Les Pistolets en plastique ★☆☆☆

Après avoir tué sa femme et ses enfants, Paul Bernardin a disparu. Il s’est réfugié en Argentine et y coule désormais des jours paisibles. Un policier croit l’avoir reconnu à Roissy à l’embarquement d’un vol vers Copenhague. Mais l’individu, dénommé Michel Uzès, arrêté et interrogé par la police danoise, s’avère n’être qu’un paisible danseur de country. Deux femmes, autopromues enquêtrices, consacrent leur temps libre à la traque du fugitif et mettent la main sur Michel Uzès dont elle sont bien décidées à arracher les aveux.

J’ai tellement aimé le dernier spectacle des Chiens de Navarre, La vie est une fête, aux Bouffes du Nord, que je me suis précipité au dernier film de Jean-Christophe Meurisse. J’avais oublié qu’il avait auparavant signé Oranges sanguines, trop acide à mon goût.

Les Chiens de Navarre, ça passe ou ça casse. Ce mélange d’humour noir, politiquement incorrect, flirtant avec les limites de la vulgarité, enthousiasme ou irrite. Ça dépend des pièces – ou des films. Ça dépend aussi peut-être de l’humeur du spectateur.

J’aurais dû a priori être charmé par cette franche déconnade qui prend pour prétexte l’affaire Dupont de Ligonnès et les confuses théories que sa disparition en 2011 a fait naître. On imagine qu’il a refait sa vie au Texas alors que le plus probable – le cousin de mon beau-frère est policier municipal et tient sur cette affaire des informations confidentielles de première main – est qu’il a été enlevé par des extra-terrestres… ou bien qu’il s’est suicidé dans le massif de l’Estérel une fois ses méfaits accomplis.

La sauce d’ailleurs monte dans la première demi-heure qui nous introduit à la galerie de personnages, tous plus déjantés les uns que les autres, une mention spéciale à Gaëtan Pau dans le rôle de Michel Uzès. Le film commence d’ailleurs très fort avec le dialogue de deux médecins légistes (Jonathan Cohen et Fred Tousch) en train de dépecer un cadavre. Mais, si la sauce monte, elle ne prend pas ( je ne suis pas très sûr de ma métaphore culinaire !). Pire, elle retombe (idem). La curiosité amusée que Les Pistolets en plastique a suscité dans sa première moitié se mue en lassitude sinon en irritation. On réalise bien vite que l’affaire XDDL n’est qu’un prétexte à l’accumulation de saynètes plus ou moins réussies, plus ou moins drôles, dénonçant en vrac les théories du complot, l’ultracrépidarianisme des internautes, l’incompétence de la police, etc.

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Kinds of Kindness ★★★☆

Trois films en un.
Un employé (Jesse Plemons), dont chaque détail de la vie quotidienne est régi par son patron (Willem Dafoe), décide de se libérer de ce joug tyrannique avant de regretter sa décision.
Un policier (le même Jesse Plemons) sombre dans la folie après la disparition de sa femme (Emma Stone) et son retour inespéré.
Deux adeptes d’une secte sont à la recherche de l’Elue.

Yórgos Lánthimos compte décidément parmi les réalisateurs les plus stimulants de l’époque. Il est difficile de trouver dans sa filmographie un seul titre qui ne soit pas fascinant : The Lobster (prix du Jury à Cannes en 2015), Mise à mort du cerf sacré (le film préféré de mon fils cadet), La Favorite (neuf nominations aux Oscars et la statuette de la meilleure actrice pour Olivia Colman), Pauvres Créatures (Lion d’or à Venise à 2023)…

Dans cette liste prestigieuse, Kinds of Kindness, tourné à la Nouvelle-Orléans pendant la postproduction de Pauvres Créatures, avec un budget de 15 millions de dollars – contre 25 pour Pauvres Créatures – pourrait presque faire figure d’oeuvre mineure, de trou normand entre deux réalisations plus substantielles. Exit la dystopie inquiétante de The Lobster, les décors et les costumes géorgiens de La Favorite, le gothique steampunk de Pauvres Créatures, l’action de Kinds of Kindness se déroule banalement dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cet entremets, aussi mineur soit-il, a quand même été sélectionné en compétition officielle à Cannes et Jesse Plemons y a emporté le prix d’interprétation masculine.

