Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage ★★★☆

A Belqas, une petite ville du delta du Nil, Yehia est l’heureux propriétaire d’un commerce florissant : il organise tous les banquets de la ville avec l’aide de ses fils, Refaat, un cuisinier surdoué, et Galal un coureur de jupons invétéré. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si l’autocrate local ne s’était mis en tête d’exproprier Yahia de son commerce et de le transformer en fast-food.

Le cinéma égyptien ne cesse de nous étonner. Longtemps résumé au seul Youssef Chahine, il démontre, depuis une dizaine d’années qu’il ne se limite pas à la seule œuvre de son réalisateur le plus célèbre. Le cinéma y est devenu un instrument politique pour documenter les évolutions contradictoires que le pays connaît depuis les révolutions arabes. J’ai déjà parlé ici des films de Mohamed Diab (Clash, Les femmes du bus 678). Yousry Nasrallah a signé en 2012 Après la bataille qui a pour héros un des chameliers, instrumentalisé par la police de Moubarak, qui avaient chargé en février 2011 les jeunes révolutionnaires de la place Tahrir.

Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage fonctionne selon un tout autre principe : celui du comte oriental. Avec ses héros et ses méchants, ses histoires d’amour et ses meurtres iniques. Mais il n’en dit pas moins sur la société égyptienne, étouffée par une corruption endémique et des interdits religieux qu’elle réussit, avec un malin plaisir, à contourner.

Car le dernier film du Yousry Nasrallah est un pied-de-nez audacieux à la censure. Cette fable épicurienne est un hymne à la nourriture, à l’amour, à la musique et à la danse. Quelque part entre Bollywood et La La Land, Yousry Nasrallah nous fait danser au rythme de la pop égyptienne.

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Your Name ★★★☆

« Your Name » a été le premier film au box office japonais en 2016. Vu par près de quinze millions de spectateurs, ce dessin animé a reçu un accueil aussi enthousiaste que les chefs d’œuvre de Miyazaki. C’est donc son succès qui nous interroge, autant que son contenu. Comme le succès de « 1Q84 » de Murakami, celui de « Your Name » est riche d’enseignements sur le Japon contemporain.

Commençons par le plus évident. Il s’agit d’un dessin animé. Il n’est pas inintéressant de constater que les plus grands succès au box office japonais sont des dessins animés. C’est d’ailleurs le cas aussi en France où Walt Disney et Pixar trustent les premières places. Sauf qu’il s’agit au Japon de réalisations nationales, destinées à un public certes adolescent mais aussi adulte. C’est le cas des réalisations de Miyazaki. C’est aussi le cas de « Your name ». Leur succès n’est pas la conséquence de l’engouement d’un public familial – et nombreux – mais d’une culture de l' »anime » qui traverse toutes les classe d’âge.

« Your Name » est une histoire d’amour entre deux adolescents. Mitsuha et Taki ont dix-sept ans. Le dessin animé japonais touche un public adulte en mettant en scène des enfants. C’est le cas des grandes œuvres de Miyazaki ; c’est aussi le cas de « Your Name ». Infantilisation mièvre d’un public en quête de plaisirs régressifs ? ou recherche de l’expression du sentiment amoureux dans ce qu’il a de plus pur, de plus virginal ?

« Your Name » joue sur la confusion des genres. Il ne s’agit pas d’homosexualité, ni de bisexualité. Le propos est beaucoup plus innocent. Mais, en imaginant que Mitsuha et Taki puissent échanger leurs corps, il remet en cause les frontières de genre : Mitsuha affiche des manières de garçon manqué qui impressionne ses camarades, Taki a une douceur féminine ce qui le rend plus séduisant auprès des filles ! Étrange mélange d’une posture transgressive et d’un discours finalement très conservateur (les filles savent coudre et les garçons ne croisent pas les jambes)

« Your Name » nous parle d’une ville – imaginaire – frappée par une catastrophe naturelle. On pense évidemment au tsunami de 2011 et à Fukushima. On pense aussi à l’attachement des japonais pour la nature, à leur panthéisme, un thème déjà omniprésent chez Miyazaki.

Enfin « Your name » repose sur un scénario compliqué et riche en rebondissements aux frontières du fantastique. La référence qui vient à l’esprit est ici l’œuvre littéraire de Murakami. S’y ajoutent le goût du cinéma américain pour les failles temporelles et les voyages dans le temps de « Retour vers le futur » à « Premier contact » en passant par « Looper » ou « Interstellar ».

