Argent amer ☆☆☆☆

Au départ, on voit une famille heureuse. On suit ses membres dans un long voyage en train qui les mène dans une ville industrieuse. La caméra les quitte pour s’intéresser à d’autres travailleurs. Rien d’autre ne nous est dit.
Il faut aller chercher dans le dossier de presse pour comprendre ce dont il s’agit : ces paysans habitent le Yunnan, une province de la Chine de l’intérieur, et migrent vers la Chine côtière à la recherche d’un travail. Ils trouvent à s’employer dans l’industrie textile de la ville de Huzhou, dans la province du Zhejiang, à quelques kilomètres de Shanghai.

Wang Bing est, dit-on, l’un des plus grands documentaristes contemporains. Il est devenu célèbre avec sa première réalisation, À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les employés d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement. À l’ouest des rails durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans une usine psychiatrique, durait 3h47. Avec 2h36 seulement Argent Amer ferait presque figure de court-métrage.

La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers. Argent amer y parvient parfaitement qui nous fait partager la vie de ces travailleurs de l’industrie textile. Paradoxalement, on ne les voit guère travailler, même si leur vie est dominée par ce labeur harassant. La caméra les traque pendant leurs (rares) heures de repos, dans des dortoirs sordides. Elle les filme dans leur sommeil ou dans une veille pâteuse, abrutis d’alcool et de fatigue.

Ainsi présenté, Argent amer pourrait être un documentaire ethnographique fascinant sur l’Atelier du monde, ces régions de Chine qui exportent vers la planète entière les jeans et les chaussettes dont elle s’habille. Mais, à force de vouloir nous faire partager ce que ressentent ces ouvriers, Wang Bing a capitulé tout effort de nous les faire comprendre. On ressort, près de trois heures après, hébétés d’un tel spectacle, mais hélas guère plus instruits.

La bande-annonce

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