Kinds of Kindness – un titre déconcertant – est un film à sketches en trois volets platement mis bout à bout. J’ai déjà souvent dit les réticences que m’inspirait ce genre. J’ai l’impression d’être face à des ébauches, trop courtes et trop pauvres pour constituer à elles seules la substance d’un seul film. Je plonge dans l’une qui se termine trop vite, avant de zapper à une autre. Je suis irrémédiablement condamné à les hiérarchiser et à reprocher aux sketches que j’aime le moins d’être moins convaincants que les autres.

Pour autant, Kinds of Kindness n’en reste pas moins mille fois plus intéressant que le tout-venant cinématographique. Comme le dit excellemment l’excellente Marie Sauvion : « Le travail de Yórgos Lánthimos, de fait, ne captive jamais tant que par l’abîme qu’il ouvre ». Les trois sketches du film sont joués par le même casting plaqué or : Emma Stone, que je place tout en haut de mon Olympe depuis La La Land évidemment, Willem Dafoe qui réussit à bientôt soixante-dix ans à être toujours aussi excellent et toujours aussi diablement sexy, Margaret Quilley, dont l’expressivité du jeu me comble depuis que je l’ai découverte dans une pub pour Kenzo en 2016, Jesse Plimons qui a amplement mérité sa statuette cannoise….

Comme les autres films de Yórgos Lánthimos, Kinds of Kindness nous plonge dans un délicieux malaise. S’il fallait trouver un lien entre ces trois sketches, dont ni les personnages ni les histoires ne sont reliés, c’est peut-être le sujet qu’ils traitent. Et là encore, le plus simple est de citer Marie Sauvion : « Libre arbitre, servitude volontaire, foi aveugle, sadomasochisme, tout pose question, ici, à commencer par ce qu’on est capable de faire ou d’endurer par amour ». L’ambiance est lourde, oppressante ; elle contraste avec le soleil omniprésent du sud des Etats-Unis et les tenues décontractées des personnages. Le malaise est amplifié par la caméra, ses lents travelings, ses plans en fisheye qui distordent les lignes de fuite, sa musique qui alterne les tubes les plus addictifs (je n’arrive pas à me sortir Sweet Dreams d’Eurythmics de la tête depuis hier) et les partitions atonales de piano.

Kinds of Kindness contient au moins trois scènes d’anthologie, à hurler de rire ou d’horreur. Elles valent à elles seules le détour.

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Le Comte de Monte-Cristo ★★★☆

Qu’on l’ait lu ou pas, on connaît tous l’histoire du Comte de Monte-Cristo comme on connaît celle des Misérables ou de Cyrano de Bergerac. En 1815, alors qu’il s’apprête à épouser la belle Mercedes, le jeune capitaine de marine Edmond Dantès est injustement enfermé au château d’If. Il parvient à s’en échapper grâce à la complicité de l’abbé Faria et à mettre la main sur le trésor perdu des Templiers. Il va traquer ceux qui l’ont trahi et mettre son immense richesse au service de son insatiable vengeance.

Fort du succès remporté par Les Trois Mousquetaires, le duo Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patelière, produit par Pathé, remet le couvert. Son ambition revendiquée : signer un blockbuster à la française en adaptant les grands classiques qui font partie de l’imaginaire populaire. Le projet n’est peut-être pas d’une créativité folle (quel sera le prochain opus ? Sans famille ? Notre-Dame de Paris ?) ; mais il n’en s’agit pas moins d’un travail soigné, dans des décors éblouissants, avec des costumes somptueux et une caméra virevoltante.

Plus qu’un blockbuster, un terme américain et galvaudé qui décrit plus un genre qu’un produit, Le Comte de Monte-Cristo renoue avec la tradition des péplums façon Ben Hur ou Lawrence d’Arabie. C’est un film énorme, de près de trois heures qui nous emporte. Il réussit le pari d’une durée hors norme qui n’est jamais ennuyeuse. Je m’ennuie tellement à des films d’une heure trente que je dois féliciter ses auteurs de ne pas m’avoir laissé une seconde pour regarder ma montre pendant près de trois heures de rang.

