Tommaso ★☆☆☆

Tommaso (Willem Dafoe) vit à Rome avec sa femme, de trente ans sa cadette, et sa petite fille. Ce réalisateur américain travaille à la préparation de son prochain film, donne des cours dans une école de théâtre, apprend scrupuleusement l’italien. Mais surtout il chasse ses vieux démons, la drogue et l’alcool, en se soumettant à la pratique exigeante du yoga et en assistant chaque semaine aux réunions des AAs.

Abel Ferrara nous envoie de Rome un bulletin de santé plutôt rassurant par l’entremise de Willem Dafoe, son double cinématographique, avec lequel il signe son sixième film. Il s’est installé dans la capitale italienne. Ça tombe bien : Dafoe aussi. Ferrara a tourné Tommaso avec sa femme et sa fille de trois ans : le couple aura des images à montrer à leur fille quand elle sera plus grande.

Le réalisateur new-yorkais de toutes les outrances a survécu à la dope. Il a vieilli. il s’est assagi. On est content pour lui…

On le suit dans sa vie quotidienne, dans son petit train-train bonhomme : Tommaso prend un café au comptoir, Tommaso fait les courses, Tommaso rentre chez lui, Tommaso cuisine, Tommaso baise avec sa femme en complimentant son cul (il devait quand même régner une drôle d’ambiance sur le plateau avec le mari derrière son prompteur, sa femme et Willem Dafoe à poil devant la caméra). Une fois encore, on est content pour lui.

Certes, les démons ne sont jamais loin. Le démon de la jalousie : Tommaso, paranoïaque, est convaincu que sa femme le trompe. Le démon de la tentation : ses jeunes étudiantes lui font les yeux doux…et plus si affinités. D’ailleurs de ce que l’on voit, le plus infidèle des deux n’est pas celui qu’on croit (il devait quand même régner une drôle d’ambiance sur le plateau. Bis repetita). Et cette culpabilité catholique qui traverse tous les films de Ferrara – comme ceux de Scorsese – dont il faut à tout prix se débarrasser quitte à simuler une scène de crucifixion devant la gare de Termini devant des badauds perplexes ou hilares.

Tout cela est bel et bon… mais on s’en fout un peu. Et on sort de la salle avec une seule interrogation, bien peu cinématographique et encore moins catholique : quand et comment Abel Ferrara et Christina Chiriac se sépareront-ils ?

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Une belle équipe ★★☆☆

Les joueurs de l’équipe de foot de Clourrieres dans les Hauts-de-France sont interdits de stade à trois matchs de la fin du championnat. Seule solution pour leur entraîneur (Kad Merad) pour éviter la relégation : monter une équipe féminine.

Passons sur l’argument du film hautement improbable : Une belle équipe est la jolie surprise de la semaine, le genre de film que j’ai bien failli ne pas voir. Pourquoi ? Parce que la feel good comedy francaise formatée pour séduire la ménagère de quarante ans me fait fuir. Dailleurs je ne suis pas allé voir l’année dernière Comme des garçons qui developpait un argument similaire : la création à Reims à la fin des années soixante du premier club de foot féminin. En revanche j’ai gardé le meilleur souvenir des Seigneurs, une comédie dOlivier Dahan de 2012 avec Frank Dubosc, José Garcia et Gad Elmaleh qui racontait avec humour les difficultés d’une ancienne gloire du football pour entraîner une équipe amateure sur une île bretonne.

Une belle équipe se déroule dans le Noooooord. Et on s’attend presque à ce que Kad Merad coiffe sa casquette de postier. Danny Boon aurait très bien pu interpréter le rôle drolatique de Mimil, son collègue de travail, coupeur de citrons bénévole, pas bien malin mais au grand cœur. Les montants astronomiques de ses cachets ne l’ont sans doute pas permis et c’est tant mieux. Car c’est Alban Ivanov qui interprète le rôle et réussit à y être encore plus hilarant que dans La Vie scolaire ou Le Grand Bain. C’est dire.

