Mi iubita mon amour ★★☆☆

Avant son mariage, Jeanne (Noémie Merlant) part avec trois amies en Roumanie enterrer sa vie de jeune fille. À une station-service, leur voiture leur est volée. Les jeunes filles sont recueillies par Nino, un jeune Gitan, et par sa famille qui accepte de les héberger. Entre Jeanne et Nino naît une attirance trouble.

Noémie Merlant est une étoile montante du cinéma français. Elle a été nommée aux Césars en 2017 pour Le ciel attendra et en 2020 pour Portrait de la jeune fille en feu. On l’a vu dans Les Olympiades, un des tout meilleurs films de l’année dernière. Elle crevait l’écran dans A Good Man où elle interprétait une femme transgenre.

À l’instar de Luàna Bajrami, une autre actrice dans le vent, qui a tourné son premier film au Kosovo, Noémie Merlant a embarqué une bande de copines et une équipe technique minimaliste pour le village natal de son amoureux, Gimi Covaci, en Roumanie. On imagine la part d’autobiographie que ce récit comprend, cette histoire d’amour improbable entre une Française pur jus et un Gitan qui partage sa vie entre Paris et la Roumanie.

On est touchés de partager cette intimité-là. On en est aussi vaguement gênés, craignant de commettre une intrusion dans un cercle où nous n’avons pas été invités. Ce malaise culmine dans la (très belle) scène de sexe qui réunit les deux amoureux : quand on sait que les deux acteurs sont (ou ont été ?) en couple, on se demande où commence le cinéma, où s’arrête le voyeurisme.

On pourra trouver l’intrigue un peu courte, construite autour d’un principe simpliste et bien-pensant : « il faut aller au-delà de ses préjugés ». On sent aussi que le scénario ne sait pas comment se dépêtrer de l’intrigue qu’il a nouée : Jeanne renoncera-t-elle à son mariage pour le beau Nino ? Mais on se laisse emporter par l’élan de vie qu’insuffle Noémie Merlant à son film et à ses acteurs.

La bande-annonce

Les Petites Marguerites (1966) ★☆☆☆

Deux jeunes femmes, l’une brune, l’autre blonde, toutes deux prénommées Marie, vivent un rêve éveillé où elles s’autorisent une vie « dépravée ». Elles se font inviter au restaurant par de vieux messieurs libidineux, dînent à l’œil dans un dancing dont elles se font expulser, barbotent dans une baignoire remplie de lait, saccagent un buffet, dont elles essaient vainement de recoller les débris…

Les Petites Marguerites est un film-culte qui est ressorti début septembre en version restaurée au Reflet Médicis. Tourné en 1966 à Prague, il est devenu le symbole du vent de liberté qui soufflait alors en Tchécoslovaquie, brutalement éteint par les chars russes en août 1968.

Les Petites Marguerites est un film de la Nouvelle vague, inspiré de Godard et du dadaïsme. Formellement, Věra Chytilová joue avec les filtres, les couleurs, le noir et blanc. La morale du film est ouvertement libertaire et ne pouvait que déplaire aux hiérarques communistes qui l’interdirent dès sa sortie. Ses héroïnes, innocemment dénudées, sont filmées dans une succession de situations transgressives où leur absence de retenue sonne comme autant de provocations anarchistes. Le film, qui débute et s’achève par des images d’archives de bombardements aériens et de villes en ruines, est ironiquement dédicacé à « ceux dont la seule source d’indignation est une salade piétinée »

Sans doute Les Petites Marguerites mérite-t-il sa place dans les anthologies. C’est une œuvre clé d’un moment de l’histoire du cinéma. Pour autant ses aimables provocations ne transgressent plus aucun tabou. Sa succession répétitive de saynètes devient vite lassante, même si le film a le bon goût de durer moins de quatre-vingts minutes.

La bande-annonce

Goodnight Soldier ★★☆☆

Au Kurdistan irakien, Ziné et Avdal sont les deux enfants de deux familles déchirées par une haine atavique. Mais Ziné et Avdal s’aiment et rien ne pourra empêcher leur mariage.

