En même temps ★★☆☆

Après une soirée bien arrosée lors de laquelle le premier (Jonathan Cohen), élu macroniste cynique, était censé arracher l’accord du second (Vincent Macaigne), écologiste bon teint, pour la construction d’un parc de loisirs à l’emplacement d’une forêt centenaire, deux maires de province se retrouvent suite à l’action d’un commando féministe collés l’un à l’autre. Comment se sortiront-ils de cette situation embarrassante ?

Le dixième film du tandem Kervern-Délépine est sorti sur les écrans quatre jours avant le premier tour de la présidentielle. Une échéance qui décidément a aimanté la production cinématographique dont on a vu plusieurs films de plusieurs genres sortir autour de cette date (Les Promesses, La Campagne de France, Le Monde d’hier…). En même temps emprunte à la comédie sinon à la parodie. Le projet était séduisant et la présence derrière la caméra de ce duo de réalisateurs, parmi les plus incisifs que le cinéma français connaisse, dont les précédents films (Effacer l’historique, I Feel Good, Saint-Amour…), grâce à un cocktail unique d’humour absurde et de poésie misérabiliste, avaient réussi à merveille à croquer la « France d’en bas », mettait l’eau à la bouche.

Les critiques pourtant faisaient grise mine et le public n’a pas suivi. En même temps a fait un bide et n’était plus à l’affiche, quatre semaines après sa sortie, que dans quelques rares salles parisiennes. cela ne m’a pas empêché d’aller l’y voir et de m’y amuser.

Même si son scénario est un peu faiblard qui, une fois les deux héros collés l’un à l’autre (après une scène hilarante que je vous laisse découvrir), se borne à leur faire enchaîner une succession de rencontres improbables (avec un vétérinaire, une naturopathe, des policiers étonnamment gauchistes, etc.), les situations sont drôles et les gags fonctionnent. J’ai souvent souri, j’ai parfois ri et, cul-serré comme je suis, c’est suffisamment rare pour ne pas être salué !

Car En même temps fait mouche en se moquant gentiment du macronisme (Jonathan Cohen caricature avec férocité ces petits maires clientélistes qui naviguent à vue entre l’extrême droite et l’extrême centre), de l’écologisme (Vincent Macaigne a la lourde responsabilité d’incarner une écologie obligée de se frotter au réel – sa voiture électrique tombe en panne, sa secrétaire de mairie aimerait payer son plein d’essence avec sa « prime vélo »…) et du féminisme (India Hair joue avec sa folle énergie une féministe radicale qui a bien du mal avec l’écriture inclusive).

Aux côtés de ce trio d’acteurs ont été invités pour des caméos plus ou moins brefs, une brochette de seconds rôles attachants : Yolande Moreau, Laetitia Dosch, François Damiens, Anna Mouglalis (dont la voix grave suffit à m’envoûter aussi courte que soit sa scène).

La bande-annonce

Retour à Reims (fragments) ★★☆☆

Le documentariste Jean-Gabriel Périot (Une jeunesse allemande, Nos défaites) adapte l’essai autobiographique de Didier Eribon, publié en 2009, encensé par la critique et par la presse.

Retour à Reims comportait trois livres en un.
Le premier avait l’auteur pour héros et racontait, à l’occasion, de son retour dans sa ville natale, son parcours de transfuge de classe, comme Annie Ernaux l’avait fait avant lui et selon un modèle que Edouard Louis reproduirait quelques années plus tard jusqu’à l’épuiser.
Le deuxième était une chronique familiale, un essai de microhistoire écrit à partir de la biographie de ses parents, une femme de ménage sevrée de l’éducation qu’elle n’a pas reçue et un ouvrier communiste.
Le troisième, plus ample, était la tentative, à travers le parcours de vie des parents de Didier Eribon et de leurs choix politiques, du Parti communiste au Front national, de raconter l’histoire de la classe ouvrière française de la seconde moitié du vingtième siècle.

C’est cette troisième dimension et elle seule que retient Jean-Gabriel Périot, qui a la prudence d’avoir ajouté au titre le mot « fragments » pour s’autoriser cette infidélité à l’original.
Du parcours de Didier Eribon, transfuge de classe, provincial monté à Paris, faisant son coming out, journaliste à Libération puis au Nouvel Observateur, biographe de Michel Foucault, on ne verra rien. Et c’est bien dommage.
Du parcours de vie de ses parents, on ne verra rien non plus faute de documents visuels pour l’illustrer.
En revanche, grâce à un remarquable travail d’archives, la voix d’Adèle Haenel nous raconte ce que les vies misérables de ce manoeuvre et de cette femme de ménage ont à nous dire de l’histoire ouvrière et sociale du vingtième siècle.

