin Siddiqui, qui jouait déjà dans The Lunchbox, est bien trop vieux pour interpréter Raffi, un rôle qui aurait dû échoir à un acteur plus jeune qui aurait donné plus de crédibilité au couple et à leurs sentiments.

La fin du film est surprenante. Elle a laissé la salle sur sa faim, qui s’est répandue, dès les lumières rallumées, en interrogations bruyantes et en commentaires désemparés. On n’en dira pas plus, sinon qu’elle est aussi frustrante que stimulante.

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K contraire ★☆☆☆

Le jeune Ulysse (Sandor Funtek, la révélation du film) vient de passer six mois en prison pour trafic de stupéfiants. Sa mère (Sandrine Bonnaire, qui depuis plus de trente ans creuse dans le cinéma français un sillon bien à elle à mi-chemin de Catherine Deneuve et de Juliette Binoche), profondément dépressive, exige des soins quotidiens et coûteux. Pour les financer, Ulysse n’a d’autre solution que de replonger dans la criminalité. Avec David (Alexis Manenti découvert dans Les Misérables), il croit tenir la martingale pour gagner rapidement de l’argent : investir dans un food truck et vendre des boissons coupées à la kétamine dans une rave party organisée dans le Poitou.

Des petits films français nerveux sur des jeunes en rupture avec l’ordre social, on en a déjà vu treize à la douzaine, sans remonter aux Quatre cents coups, Sans toi ni loi ou Le Petit Criminel. Certains sont inoubliables (Shéhérazade), d’autres sont oubliés quatre mois après les avoir vus (Mon frère).

Il y a fort à craindre que ce K contraire ne soit relégué dans cette seconde catégorie. Sans doute son interprétation est-elle excellente, à commencer par son jeune héros qu’on reverra bientôt dans le biopic qu’Audrey Estrougo consacre aux débuts de NTM. Mais, son sujet est trop banal, son scénario trop alambiqué – qui nous balade entre Paris et la province – et son montage trop maladroit – qui alterne des scènes trop étirées et de soudaines ellipses qui en brouillent la compréhension – pour marquer durablement les cœurs et les esprits.

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La Llorona ★★☆☆

Le général guatémaltèque Monteverde a commis sur les populations mayas des exactions qui lui valent un procès pour génocide. Condamné dans un premier temps, puis blanchi, il doit se cloîtrer dans sa maison, sous la protection d’un escadron présidentiel d’une foule pacifique qui hurle sous ses fenêtres. Près de lui sont rassemblées sa femme, sa fille et sa petite-fille. Sa domesticité a fait défection à l’exception de Valeriana, la fidèle gouvernante qui recrute dans son village une aide, Alma. La jeune femme inspire au vieux général des cauchemars terrifiants.

Jayro Bustamante est le visage du Guatemala sur la scène mondiale du cinéma. Une scène où les petits États d’Amérique centrale n’ont guère de place. J’ai beau avoir une cinéphilie pathologiquement cosmopolite, je serais bien en peine de citer un film panaméen (sauf à y rattacher Le Tailleur de Panama ou les saisons 2 et 3 de Prison Break) ou salvadorien.

Jayro Bustamante clôt avec La Llorona un triptyque consacré aux maux qui affligent son pays et aux mots utilisés pour les décrire. Ixcanul documentait le sort misérable des populations maya. Tremblements dénonçait l’homophobie de la haute société. La Llorona évoque le passé qui ne passe pas d’un pays, pris en otage par la Guerre froide, qui, au nom de la lutte contre le communisme, extermina une partie de sa population. Le général Monteverde du film est le double à peine déguisé du général Efrain Rios Mont, coupable de crimes de masse en 1982-1983, dont la condamnation en cour d’assises en 2013 avait été cassée par la Cour constitutionnelle et qui mourut, libre, dans son lit.

Jayro Bustamante a le mérite de prendre à bras-le-corps des sujets âpres. Tremblements était un film fort dont le souvenir que j’en ai gardé s’est bonifié avec le temps et auquel je regrette de ne pas avoir mis trois étoiles.
La Llorona est un chouïa en-dessous. En raison d’un parti pris auquel je n’ai pas adhéré : donner au scénario un tour fantastique en cantonnant les protagonistes entre les quatre murs d’une maison et en leur inspirant des visions cauchemardesques.

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Qu’un sang impur… ☆☆☆☆

Le lieutenant-colonel Breitner (Johan Heldenbergh) se voit confier la mission d’aller retrouver son ancien chef, le colonel Delignières (Olivier Gourmet) disparu dans les Aurès. Pour mener à bien sa tâche, il réunit autour de lui une troupe hétéroclite : sa compagne, une fière guerrière hmong (Linh-Dan Pham), un tireur d’élite illettré et raciste (Pierre Lottin), un sergent-chef sénégalais (Steve Tientcheu). En chemin, ils font prisonnier une artificière du FLN (Lyna Khoudri).