À lire le pitch du dernier film de Hiner Saleem, on pourrait imaginer une adaptation plus ou moins kitsch de Roméo et Juliette au Kurdistan. Mais ce serait méconnaître le talent de ce réalisateur franco-kurde qui, depuis plus de vingt ans, nous sert des films lumineux et drôles.

[Attention : cette critique contient des spoilers]
Le scénario de Goodnight Soldier pourrait laisser penser que le film a pour enjeu – et aura pour dénouement – le mariage des amoureux. Il n’en est rien. Vaincre l’hostilité de leurs deux familles n’est que le premier obstacle qui se dresse sur la route des deux tourtereaux et qu’ils franchiront d’ailleurs rapidement. Ils devront en affronter deux autres. Le premier est la guerre qui oppose les peshmergas à l’Etat islamique pour la reconquête des territoires conquis par Daesh. Avdal y participe courageusement au point d’y risquer sa vie quelques jours avant son mariage.

Il survivra à l’escarmouche qui aurait pu lui être fatale. Mais, si l’opération chirurgicale qu’il subit lui rend l’usage de ses jambes, elle le laisse impuissant. C’est le troisième obstacle que Ziné et Avdal doivent franchir. Et ce n’est pas le moindre. Car la société kurde est sacrément machiste et n’accepte pas que la femme soit autonome (Ziné caresse le projet de travailler) ni que le mari soit diminué.

Puisque j’ai déjà largement défloré l’intrigue, je peux en raconter le dénouement. Tout se finit bien. Avdal tombe miraculeusement enceinte (on comprend qu’elle le doit aux baisers échangés par les deux amants avant l’accident d’Avdal) et les époux, qui avaient frôlé la séparation, se retrouvent dans la joie de cette miraculeuse nouvelle. Ce dénouement est attendrissant et il faut être un peu pisse-vinaigre comme moi pour y trouver à redire. Il ne dépare pas avec un film dont le ton est plus léger que dramatique. Mais il a le tort de désamorcer un propos qui, sans lui, aurait eu plus de force.

La bande-annonce

Cent mille dollars au soleil (1964) ★★★☆

Castagliano (Gert Fröbe), le directeur d’une compagnie de transport installée dans le Sud marocain a embauché un nouveau chauffeur pour lui confier la responsabilité d’un poids lourd à la cargaison mystérieuse. Flairant un bon coup, Rocco (Jean-Paul Belmondo), un autre routier, en prend le volant et s’enfuit avec le précieux chargement en compagnie de Pepa (Andréa Parisy), sa maîtresse. Fou de colère, Castagliano missionne Marec (Lino Ventura) pour le rattraper. S’engage une course poursuite dans l’Atlas marocain.

Cent mille dollars au soleil est un film archétypique du cinéma de Henri Verneuil qui lui vaudra d’être voué aux gémonies par les cinéastes de la Nouvelle Vague. Un « cinéma à la papa » qui louche du côté de la série B, dont les lourds relents machistes et racistes scandaliseront les wokistes les plus sourcilleux. Dans le genre, Cent mille dollars au soleil pousse le bouchon vraiment très loin, dont les héros machos considèrent chaque femme et chaque Arabe qu’ils croisent avec un paternalisme d’un autre âge.

Henri Verneuil a su s’entourer des plus grandes stars françaises : Fernandel (La Vache et le Prisonnier, près de neuf millions de spectateurs à sa sortie en 1959 et combien de rediffusions à la télé), Gabin (Le Président, Un singe en hiver), Delon (Mélodie en sous-sol, Le Clan des siciliens), Montand (I… comme Icare), Dewaere (Mille milliards de dollars) mais aussi Belmondo avec lequel il ne tourne pas moins de huit films qui sont – presque – tous des succès, ou Ventura. Aucune femme ou presque dans ce cinéma viriliste où elles sont réduites aux rôles de maman ou de putain.
À la musique Georges Delerue. Aux dialogues Michel Audiard dont certaines répliques sont devenues mythiques : « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent » ou encore «  Dans la vie on partage toujours la merde, jamais le pognon ».