On est loin des Trente Glorieuses, de la croissance débridée, de Mai 68 et de la construction européenne. Vu de Reims, la vie était bien grise, comme ces images qui semblent définitivement figées dans un noir et blanc intemporel. On touche du doigt en les regardant la détresse sociale du lumpenprolétariat de ces temps-là. Si on était plus positif -ce que Retour à Reims n’est guère – on se féliciterait des progrès enregistrés depuis cinquante ans, dans l’accès à l’éducation par exemple qui à l’époque était l’apanage de la bourgeoisie et des classes supérieures, les fils et filles d’ouvriers et d’agriculteurs étant jetés sur le marché du travail dès leurs quatorze ans.

Retour à Reims ne verse pas dans une nostalgie mielleuse. Didier Eribon n’est pas tendre avec ses parents et notamment avec son père dont il pointe le sexisme. C’est d’ailleurs la misogynie beauf de cette époque qui est la plus criante dans les bouts d’archives que l’on voit. Là encore, on peut légitimement s’en émouvoir et s’en scandaliser ; on peut aussi se féliciter que de tels propos, de telles attitudes ne soient plus imaginables de nos jours.

Didier Eribon dénonce le racisme de ses parents lorsqu’arrivent les premiers immigrés et leur ralliement honteux (et tu), dans les 80ies après la déception du mitterrandisme, au vote d’extrême-droite. il en fait une analyse très juste : leur haine des immigrés, leur racisme était dit-il une façon pour eux, en rabaissant plus petit et plus pauvre que soi, de se hisser dans l’échelle sociale et d’y trouver une position de domination qui ne leur avait jamais été reconnue jusque là.

Tourné en 2019, le documentaire s’autorise dans son épilogue une mention hasardeuse aux luttes contemporaines : les Marches pour le climat, les Gilets jaunes… Il lance à la gauche anticapitaliste un appel à l’union. Un appel d’une particulière actualité à la date de sa sortie (30 mars 2022) et encore aujourd’hui à la veille des législatives qui verront – ou pas – cette gauche unie – ou pas – tenir la dragée haute à l’extrême droite et à LREM.

La bande-annonce

My Favorite War ★★★☆

My Favorite war est un film d’animation autobiographique qui raconte l’enfance et l’adolescence de sa réalisatrice, Ilze Burkovska-Jacobsen, qui est née et a grandi en Lettonie derrière le rideau de fer.

Comme tous les enfants du même âge, elle a été endoctrinée par le régime soviétique et obligée de communier dans la mémoire de la Seconde guerre mondiale, sa « guerre favorite », durant laquelle l’Armée rouge, apprend-elle, s’est vaillamment sacrifiée face à l’envahisseur nazi. La jeune Ilze découvre peu à peu une vérité moins manichéenne, notamment dans le « réduit de Courlande » où les forces allemandes et soviétiques ont manifesté une barbarie aussi sauvages l’une que l’autre, au détriment des civils lettons, jusqu’à l’armistice de 1945.

Ilze doit supporter le joug soviétique. Il lui faut déjouer la vigilance des militaires pour aller avec ses parents jusqu’à la mer, pourtant située à quelques kilomètres à peine, qui était interdite d’accès aux Lettons de peur qu’ils prennent le large. Elle doit supporter la pénurie et les longues files d’attente devant les magasins d’alimentation. Son grand-père, un peintre enthousiaste, disparaît mystérieusement : Ilze apprend qu’il a été déporté en Sibérie. On lui apprend à se taire, à cacher ses opinions, à mentir (on pense au formidable travail d’histoire orale de Orlando Figes sur les Russes sous Staline intitulé de façon éclairante Les Chuchoteurs).
Manque peut-être dans ce film stupidement anglophone une dimension pourtant centrale dans la vie des Lettons durant l’occupation : la pratique clandestine de la langue lettone, en violation des consignes soviétiques, et son utilisation comme un marqueur politique.

La réalisatrice raconte comment, alors qu’elle achevait son adolescence, la Lettonie s’est libérée du joug de l’occupant. Des images d’archives montrent l’espoir de libéralisation qu’a fait naître Gorbatchev et l’incroyable chaîne humaine qui s’est constituée en août 1989 à travers les trois Etats baltes, prémisses de l’indépendance proclamée un an plus tard après le putsch conservateur qui avait failli le renverser.