Du côté des femmes, le casting est aussi réussi qui brosse une coupe transversale de la société française gentiment caricaturale. Laure Calamy, toujours excellente, interprète une grande bourgeoise un peu coincée qui brûle de soulever la chappe de plomb que fait peser sur elle un mari dictatorial. Céline Salette, toujours juste, incarne une mère de famille qui aimerait bien partager avec un mari adulescent (Guillaume Gouix) la charge mentale de l’éducation de leurs trois enfants. Sabrina Ouazani joue la beurette de service, surdouée du ballon rond, en quête de rédemption sociale après s’être vue retirer la garde de sa fille.

Alors, bien sûr, Une belle équipe ne revolutionnera pas le cinéma. C’est la raison pour laquelle je ne lui mettrai pas trois étoiles. Mais j’ai passé à le regarder un moment bien plus divertissant que devant bien des films taiwanais de trois heures en noir et blanc.

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Douze mille ★☆☆☆

Frank (Arieh Worthalter) et Maroussia (Nadège Trebal) tirent le diable par la queue dans un appartement acheté en viager à une vieille dame qu’ils hébergent dans leur salon. Maroussia est assistante maternelle à domicile ; Frank trafique des pièces détachées à la casse jusqu’à ce que ses petites combines soient brutalement interrompues.
Frank doit quitter Maroussia pour aller gagner de l’argent. Il s’est fixé un objectif : 12.000 euros soit l’argent que gagne sa compagne en douze mois.

Film social ? Romance ? Comédie dansée ? Douze mille est un peu tout cela. C’est ce qui fait sa richesse ; mais ce qui, au final, scelle son échec.

Nadège Trebal, la réalisatrice, vient du documentaire. Ses deux précédents films, Bleu pétrole en 2012 et Casse en 2014 avaient été tournés à l’usine. Douze mille en porte la trace, dont l’essentiel de l’action se déroule dans le terminal portuaire où Frank est allé s’embaucher.
Mais il n’y a rien de triste dans l’odyssée prolétaire de Frank, loin de sa Pénélope. La réalisatrice a fait appel au chorégraphe Jean-Claude Gallotta pour mettre en mouvement les corps. Les chorégraphies sont très simples. Elles passeraient presque inaperçues. Elles introduisent un soupçon de féérie dans une histoire qui, sans elles, serait bien plate.
Douze mille est aussi une histoire d’amour lumineuse entre un homme et une femme. Nadège Trebal donne de sa personne en interprétant, sans fard, le personnage principal et en nous offrant une des scènes d’amour les plus authentiques qu’on ait vues depuis longtemps à l’écran.

Douze mille et 1917 sont sortis le même jour. Leurs titres se ressemblent. Mais la ressemblance s’arrête là. Et l’immense succès de l’un condamne l’autre à l’invisibilité.

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Swallow ★★☆☆

Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Hunter. Elle vit dans une belle maison auprès de son beau mari, accueillie à bras ouverts par ses beaux beaux-parents auxquels elle va bientôt donner un petit-enfant. Mais la grossesse de la jeune femme provoque chez elle des troubles obsessionnels du comportement. Hunter se met à avaler toutes sortes d’objets, dangereux et incomestibles : une bille, un clou, une pile…

La folie est un sujet très cinématographique. Les plus grands s’y sont frottés : Polanski (Rosemary’s baby, Repulsion), Cronenberg (Le festin nu, Spider), Cassavetes (Une femme sous influence, Faces), Aronofsky (Requiem for a dream)…

Le réalisateur Carlo Mirabella-Davis raconte s’être inspiré de l’histoire de sa grand-mère, une femme au foyer dans l’Amérique patriarcale des années cinquante, internée en asile psychiatrique pour soigner les TOCs causés par une vie sans joie. Reconnaissant que « filmer un personnage qui se lave les mains n’est pas très cinématographique », il a infligé à son héroïne une maladie peu commune : le syndrome de Pica et l’ingestion compulsive d’objets divers. L’effet est radical. On déconseille vivement Swallow à l’heure du repas et/ou aux amateurs de popcorn tant l’ingestion par Haley Bennett d’objets de plus en plus dangereux provoque des haut-le-cœur.