Le scénario du film, ses personnages, ses décors rappellent furieusement Le Salaire de la peur. Sa dernière scène, tournée à Marrakech, est entrée dans la légende. Quand j’avais treize ans, je me souviens être allé dans le cinéma de ma petite ville de province voir Les Morfalous et l’avoir adoré. Je ne connaissais pas encore Cent Mille dollars…. dont Les Morfalous constitue la lointaine et pâle resucée.

La bande-annonce

My Name is Gulpilil ★☆☆☆

David Gulpilil est un acteur australien aborigène né en 1953 dans un territoire quasiment inaccessible sans contact avec le monde moderne. Repéré encore adolescent, il joue à seize ans dans le film La Randonnée et devient immédiatement célèbre. Pendant quarante ans on le retrouve à l’affiche des plus grands films australiens où il tient immanquablement le rôle de l’aborigène de service, fier, nu et authentique : Crocodile Dundee, Le Chemin de la Liberté, Australia, Charlie’s Country….
La documentariste Molly Reynolds l’a retrouvé en 2017 dans le Sud de l’Australie où l’acteur vieillissant se meurt lentement d’un cancer des poumons et jette sur sa vie, à cheval entre deux cultures, un regard lucide.

My Name is Gulpilil a l’avantage de nous faire retrouver cet acteur anonyme que nous avions tous, un jour ou l’autre, aperçu au détour d’un  film australien sans mettre un nom à son visage. Il a aussi l’avantage de mettre le doigt sur le drame intérieur vécu par les Aborigènes, brutalement propulsés dans la modernité et souvent fracassés par le choc des cultures, comme David Gulpilil qui s’est détruit à force d’alcool et de drogue au mirage de sa soudaine célébrité.

Mais les défauts du film l’emportent sur ses qualités. La personnalité de David Gulpilil devrait compter au rang des secondes ; mais hélas, tel n’est pas le cas. Bien sûr, il n’est guère bienveillant de tirer sur l’ambulance et de ne pas se laisser attendrir par ce vieillard au bout du rouleau qui peine à aller chaque jour au bout de son allée y relever sa boîte aux lettres. Mais force est d’avouer que suivre un vieillard qui va chaque matin, le pas lourd, chercher son courrier, n’a rien de follement excitant et que la vanité qu’il révèle dans la narration de ses souvenirs devient vite exaspérante. Sauf à considérer, si on est très très bienveillant, que cette vanité est la défense qu’il s’est construite pour se protéger d’un monde qui ne l’a jamais intégré…

La bande-annonce

La Page blanche ★★☆☆

Une jeune femme (Sara Giraudeau) est assise sur un banc à Montmartre. Elle a perdu la mémoire et son téléphone portable. Pour l’aider à les retrouver, elle pourra compter sur Sonia (Sarah Succo), une collègue de travail, et Moby Dick, un Géo Trouvetou de l’informatique (Pierre Deladonchamps)

Murielle Magellan adapte la BD de Pénélope Bagieu et Boulet. Elle en conserve la poésie et la drôlerie. Elle a l’idée de génie d’en confier le rôle principal à Sara Giraudeau dont les mimiques de clown triste et la silhouette lunaire collent parfaitement au personnage.

L’idée de départ est riche en potentiel comique. C’est la partie la plus drôle du film. Comment l’héroïne va-t-elle retrouver son nom ? son adresse ? le digicode de son entrée ? le mot de passe de son ordinateur ? Où ira-t-elle travailler le lendemain et que dira-t-elle à ses collègues ? Comment se comportera-t-elle face à son amant (Grégoire Ludig) dont elle a tout oublié et face auquel elle ne sait plus sur quel pied danser ?

La Page blanche est moins réussi quand il verse dans un discours moralisateur : « on devrait tous perdre la mémoire au moins une fois dans sa vie » histoire de reconsidérer les – fausses – valeurs sur lesquelles on avait jusqu’alors construit sa vie. Car la nouvelle Héloïse – pardon Elodie – découvre l’horrible fille qu’elle était jusqu’alors : superficielle, snob, volage…. et va essayer de refonder sa vie sur d’autres bases plus saines. Cette quête passera par une virée en province sur la trace de ses parents, dont le film aurait pu sans dommage faire l’économie.