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Fais de beaux rêves ★☆☆☆

Massimo a neuf ans. Il vit avec sa mère une relation symbiotique brutalement interrompue par le mystérieux décès de celle-ci.
Massimo a trente-neuf ans. Son père vient de mourir et il range son appartement avant sa mise en vente. C’est l’occasion pour lui de faire le deuil de sa mère bien-aimée et de découvrir les circonstances de sa mort qui lui avaient jusque là étaient cachées.

A près de quatre vingt ans, Marco Bellocchio s’est assagi. L’époque du Diable au corps et du parfum de scandale qui l’entourait est révolu. La fougue contestataire du militant d’extrême gauche s’est apaisée. Le grand réalisateur préfère désormais la nostalgie à la polémique.

Fais de beaux rêves est un film proustien qui baigne dans une atmosphère hivernale. Il est construit autour d’un personnage qui revisite son enfance. La reconstitution des années 70, de leur esthétique criarde et de leur mobilier infâme, est une vraie réussite. Les tourments du jeune Massimo, privé de l’amour de sa mère, incapable de trouver celui de son père, sont particulièrement bien rendus. Le travail de Massimo adulte pour solder ses traumatismes de jeunesse et trouver goût à la vie avec une jolie docteur (Bérénice Béjo qui parle italien avec un accent charmant) l’est tout aussi bien.

Mais le film est un poil trop long (deux heures et dix minutes) pour ne pas susciter un vague sentiment d’ennui. Même si je trouve plus facilement les mots pour en vanter les qualités qu’en pointer les défauts, je n’y ai pas vraiment trouvé d’intérêt.

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Passengers ★★☆☆

Suite à une pluie de météorites, Jim, passager d’un vaisseau interstellaire plongé dans une hibernation de cent-vingt années pour atteindre une colonie de peuplement, est réveillé quatre vingt dix ans trop tôt. Comment survivra-t-il à cette longue solitude ?

On retrouve dans « Passengers » quelques unes des meilleurs idées des récents films de science-fiction. Jim doit relever le défi de l’éloignement et de la solitude comme Matt Damon dans « Seul sur Mars ». Chris Pratt et Jennifer Lawrence se promènent en combinaison spatiale au milieu du même vide intersidéral que George Clooney et Sandra Bullock dans « Gravity ». Leur vaisseau spatial a la même architecture que la station orbitale de « Elyisum ». Les dérèglements de la gravité rappellent les scènes les plus impressionnantes de « Interstellar ».

Le problème est qu’au-delà de ces emprunts référencés, « Passengers » n’a pas grand chose à proposer. L’histoire d’un Robinson de l’espace aurait pu ouvrir de belles perspectives. Que faire dans un immense vaisseau spatial si on sait qu’on y sera confiné pendant les quatre vingt dix prochaines années ? Malheureusement, ce questionnement existentiel est expédié en quelques minutes à peine – qui durent il est vrai un an et trois semaines. Et l’arrivée de Jennifer Lawrence au mitan du film – dont le lecteur perspicace aura compris qu’elle n’est pas sans lien avec le questionnement métaphysique susévoqué – fait hélas basculer « Passengers » dans un duo amoureux nettement moins stimulant.

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Le Fondateur ★★★☆

« Le Fondateur » est un biopic : l’histoire de Ray Kroc, le PDG de McDonald’s. Sauf que…

Sauf que Ray Kroc n’a pas fondé McDonald’s qui, comme son nom l’indique, fut le nom donné à leur restaurant par les frères Mac et Dick McDonald à San Bernardino en Californie.

Et c’est précisément ce qui fait le sel de ce film qui peut se lire à trois niveaux avec autant de plaisir.

Le premier est une success story américaine : comment un VRP vieillissant, vendeur de machines à milk-shake, réussit à force de persévérance à construire le géant de la restauration rapide.

Le deuxième est une magistrale leçon de management qu’on pourrait telle quelle diffuser dans les meilleures écoles de commerce. Comment d’une part les frères McDonald inventent (sur un court de tennis !) l’organisation la plus rationnelle d’un espace de restauration pour y cuisiner en trente secondes un appétissant hamburger. Comment d’autre part Ray Kroc réussit à faire croître son entreprise en en franchisant les procédures et en investissant dans l’immobilier.

Le troisième est le portrait d’un homme dénué de scrupules. Comme le président Underwood de « House of Cards », Ray Kroc est un arriviste séduisant prêt à tout pour parvenir à ses fins. On le voit lentement tisser sa toile autour des frères McDonald dont on sait par avance qu’il les dépouillera de leur concept. Il le fait avec un tel bagout, avec une telle efficacité qu’on ne peut pas ne pas tomber sous son charme.