Les deux premiers tiers du film sont particulièrement réussis qui ne franchissent quasiment pas les portes de la prison dorée de Hunter et de son bellâtre de mari, dont la beauté n’a d’égale que l’absence glaçante de sensualité. Au bout d’une heure on étouffe des objets ingérés comme de l’atmosphère oppressante qui y règne. On a envie de s’enfuir. Le réalisateur avait le choix de nous enfoncer la tête une demie heure de plus dans ce cauchemar ou de nous autoriser une échappée belle.

C’est malheureusement pour le second parti qu’il opte. Une cure psychanalytique permet à Hunter de mettre des mots sur son mal. Ce dévoilement mélodramatique – et assez bateau – la conduira à des choix radicaux dont on ne révèlera rien sans se faire accuser d’être un infâme spoiler. C’est dommage car il y avait encore beaucoup à dire de ces dix dernières minutes, de ces retournements et de ce plan final, interminable, glaçant et paradoxalement énergisant.

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Système K ★☆☆☆

Dans les rues de Kinshasa, la trépidante capitale de la république démocratique du Congo (RDC), quelques performeurs créent. Freddy Tsimba érige sur une place de Matonge une « maison de machettes » que la police a tôt fait de venir détruire. Le métis Béni Barras, qui désespère d’obtenir la nationalité belge, passe ses journées dans un squat à sculpter du plastique fondu. Géraldine Tobe peint des toiles cauchemardesques à la suie. Le performeur Majestikos traverse Kinshasa dans une baignoire remplie de sang. Les Kongo Astronauts déambulent dans des combinaisons spatiales fabriquées à partir de matériaux de récupération.

Il y a quelques années on voyait sur la chaîne Planète Afrik’art, une émission culturelle consacrée à la création contemporaine en Afrique. Perésentée par Elizabeth Tchoungi, ce magazine reposait sur un principe simple : nous présenter chaque mois les créations de cinq ou six artistes d’une ville  d’Afrique différente.

Système K – K comme Kinshasa, on l’aura compris – repose sur le même principe. C’est ce qui en fait la principale limite. Il s’agit de découvrir une dizaine d’artistes congolais à Kinshasa et de les suivre dans leur processus créatif.

Ce qui frappe, ce n’est pas seulement la radicalité de ces jeunes artistes, c’est l’incroyable anarchie qui existe dans les rues défoncées et encombrées de la capitale congolaise. Renaud Barret y a posé sa caméra depuis près de vingt ans et y a réalisé plusieurs documentaires. En 2010, c’est le succès surprise de Benda Bilili !, un documentaire sur un orchestre de musiciens handicapés. Le photographe parisien a été happé par la formidable énergie de cette ville tentaculaire. « Chaos permanent », « anarchitecture », « désurbanisme », « darwinisme social absolu », Renaud Barret trouve les mots, ou les invente, pour décrire, dans les interviews qu’il a donnés à l’occasion de la sortie de Système K, cette ville électrique.

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Selfie ★★☆☆

« De l’influence du numérique sur le comportement des honnêtes gens » en cinq histoires.
Stéphanie (Blanche Gardin) et Fred (Maxence Tual) se désespèrent de voir l’audience de leur vlog péricliter après la rémission de leur fils cancéreux.
Une enseignante romantique, allergique aux nouvelles technologies (Elsa Zylberstein) rencontre un youTubeur à succès (Max Boublil).
Florian (Finnegan Oldfield) cherche l’âme sœur sur des applications de rencontres.
Romain (Manu Payet) se demande pourquoi il reçoit des publicités ciblées pour le Viagra.
Tout ce petit monde se retrouve sur une île atlantique sans réseau pour célébrer un mariage.