La Page blanche n’en reste pas moins un très agréable moment, plein de tendresse et de poésie, un feel good movie qui évite les pièges de la mièvrerie.

La bande-annonce

Affreux, sales et méchants (1976) ★★★☆

Une vingtaine de gueux s’entassent dans un minuscule taudis d’un bidonville à Rome. Giacinto (Nino Manfredi) y règne en despote, assis sur le magot qui lui a été versé par son employeur après la perte de son oeil gauche. Sa femme, sa mère impotente, ses enfants et ses beaux-enfants vivent ou survivent dans un bruit insupportable et une crasse répugnante  : les garçons volent, les filles se prostituent tandis que les plus jeunes sont parqués dans un enclos pour éviter de se dissiper.

Une rétrospective au Champo donne l’occasion de voir ou de revoir les principaux films de Ettore Scola. Son étoile a toujours souffert de la concurrence de ses aînés : Rossellini, De Sica, Fellini, Pasolini, Visconti… Son succès coïncide avec le début du déclin du cinéma italien. Affreux, sales et méchants marque son apothéose : Nous nous sommes tant aimés, sorti deux ans plus tôt, l’aura fait connaître dans le monde entier, Une journée particulière, sorti un an plus tard, confirmera sa renommée.

Réalisateur si élégant, si nostalgique, Scola réalise avec Affreux, sales et méchants, une satire grinçante qui louche du côté de Dino Risi et des outrances de la comédie italienne. Rien n’est trop gros, trop gras, trop grotesque, trop grinçant chez les gueux de Scola qui se disputent, se frappent, se saoulent, se prennent avec une bestialité répugnante. Nino Manfredi s’en donne à cœur joie dans le rôle du patriarche tyrannique et veule, au risque de verser dans la caricature.

Bien entendu, cette surenchère cache un message humaniste (même si Ettore Scola, à la différence de la plupart de ses collègues, n’a jamais flirté avec le parti communiste) : le quart-monde qu’il dépeint , comme chez Rossellini (Rome ville ouverte), Fellini (Les Nuits de Cabiria) ou Pasolini (Accatone), suscite la pitié plus que le dégoût. Et cette gamine – dont je n’arrive pas à retrouver le prénom – qu’on voit au début du film, à l’aube blanchissante, chausser ses bottes jaunes pour aller puiser l’eau et qu’on revoit au dernier plan du film à la même heure dans la même activité, cette fois-ci le ventre gonflé par une grossesse sans doute non désirée, nous arracherait presque des larmes….

La bande-annonce

Rodéo ★☆☆☆

Julia (Julie Ledru) est une jeune femme sans toit ni loi, qui ne vit dans la banlieue bordelaise que pour sa seule passion : le cross-bitume. Sur une « ligne », après un accident dramatique qui emportera l’un de ses membres, elle réussit à s’incruster dans une bande de motards dirigée d’une main de fer depuis sa cellule de prison par Domino. Tandis que Julia se rapproche d’Ophélie, la compagne de Domino, elle tente non sans mal de se faire une place dans la bande, exclusivement masculine.

Rodéo arrive sur les écrans cette semaine, précédé de la réputation flatteuse qu’il a acquise lors de sa projection à Cannes – dans la section Un certain regard où il a été élu Coup de cœur du jury – et du parfum de scandale qu’a suscité une interview de sa réalisatrice. Après avoir affirmé que « Les accidents sont souvent causés par les flics qui prennent en chasse et qui poussent les riders vers la mort », Lola Quivoron a répliqué que ses propos avaient été sortis de leur contexte, que les bavures policières n’étaient pas le sujet de son film et que le cross-bitume qu’elle y montre ne saurait être assimilé aux rodéos urbains.

Loin de cette polémique, on peut critiquer Rodéo pour ce qu’il est. Force est de reconnaître la belle énergie qui le traverse et le talent brut de son héroïne dont c’est le premier rôle. Les critiques rapprochent Rodéo de Titane car les deux films évoquent une fusion du corps et qu’ils sont l’oeuvre de deux jeunes réalisatrices. Je ne suis pas sûr que la comparaison soit pertinente. Rodéo n’a pas les fulgurances science-fictionnelles de Titane – qui ont tant clivé ses spectateurs.

