12 jours ★★★☆

Depuis 2013, le maintien sans son consentement d’un patient en hôpital psychiatrique au-delà de douze jours est subordonné à l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD). Des audiences foraines sont désormais organisées dans les hôpitaux. Raymond Depardon est allé les filmer à l’hôpital psychiatrique du Vinatier près de Lyon.

Encore étudiant, j’avais découvert Raymond Depardon en 1994 avec un documentaire au dispositif similaire : Délits flagrants filmait en champ contrechamp la comparution immédiate devant le substitut du procureur d’accusés arrêtés en flagrant délit.

Vingt ans plus tard, Depardon utilise avec la même efficacité le même procédé : une dizaine d’audiences cadrées serrées. Cette répétition émousse un peu mon enthousiasme. Mais il ne retire rien à l’intérêt de son film qui, cette fois-ci, n’a pas pour décor un palais de justice, mais un hôpital psychiatrique dont les couloirs, les cours sont filmés en longs plans fixes qui s’intercalent entre les auditions.

La folie humaine est un sujet qui intéresse de longue date le documentariste septuagénaire. Il lui a déjà consacré deux films : San Clemente (1982) et Urgences (1987) tournés, le premier, dans un asile vénitien, le second aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu à Paris. Que le grand documentariste Frederick Wiseman ait consacré l’une de ses toutes premières œuvres au service psychiatrique d’un hôpital militaire n’est pas anodin (Titicut Follies, 1967). C’est le signe qu’un asile est un microcosme où se montrent, déformées, les maux de nos sociétés.

C’est un tel échantillon d’humanité déglinguée que nous présente, avec une douceur et une bienveillance qui évite le piège du voyeurisme, la caméra de Depardon : une employée d’Orange qui se plaint de harcèlement moral, une toute jeune femme qui a tenté de se trancher les veines suite aux viols qu’elle dit avoir subis, un jeune Maghrébin paranoïaque qui suspecte l’appartement de ses voisins d’abriter une cache d’armes, un schizophrène qui s’enquiert de la santé d’un père qu’il a assassiné, une mère de famille qui demande de retrouver la garde d’un enfant qui lui a été retirée… Le tableau n’est pas gai. Il n’est jamais triste.

Le rôle du magistrat qui auditionne ces patients est étroitement circonscrit. Il n’est pas un docteur qualifié pour remettre en cause les traitements que les comparus suivent. Mais il contrôle que la procédure a été suivie, qu’une première évaluation médicale a été effectuée dans les vingt-quatre heures de l’hospitalisation, qu’une deuxième l’a été par un autre praticien dans les soixante-douze heures. Des dix patients qui comparaissent devant la caméra, aucun ne sera libéré (alors que le taux de refus est en fait de 9 %). On pourrait en conclure que son rôle est dérisoire, qu’il est – pour reprendre une expression foucaldienne – un agent répressif supplémentaire d’un biopouvoir écrasant et anonyme. Ce serait méconnaître un effet que la caméra de Depardon ne capte pas faute d’avoir interviewé les médecins eux-mêmes : l’intervention du JLD les oblige à motiver leur diagnostic et les dissuade d’ordonner des internements abusifs.

La bande-annonce

Un crime dans la tête ★★★☆

Le sergent Raymond Shaw (Laurence Harvey) reçoit la Medal of Honour à son retour de Corée. Mais le major Bennett Marco (Frank Sinatra) découvre que le sergent a, en fait, été victime d’un lavage de cerveau et est devenu la marionnette d’un complot communiste destiné à déstabiliser les États-Unis.

Un crime dans la tête est un film au destin étonnant. Il doit son existence à l’acharnement de Frank Sinatra qui, à l’époque, faisait la pluie et le beau temps à Hollywood et a convaincu les studios d’adapter le roman de Richard Condon. Mais il connut à sa sortie en 1962 un échec critique et public cinglant. Frank Sinatra en racheta les droits et la légende veut qu’il en ait interdit la diffusion après l’assassinat de JF Kennedy en novembre 1963. C’est seulement dans les années 70 que le film renoua avec le succès au point d’être devenu aujourd’hui une référence.

Frank Sinatra s’est réservé le rôle principal. Il a embauché Janet Leigh auréolée du succès de Psychose pour jouer celui de sa fiancée. Mais, dans le rôle de la mère du sergent Shaw, Angela Lansbury lui vole la vedette. En 2007, Newsweek la rangeait parmi les dix plus grands méchant(e)s de l’histoire du cinéma.