J’allais voir Selfie avec des semelles de plomb.
Les premières critiques étaient mitigées
Le film à sketchs n’est plus à la mode depuis l’âge d’or de la comédie italienne – à la flamboyante exception, il est vrai, des Nouveaux sauvages, mon film préféré de l’année 2015.
Et, sur l’impact des nouvelles technologies sur les sociétés contemporaines, tout a été dit par la formidable série Black Mirror dont il y avait fort à craindre que ce franchouillard Selfie soit l’avatar pas drôle.

Pourtant Selfie n’est pas aussi mauvais que je l’avais craint.
D’abord parce qu’une savante construction qui enchâsse les histoires et leurs personnages (la délicieuse Fanny Sydney apparaît dans trois épisodes) évite le paresseux enchaînement de cinq mini-films que ma présentation supra laissait augurer.
Ensuite, on y rit volontiers notamment avec Elsa Zylberstein (qui est à l’affiche de deux sorties cette semaine), peut-être parce qu’elle nous ressemble un peu dans le rôle d’une quadragénaire que les fautes d’orthographe et les facilités de langage sur les réseaux sociaux horripilent.
Mais surtout parce que Selfie touche souvent juste, qui se moque gentiment des travers dans lesquels Internet, Twitter, Snapchat et Meetic nous ont fait tomber.

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1917 ★★★★

Avril 1917. La guerre fait rage. Dans le Pas de Calais, les forces britanniques se sont terrées dans les tranchées face aux forces allemandes.
Deux soldats britanniques sont mandatés à travers les lignes ennemies pour aller de toute urgence délivrer un message à un bataillon dont l’engagement pourrait lui être fatal.

Sam Mendes fait fort. Après American Beauty, Les Noces rebelles, Skyfall, le réalisateur britannique signe son film le plus personnel tiré, dit-il des souvenirs distillés par son grand-père paternel, caporal dans l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale.

Il le fait dans une forme intimidante, qui force le respect : l’unique plan séquence. C’est le Graal des réalisateurs qui répond tout à la fois à un défi technique et scénaristique. Le défi technique, on le conçoit aisément, rendu plus facile à surmonter avec la miniaturisation des caméras. Le défi scénaristique consiste à raconter en temps réel une histoire.
Les encyclopédies de cinéma listent les plans séquences les plus célèbres : la première scène de La Soif du mal de Orson Welles ou de Snake Eyes de Brian de Palma. Les revues de cinéma essaient d’en faire le hit parade, celui des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron étant souvent cité parmi les plus époustouflants. Et puis, évidemment, il y a La Corde de Hitchcock, tourné en huis clos donnant l’impression d’un unique plan séquence (en fait, à l’époque, les bobines ne permettaient pas de tourner pendant plus de dix minutes et La Corde est constitué de dix séquences).

On voit récemment se multiplier, avec plus ou moins de bonheur, ce genre d’exercices. Victoria en 2015 suivait son héroïne dans les rues de Berlin. Utøya, 22 juillet l’an dernier racontait en temps réel la tuerie d’Utøya en Norvège du point de vue d’une jeune fille pourchassée par Anders Breivik.

La prouesse technique est en elle-même bluffante. Mais elle serait vaine si elle ne servait pas une cause. L’idée est de nous plonger dans la furie de la guerre, de nous faire sentir jusqu’à l’épuisement l’exténuation de deux soldats confrontés à une tâche titanesque : risquer leur vie, traverser l’enfer, vaincre la peur et la souffrance pour accomplir leur mission.

Le pari est réussi. On sort de la salle lessivé, après deux heures passées les ongles plantés dans l’accoudoir à retenir son souffle. Comme à la lecture des premières pages du roman de Pierre Lemaître Au revoir là-haut, on aura vécu organiquement le bruit et la fureur, le sang et la merde, la sueur et les larmes. Chapeau l’artiste.

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L’Adieu ★☆☆☆

Lorsqu’on diagnostique à Nai Nai un cancer du poumon en phase terminale, la conspiration du silence fait interdiction aux membres de sa famille de révéler à la patriarche la vérité. Bili, sa petite fille, qui vit aux États-Unis avec ses parents est effondrée par cette nouvelle et révoltée par ce mensonge. L’organisation opportune du mariage d’un cousin va lui permettre de revenir une dernière fois auprès de sa grand-mère adorée.