Il me semble plus opérant de rapprocher Rodéo d’autres films – d’ailleurs eux aussi tournés par des femmes – qui ont pour thème la douloureuse sortie de l’adolescence : Sans toit ni loi d’Agnès Varda (qui révéla Sandrine Bonnaire), Belle Epine de Rebecca Zlotowsky (qui révéla Léa Seydoux), Suzanne de Katell Quilleveré (où explose le talent de Sara Forestier)…

Rodéo prend pour toile de fond le cross-bitume. Mais le cross-bitume n’est pas le sujet de son film – pas plus que les courses de voitures ne sont celui de La Fureur de vivre. Il donne pourtant lieu à quelques scènes documentaires où on sent que la réalisatrice s’est laissée fasciner par les images spectaculaires qu’elle était en train de tourner au risque d’oublier en chemin le sujet de son film.

Le défaut de Rodéo est que, tout bien considéré, il se réduit à pas grand-chose. Rodéo est un film faussement punk qui nous raconte sagement une histoire banale : le coming-of-age d’une adolescente rebelle.

La bande-annonce

Tout le monde aime Jeanne ★★★☆

Jeanne Mayer (Blanche Gardin) est une jeune start-upeuse propulsée sur le devant de la scène médiatique pour une invention de génie – un filtre biodégradable capable de nettoyer les océans de leur plastique – et rapidement déchue de sa gloire éphémère après le naufrage de son projet. Sa situation financière ayant du plomb dans l’aile, elle n’a d’autre solution que d’aller vendre l’appartement que sa mère (Marthe Keller), suicidée l’an dernier, a légué à Lisbonne, à elle et à son frère (Maxence Tual).
Dans l’avion qui l’y amène, Jeanne retrouve Jean (Laurent Lafitte), un ancien camarade de lycée.

J’ai vu ad nauseam, pendant les semaines qui ont précédé sa sortie, la bande-annonce de Tout le monde aime Jeanne qui m’avait rebuté. J’imaginais à tort une banale comédie romantique française construite autour de Blanche Gardin et tout entière calibrée pour capitaliser sur son potentiel comique.
Je ne me trompais pas tout à fait : Tout le monde… est bien une comédie romantique dont l’issue ne surprendra guère ou, pire, nous confirmera dans nos préjugés. C’est aussi un film tout entier construit autour de Blanche Gardin, Laurent Lafitte, malgré sa popularité et son immense talent, en étant réduit au second rôle.

Mais Tout le monde…. ne s’y réduit pas. Le premier film de Céline Devaux, qui vient de l’animation, est une sacrée réussite qui dépasse de plusieurs têtes le tout-venant télévisuel auquel la comédie française nous avait habitué. Et ce pour trois raisons.

La première, c’est bien sûr Blanche Gardin, dont les one-woman shows me font hurler de rire tout en me mettant terriblement mal à l’aise tant son humour est souvent border line. Elle est ici de tous les plans, le film étant construit autour de la dépression qu’elle traverse. Une dépression causée à la fois par son échec professionnel et par le deuil qu’elle doit faire d’une mère avec laquelle elle entretenait des relations compliquées. Une telle exposition était la porte ouverte à toutes les surenchères. Blanche Gardin et sa réalisatrice ont eu au contraire l’intelligence de se brider. Blanche Gardin n’en rajoute pas. Mieux : elle sous-joue. Le comique nait moins d’elle que de son double imaginaire, un fantôme de papier qui apparaît sous le crayon de Céline Devaux et qui dit tout haut ce que Jeanne pense tout bas.

La deuxième, c’est Laurent Lafitte. Cet acteur est un génie. Il sait tout faire. Quand donc obtiendra-t-il le César du meilleur acteur qu’il mérite tant ? La bande-annonce laissait escompter un beauf envahissant qui finirait par séduire Jeanne en la sortant de sa dépression. Le personnage de Jean est plus complexe : il est moins beauf que gentiment toc-toc, moins irritant que désopilant. Ses répliques décalées sinon malaisantes (« Je suis content que tu sois encore en vie »…) font mouche sans faire exprès, l’air de rien et instille une poésie et une loufoquerie inattendues.