Un crime dans la tête manifeste un anticommunisme primaire. En même temps, il critique l’aile maccarthyste du parti républicain. Son intrigue n’est guère crédible. Il est difficile de croire au personnage de Yen Lo, avatar de Fu Manchu de Guerre froide, et au pouvoir hypnotique qu’il exerce sur le sergent Shaw. Mais les outrances du scénario loin de lui nuire renforcent le charme de ce film tellement daté qu’il en devient intemporel.

La bande-annonce

Thelma ★★★☆

Thelma vient de quitter sa famille pour poursuivre des études de biologie à Oslo. Mais elle peine à s’accoutumer à sa nouvelle vie. Alors qu’elle tombe amoureuse d’une camarade de classe, des troubles inquiétants menacent sa santé et son équilibre psychologique. Leur cause est peut-être à chercher dans son enfance.

Une jeune fille se découvre des pouvoirs surnaturels. Le pitch vous dit quelque chose ? C’est celui de Carrie au bal du diable, le livre de Stephen King porté à l’écran par Brian De Palma en 1976. Le jeune réalisateur norvégien Joachim Trier, remarqué pour Oslo 31 août et Back Home, offre une relecture très scandinave de ce thème universel.

Chez Brian De Palma, Sissy Spacek était la fille d’une mère confite en religion. C’est aussi le cas de Thelma dont les deux parents sont des chrétiens fondamentalistes. Ce n’est d’ailleurs pas la meilleure idée du film, qui aurait très bien fonctionné sans cette dimension religieuse là, inutilement surlignée par l’affiche.

On se souvient dans Carrie de la scène terrible où la jeune héroïne, que sa mère n’avait pas prévenue, a ses premières règles sous la douche au lycée. Sa terreur devant son sang n’a d’égale que l’hilarité qu’elle provoque chez ses camarades de classe, plus dégourdies. Thelma, de quelques années plus vieille, vit la même expérience en découvrant sa sexualité. Cette découverte réserve à cette jeune fille prude d’étonnantes surprises. À rebours de ce que son éducation strictement religieuse lui a enseigné, c’est vers une fille que ses premiers émois la portent. Tiraillée entre les impératifs de sa foi et les élans de son cœur voire de son corps, elle ne sait que choisir. Les scènes saphiques joliment transgressives et la romance entre Thelma et Anja ne sont pas non plus les parties les plus réussies du film.

Alors, me direz-vous, pourquoi lui mettre trois étoiles ? À cause surtout de la maîtrise de la mise en scène. Joachim Trier réussit quelques scènes d’anthologie : un spectacle de danse contemporaine d’une étouffante sensualité, une piscine déserte, un lac gelé…
À cause surtout de l’habileté du scénario qui conduit Thelma à un retour sur elle-même et sur sa famille. Comment s’explique la scène d’ouverture où son père la menace de sa carabine ? Pourquoi sa mère est-elle en fauteuil roulant ? Qu’est-il advenu de sa grand-mère ? Autant d’énigmes qui tiennent le spectateur en haleine et auxquelles on aura la réponse comme dans tout bon polar.

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Une chambre en ville ☆☆☆☆

À Nantes en 1955, les amours tragiques d’un ouvrier gréviste avec la fille de sa logeuse.

Les Parapluies de Cherbourg est un de mes films préférés. Pas très surprenant de ma part qui tient La La Land comme le meilleur film de la décennie. Tout m’y est enchantement : ses dialogues entièrement chantés, ses décors aux couleurs pimpantes, la guerre d’Algérie en arrière-plan politique, la musique de Michel Legrand, la candeur de Catherine Deneuve…

Je n’avais jamais vu Une chambre en ville, sorti près de vingt ans plus tard, dont une critique élogieuse garantissait qu’il n’avait pas à pâlir de la comparaison avec le film de 1964. J’ai profité d’une rétrospective Jacques Demy à Écoles 21 – le nouveau nom du Desperado – pour combler cette lacune.

Bien mal m’en prit. J’ai tout détesté dans ce film ridicule. Les dialogues entièrement chantés manquent cruellement de naturel. Les décors aux couleurs pimpantes sont criards. Les luttes ouvrières en arrière-plan politique sont sans intérêt. La musique de Michel Colombier n’arrive pas à la cheville de celle de Michel Legrand. Le jeu maladroit de Richard Berry, petite gouape aussi peu crédible en gréviste que je le serais en champion du monde de beach volley, et celui de Dominique Sanda, nue sous son coûteux manteau de fourrure (sic), réussissent à faire oublier la performance de Danielle Darrieux, impeccable en vieille dame indigne.

