Belles Familles ☆☆☆☆

Belles Familles aurait pu être tourné dans les années 80. C’est ce qui en fait le charme. C’est ce qui en constitue la limite.

À quatre-vingts ans passés, Rappeneau n’a rien perdu de sa fougue. Il filme à sauts et à gambades. Délaissant les films en costumes qui ont fait son succès (Les Mariés de l’an II, Cyrano de Bergerac), il peint une famille française qui se dispute autour d’un héritage. Le sujet est grave : le père a abandonné sa femme et ses enfants pour refaire sa vie. Mais le film n’a rien de tragique. Rappeneau louche vers Courteline plutôt que vers Racine.

Et c’est bien là que le bât blesse. Le vaudeville, aussi talentueusement tourné soit-il, reste toujours du vaudeville. Si la scène finale, dans une abbaye gothique une nuit de festival, est un bijou de mise en scène, elle n’en constitue pas moins l’épilogue prévisible et moralisateur d’un drame pas assez grave pour émouvoir, d’une comédie pas assez drôle pour divertir.

La bande-annonce

Adama ★★☆☆

Longtemps ignorée, la « force noire » est aujourd’hui mise à toutes les sauces. On débat à l’infini sur la contribution des tirailleurs sénégalais – qui n’étaient pas tous, loin de là, sénégalais – à la victoire alliée en 1918. Mais l’important est ailleurs : l’enrôlement de ces soldats noirs a mis en contact des populations qui ne se connaissaient pas. Des Blancs qui avaient des Noirs une image exotique et fantasmée ; des Noirs qui ne connaissaient des Blancs qu’en situation coloniale et eurent tôt fait de les désacraliser en combattant dans les mêmes tranchées.

C’est cette rencontre que le dessin animé Adama met en scène. Son jeune héros voit son frère partir à la guerre. Trop jeune pour s’enrôler à son tour, il s’enfuit de son village, grimpe clandestinement dans un cargo, débarque en France et ira jusqu’à Verdun pour ramener son aîné au village.

Véritable road-movie qui enchaîne à grande vitesse les étapes et les rencontres, servi par un graphisme élégant, Adama n’en reste pas moins un produit déconcertant. Trop sérieux pour les enfants qu’il ne distraira pas, trop puéril pour les adultes qu’il n’intéressera pas.

La bande-annonce

Elser, un héros ordinaire ★★★☆

Le 8 novembre 1939, un menuisier allemand a failli assassiner Hitler à Munich. Georg Elser agissait sans complice. En eût-il cherché, il n’en aurait pas trouvé, comme il le concède lucidement, tant l’Allemagne nazie était à l’époque subjuguée par son maître. Mais l’isolement de Elser, loin de rendre dérisoire sa tentative, en fait sa grandeur. Son acte, c’est le sursaut irréductible de l’Homme contre la barbarie.

La thèse est belle. Elle est scrupuleusement mise en scène par Olivier Hirschbiegel, le réalisateur de La Chute et admirablement incarnée par Christian Friedel. Ils évitent le manichéisme qui aurait pu plomber le film : Elser a ses zones d’ombre et ses bourreaux ont leurs états d’âme.

La bande-annonce

Seul sur Mars ★★★★

Seul sur Mars nous parle de l’Amérique (I) mais d’une Amérique qui change (II)

I. – Un film terriblement américain
A. – Une ode à l’individu… (Cf. Cast Away)
Formidablement positif, Seul sur Mars nous convaincrait presque que l’Homme est capable de survivre aux situations les plus périlleuses.
B. – … et au groupe (Cf. Saving Private Ryan)
Seul sur Mars… mais pas seul sur terre. Pour survivre, Matt Damon peut compter sur la solidarité de ses coéquipiers et de toute la communauté scientifique.

II. – Une Amérique qui change
A. – Une Amérique moins unilatéraliste
Le chimiste d’Ares 3 est allemand et le lanceur qui le ravitaille est chinois. On est loin du jingoïsme triomphant de Armageddon ou Mars Attacks!.
B. – Une Amérique moins machiste
L’expédition est commandée par une femme … Mais est-ce si étonnant de la part du réalisateur de Alien ?