La troisième, c’est Lisbonne où se déroule le film. Il aurait pu tout aussi bien se passer à Paris comme tant de comédies françaises. Mais il n’aurait pas eu le même charme. Céline Devaux ne cède pas à la tentation d’en faire un décor de carte postale. On n’en verra même pas la Tour de Belem ou le Monastère des Hiéronymites. Mais on en humera le parfum sucré des pasteis, on sentira sur sa peau le soleil rasant de l’Atlantique, on en entendra la musique chuintante de la langue….

Comédie de la dépression et du deuil, Tout le monde aime Jeanne réussit à nous faire rire sur un sujet grave.

La bande-annonce

Plan 75 ★★☆☆

Pour lutter contre le vieillissement de sa population qui obère ses finances publiques, le Japon a mis en place un plan d’accompagnement à l’euthanasie dénommé Plan 75 destiné – comme son nom l’indique – aux plus de soixante-quinze ans. Michi, une octogénaire, qui vient de perdre son emploi de femme de ménage dans un grand hôtel et dont le logement va être détruit sans espoir d’en retrouver un rapidement, se résout à y souscrire. Hiromi, un jeune cadre, a été embauché par l’organisation en charge du Plan 75 et a la responsabilité de convaincre des retraités de signer ces contrats. Maria enfin est une Philippine, émigrée au Japon et travaillant au chevet des personnes âgées pour y économiser la somme nécessaire à l’opération de sa petite fille de cinq ans, atteinte d’une grave malformation cardiaque.

Plan 75 est un film glaçant et dérangeant qui évoque immanquablement Soleil vert, le film d’anticipation américain avec Charlton Heston et Edward G. Robinson qui a marqué tant de spectateurs. Soleil vert était un film de science-fiction censé se dérouler à New York en 2022 (sic) dans une mégalopole écrasée par la chaleur, manquant d’eau et de nourriture.
Plan 75 est moins apocalyptique. Le Japon qui y est filmé ressemble à s’y méprendre au Japon d’aujourd’hui. Son eugénisme n’en est que d’autant plus crédible et d’autant plus effrayant.

Plan 75 est un film minimaliste, sans effets spéciaux tape-à-l’oeil, sans rebondissements renversants. Il se contente de raconter l’histoire de trois ou quatre personnages (aux trois évoqués dans mon résumé, il faut peut-être rajouter Yoko, une autre employée de l’organisation, chargée de l’accueil téléphonique, qui noue avec Michi une relation filiale) dont on anticipe qu’ils finiront par se rencontrer. Une de ses plus grandes qualités est de dévoiler très progressivement les grandes lignes de ce programme eugéniste sans verser pour autant dans l’horreur anthropophage de Soleil vert – où Charlton Heston finit par découvrir que les corps reconditionnés des morts servent à nourrir les vivants.

Loin de tout artifice science-fictionnel, Plan 75 pose frontalement la question de la place des personnes âgées – et des plus faibles – dans nos sociétés contemporaines. Il interroge notre capacité et notre disponibilité à leur faire une place. Elle représente une charge financièrement et surtout émotionnellement très lourde que la tentation est grande de déléguer à des institutions spécialisées et ségrégées et d’y employer des personnels immigrés (des Philippins au Japon).

Si les sujets du vieillissement, de l’euthanasie et de l’eugénisme sont universels, ils ont au Japon un écho particulier. En raison d’abord du vieillissement de la population du pays, parmi les plus âgées au monde du fait d’une espérance de vie très élevée, d’une natalité faiblissante et d’une immigration cadenassée. En raison aussi d’un trait particulier de la psychologie japonaise où l’idée de peser sur les autres, d’être à leur charge est intolérable. Si bien qu’il est fréquent d’y voir des personnes âgées voire très âgées toujours en activité, employées à des tâches pourtant très usantes.

Amateurs de feel-good movie, sexagénaires que la perspective de la retraite effraie, lecteurs de Cioran obsédés par la mort ou le suicide, passez votre chemin ! Ce film n’est pas pour vous !

La bande-annonce