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Diamond Island ★☆☆☆

Diamond Island est un nouveau quartier en plein essor de Phnom Penh, la capitale cambodgienne. Bora, âgé de dix huit ans à peine, arrive de la campagne pour être embauché sur un chantier de construction. Il travaille toute la journée et sort le soir avec ses amis pour draguer les filles.

Le premier film de Davy Chou, un jeune réalisateur franco-khmer, joue sur un paradoxe.

Il refuse tout exotisme. Le Cambodge est filmé sans référence au génocide, comme le serait n’importe quel pays en voie de développement. L’histoire de ses personnages est celle de n’importe quel jeune qui cherche l’argent et l’amour.

Il est puissamment exotique. Dès les premières images, on est au milieu de la jungle tropicale, de sa touffeur, de sa moiteur. Les immeubles en construction, la nuit illuminée, la lenteur des gestes et des intonations diffusent un parfum d’ailleurs.

Davy Chou se perd dans cet entredeux malcommode. Il veut montrer que ces jeunes gens, attirés par les mirages de la ville comme des lucioles, ont des rêves ordinaires. Mais tout dans leur façon d’être – ainsi de la réaction placide de la mère lorsqu’elle apprend au téléphone que son fils aîné a été retrouvé – crée une distance avec le spectateur occidental qu’il est difficile de combler.

Le film souffre enfin d’un déficit d’écriture. Dilatée dans ses deux premiers tiers, l’histoire s’accélère soudainement dans les vingt dernières minutes au point de devenir incompréhensible. Dommage.

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American Pastoral ★★☆☆

Dans l’Amérique des années 60, tout semblait sourire à Seymour « Suède » Levov. Ancienne gloire de son lycée, héritier de l’usine de peausserie de son père, il a épousé Miss New Jersey. Mais  sa vie se dérègle lorsque sa fille unique entre en crise ouverte contre ses parents.

Philip Roth est probablement l’un des plus grands romanciers contemporains. Chaque année son nom figure parmi les favoris du Nobel de littérature. Chacun de ses derniers romans a été salué par une critique unanime. Pourtant, son œuvre n’a que rarement été adaptée au cinéma : « Portnoy et son complexe » et « Goodbye, Columbus » remontent au début des années 70. « La Couleur du mensonge » (2003), adapté de « La Tâche », est tombé dans un légitime oubli malgré l’interprétation de Anthony Hopkins et de Nicole Kidman.

C’est étonnamment Ewan McGregor qui s’est attelé à la tâche de l’adaptation de « Pastorale américaine » (1999).  Le primo-réalisateur est un acteur reconnu qui n’a pas résisté à la tentation de s’arroger le premier rôle. Il s’est montré plus judicieux dans le choix de ses partenaires : Jennifer Connelly et Dakota Fanning interprètent sa femme et sa fille.

Le roman était d’une grande complexité. La famille Levov, le grand-père juif ashkénaze, le père, sportif accompli et mari idéal, la fille, couvée par des parents aimants qui fait exploser le cocon familial, était une métaphore de l’Amérique des Trente Glorieuses, de la Guerre du Vietnam et du Watergate. Ce roman de plus de cinq cent pages peine à se résumer à deux heurs de films. Ewan McGregor va à l’essentiel : la rébellion d’une fille face à l’amour inconditionnel de son père. Il y perd du coup en densité et décevra les amoureux de l’œuvre de Philip Roth sans convaincre ceux qui ne la connaissent pas.

Un seul exemple : le livre évoque à demi-mots l’hypothèse d’une relation incestueuse entre Seymour et sa fille – qui expliquerait largement la réaction de celle-ci à l’adolescence. Cette dimension est explicitement rejetée dans le film. On se demande bien pourquoi…

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La Jeune fille sans mains ★★☆☆

C’est l’histoire d’un meunier tenté par le diable. Contre de l’or, il lui cède le pommier situé derrière son moulin. Mal lui en prend : le diable réclame aussi la fille du meunier qui était juchée dans l’arbre au moment où le pacte a été conclu. La jeune fille ne peut opposer au démon qui menace de s’emparer d’elle que sa pureté virginale. Elle y perdra ses mains.

Les frères Grimm ont la réputation usurpée d’avoir écrit des contes pour enfants alors que les histoires du folklore populaire qu’ils ont rassemblées sont pour la plupart d’une rare cruauté. Cette « Jeune fille sans mains » n’est pas une à l’eau de rose. La vénalité d’un père provoque une succession de drames tous plus horribles les uns que les autres.