Bien sûr, My favorite War intéressera au premier chef les spectateurs intéressés par la Lettonie, par les Pays baltes et par toutes les ex-Républiques soviétiques dont les habitants ont grandi sous occupation étrangère avant de recouvrer leur indépendance. Mais ce film d’animation dont l’alternance de prises réelles et de dessins rappelle la construction si novatrice de Valse avec Bachir touche à l’universel en montrant l’éveil de la conscience politique d’une jeune femme et son émancipation.

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Goodbye Mister Wong ★☆☆☆

Plusieurs personnages se croisent au bord du lac Nam Ngum, une réserve d’eau artificielle créée par la construction d’un barrage dans les années soixante, près de Vientiane, la capitale du Laos. France (la sublime Nini Phonesavanh Vilivong), métisse franco-laotienne, est revenue épauler sa mère qui dirige une petite entreprise touristique. Sa survie est menacée par les ambitieux projets d’un homme d’affaires chinois, Tony Wong. Wong tombe amoureux de France ; mais la mystérieuse jeune femme lui préfère Xana, un beau pêcheur solitaire. Hugo (Marc Barbé) est un touriste français venu au Laos chercher son épouse, Nadine (Nathalie Richard), qui l’a quitté depuis un an pour s’installer au Laos.

Comme Luzzu, cet exotique film maltais sorti le 5 janvier, j’étais curieux de découvrir ce film laotien, sorti dans un circuit confidentiel de deux ou trois salles parisiennes deux semaines plus tôt. Sa belle affiche, la promesse d’un dépaysement rare, la patine rétro d’une bande annonce au charme langoureux avaient constitué autant d’incitations supplémentaires.

Malgré tous mes préjugés positifs, je dois hélas avouer ma déception. J’aurais pourtant aimé aimer ce petit film fragile. Mais sa langueur typiquement durassienne (je peine encore à me remettre de Suzanna Andler), ses longueurs, ses dialogues un brin trop sentencieux, ses lents et répétitifs travelings sur l’onde ont eu raison de ma patience.

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Pattaya ☆☆☆☆

Trois kaïra de banlieue – un idiot bodybuildé, une fashion victim et un nain pieux – s’inscrivent à un championnat de boxe thaï pour gagner trois billets pour Pattaya, la capitale thaïlandaise de tous les vices. Leur supercherie les entraîne dans une successions de mésaventures.

Après le succès des Kaïra en 2012, Franck Gastambide a voulu remettre le couvert. Les chiffres ne lui donnent pas tort : avec près de deux millions d’entrées, ce Pattaya a été l’un des plus grands succès commerciaux en 2016.

Pourtant ce succès public ne manque pas d’interroger. D’autant que la critique calamiteuse qui avait accompagné sa sortie aurait pu ou dû dissuader quelques spectateurs de prendre le chemin des salles. Elles m’avaient dissuadé à l’époque de le faire ; mais, un énième confinement, l’offre bien faiblarde de Amazon Prime Video et le désir paresseux de passer un bon moment m’ont conduit, avec quelques années de retard à le regarder sur mon ordinateur.

Je m’en suis vite mordu les doigts. Certes, le premier quart d’heure renoue avec la banlieue des Kaïra. On, y retrouve l’humour irrespectueux de Franck Gastambide qui fait souvent mouche. Mais bien vite, le film prend la tangente, direction la Thaïlande et ses clichés. Il ne devient le prétexte qu’à des blagues vulgaires sinon scatologiques dont les nains et les transsexuels font les frais. On ne rit pas. Pire, on est vite mal à l’aise face à une telle surenchère de mauvais goût et on se demande si ce genre d’humour stigmatisant serait encore, en 2022, accepté et acceptable.

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L’Horizon ★☆☆☆

Adja va sur ses dix-huit ans. Elle suit, sans passion des études de puéricultrice et effectue un stage dans un EHPAD. Son frère aîné est une vedette de football dont une blessure va bientôt hypothéquer l’avenir. Sa meilleure amie ne vit que par les réseaux sociaux où elle a une petite notoriété.
Adja a le béguin pour Arthur, un ami de classe qui, avec une bande de militants, occupe une ZAD constituée sur les terres de son père, un agriculteur bio menacé d’expropriation.
Adja considère d’abord avec méfiance l’engagement d’Arthur ; mais elle va bientôt le rejoindre dans son combat.

