Encore heureux ★★☆☆

Édouard Baer campe un cadre supérieur au chômage qui sombre lentement dans la dépression. Sa femme, Sandrine Kiberlain, porte le ménage à bout de bras quitte à associer ses deux enfants aux larcins qu’elle doit commettre pour remplir le frigo. Mais « Encore heureux » n’est pas une énième chronique du déclassement social. Plutôt une comédie piquante qui, par la grâce de la mort subite d’une voisine acariâtre, mène là où on ne l’attend pas.

La comédie française n’a pas toujours bonne presse. La faute aux plus gros succès du box-office qui brillent rarement par leur finesse : « Babysitting 2 » (pour les plus jeunes) ou « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » (pour les moins jeunes). Remarquablement servi par un couple d’acteurs au sommet de leur art, « Encore heureux » louche plutôt du côté de « Neuf mois ferme » ou de « L’Élégance du hérisson ».

Gentiment immorales, les tribulations de ce couple attachant et de leurs deux marmots inventifs forcent la sympathie. On espère que leur débrouillardise paiera et on accepte de fermer les yeux sur les ficelles un peu grosses du scénario.

À noter Bulle Ogier dans le rôle d’une grand-mère originale et complice qui n’est pas sans rappeler le rôle joué par Denise Grey dans « La Boum ».

 

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Ixcanul ★★★☆

Ixcanul est un film guatémaltèque. Son titre et son pedigree semblent le condamner à un genre quasi documentaire. Sa première partie le confirme : on y découvre Maria qui vit auprès de ses parents, au pied du volcan Ixcanul. Elle aimerait suivre Pepe, son amoureux, qui rêve de s’exiler aux États-Unis ; mais ses parents souhaitent la marier au fils de leur métayer.
Ce conte gentiment exotique peinerait à convaincre s’il ne se lestait progressivement d’un contenu dramatique. Jusqu’à un dénouement parfaitement maîtrisé qui, comme les épilogues doivent l’être, est à la fois surprenant et cohérent.

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Nous trois ou rien ★★★☆

« Nous trois ou rien » c’est « Persepolis » + « L’Arabe du futur ». Soit, sur les traces de Marjane Satrapi et sur celles de Riad Sattouf, l’autobiographie d’une famille qui fuit la dictature pour s’installer en France. À me faire regretter d’être le fils d’un vétérinaire varois qui, du fait de cette filiation bien peu romanesque, n’écrira jamais de best-seller autofictionnel !

Vous imaginez déjà la suite de cette critique : « c’est pas mal… mais ce n’est pas très novateur », asséné avec la morgue du monsieur-je-sais-tout qui a vu tous les films et la moue du cynique que plus rien ne transporte.

Eh bien… vous avez raison… et tort. Il ne serait pas honnête de passer sous silence la principale faiblesse du film de Kheiron : l’antériorité de « Persepolis » qui, sur la forme comme sur le fond, était innovant, authentique, bouleversant. Je manquerais tout autant d’objectivité en omettant les bons sentiments un peu trop sucrés dans lesquels le film s’englue au risque de se noyer dans une ode boursouflée au vivre-ensemble républicain.

Pour autant, celui qui n’aura pas ri et pleuré devant une histoire aussi déchirante que celle des parents de Kheiron, résistants au Shah, dupés par la révolution de Khomeiny, obligés de fuir leur pays pour se réfugier en France. Celui dis-je qui, devant cette histoire racontée avec légèreté et humour, sans jamais verser dans la mièvrerie ni la vulgarité,  n’aura pas fondu de bonheur, celui-là a un cœur de pierre.

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La Fille du patron ★★☆☆

« La Fille du patron », c’est deux films en un. D’un côté, des employés d’une entreprise textile qui forment une équipe de rugby. De l’autre, l’arrivée dans ce groupe soudé d’un corps exogène – la fille du patron chargée de mener une étude d’ergonomie dans l’entreprise de son père – qui va révéler les conflits de classe.