L’Adieu est sorti aux États-Unis l’été dernier. Tourné avec un budget de trois millions de dollars, il en a raflé vingt au box-office. Son actrice principale, la rappeuse Awkwafina a remporté le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie, le premier décerné à une actrice asiatique.

Le succès public et critique de L’Adieu tient à la combinaison de deux facteurs. Le premier est son sujet, lacrymal à souhait : la maladie d’une grand-mère entourée de l’affection de sa famille. La seconde est son public-cible : la communauté sino-américaine tiraillée entre sa fidélité à ses origines et son expatriation loin de l’Empire du milieu. Après le succès de Crazy Rich Asians et de la série Fresh Off the Boat – qui raconte la vie d’une famille taïwanaise en Floride – L’Adieu exploite un filon prometteur. On pariera sans grand risque que les années à venir verront se multiplier ce genre de films et d’histoires, à cheval sur les deux rives du Pacifique.

Nous, Européens, risquons de nous sentir très loin des personnages de L’Adieu. Un cinéphile sur Twitter évoquait « l’impression désagréable de regarder une fête de famille à laquelle on n’a pas été invité ». Ce serait en vérité faire à L’Adieu un mauvais procès. la douleur ressentie à l’annonce de la maladie fatale d’un être aimé, l’hésitation à lui en révéler l’ampleur ou à lui laisser le bénéfice de l’ignorance, le besoin de lui consacrer le plus de temps et d’amour avant l’issue fatale sont des sentiments universels propres à émouvoir sous toutes les latitudes.

Le problème est plutôt la pauvreté de ce seul ressort, sur lequel le film repose tout entier. C’était d’ailleurs un peu aussi le défaut rédhibitoire de Crazy Rich Asians : être construit tout entier autour d’une seule idée, sans nuances ni bifurcations. Crazy Rich Asians mettait en scène des « Chinois pétés de thune » ; L’Adieu a pour héroïne une petite-fille dévastée par l’annonce de la mort prochaine de sa grand-mère. Point. C’est touchant. Mais c’est peu. Le jury des Oscars ne s’y est pas trompé qui n’a nommé L’Adieu dans aucune de ses catégories.

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Les Siffleurs ★★☆☆

Cristi (Vlad Ivanov, acteur fétiche de Cristian Mungiu) est un flic ripou en cheville avec la mafia. Gilda (Catrinel Marlon fémininement fatale) lui demande de faire évader Zsolt (Sabin Tembrea révélé par la mini-série allemande Berlin 56) qui cache trente millions d’euros tirés du blanchiment du trafic de drogue. Pour ce faire, il est dépêché aux Canaries sur l’île de La Gomera (qui donne son nom au titre original du film) pour y apprendre le Silbo, une langue sifflée avec laquelle il communiquera le jour de l’évasion de Zsolt.

Projeté à Cannes en compétition officielle, précédé d’une critique élogieuse, Les Siffleurs ne cache pas ses références au film noir américain : Gilda, Psychose… Mais il déçoit pour trois raisons.

Il sent un peu trop l’exercice appliqué du bon élève. Corneliu Porumboiu fait partie de la « Nouvelle Vague » roumaine, aux côtés de Cristian Mungui (Baccalauréat), d’Adrian Sitaru (Illégitime) ou de Cristi Puiu (Sieranevada). Ce mouvement de jeunes cinéastes dénonce avec un réalisme rêche les impasses morales de la société roumaine post-communiste. Les précédents films de Porumboiu s’inscrivaient dans cette filiation (Le Trésor, Football infini) dont il s’éloigne radicalement. Certes, le cinéma roumain n’est pas condamné aux avortements clandestins ou aux prêtres incestueux ; mais on voit la pertinence de ce Gilda transcarpathe que nous propose Les Siffleurs.