Le Comte de Monte-Cristo est à prendre au premier degré. Il n’essaie pas de rendre crédible des situations ou des rebondissements qui, dans le livre déjà, ne l’étaient guère. Je me souviens, enfant, d’en avoir vu à la télévision une adaptation. J’en ai un souvenir marquant. J’en avais tout aimé : les personnages follement romantiques, l’omnipuissance de son héros, sorte de Bruce Wayne (le héros masqué de Batman) avant l’heure, son projet vengeur et l’habileté avec laquelle Dantès le met en oeuvre… Je pense – sans en être entièrement certain – qu’il s’agissait de la mini-série en quatre épisodes de Denys de La Patellière, le propre père du co-réalisateur Alexandre de La Patellière – qui est né la même année que moi et qui raconte qu’il accompagnait émerveillé son père sur le plateau.

J’aurais aimé mettre quatre étoiles à ce Comte de Monte-Cristo. Mais hélas, je n’y arrive pas. Les raisons en sont multiples et mauvaises. La première est que, connaissant trop bien l’intrigue, elle me surprend moins : on sait par avance par exemple le subterfuge que Dantès utilise pour s’évader du château d’If et le succès de son entreprise. La seconde est que je suis sans doute trop vieux pour goûter ces films-là. À dix ans, j’étais fasciné et transporté. À cinquante, j’ai perdu mon âme d’enfant.

PS : Avez-vous reconnu la langue que parlent Dantès et Haydée ? Roumain ? Maltais ?

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Les Petits Mâles ★☆☆☆

Le documentariste Laurent Metterie, épaulé par sa femme, Camille Froidevaux-Metterie, philosophe spécialiste du féminisme, est allé interviewer une trentaine de garçons, entre sept et dix-huit ans. Il les a interrogés sur les sujets qui sont aujourd’hui au centre des grands débats féministes : les assignations de genre, l’amitié et l’amour, la sexualité, les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement, la fluidité des genres, le droit des LGTBQI… Il a également interviewé une demi-douzaine de femmes du quatrième âge, qui témoignent de la condition féminine qu’elles ont vécue au siècle dernier et qu’elles ont vu lentement évoluer. Entre ces interviews face caméra sont intercalées des images muettes tournées en VHS dans les 70ies du réalisateur, alors enfant, de ses parents et de leurs amis.

Le résultat est très académique. Il n’a aucune dimension cinématographique et n’en a d’ailleurs pas la prétention. Ramené à cinquante-deux minutes, il ferait un parfait documentaire de télévision.

Les « petits mâles » qui y sont interviewés ne sont pas, comme son titre pouvait le laisser augurer, des condensés de machisme. Leurs réactions sont très diverses. Les plus jeunes sont les plus spontanés et les plus touchants, même si certaines de leurs saillies sont scandaleuses. Plus leur âge avance, plus leur discours s’uniformise sans qu’on puisse avec certitude se convaincre, lorsqu’ils évoquent le respect nécessaire dû aux femmes, le refus de toute inégalité, l’attachement à la liberté de choisir sa sexualité, qu’il s’agisse de leurs convictions intimes ou de la régurgitation plus ou moins fidèle du discours qu’on leur a rabâché.

Je ne suis pas convaincu par la démarche de ce documentaire en dépit de son objectif stimulant. Il échoue à nous montrer ce que les jeunes garçons pensent réellement de ces sujets-là. Son protocole trop contraint, qui n’ose pas pousser les jeunes dans leurs retranchements, le condamne à nous montrer ce qu’ils nous resservent, pensant que ce discours-là est celui que nous adultes attendons d’eux.

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Parole de king ! ★★☆☆

Vous connaissez les Drag Queens, ces travestis masculins  qui osent une féminité exacerbée ? Connaissiez-vous les Drag Kings, leurs homologues féminins, travestis en hommes et tout aussi outranciers ? Le documentaire de Chriss Lag, sorti en 2015, rediffusé à l’Arlequin à l’occasion d’une soirée ArleQueen, est l’occasion de découvrir cet univers burlesque et féministe.

J’avais beaucoup aimé Les Reines de la nuit, le documentaire de Christiane Spiéro sur les drag-queens sorti fin 2019. J’ai pris le même intérêt à ce documentaire-là dont j’avais raté la sortie en salles.

Le monde des Kings est fascinant. Il s’agit de femmes – et d’hommes – qui interrogent leur rapport à la masculinité. Elles peuvent être lesbiennes, bi ou hétéros, gouines, butch ou queer, en transition ou pas. Peu importe. Leur personnage est souvent un cliché masculiniste, un macho barbu, moustachu qui incarne jusqu’à la caricature la beaufitude. Les Kings dans leur parodie dénoncent ce virilisme testostéroné et se plaisent à en montrer les failles lorsqu’elles laissent deviner, sous le poil et la barbe, une féminité décalée.