L’Horizon est un film qui entrelace deux thématiques. D’une part, celle bien connue du « film de banlieue » avec pour héros, ses immigrés de deuxième génération qui cherchent leur place  dans une France pas toujours hospitalière (Les Misérables, Shéhérazade, Divines, Tout ce qui brille….) ; d’autre part, celle plus originale, même si elle est vouée à un bel avenir (on pense à l’hilarant Problemos, à l’ambigu Autonomes ou à l’inquiétant Le Grand Jeu), du film social sur la défense de l’environnement.

La mayonnaise pourrait prendre : ouvrir les banlieues bétonnées aux campagnes verdoyantes qui les entourent, les filmer selon des lignes d’horizon différentes de celles qu’on a l’habitude de voir est un pari stimulant. Hélas ici elle ne prend pas. La faute à des acteurs sans doute charmants, mais mal dirigés dont les scènes ont parfois le ridicule empesé des pires télénovelas mexicaines. La faute aussi à un scénario faiblard qui certes ne nous fait pas mourir d’ennui mais qui, pour autant, peine à susciter l’intérêt d’un film qui dure pourtant à peine quatre-vingt quatre minutes.

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My Kid ★★☆☆

Aaron a sacrifié sa vie à Uri, son fils autiste. il lui a sacrifié sa carrière de dessinateur. Il lui a sacrifié son couple qui a éclaté. Il a organisé son quotidien autour de routines mille fois répétées et rassurantes. Mais Uri a vingt ans à présent et sa mère exige qu’il soit placé dans une institution spécialisée. Uri, que toute nouveauté effraie, n’y est pas prêt et Aaron, après avoir vainement tenté de le convaincre, n’a d’autre solution que de prendre la tangente avec lui.

Je suis allé à reculons voir My Kid, sorti depuis la fin décembre et presque disparu des écrans après quelques semaines d’exploitation. Je craignais d’y voir une démonstration dégoulinante d’amour paternel pour un enfant autiste, enchaînant les crises, testant les limites de l’incommensurable patience de son père, sous les yeux de tiers consternés, effrayés ou attendris.

Je me trompais à moitié. My Kid ne nous trompe pas sur la marchandise et vante les trésors d’amour infini qu’il faut posséder pour élever un enfant autiste. Mais il ne verse pas pour autant dans le sentimentalisme qu’on avait redouté. Certaines situations malaisantes sont ébauchées (Uri se roule par terre sur le quai d’une gare, Uri se perd dans une fête foraine, Uri a une érection à la piscine devant une bande de jolies filles) ; mais la pudeur du réalisateur le retient de les exploiter jusqu’à la corde.

Je n’ai pas d’enfants autistes autour de moi. Je n’ai pas eu la lourde responsabilité d’avoir à en élever. Je ne sais d’ailleurs pas si j’en aurais été capable. Je n’ose pas recommander aux amis qui en ont de voir ce film – de peur qu’ils voient à tort ou à raison dans cette recommendation une assignation identitaire. Mais je serais curieux de connaître leurs réactions.

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J’ai le droit de vivre (1937) ★★★☆

Déjà condamné à trois reprises pour de menus larcins, Eddie Taylor (Henry Fonda) sort de prison désormais bien décidé à rester dans le droit chemin. Son épouse aimante (Sylvia Sidney) va l’y aider. Mais la société refuse à Eddie une seconde chance : les propriétaires de l’hôtel où le couple passe sa lune de miel le mettent à la porte après avoir reconnu Eddie, le patron de l’entreprise où Eddie a réussi à trouver un poste de livreur le licencie sans motif. Plus grave : lorsqu’un braquage tourne mal, tous les soupçons se portent sur Eddie qui risque la chaise électrique s’il est reconnu coupable.

En 1937, Fritz Lang fuit l’Allemagne nazie et arrive aux Etats-Unis, après une courte escale en France. J’ai le droit de vivre (dont je me demande si le titre original, You Only Live Once, a directement inspiré les producteurs de James Bond) est le deuxième film qu’il y tourne. Dix ans avant que le genre acquiert ses lettres de noblesse, c’est l’un des tout premiers films noirs dont il contient déjà tous les ingrédients : l’usage envoûtant du noir et blanc pour des scènes presqu’exclusivement nocturnes, la figure du héros maudit, le couple en cavale, la force inéluctable du destin…

Le scénario est inspiré de la fuite de Bonnie et Clyde qui avait défrayé la chronique quelques années plus tôt. Il est mené à un train d’enfer au point qu’on se demande, au bout d’une heure à peine, si le film ne touche pas déjà à sa fin. Sa dernière demi-heure est moins convaincante.