La jeune fille parviendra néanmoins à s’enfuir de ce foyer à tout jamais corrompu. Elle croira trouver le bonheur au palais d’un prince charmant. Elle y donnera naissance à un fils. Mais le répit n’y sera que de courte durée. Car le diable est toujours là qui réclame son dû.

« La Jeune fille sans mains » est un dessin animé français d’une rare beauté. Les silhouettes sont à peine suggérées par quelques traits poétiques. Le papier boit l’encre, le redessine, l’efface. On pense aux silhouettes dansantes de Matisse.

Après « Ma vie de courgette », « Louise en hiver », « La Tortue rouge » ou « Tout en haut du monde », Sébastien Laudenbach démontre la richesse et la variété de l’animation française.

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Paterson ★☆☆☆

Paterson est conducteur de bus à Paterson dans le New Jersey. Chaque matin, il se réveille auprès de sa femme, Laura, aimée et aimante. À ses heures perdues, Paterson écrit des vers libres inspiré de « Paterson », l’oeuvre maîtresse du grand poète William Carlos Williams.

On ne présente plus Jim Jarmusch, éternel jeune homme au dandysme étudié. Par les thèmes qu’ils traitent (le quotidien d’Américains décalés), par la forme qu’ils empruntent (un noir et blanc stylisé, une BOF très travaillée), ses films ont inspiré toute une génération de cinéastes indépendants américains.

Sa dernière réalisation est plus apaisée, mais pas moins originale que ses précédentes. De quoi y est-il question ? De rien. De presque rien. D’un homme heureux tout simplement.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Fort de cette conviction, Tolstoï avait la sagesse d’ignorer Levin après son heureux mariage avec Kitty pour s’intéresser aux déboires d’Anna Karenine et en faire l’héroïne de son livre. Jarmusch fait le pari inverse : raconter l’histoire du bonheur. Il fait le portrait d’un homme simple, qui ne se pose pas de question. Sa vie est une lente succession de bonheurs banals et quotidiens. Il se lève, va travailler, écrit quelques vers, puis s’en retourne dîner chez lui avec sa femme avant de sortir promener son chien.

Au point qu’on se demande, l’espace d’un instant, si tout cela n’est qu’une mascarade. Si, excédé par les chatteries de Laura et ses élans artistique ridicules, par son bouledogue horripilant et par son quotidien écrasant, Paterson ne va pas se réveiller de ce cauchemar, éclater la guitare de Laura contre un mur et tuer son bouledogue à coups de santiags. Mais Jarmusch s’est assagi hélas et louche aujourd’hui plutôt vers la zénitude que vers la rébellion.

Que penser de tant de félicité ? On peut y trouver une immense paix, saluer la délicatesse avec laquelle Jarmusch réussit à peindre le processus poétique, ce processus par lequel le poète fait naître de la beauté dans les vies les plus minuscules. Ou bien on peut trouver le temps bien long (le film dure près de deux heures) et lui préférer, puisque les gens heureux n’ont décidément pas d’histoire, l’histoire de gens plus malheureux.

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Souvenir ★☆☆☆

Star de la chanson à vingt ans, Laura en a aujourd’hui cinquante. Cabossée par la vie, elle travaille dans une usine agro-alimentaire. C’est là que sa route croise celle de Jean, un jeune chien fou passionné de boxe dont Laura avait été l’idole de son père. Le jeune homme se met en tête de relancer la carrière de la star déchue.

Il y a plein de belles idées dans le premier film du belge Bavo (quel prénom !) Defurne. D’une part celle du come back de l’ancienne star, aux ailes brulées par une célébrité trop tôt acquise. D’autre part celle de la relation entre un jeune homme, à peine sorti de l’enfance (les appels téléphoniques de sa mère interrompent ses galipettes pour lui demander s’il rentre dîner), et une cougar à laquelle il essaie de redonner goût à la vie.

Mais les deux films ne se rejoignent jamais vraiment. Pourtant, Isabelle Huppert – dont j’ai déjà dit le peu de bien que j’en pensais – et Kévin Azaïs – découvert dans « Les Combattants » et en tête de l’affiche de « Jeunesse » – sont l’un et l’autre excellents. C’est ensemble que le duo ne fonctionne pas. On ne sent jamais entre eux la moindre complicité et a fortiori le moindre amour. Leurs scènes de sexe, trop sages, laissent un malaise qui sape la crédibilité du film.

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