La démarche est politique. La profondeur du débat qui a suivi la projection en témoigne. Elle est aussi artistique. Il ne s’agit pas seulement de patronage – si j’ose dire – de spectacles de kermesse donnés par une bande de copines qui pourraient tout aussi bien boire le thé ou jouer au bridge. Il s’agit de performeurs, de comédien.ne.s, qui se forment scrupuleusement, notamment dans les ateliers qu’anime Louis.e Deville, une performeuse américaine installée depuis peu en France, qui a conservé de son expatriation un délicieux accent anglo-saxon. Cette jeune femme a un charisme fou et un regard diablement pénétrant sur son art. Elle aurait amplement justifié à elle seule un documentaire tout entier.

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La Base ★☆☆☆

Vadim Dumesh est un jeune documentariste qui a grandi en Lettonie et qui s’est formé en Israël avant de s’installer en France. Il a posé sa caméra dans la base arrière taxi (BAT) de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Il a lui-même tourné quelques images, mais il a surtout demandé à plusieurs chauffeurs de taxis de filmer eux-mêmes leurs quotidiens avec leur téléphone portable. Pendant le tournage, l’ancienne base a fermé et les chauffeurs ont déménagé vers un nouveau lieu, plus fonctionnel, mais moins chaleureux.

Vadim Dumesh s’est emparé d’un sujet passionnant. Qui sont les centaines de taxis parisiens qui, chaque jour, accueillent à Roissy les touristes étrangers qui y atterrissent ? Que font-ils durant la longue attente à laquelle ils sont contraints entre deux courses ?

Comme c’est hélas souvent le cas dans le documentaire aujourd’hui, chez Wiseman comme chez Philibert, aucune explication n’accompagne La Base. Aucune voix off, aucun carton, aucun diagramme ne vient éclairer l’organisation des taxis à Roissy. La règle, d’airain, s’applique : les images et les paroles sont les seules sources d’information mises à la disposition du spectateur.

Lors de la projection débat à laquelle j’ai eu la chance d’assister, les questions ont fusé précisément sur l’organisation de la profession. Vadim Dumesh, ouvert et souriant, y a volontiers répondu, aidé par plusieurs chauffeurs présents dans la salle et parfois acteurs du film – ainsi de Nicolas et de ses improbables cravates. Face à tant d’interrogations frustrées, Vadim Dumesh s’est défendu : son film, a-t-il dit, n’avait pas pour objet de décrire l’organisation des taxis à Roissy mais de montrer comment une profession s’était saisie d’un lieu – la base – et d’un moment – l’attente entre deux courses – pour en faire « quelque chose » : un temps de repos, de détente, d’échanges, de socialisation pour des professionnels condamnés à un emploi très solitaire.

L’argument est recevable ; mais il n’est qu’en partie fondé. La Base fait naître bien des questions auxquelles le seul visionnage du film, si on n’a pas la chance de bénéficier du débat qui le suit, ne fournit pas les réponses. Sans doute est-il intéressant de voir comment les chauffeurs s’approprient ce lieu, mais il l’est plus encore d’en comprendre l’origine et l’économie.

Faute de nous fournir cet arrière-plan, La Base se réduit à une succession de scènes mal filmées, sans queue ni tête, dont le seul fil directeur serait le déménagement de l’ancienne base à la nouvelle, et les seuls repères quelques figures cosmopolites hautes en couleurs : Jean-Jacques, le patriarche, Ahmad et Madame Vong, une des rares femmes du lieu (la profession compte 5 % seulement de femmes).

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Love Lies Bleeding ★★☆☆

Lou (Kristen Stewart) gère une salle de sports dans une banlieue sans âme d’Albuquerque au Nouveau-Mexique où débarque un beau jour de 1989 Jackie (Katy O’Brian), SDF bodybuildeuse en quête de célébrité. Entre les deux femmes, c’est le coup de foudre. Mais les histoires de famille de Lou – un père chef de gang, une sœur battue par son mari – vont aspirer les deux femmes dans une spirale de violence.