Le premier film a des antécédents dans le cinéma social britannique comme « Les Virtuoses » avec le regretté Peter Postlethwaite ou « The Full Monty ». Le second rappelle « Ressources humaines » de Laurent Cantet – qui n’avait pas encore reçu la Palme d’or – où Jalil Lespert, fraîchement émoulu d’une brillante école de commerce, revenait le temps d’un stage dans l’entreprise de son père.

Vous anticipez que je vais reprocher à « La Fille du patron » de contenir un film de trop. Vous avez tort. Car le film d’Olivier Loustau réussit sans effets de manche à filmer ces deux histoires. Dans le rôle principal, le réalisateur joue l’entraîneur de rugby de cette équipe d’entreprise qui réunit le temps d’un match – et de ses trois mi-temps – une belle brochette de seconds rôles. C’est lui aussi, alors que son couple bat de l’aile, qui couchera avec la fille du patron. Christa Théret confirme dans ce rôle le talent qu’on sentait poindre dans « Renoir » ou « Marguerite ».

A force d’hésiter sur la conclusion à lui donner, « La Fille du patron » connaît dans son dernier tiers une petite baisse de rythme. Ce défaut le prive d’une troisième étoile qu’au bout d’une heure j’étais prêt à lui donner.

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Dakar, ta nostalgie ★☆☆☆

 

Florence Arrigoni Neri a vécu une quinzaine d’années à cheval entre Paris et Dakar avec son compagnon sénégalais.  À la mort de celui-ci, elle retourne au Sénégal pour y filmer le temps qui passe, l’impermanence des choses et des êtres. À rebours d’un documentaire de cartes postales aux étapes obligées (l’île de Gorée, le cap Manuel, le phare des Mamelles, la place de l’Indépendance…) elle dresse une cartographie personnelle de Dakar. Si personnelle qu’elle peine à la faire partager aux spectateurs, même à ceux qui y auraient vécu.

Ce documentaire confidentiel est sorti le 6 janvier dans une seule salle parisienne, l’Espace Saint-Michel, où il partageait l’affiche avec d’autres films. Tout au plus aura-t-il été vu en première semaine par 400 personnes. En d’autres termes à chaque spectateur qui est allé voir « Dakar, ta nostalgie » 100.000 sont allés voir Star Wars VII. On ne saurait leur donner tort.

 

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L’idiot ★★★☆

Le cinéma russe n’en finit pas de démontrer sa vitalité. Après Léviathan en 2014 et Classe à part en 2015, L’Idiot ! vient d’être couronné au Festival de cinéma européen des Arcs.
Récompense méritée pour ce film de Yuri Bykov qui dénonce les failles, au sens propre et figuré, de la société russe.

Dans une petite ville de province, un plombier employé municipal découvre qu’un HLM est menacé d’effondrement. Sa conscience le pousse à sonner l’alerte mais il se trouve bien vite confronté à l’inertie bureaucratique et à la lâcheté.
L’Idiot ! – en russe Durak – n’est pas, on l’aura compris, l’adaptation du roman de Dostoïevski – en russe Idiot.

Ce film peut se lire à deux niveaux. Au premier, l’espace d’une nuit, c’est la tentative désespérée d’un individu de prévenir une catastrophe. Au second, c’est une métaphore de la société russe qui serait au bord de l’éclatement mais que personne, par lâcheté ou par impuissance, ne serait capable de sauver.

La conclusion du film, d’une lucide noirceur, n’incite pas à l’optimisme.

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Star Wars – Le réveil de la force ★★☆☆

Le battage médiatique autour de Star Wars VII m’avait porté sur les nerfs. Aussi avais-je quelque prévention à aller, tel un mouton de Panurge, le voir dès sa sortie. Mais l’enthousiasme de mes ados est venu à bout de mes réticences. Et dès le cultissime générique (A long time ago in a galaxy far far away) la musique de John Williams m’a transporté.
[Je réalise en recopiant cette formule que Star Wars est censé se dérouler dans le passé et non dans le futur]