Au point que, l’espace d’un instant, ma passion juvénile et romantique pour Les Parapluies de Cherbourg s’est trouvée mise en cause. L’adorerais-je encore si je le revoyais aujourd’hui ? Que dirais-je de ses dialogues entièrement chantés de ses décors aux couleurs pimpantes ? Ai-je détesté Une chambre en ville parce que c’est un mauvais film ? Ou parce que Les Parapluies de Cherbourg n’est pas si bon que je le pensais ?

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Battle of the Sexes ★★★☆

En septembre 1973, à Houston un match de tennis oppose Billie Jean King, vingt-neuf ans, ex-numéro un mondiale, et Bobby Riggs, cinquante-cinq ans, cheval sur le retour du tennis des années 50 et phallocrate assumé. L’enjeu : démontrer que les hommes sont supérieures aux femmes… ou pas.

L’histoire que raconte Battle of the Sexes pourrait sembler incroyable si elle n’était pas inspirée de faits réels. Au début des années 70, alors que le débat sur l’égalité des droits homme-femme faisait rage (un amendement en ce sens à la Constitution venait d’être rejeté au grand dam des féministes) et que Billie Jean King avait pris la tête du combat pour la revalorisation des primes des tenniswomen, un clown défiait l’ex numéro un mondiale. Billy Riggs aurait pu être un personnage odieux. Interprété par Steve Carrey, il réussit à être touchant. Lui le premier ne croit pas vraiment aux énormités machistes qu’il profère.

L’héroïne du film est évidemment Billie Jean King. Emma Stone, l’actrice oscarisée de La La Land. Horriblement défigurée par une coiffure hideuse et des lunettes qui lui mangent le visage, elle n’en rayonne pas moins. Avec sa bande d’amies qui militent à ses côtés, elle donne une image de super copine qui rend tout à la fois son personnage et elle-même très sympathique : la numéro un mondiale – et titulaire en titre de l’Oscar – n’a pas la grosse tête.

Battle of the Sexes est non seulement l’histoire de son combat pour les droits des femmes mais aussi celle de sa découverte de l’homosexualité. La véritable Billie Jean divorcera de son mari et fera son coming out en 1981. La bluette qui unit la tenniswoman à sa coiffeuse n’est guère crédible. Elle n’en est pas moins touchante. Comme l’est la réaction du mari de Billie Jean qui aurait pu sombrer dans la caricature du cocu de comédie.

Courez voir Battle of the sexes, mon film préféré du mois auquel je n’ai pas osé mettre quatre étoiles pour ne pas encourir le reproche légitime de ma superficialité. Sans doute, Battle of the Sexes ne révolutionnera pas le cinéma et n’est pas du niveau de 120 battements par minute, Dunkerque ou La La Land. Mais pour autant, c’est un film enthousiasmant, bien joué, fin et drôle. Un feel-good-movie qui ne prend pas ses spectateurs pour des idiots.

La bande-annonce

Profils paysans, chapitre 1 : l’approche ★★☆☆

À quelques jours de la sortie de son nouveau film, 12 jours, les Trois Luxembourg programme une rétrospective Depardon. C’est l’occasion de voir ou de revoir les réalisations les plus célèbres de ce grand documentariste, qui filma le monde derrière son objectif avant de se recentrer depuis une quinzaine d’années sur la France.

Profils paysans était un projet qui tenait à cœur à ce fils d’agriculteur monté à la ville pour faire de la photographie. Il s’agissait, quarante ans plus tard, de revenir sur les terres de son enfance pour y filmer les derniers témoins d’une paysannerie en voie d’extinction. Dans l’Aubrac, des veuves, des célibataires octogénaires cultivent encore quelques arpents, élèvent encore quelques bêtes dans des fermes décaties.

Raymond Depardon a pris son temps pour filmer ces paysans d’un autre temps. Il y a consacré près de dix ans. Il y a mis surtout une infinie tendresse. Très intrusive, sa caméra, qui filme sans fard des intérieurs modestes et des situations intimes – ainsi des soins qu’une infirmière prodigue à l’œil énucléé de Louis Brès – est toujours respectueuse. On sent que chaque interview a été préparée par de patientes discussions autour de la table de la salle commune et d’un verre de fine, histoire d’apprendre à se connaître et à s’apprivoiser.