Love Lies Bleeding est un produit délicieusement attirant. Son interdiction aux moins de douze ans en accroît le charme vénéneux. Il emprunte à plusieurs sources. La filiation la plus clairement revendiquée, qu’il s’agisse de l’époque du film ou de son affiche, est bien entendu Thelma et Louise. Les thrillers lesbiens sont en train de devenir un genre en soi, comme le montre le dernier film du frère Coen (au singulier !), Drive-Away Dolls. C’est aussi aux frères Coen (au pluriel) qu’on pense et à tous les films qui se déroulent dans une Amérique redneck, avec des personnages trumpiens à souhait, fans de la gâchette, et des cadavres qui débordent des placards, depuis Fargo et Pulp Fiction jusqu’au tout récent LaRoy en attendant avec impatience le prochain Lanthimos, Kinds of Kindness. Et Love Lies Bleeding contient beaucoup d’autres références, qui font la joie du cinéphile et/ou du fétichiste : Wonder Woman, Hulk, L’Attaque de la femme de 50 pieds, Pumping Iron

Love Lies Bleeding campe de sacrés personnages. Dans le rôle de Lou, Kristen Stewart a l’humilité de s’effacer derrière sa partenaire interprétée par l’étonnante Katy O’Brian. Ed Harris y démontre, si besoin en était, une fois encore son immense talent avec une perruque déconcertante. Le scénario bien huilé de Love Lies Bleeding nous tient en haleine pendant toute la durée du film, à condition d’en accepter les invraisemblances.

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Tehachapi ★☆☆☆

En 2019, JR est parti à Tehachapi, à deux heures de Los Angeles, travailler avec une trentaine de prisonniers d’un quartier de haute sécurité d’un pénitencier d’Etat à la réalisation, dans la cour de leur établissement, d’un immense collage d’une photographie les représentant en contre-plongée.

JR est un plasticien désormais célèbre qui a réussi à inventer une marque de fabrique mondialement connue. Il plaque dans des lieux emblématiques, la Cour du Louvre, une favela de Rio de Janeiro, le Panthéon, le mur de séparation entre Israël et la Palestine, des photographies géantes.

Après Visages, Villages, co-réalisé avec Agnès Varda en 2017, JR nous amène loin de l’hexagone, dans un milieu hyper-référencé, celui des prisons américaines. Les condamnés qu’il y rencontre y servent de longues peines pour des crimes dont on ne saura rien, mais dont on devine sans peine la gravité. Leur mine est patibulaire, leur corps recouvert de tatouages, souvent inquiétants. L’un d’entre eux, Kevin, porte même une croix gammée sur la joue.

Le documentaire de JR transpire la bienveillance, au point de frôler le trop-plein. Tout le monde y est beau, tout le monde y est gentil. Le premier, c’est JR lui-même qui se donne le beau rôle, même s’il reste sagement caché derrière ses lunettes et sous son chapeau. Mais les vrais héros, ce sont ces prisonniers repentants, écrasés par un système judiciaire et pénitentiaire qui les a condamnés à des peines disproportionnées, et qui, au bout de longues années, n’aspirent qu’à une seule chose : sortir de Tehachapi et retrouver une vie normale. Comme de bien entendu, le projet artistique de JR va les y aider.

Je n’aime pas le rôle que j’endosse, celui du scrogneugneu qui trouve à redire à cette noble entreprise, débordante d’humanité. Pour autant, je serais fort hypocrite si je l’encensais sans réserve. Certes, la démarche de JR est noble et belle. Il y a une admirable vertu à chercher en chaque homme (désolé ! il n’y a pas de femmes à Tehachapi !) ce qu’il y a de bon en lui, en dépit des crimes commis. Mais il y a dans ce documentaire un manque si déconcertant de contre-point que son propos, admirable, finit par perdre de sa force.

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C’est pas moi ★★★☆

« Il se trouve, chose assez rare, que le distributeur Les Films du losange nous propose d’aller découvrir un film de quarante et une minutes et dix-neuf secondes dans lequel Carax – qui n’a rien fait pour le mettre en conformité avec la durée d’une séance – bricole cette chose à la fois bâtarde et ourlée, ouvertement intime, qui, ordinaire caraxien, saigne et rit en même temps. » Cette phrase, de Jacques Mandelbaum, dans Le Monde, compte parmi les plus élégamment tournées, les plus intelligentes, les plus synthétiques que j’aie jamais lues pour présenter et résumer un film. Je me damnerais pour être capable d’en écrire d’aussi belles. J’ai bien failli me borner à la recopier ; car tout ce que j’y ajouterai sera un vain bavardage.