Star Wars VII est une immense resucée des précédents épisodes
Comme si J.J. Abrams n’avait pas osé rompre avec les canons de la série. Les anciens personnages réapparaissent… trente ans plus vieux : Han Solo, la princesse Leia (« You changed your hair! ») et Luke Skywalker. Même R2-D2 a pris un coup de vieux.
Quand J.J. Abrams ne peut pas recycler les personnages, il copie-colle à l’identique les situations : le plan secret confié au droïde, l’antre des contrebandiers, le combat à mort du père et du fils sur une passerelle suspendue au-dessus du vide, l’attaque finale des forces de la Résistance contre l’Étoile noire…
Seule évolution significative de l’évolution des mœurs : le héros (qui, comme Luke au début du IV, regarde le soleil se coucher sur une planète désertique en attendant le retour de ses parents) est une… héroïne et son coéquipier est afro-américain.

On a l’impression de revoir le même film.
Ce qui sur le coup ne prête pas à conséquence. Au contraire : on sort de la salle euphorisé par ce bain de jouvence. Mais, à la réflexion, on se dit que les milliards déversés dans la conception – et le marketing – de ce nouvel opus l’ont été bien paresseusement.

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J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd ★★☆☆

Les sourds veulent se faire entendre. Voilà le titre de la critique de ce beau documentaire que j’aurais écrit pour Libération.

Deux approches médico-sociales se combattent dans le monde des sourds. La première, née au XIXe siècle en réaction à leur marginalisation, est l’oralisme : grâce à un appareillage, à la pose d’implants cochléaires, à la lecture labiale et à l’apprentissage de la parole, les sourds pourront s’intégrer au monde des entendants. Rejetant cette école qui pose la surdité comme un handicap qu’il faut soigner à tout prix, une autre école promeut au contraire la langue des signes comme moyen d’expression et de communication.

C’est pour cette seconde école que Laetitia Carton prend fait et cause. Son documentaire témoigne avec sincérité et justesse des amitiés kaléidoscopiques que cette entendante a nouées dans la communauté sourde. Il rassemble une galerie de portraits attachants : un professeur de la langue des signes, des parents confrontés à la difficile scolarisation de leur enfant,  l’artiste Levent Beskardes et la chanteuse Camille… Il nous fait découvrir la langue des signes et sa richesse : une chorégraphie qui sollicite le corps tout entier. J’aurai appris qu’on signe avec les yeux, le même signe ayant une signification différente selon l’expression faciale qui l’accompagne.

Le documentaire montre Emmanuelle Laborit, dont le Molière en 1993 avait donné à la communauté une visibilité inédite. Depuis 20 ans dit-elle – ou plutôt signe-t-elle – sa situation ne s’est guère améliorée. Si la langue des signes est désormais une option au baccalauréat, les écoles bilingues se comptent sur les doigts d’une main. Les sourds sont inaudibles – si vous m’autorisez le jeu de mots facile.

La préférence revendiquée pour l’apprentissage de la langue des signes sur l’oralisme m’est spontanément suspecte. La première me semble renfermer les sourds sur leur communauté tandis que la seconde leur permettrait de s’intégrer aux entendants. J’aurais aimé que Laetitia Carton laisse s’exprimer les tenants de l’oralisme. Mais son parti pris assumé, s’il fait obstacle à une présentation équilibrée des positions, n’enlève rien à ce documentaire émouvant.

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Legend ★★☆☆

Dans les années 60, les frères Krays régnèrent sur la mafia londonienne. Un premier film leur avait été consacré en 1990 que j’avais vu encore étudiant – et dont je n’ai gardé que le souvenir vague d’une efficace série B. Brian Helgeland, le réalisateur des dispensables « Payback » et « Chevalier », aime les titres courts et filme la légende de ces deux malfrats.

L’idée (de génie ?) est d’avoir confié les deux rôles au même acteur – comme David Lynch l’avait fait avec Jeremy Irons dans « Faux semblants » (1988). [Le premier qui me cite « Jumeaux » de Ivan Reitman avec Arnold Schwarzenegger et Danny DeVito sort]. L’idée fait craindre le procédé, le numéro d’acteur. Mais, bien au contraire, elle révèle – si tant est que l’acteur de « The Dark Knight Rises » et « Mad Max: Fury Road » constitue encore une révélation – Tom Hardy.