La bande-annonce

Mon roi ★★★★

Les critiques n’ont pas épargné le film de Maïwenn : trop impudique, trop hystérique, trop tout. Je n’y souscris pas. J’ai été touché. Maïwenn n’esthétise pas. Elle ne fictionnalise pas. Elle filme cash.

La relation entre Georgio et Marie-Antoinette (alias Tony) est juste de bout en bout. Leur première fois est filmée sans l’afféterie des embrasements romantiques et les lumières tamisées qui n’existent qu’au cinéma. On couche. On rit. On parle. C’est cru, mais vrai.

Leur relation est très moderne. Le couple en 2015 ne se vit plus – et ne se filme plus – comme avant. On est loin de Roméo et Juliette ou de César et Rosalie. L’amour fou vire vite à la folie. Excessifs dans le coup de foudre, les amants deviennent hystériques dans leur déchirement entrecoupé de réconciliations solaires.

Le film repose sur ses acteurs. Emmanuelle Bercot est le double de Maïwenn à l’écran. Elle en a l’énergie, les éclats de rire… les dents. Elle mérite haut la main sa Palme d’or. Vincent Cassel la méritait tout autant. Je n’ai jamais aimé sa tête de fouine et son jeu faussement décontracté, mais je dois reconnaître qu’il est parfait dans le rôle.

Elle n’est pas une gourde enamourée ; il n’est pas un pervers narcissique ; ils forment un couple incapable de vivre ensemble, incapable de rompre. Plutôt que Mon roi emprunté à Elli Medeiros, With or without you de U2 les aurait mieux résumés.

La bande-annonce

Le Bouton de nacre ★★☆☆

Le bouton de nacre, c’est le prix payé par l’explorateur anglais Fitzroy pour convaincre un Indien de Patagonie, sitôt surnommé Jimmy Button, de le suivre à Londres au début du dix-neuvième siècle. C’est aussi le minuscule vestige laissé par une victime de la dictature pinochetiste jetée à la mer du haut d’un hélicoptère : un bouton de nacre est retrouvé au fond des océans sur le rail qui lestait son corps.

En exhumant un passé que le Chili souhaiterait refouler, Patricio Guzmán est, depuis quarante ans, la mauvaise conscience de son pays. L’auteur du Cas Pinochet et de Salvator Allende narre l’histoire de la relation compliquée du Chili à la mer : un pays qui dispose du plus long littoral au monde mais qui bizarrement lui a toujours tourné le dos. Il ose un parallèle audacieux entre le sort des Indiens de Patagonie et celui des victimes de la dictature pinochetiste.

Fable mystico-poétique ponctuée d’images (splendides) de la voie lactée, enquête ethnographique sur un génocide méconnu aux confins du monde habité, témoignage des années de plomb, Le Bouton de nacre est un documentaire d’une heure vingt ambitieux. Trop peut-être.

L’Olivier ★★☆☆

Alma est très attachée à son grand-père inconsolable de la perte de l’olivier ancestral déterré par ses fils pour financer leurs projets immobiliers. Elle ira jusqu’en Allemagne pour retrouver ce symbole perdu d’une enfance heureuse.

L’Olivier est réalisé par Icíar Bollaín et mis en scène par son époux Paul Laverty, scénariste attitré de Ken Loach. On y retrouve tous les ingrédients des films du réalisateur britannique deux fois Palme d’or : des personnages au grand cœur qui se battent courageusement contre le système, une histoire tire-larmes qui frôle la mièvrerie sans y sombrer, une critique sociale en creux qui prend ici pour cible la spéculation immobilière en Espagne qui a détourné de braves paysans de la culture de la terre (qui, elle, ne ment pas ?)…

L’Olivier est sauvé du mélo par la belle énergie de son héroïne et par une fin aussi surprenante que logique.

La bande-annonce

The Lobster ★★★☆

Dans un futur doucement totalitaire, le célibat n’est plus toléré. Les divorcés et les veufs sont envoyés dans un hôtel de luxe où quarante-cinq jours leur sont laissés pour retrouver une compagne. S’ils échouent, ils seront transformés en l’animal de leur choix. Le homard, c’est l’animal dans lequel le héros, interprété par Colin Farrell, a choisi d’être réincarné.