Comme Farrebique, Profils paysans constitue un fantastique témoignage anthropologique. Nous ne sommes plus en 1945, au temps où la vie paysanne était encore la norme d’une société qui tardait à s’urbaniser. En 2000, la paysannerie et son mode de vie sont à bout de souffle. Les fermes sont vides, silencieuses. Leurs derniers habitants sont des vieillards, témoins désuets d’une époque où l’on ne parlait pas encore le français.  On les voit qui négocient leurs bêtes avec un maquignon ou qui tentent de céder leur exploitation à des jeunes agriculteurs fraîchement diplômés du lycée agricole dont on se demande avec consternation quelle charme ils imaginent à cette vie recluse. C’est le même constat que dressait Sans adieu, le documentaire de Christophe Agou sorti le mois dernier.

Pourquoi alors ne mettre que deux étoiles ? Parce qu’en dépit de la révérence due à la démarche documentaire de Depardon, le rythme très lent de ses interviews, leur caractère répétitif, l’austérité voulue de ses décors, la tristesse de ses vies exténuées distillent un parfum d’ennui dont il est difficile de se défaire.

La bande-annonce

Argent amer ☆☆☆☆

Au départ, on voit une famille heureuse. On suit ses membres dans un long voyage en train qui les mène dans une ville industrieuse. La caméra les quitte pour s’intéresser à d’autres travailleurs. Rien d’autre ne nous est dit.
Il faut aller chercher dans le dossier de presse pour comprendre ce dont il s’agit : ces paysans habitent le Yunnan, une province de la Chine de l’intérieur, et migrent vers la Chine côtière à la recherche d’un travail. Ils trouvent à s’employer dans l’industrie textile de la ville de Huzhou, dans la province du Zhejiang, à quelques kilomètres de Shanghai.

Wang Bing est, dit-on, l’un des plus grands documentaristes contemporains. Il est devenu célèbre avec sa première réalisation, À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les employés d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement. À l’ouest des rails durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans une usine psychiatrique, durait 3h47. Avec 2h36 seulement Argent Amer ferait presque figure de court-métrage.

La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers. Argent amer y parvient parfaitement qui nous fait partager la vie de ces travailleurs de l’industrie textile. Paradoxalement, on ne les voit guère travailler, même si leur vie est dominée par ce labeur harassant. La caméra les traque pendant leurs (rares) heures de repos, dans des dortoirs sordides. Elle les filme dans leur sommeil ou dans une veille pâteuse, abrutis d’alcool et de fatigue.

Ainsi présenté, Argent amer pourrait être un documentaire ethnographique fascinant sur l’Atelier du monde, ces régions de Chine qui exportent vers la planète entière les jeans et les chaussettes dont elle s’habille. Mais, à force de vouloir nous faire partager ce que ressentent ces ouvriers, Wang Bing a capitulé tout effort de nous les faire comprendre. On ressort, près de trois heures après, hébétés d’un tel spectacle, mais hélas guère plus instruits.

La bande-annonce

Simon et Théodore ★★★☆

Théodore a treize ans. Il est en pleine crise d’adolescence. Il en veut à la terre entière, à sa mère qui le couve de trop d’amour, à son père qui l’en a trop tôt sevré et qui l’a abandonné.
Simon en a trente. Il sort d’hôpital psychiatrique. Il va être père. Il est marié à Rivka, qui prépare non sans mal Théodore à sa bar-mitzvah. Quand Théodore fugue, c’est Simon qui lui court après.

Des histoires de père en mal de fils, de fils en mal de père, vous en avez déjà soupé. Des adulescents immatures, des adolescents trop matures, vous en avez trop vus. Remplacer le père immature par une mère fantasque, vous aurez le scénario de L’Échappée belle (2015). Ne vous arrêtez pourtant pas au pitch ni à la bande-annonce de ce petit film français plein de délicatesse qui ne paie pas de mine.

Laissez vous séduire par ces deux-là. Simon (Félix Moati) se file des gifles et des coups parce qu’il ne se sent pas à la hauteur de son futur rôle de père. Théodore en file aux autres parce qu’il ne sait pas comment canaliser sa violence. Autour d’eux deux superbes rôles de femmes. Mélanie Bernier, un des plus jolis minois du cinéma français, est l’épouse de Simon. Elle joue avec une belle autorité un rôle rarement vu : une rabbin enceinte. Audrey Lamy, dont on connaissait le potentiel comique, interprète la mère de Théodore, rongée d’inquiétude suite à la disparition de son fils.

Ces quatre-là se courent après l’espace d’une journée dans un chassé-croisé aussi distrayant que touchant. Simon et Théodore ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma mais n’en constitue pas moins un film réussi qu’une programmation automnale trop encombrée condamne à un injuste anonymat.

