La quarantaine déjà bien entamée, Simon (Vincent Macaigne) et Charlotte (Sandrine Kiberlain) se rencontrent, se plaisent et s’aiment. Simon est marié, père de famille, maladroit et timide. Charlotte se remet d’une pénible séparation et ne souhaite plus s’attacher. Aussi décident-ils de placer leur liaison sous le signe de la légèreté. Sauront-ils se tenir aux limites qu’ils se sont fixées ?
Avant d’aller voir Chronique d’une liaison passagère, je savais par avance à quoi m’en tenir. Après l’avoir vu, je ne sais plus qu’en penser….
Avec Emmanuel Mouret, qui signe ici son onzième long-métrage, on est en effet en terrain de connaissance. On sait que le réalisateur de Vénus et Fleur, Mademoiselle de Jonquières, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait nous livrera un film intellectualisant et élégant sur les jeux de l’amour. On a souvent dit de lui qu’il était le successeur de Rohmer. C’est surtout sa filiation avec Woody Allen qui frappe. Cette Chronique… a des airs de Manhattan : Paris y remplace New York. Sandrine Kiberlain ressemble à Diane Keaton : elle a la même démarche, la même légèreté et joue au badminton aussi mal que Keaton jouait au tennis. Quant à Vincent Macaigne, il fait penser à tous ces acteurs alléniens à qui le maître a confié le soin de l’incarner à l’écran : il récite les textes que Mouret a écrits et que Mouret aurait pu aussi bien déclamer lui-même.
On pourrait faire bien des critiques à ce film.
Une critique marxiste : Chronique… peint des bourgeois aisés qui fréquentent les musées et les cinémas (on les voit au Petit Palais et à l’Escurial… ce qui, de mon point de vue, est une marque de goût) et ne dit rien de leur travail (on apprend que Simon pratique l’haptonomie mais on ne saura rien du métier de Charlotte) ni de leur aliénation.
Une critique féministe : Chronique… est un film d’homme qui fantasme l’adultère, en minimise la charge et sous-estime l’investissement émotionnel qu’y mettent les femmes – sans parler de la douleur qu’il cause aux femmes trompées (l’épouse de Simon est la grande absente du film). D’ailleurs la référence à Woody Allen, sur qui pèsent de graves soupçons de violences sexuelles, aurait dû nous alerter. Il faudrait prescrire à Emmanuel Mouret une bonne cure de « déconstruction » pour lui éviter de mettre dans la bouche de son héroïne des paroles telles que « On va boire un verre ou deux mais je ressens une envie irrésistible de faire l’amour avec toi » qui ne reflètent pas la psyché féminine mais sont l’expression des pires fantasmes masculins #MeToo.
Deux autres critiques moins caricaturales peuvent lui être adressées
La première concerne le tour que prend son scénario avec l’apparition d’un troisième personnage interprété par l’étonnante Georgia Scalliet. Outre que son irruption ne soit guère crédible (on imagine mal le couple si sage formé par nos deux héros ressortir aux pratiques que le scénario leur prête), on aurait aimé que l’histoire de Simon et Charlotte se dénoue sans l’intervention d’un tiers.
La seconde vise la « morale » du film, bien convenue et bien prévisible : l’amour ne peut jamais rester léger longtemps. Cette morale-là apparaît dans un plan qui frappe par sa laideur et sa maladresse : la caméra d’Emmanuel Mouret, jusqu’alors si badine, zoome brusquement sur le dos tétanisé de Charlotte lorsque Simon lui parle d’amour. Tout le paradoxe de cette morale est qu’elle contredit voire annule le principe sur lequel tout le film semblait construit.
Cet amoncellement de critiques signifie-t-il que le film ne m’ait pas plu ?
Non – et ce n’est pas le moindre des paradoxes
Je suis trop caricaturalement le produit d’un milieu pour ne pas me reconnaître dans les personnages d’Emmanuel Mouret, dans leurs goûts et leurs inclinations. Si la violence et les mensonges des personnages de Claire Denis étaient si éloignés de moi et m’ont tant rebuté dans Avec amour et acharnement, je me reconnais plus volontiers – ou j’aspire plus volontiers à me reconnaître – dans la façon d’être de Simon et de Charlotte, dans leur élégance, leur délicatesse et leur désir contrarié de légèreté.