Un mythe tenace voudrait que le cinéma français ait superbement ignoré la guerre d’Algérie, à la différence de Hollywood qui a pris à bras le corps le conflit vietnamien. Le mythe n’est qu’à moitié vrai. Très rapidement, des films ont été tournés avec pour toile de fond la guerre d’indépendance d’Algérie : Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, RAS d’Yves Boisset, L’Honneur d’un capitaine de Pierre Schoendoerffer… Le flux ne s’est pas tari et on a vu encore, ces dernières années, des films traiter le même sujet : L’Ennemi intime de Florent Siri, La Trahison de Philippe Faucon, Hors-la-loi de Rachid Bouchareb…

Qu’un sang impur… s’inscrit dans cette généalogie. Il est l’oeuvre d’un vieux routier du cinéma français qui, après avoir signé plusieurs scénarios (Mesrine, Un prophète, la série Braquo), passe pour la première fois derrière la caméra. Abdel Raouf Dafri n’instruit pas à charge le procès d’une sale guerre. S’il montre sans fard les tortures pratiquées par les troupes françaises (le film est, à bon droit, interdit aux moins de douze ans), il ne cache pas les exactions commises par les fellaghas.

Le problème est que ce projet parfaitement honorable est desservi par un scénario maladroit et une direction d’acteurs calamiteuse. Le scénario louche un peu trop ostensiblement du côté de Apocalypse now, en mettant en scène un colonel la boule à zéro, animé de pulsions de mort. Olivier Gourmet, qui est pourtant l’un des meilleurs acteurs du moment, réussit à se ridiculiser dans cette mauvaise doublure de Marlon Brando. On se demande bien pourquoi on est allé chercher le belge Johan Heldenbergh pour interpréter le rôle de Martin Sheen. Des dizaines d’acteurs français, plus jeunes, plus charismatiques, auraient mieux fait l’affaire. Seuls surnagent les seconds rôles : Lyna Khoudri (l’héroïne de Papicha), Salim Kechiouche (acteur récurrent chez Kechiche), Steve Tientcheu (le maire des Misérables)…

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Scandale ★★★★

Scandale est inspiré d’une histoire vraie. À l’été 2016, en pleine campagne présidentielle américaine, Robert Ailes (John Lithgow), le tout-puissant patron de la chaîne d’information Fox News a été licencié par Robert Murdoch suite aux accusations de harcèlement sexuel lancées contre lui.
Le film met en scène trois femmes incarnant chacune une génération différente. Gretchen Carlson (Nicole Kidman), la plus âgée, est celle par qui le scandale arrive. Évincée de l’antenne par Robert Ailes, elle a le cran de lui intenter un procès pour licenciement abusif. Megyn Kelly (Charlize Theron), la plus célèbre, doit son ascension au puissant directeur mais n’est pas dupe de ses méthodes. Kayla Pospisil (Margot Robbie), est une toute jeune journaliste sur le point d’éclore… à condition de se plier aux règles dictées par Robert Ailes.

Reconnaissons à Hollywood le don de se saisir sans délai des sujets les plus brûlants. Sa rapidité à le faire et son don pour les mettre en scène dans des films à la distribution brillante et à la construction stimulante en deviendraient presque répétitifs. Les scandales sexuels dans l’Église catholique, la lutte de la presse d’information contre la loi du silence, la spéculation financière ont eu chacun, ces dernières années, à l’approche de Noël, avec les Oscars en ligne de mire, leur « grand » film : Spotlight, Pentagon Papers, The Big Short

Scandale (quel titre fade !) s’ajoute à cette ligne prestigieuse. Mais ne mégotons pas ! Mieux vaut traiter de sujets stimulants avec des acteurs hors pair sur des scénarios brillants que de tourner les Tuche 3 ou Rendez-vous chez les Malawas.

Si les films que j’ai cités sont si stimulants, si Scandale l’est également, c’est parce qu’ils ne sont pas simplistes.

Deux ans après #MeToo, il n’est guère original de s’insurger contre le harcèlement sexuel. Harvey Weinstein ne trouvera personne pour le défendre. Et c’est tant mieux.
Mais Scandale ne parle pas de cela. Le sujet qu’il traite est autrement plus subtil, les questions qu’il pose autrement plus délicates. Il n’y est pas question de viol en bonne et due forme mais de patriarcat érigé en mode de management. Les présentatrices télé sont-elles condamnées à porter des hauts talons et des faux seins pour passer à l’antenne ? Doivent-elles sans broncher supporter l’humour gaulois et les allusions déplacées de leurs collègues masculins ? Repousser leurs sollicitations plus ou moins appuyées risque-t-il de condamner leur carrière ? Doivent-elles au risque de tout perdre être solidaires de celles qui oseront dénoncer ce sexisme ?

Jay Roach a eu une idée de génie en confiant les rôles titres à Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie. Ce trio de stars, respectivement nées en 1967, 1975 et 1990, incarnent trois générations de femmes confrontées, chacune à leur façon, au harcèlement sexuel et aux dilemmes pour le combattre. Nicole Kidman est la plus courageuse qui ose briser la loi du silence. Margot Robbie est la plus touchante dont l’audition face à son libidineux patron restera une scène d’anthologie. Mais c’est Charlize Theron – méconnaissable à force de lifting et de maquillage – qui a le rôle le plus riche. Les Golden Globes et les SAG Awards lui ont préféré Renée Zellweger (pour son interprétation de Judy Garland dans le biopic qui lui est consacré). Espérons que les Oscars fassent un autre choix.

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