J’ai le droit de vivre donne à Henry Fonda un de ses premiers grands rôles. Il y incarne déjà la figure héroïque de l’Américain vertueux et courageux, seul contre tous, qui constituera sa marque de fabrique dans Les Raisins de la colère ou Douze Hommes en colère.

Un extrait

A Perfect Enemy ★★☆☆

De passage à Paris pour une conférence, le célèbre architecte polonais Jeremiasz Angust (Tomasz Kot) accepte, sur le chemin de Roissy, de prendre dans son taxi une jeune touriste néerlandaise qui répond au nom étrange de Texel Textor (Athena Strates). Le duo rate son avion et doit patienter deux heures au salon VIP. Le dialogue s’engage, de plus en plus troublant, entre les deux voyageurs.

Amélie Nothomb est probablement l’une des romancières les plus célèbres et les plus vendues en France. À chaque rentrée littéraire depuis bientôt trente ans, son dernier livre prend place parmi les meilleures ventes. Pourtant, elle a été très peu adaptée au cinéma : Hygiène de l’assassin est sorti en 1999 avant qu’elle ait acquis la célébrité qu’elle a aujourd’hui, Stupeurs et Tremblements en 2003 a eu plus de succès, Tokyo Fiancée, adaptée de Ni d’Ève ni d’Adam, est passé inaperçu.

Il est à craindre que cette adaptation de Cosmétique de l’ennemi subisse le même sort. Ses droits, après bien des péripéties, ont été rachetés par plusieurs sociétés de production espagnole, allemande et française. Un réalisateur espagnol fut choisi. Le casting est très international : Tomasz Kot (Cold War) est polonais, Aretha Strates sud-africaine, Marta Nieto (l’héroïne de Madre) espagnole. On reconnaît le Français Dominique Pinon dans un second rôle. Le film a évité de justesse la sortie directe en DVD mais n’a fait l’objet que d’une distribution minimaliste : une seule salle parisienne l’a programmée pendant deux semaines à peine fin 2021.

Le résultat reste fidèle au court roman et met en scène une logomachie entre les deux principaux protagonistes, une joute verbale qu’une mise en scène rythmée réussit à ne pas rendre monotone. Elle est ponctuée de flashbacks qui éclairent progressivement l’enjeu du film et permettent de comprendre sa première image énigmatique. À équidistance du navet et du chef d’œuvre, on se laisse gentiment porter par une histoire dont on est curieux de connaître le dénouement.

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Traverser ★☆☆☆

Inza est un jeune « brouteur » ivoirien que le réalisateur Joël Akafou avait rencontré au début des années 2010 à Abidjan où il tournait un documentaire sur ces internautes persuasifs qui arnaquent des Occidentaux crédules. Inza a décidé de quitter l’Afrique pour l’Eldorado européen. Emprisonné en Libye, il a appelé au secours Joël Akafou, qui lui est venu en aide et a tiré de cet épisode un premier documentaire, inédit en salles, Vivre riche.
Quelques mois plus tard, Inza recontacte Joël. Il a réussi à traverser la Méditerranée, au péril de sa vie. Il est maintenant à Turin, en Italie. Mais faute d’avoir accepté de demeurer en camp de transit, il a versé dans l’illégalité et est sous le coup d’une mesure de reconduite. Son seul espoir : passer en France en traversant les Alpes.

Traverser a une immense qualité : il nous fait vivre et ressentir de l’intérieur la condition d’un immigré clandestin en Europe, ses espoirs d’une vie meilleure, sa crainte de la police et surtout l’attente émolliente et dégradante d’une régularisation, sans possibilité de travailler. La situation de Inza le contraint à une vie oisive et sédentaire, enfermée entre les quatre murs de l’appartement de sa compagne, une Ivoirienne, mère de famille, installée en Italie depuis quelques années.

Traverser a une autre qualité dont on se demande s’il ne s’agit pas d’un défaut : il a pour personnage principal un sacré bonimenteur, un être solaire, plein d’énergie, mais aussi hypocrite, paresseux et infidèle. Il use de son charme pour séduire les femmes et vivre à leur crochet. Sa demande d’asile, en Italie comme en France, ne vaut rien. Quel est son avenir en France où il est parvenu à entrer mais où il vit aujourd’hui sans papiers, dans la même situation que celle où il vivait hier en Italie ? Quelle nouvelle « traversée » entreprendra-t-il ? vers quel Eldorado ?

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