Que rajouter sinon quelques éléments de contexte sur Alex Dupont, alias Leos Carax, figure mystérieuse du cinéma français, mélange de Rimbaud et de Godard, qui déboule dans le cinéma à vingt-quatre ans à peine, signe deux films d’une éclatante jeunesse (Boy Meets Girl et Mauvais Sang), manque entraîner toute l’industrie dans une faillite industrielle avec Les Amants du Pont-Neuf, ne réussit pas à rebondir avec Pola X, et finit, la cinquantaine bien entamée par signer deux films aussi beaux que déroutants qui lui valent une admiration révérencieuse : Holy Motors et Annette.

Le Musée Georges-Pompidou lui a passé commande d’une exposition, qui ne s’est jamais montée, en lui posant une unique question : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? ». Avec une étonnante franchise, le réalisateur y répond avec ce moyen métrage hors normes, une autobiographie constituée quasi exclusivement d’images d’archives, de vieilles photos, d’extraits de ses films…

Ce patchwork aurait pu tourner au clip vidéo narcissique. Grâce au génie de Carax – car je lui reconnais volontiers une forme de génie même si je ne le place pas au panthéon de mes auteurs préférés – le piège est évité. L’ensemble est noyé dans une musique omniprésente. Elle pourrait être envahissante si elle n’était pas aussi excellente : Benjamin Britten, Maurice Ravel, Barbara, Miles Davis, Nina Simone, David Bowie bien sûr (dont Zaho de Sagazan vient de reprendre Modern Love durant la cérémonie d’ouverture d’un Cannes pâmé) et les Sparks qui ont signé la B.O. de Annette.

C’est pas moi est frappé au sceau de la nostalgie, une corde à laquelle je suis hyper-sensible. On y retrouve Juliette Binoche et Denis Lavant, le double fictionnel de Carax, quarante plus tôt, les traits encore à peine sortis de l’enfance, débordant d’énergie juvénile. Je ne suis plus sûr d’avoir aimé Mauvais Sang ; je sais que je n’ai pas aimé Annette ; mais j’adore l’idée qu’existe un réalisateur comme Leos Carax capable, sa vie durant, de vivre aussi entièrement son art et de tourner des films aussi originaux.

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Paradis Paris ★★☆☆

Une dizaine de personnages se croisent à Paris : un vieux producteur d’une émission de télé à succès (André Dussollier), un jeune maquilleur gay, un cascadeur professionnel, une diva dont les journaux annoncent par erreur le décès (Monica Bellucci) et sa femme de ménage, une ado traumatisée par la diffusion d’une sextape, un veuf inconsolable (Alex Lutz), un flic taiseux (Roschdy Zem)….

Marjane Satrapi, l’auteur de l’irrésistible Persépolis, une bande dessinée puis un film d’animation qui ont marqué leur époque, poursuit cahin-caha sa carrière sans jamais être parvenue à retrouver l’inspiration de ses débuts. Elle livre ici un film déroutant, qui a divisé la critique et n’a pas réussi à trouver son public. Deux semaines après sa sortie, il a quasiment disparu des écrans. Je me demande d’ailleurs si c’est un ratage total ou au contraire une sympathique bizarrerie.

Il s’inspire directement des films à sketches italiens, qui furent à la mode dans les années soixante. Quelques décennies plus tard, Danièle Thompson s’employait encore sans grand succès d’en filmer de pâles succédanés (Fauteuils d’orchestre). Pour éviter l’accumulation d’histoires indépendantes, le scénario de Paradis Paris essaie assez malignement, même si son écriture tourne vite au procédé, de les lier entre elles.

Le problème des films à sketches est que certains sont plus réussis que d’autres… et que d’autres le sont beaucoup moins que certains. Ici par exemple, on peut trouver fort drôle l’autodérision avec laquelle Monica Bellucci joue une diva jadis renommée aujourd’hui oubliée du public dont la mort n’est guère saluée que par quelques brefs entrefilets dans la presse. André Dussollier est beaucoup plus prévisible dans le rôle d’une vieille star du petit écran à laquelle on diagnostique une maladie incurable. Le rôle de Roschdy Zem n’a aucune épaisseur, un vrai gâchis quand on connaît le talent de cet acteur – et l’admiration que je lui voue.
Celui qui m’a le plus touché, en deux ou trois scènes à peine est Alex Lutz, décidément excellent dans tous les registres.

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