J’ai été bluffé par son interprétation du beau Reginald et du psychopathe Ronald. Le sourire canaille du premier est aussi séduisant que le regard vitreux du second est terrifiant. A ses côtés, le joli minois d’Emily Browning, par la (sensuelle) bouche de laquelle la vie des frères Krays est racontée, ne gâche rien. La reconstitution du Londres des années 60 est soignée. Les seconds couteaux ont les mines patibulaires parfaites pour le rôle.

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que le scénario, un peu faiblard, peine à tenir le rythme d’un film trop long de trente minutes.

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Les chevaliers blancs ★★★☆

Le fait divers avait défrayé la chronique à l’automne 2007 : une association humanitaire française avait tenté de faire sortir du Tchad 103 enfants présentés comme orphelins du Darfour.

Joachim Lafosse, un réalisateur belge dont le précédent film « À perdre la raison », lui aussi inspiré d’une histoire vraie, m’avait bouleversé, a très fidèlement adapté cette histoire. Seule distance prise avec la réalité : ses principaux protagonistes ont été rebaptisés et les lieux de l’action ne sont pas nommés – précaution bien dérisoire qui ne tiendrait pas longtemps devant un tribunal.

La grande réussite de son film est de décrire la lente perversion des meilleures intentions.
Car, les intentions du charismatique directeur de l’Arche de Zoé, impeccablement interprété par Vincent Lindon, sont pures : sauver des orphelins de l’enfer du Darfour. Fort de l’expérience qu’il a acquise après le tsunami en Asie du Sud-Est, il convainc plusieurs dizaines de familles du Sud-Ouest de la France de se porter volontaires à les accueillir.
Les choses se compliquent quand les orphelins attendus ne répondent pas à l’appel. Les humanitaires espéraient sauver le monde ; mais le monde n’a pas besoin d’être sauvé. Ayant reçu de l’argent pour fournir des orphelins, les chefs de village fournissent aux humanitaires ce qu’ils ont sous la main : des enfants dont les parents acceptent de se séparer, soit qu’ils aient reçu de l’argent pour ce faire, soit qu’ils espèrent ainsi leur assurer une vie meilleure. C’est ainsi que, coincés entre les familles adoptantes qui les attendent en France, des chefs de village qui ne leur amènent pas les orphelins escomptés et des autorités tchadiennes auxquelles elle ne parvient pas longtemps à cacher ses plans d’exfiltration, l’équipe de l’Arche de Zoé s’est retrouvé dans un dilemme sans issue.

Cette lente perversion est remarquablement incarnée par un personnage secondaire : celui de la journaliste interprétée par Valérie Donzelli. Son rôle était de filmer la mission pour offrir aux familles adoptantes un témoignage. Elle se positionne au départ en dehors du groupe – dont elle filme, sans mot dire, les premiers déchirements. Mais peu à peu, attendrie par la détresse des enfants recueillis, elle prend fait et cause pour la mission, au point de perdre sa lucidité.

L’autre réussite des « Chevaliers blancs » est de filmer l’humanitaire. Il est surprenant que ce monde, hautement dramaturgique, ait aussi peu inspiré le cinéma. On voit parfois quelques silhouettes, en arrière-plan d’un film catastrophe. Un drame humanitaire est parfois filmé à travers leurs yeux. Mais aucun film n’a, à ma connaissance, filmé l’humanitaire en train de se faire – alors que les romans et les essais sur ce thème sont légion (tels que « Asmara » de Jean-Christophe Rufin ou « Frontières » de Sylvie Brunel). Or, l’action humanitaire renferme de riches ressorts dramatiques. Ce que Joachim Lafosse réussit très bien à filmer ne va pas de soi : c’est, quand l’équipe privée d’accès au terrain ne parvient pas à accueillir d’enfants, le temps mort de l’attente, du désœuvrement, de l’oisiveté où la frontière entre le travail et les vacances se perd.

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