Le parti pris de Yorgos Lanthimos est radical. Comme dans Canine ou Alps, ses précédents films, il flirte avec le fantastique et l’absurde. Ici il s’attaque au modèle du couple et à l’injonction que nos sociétés nous adressent de nous y conformer. « Mariez-vous ! Accouplez-vous ! Sinon… »

Le sujet serait vite épuisé si le réalisateur n’avait l’intelligence de le renverser.
Car Colin Farrell, après avoir échoué à trouver une compagne, réussi à s’évader pour se réfugier dans les bois, auprès d’une bande de croquants en rupture de ban qui ont décidé d’interdire l’amour et de châtier l’empathie. Dans ce groupe, dirigé de main de fer par une Léa Seydoux en poncho kaki, Colin Farrell tombe vite amoureux de Rachel Weisz.
Du coup, le film gagne en complexité.

Entre le modèle du couple et la valorisation de la liberté individuelle, la société nous adresse des injonctions contradictoires. La réponse finale du réalisateur pourra sembler frustrante. Elle est, tout bien réfléchi, la plus intelligente qui soit.

La bande-annonce

Notre petite soeur ★☆☆☆

Entre Tchekhov et Candide.

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Hirokazu Kore-eda. En particulier Nobody knows (2004) sur une fratrie abandonnée par une mère irresponsable ou Tel père, tel fils (2013) sur deux nourrissons échangés à la maternité.

Notre petite sœur, qui raconte comment trois sœurs recueillent leur jeune demi-sœur à la mort de leur père, reprend les thèmes chers au réalisateur : le deuil, la famille recomposée, les liens du sang… Mais il le fait avec une candeur qui empêche le film de se tendre. L’arrivée de la benjamine appelait une série d’épreuves initiatiques dont le film nous dispense. Pas de bizutage dans sa nouvelle école. Pas de tensions dans son nouveau foyer. Tout se passe idéalement bien : Suzu devient la star de l’équipe de football et la compagne idéale pour ses grandes sœurs. Du coup, l’histoire s’enlise dans une félicité vaguement soporifique. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes… et les quatre sœurs cultivent leur jardin.

La bande-annonce

Le Fils de Saul ★★☆☆

A-t-on le droit de représenter l’Holocauste ? Non, dit Claude Lanzmann qui s’y était lui-même refusé dans Shoah (1985) et avait vertement critiqué La Liste de Schindler lui reprochant son esthétisme et son sensationnalisme.

Le film de László Nemes se déroule à Auschwitz, en 1944, à la veille de l’insurrection des prisonniers contre leurs gardiens. Il a pourtant été adoubé par Lanzmann. Car le jeune réalisateur hongrois a inventé une manière radicale de représenter la Shoah. Il le fait à travers les yeux de Saul, un membre du Sonderkommando, chargé d’accompagner les prisonniers dans les chambres à gaz, de les aider à se déshabiller, puis de transporter leurs cadavres, trier leurs effets, brûler leurs corps et disperser leurs cendres.

La caméra se juche sur l’épaule de Saul et ne la quittera pas. Saul a basculé dans l’horreur et s’est fermé, par réflexe de survie, à toute forme de compassion. Il ne voit rien et la caméra qui le suit est condamnée à la myopie. En revanche il baigne dans un vacarme assourdissant fait des hurlements des mourants, du bruit des machines et des ordres aboyés par les gardiens.

Ce parti pris radical est marquant. Mais passé le premier quart d’heure de sidération, le spectateur s’y habitue avant de s’en lasser. Et l’ennui qui gagne n’est pas dissipé par le scénario. Car nonobstant l’interdit lanzmannien, Nemes raconte une histoire : celle d’un père qui veut enterrer le corps de son enfant. Ce faisant, Saul part à la conquête d’une humanité qui lui a été niée.

Antigone n’est pas loin. Fort bien. Mais cette intrigue se noue dès le début du film et ne suffit pas à le nourrir sur toute sa durée. Le Fils de Saul se réduit finalement à une posture extrêmement intéressante mais terriblement ennuyeuse.

La bande-annonce