Deuxième défaut. Le Silbo. Corneliu Porumboui raconte avoir vu en France avec sa femme un reportage sur cette langue sifflée. Moi aussi, je regarde souvent à la télé des reportages fascinants. Je n’en fais pas pour autant un film. Mis à part l’exotisme de carte postale que le détour par les Canaries insuffle au récit, on voit mal ce que l’utilisation de cet artifice lui apporte.

Troisième et dernier défaut. Le plus grave. Si on se laisse souvent emporter par les films d’arnaque, par leurs personnages archétypaux (et ici, il faut être stylite pour ne pas s’enflammer pour Catrinel Marlon), par leurs tiroirs, c’est à condition d’en comprendre les rebondissements. Ici, hélas, je me suis perdu – je n’ai pas compris le double jeu de Magda. La faute à mon manque de concentration ou à un scénario illisible ? Toujours est-il que j’ai décroché durant la seconde moitié du film jusqu’à un épilogue, il est vrai d’un romantisme inoubliable, malgré son absence de crédibilité.

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Merveilles à Montfermeil ☆☆☆☆

Montfermeil vient de se donner un nouveau maire (Emmanuelle Béart). L’édile déborde d’idées étonnantes pour changer la vie des Montfermeillois : instaurer une sieste obligatoire, décréter une journée du kilt et du sarouel, fonder une Ecole internationale de langues pour y apprendre le soninké, le kurde et le tamoul. Autour d’elle toute l’équipe municipale se mobilise.

Sur le papier, le second film de Jeanne Balibar (son premier, Par exemple, Électre, tourné en 2012, racontait déjà une aventure collective gentiment surréaliste et avait été boudé par la critique et par le public) avait tout pour séduire : une comédie politique, un ton décalé, un casting de choc… On espérait trouver à ces Merveilles le même plaisir que celui pris récemment à Notre dame.
Mais force est de constater, avec la critique qui s’en est donnée à cœur joie, un fiasco quasi complet. « En abusant de l’absurde, ce film totalement décousu nous perd en route écrit Catherine Balle dans Le Parisien. Eric Neuhoff, qui n’est plus à une méchanceté près, estime dans Le Figaro que « le film est si mauvais qu’il a une chance d’accéder au statut de nanar culte ». Mais c’est Xavier Leherpeur qui porte la banderille la plus affutée dans L’Obs : « Au cinéma, le bordel requiert de la rigueur et Jeanne Balibar en manque ».

Le reproche est cinglant pour une artiste aussi talentueuse, récemment auréolée du César de la meilleure actrice pour son interprétation dans Barbara. Mais il est fondé. Le défaut de ces Merveilles est de partir dans tous les sens. Film politique ? Satire sociale ? Comédie du remariage ? Merveilles à Montfermeil est un peu de tout cela sans qu’on comprenne vraiment ce qu’il est.

Emmanuelle Béart, qu’on n’avait plus vue sur les écrans depuis des lustres et dont il est de bon ton de critiquer les opérations esthétiques ratées, s’en sort plutôt bien dans la première moitié du film avant de disparaître de la seconde. Jeanne Balibar herself et Ramzy Bédia sont censés jouer un couple en plein divorce auquel on ne croit pas une seconde. Le jeune Anthony Bajon (La Prière, Au nom de la terre) écrit des lettres anonymes en compagnie de Bulle Ogier. Le premier mari de Jeanne Balibar, Matthieu Amalric, recherche des locataires évincés ; le deuxième, Philippe Katerine, joue le rôle d’un préfet aux champs. Un rabbin noir arpente les rues de la vie pour prodiguer des conseils aux couples en crise.

Jeanne Balibar, on le savait déjà, n’aime pas Emmanuel Macron. Elle s’est taillée un petit succès en le traitant de « schlag » mardi soir sur le plateau de Canal +. Personne ne lui en conteste le droit. Mais faire écraser par ses personnages des œufs sur l’effigie présidentielle durant une « fête de la brioche » n’est ni drôle ni intelligent.

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