La bande-annonce

Khibula ★☆☆☆

En Géorgie, au sortir de l’ère soviétique, le président démocratiquement élu est chassé du pouvoir par un coup d’État. Entouré d’un dernier carré de fidèles, il se réfugie dans la montagne. Il hésite sur la marche à suivre : prendre le chemin de l’exil ou tenter de reconquérir le pouvoir ?

Khibula est le nom de la localité de Mingrélie, dans l’ouest de la Géorgie,où le Président Zviad Gamsakhourdia a trouvé la mort le 31 décembre 1993 dans des circonstances non élucidées. Le film s’inspire de de ces faits réels ; mais il ne s’y résume pas.

Sans doute, le réalisateur géorgien George Ovashvili, remarqué pour son précédent film La Terre éphémère, réalise-t-il un film en prise avec les événements qui ont marqué la prime histoire de ce jeune État. Ses montagnes majestueuses, ses paysages enneigées en sont l’écrin.

Mais hélas, il veut donner à ce président déchu, à ce roi nu, une dimension plus intemporelle. Et c’est bien là le talon d’Achille de son film. Parce qu’on n’apprend rien de la présidence controversée de Gamsakhourdia. Il eut certes le mérite, à force d’anti-soviétisme et d’anti-russisme, de faire accéder son pays à l’indépendance mais en faisant peu de cas du respect des droits de l’homme et des libertés publiques. Khibula passe sous silence cette dimension-là, assimilant le président – dont le nom n’est jamais prononcé – à un martyr christique.

Privé de tout épaisseur historique, le président se réduit à une silhouette intemporelle. Un vieil homme en costume de ville – chemise blanche immaculée et cravate impeccablement nouée – condamné à arpenter sans fin de rudes chemins de montagne. Quelques soldats aguerris et barbus l’accompagnent ainsi que son premier ministre à la santé déclinante. Le film est quasiment muet qui filme dans de longs plans séquences la lente déambulation de cette petite troupe. Elle trouve refuge dans des chalets retirés où des paysans terrifiés lui donnent une hospitalité peureuse. C’est lent. C’est long.

La bande-annonce

Le Musée des merveilles ★☆☆☆

Deux époques : 1927 et 1977. Deux enfants fugueurs du même âge : Ben et Rose, douze ans. Une même ville : New York. Un même handicap : ils sont sourds tous les deux. Ben a perdu sa mère dans un accident et recherche son père. Rose, elle, a ses deux parents mais recherche désespérément leurs amours. Entre Ben et Rose un lien mystérieux passe par le musée d’histoire naturelle et une maquette géante de la ville de New York.

On avait laissé Todd Haynes, l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération, avec Carol l’an passé, un film d’une sublime délicatesse avec les inoubliables Cate Blanchett et Rooney Mara, sans doute l’un des tout meilleurs de l’année 2016. On le retrouve fin 2017 dans l’adaptation du livre de Brian Selznick Wonderstruck. Cet auteur américain avait déjà signé Hugo Cabret qu’avait adapté Martin Scorsese dans l’un des films les moins personnels, les moins scorsesiens du réalisateur de Taxi Driver et Casino.

Pareille malédiction semble frapper Todd Haynes qui livre un film peu haynesien. Où est passée la délicatesse de Carol ? l’originalité de I’m not there – biographie diffractée de Bob Dylan ? Le Musée des merveilles – au titre étonnamment mièvre – est la réalisation d’un honnête faiseur. Il a certes le mérite de filmer New York, dans un noir et blanc romantique en 1927, dans des couleurs contrastées en 1977, tels que le voient des jeunes fugueurs, avec un mélange de gourmandise et d’effroi. Mais c’est bien le seul.

Le Musée des merveilles met en scène deux adolescents frappés de surdité – le rôle de Rose est d’ailleurs interprété par une actrice sourde. Il ambitionne de nous faire partager les sensations de ces deux malentendants. Mais il n’y parvient pas vraiment. Certes les séquences en noir et blanc censées se dérouler en 1927 sont muettes. Mais elles sont encombrées d’une musique omniprésente. Les sourds entendent-ils de la musique dans leur tête ? Quant aux séquences tournées en 1977, elles bruissent de mille sons alors que Ben est censé n’en entendre aucun.

Dernier défaut : la construction du film. Tresser deux fils narratifs donne du rythme à un récit. Mais, ces deux fils sont condamnés à se rejoindre. Tout l’intérêt du film repose dès lors sur la surprise et l’intelligence de cette jonction. Or, ici, le suspens est vite éventé, le point de rencontre facile à pronostiquer. Il intervient aux trois quarts du film, vidant sa dernière demie-heure de tout intérêt.

La bande-annonce