Les Âmes perdues ★★☆☆

Un photographe de la police militaire syrienne a collecté plusieurs dizaines de milliers de photos des victimes de la sauvage répression du printemps arabe à partir de 2011. Avec l’aide d’un complice, il les a stockées sur un disque dur et exfiltrées en Europe en 2014 où il vit désormais sous le pseudonyme de César et sous protection policière pour éviter les représailles du régime d’Assad.
Ces photos poignantes de cadavres ensanglantés et souvent torturés ont mis un visage sur les crimes de masse commis en Syrie. Ils constituent aussi une source potentielle de preuves pour intenter un procès.

Mais la saisine de la Cour pénale internationale est rendue impossible en mai 2014 par le veto russe et chinois au Conseil de sécurité. Seule voie envisageable : identifier parmi les victimes un binational dont la disparition serait justiciable dans le pays dont il a l’une des nationalités. C’est le cas d’Abdul, un hispano-syrien, de Mazzen et de Patrick, deux franco-syriens. Une avocate espagnole, Almudena Bernabeu, va se saisir du cas du premier ; une avocate française va, pour le compte de la FIDH, chercher des preuves de vie des deux autres et porter leur cas en justice.

Stéphane Malterre, un documentariste, aidé de Garance Le Caisne, laquelle avait en 2015 publié un livre sur l’Opération César, ont co-réalisé Les Âmes perdues, au titre peut-être trop poétique, trop elliptique. Ils possédaient une matière très riche, digne des meilleurs films d’espionnage, mais hélas inspirée de faits tristement réels. La violence du régime syrien, l’impunité dont il jouit, grâce au soutien russe d’abord, grâce à l’effet d’éviction provoqué par la lutte contre Daech ensuite, ne peuvent que soulever le cœur.

Les Âmes perdues m’a fait penser aux livres de Philippe Sands, cet avocat franco-britannique qui raconte, avec une grande clarté, les arcanes du droit international humanitaire. Ce documentaire relève en effet le défi de rendre lisibles des procédures juridiques compliquées. Elles peuvent sembler interminables, la raison en étant la difficulté à collecter des preuves et à obtenir des États leur coopération dans l’instruction des affaires qui les visent. Comment par exemple attester de l’authenticité des photos recueillies par César et répondre à Assad lorsqu’il affirme qu’il s’agit de vulgaires fakes photoshopés ?

L’histoire est encore en cours. Certaines plaintes ont été rejetées, en Espagne par exemple. D’autres ont été accueillies, en Allemagne notamment mais aussi en France où des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés contre trois responsables syriens pour « complicité de crimes contre l’humanité et crimes de guerre ». Mais ces mandats, s’ils interdisent à ceux qui les visent de mettre un pied hors de Syrie, ne permettront pas de sitôt de placer sous les verrous des criminels qui restent protégés par Assad.

La bande-annonce

Le Cours de la vie ★☆☆☆

Noémie (Agnès Jaoui), une scénariste de talent, la cinquantaine, est invitée à Toulouse pour y donner une master class dans une école de cinéma. Son directeur, Vincent (Jonathan Zaccaï) se trouve être un ancien amour avec qui elle a vécu pendant cinq ans avant de le quitter pour un réalisateur italien en lui écrivant une ultime lettre de rupture.

Le Cours de la vie est un jeu de mots qui se veut spirituel, du genre de ceux que je goûte d’habitude.
Il s’agit d’une part d’un cours de cinéma donné par une grande professionnelle jouée par Agnès Jaoui qui en impose par la richesse et l’ecléctisme de sa carrière d’actrice-réalisatrice-scénariste. Les conseils qu’elle prodigue aux étudiants sur la façon de caractériser ses personnages, qui doivent être à la fois « universels » et « uniques », s’ils sont un peu didactiques sont d’ailleurs très justes.
Il s’agit d’autre part et surtout d’une réflexion tendre amère sur la vie qui passe, sur les regrets et les remords qu’elle fait naître. J’adore ce carburant là, la nostalgie étant, de tous les sentiments humains, celui qui me touche le plus profondément.

Cours de cinéma + réflexion nostalgique sur les amours perdues : Le Cours de la vie rassemblait a priori pour moi tous les ingrédients d’un film réussi.
Hélas, la déception est grande tant Frédéric Sojcher multiplie les fautes de carre. La première est dans la direction d’acteurs. Alors qu’il avait de l’or entre les mains, il réussit à rendre insipides et mièvres tant Agnès Jaoui, réduite au rôle de prof sympa riche d’une longue expérience, que Jonathan Zaccaï, quinquagénaire figé dans la grimace douloureuse d’une blessure d’amour jamais cicatrisée. Le pire est les jeunes étudiants de cette école de cinéma, galerie de caricatures – le séducteur, le jaloux, la gender fluid, les deux homos – qui vont jusqu’à pousser la chansonnette : des personnages de jeunes qui, dans leur langage (quel jeune utilise le mot « ringard » ?), dans leur costume (le pull et le polo d’Antoine ne dépareraient pas dans une affiche du RPR), dans leurs attitudes, ont les traits de vieux.
La musique est signée Vladimir Cosma, quatre-vingts ans passés, dont on se souvient qu’il connut son heure de gloire en signant celle de La Boum au début des 80ies.

Mais le plus rédhibitoire est l’histoire d’amour des deux héros, qui se dévoile progressivement, ou plutôt qui se révèle dans son inanité. Car il n’y a pas grand-chose à en dire sinon qu’ils se sont aimés, ont vécu cinq ans ensemble et se sont séparés. Noémie a continué sa vie ; Vincent, lui, est resté bloqué sur cette rupture. Comme de bien entendu, leurs retrouvailles, trente ans plus tard, permettront de solder les comptes. Les réconcilieront-elles ? Pas besoin… puisqu’ils ne s’étaient jamais brouillés. Ne manquaient plus dans la scène finale que l’orage qui éclate et les larmes qui se mélangent avec les gouttes de pluie qui ravinent leurs visages ridés. Merci au réalisateur de nous avoir évité cette caricature là à défaut de toutes les autres qu’il nous inflige.

La bande-annonce

La Fille d’Albino Rodrigue ★☆☆☆

Rosemay (Galetea Bellugi) est la fille d’Albino Rodrigue. Placée en famille d’accueil, elle cherche en vain son père à son retour chez ses parents biologiques près de Metz pour les vacances. Sa mère (Emilie Dequenne) et son frère lui tiennent un discours confus et lui donnent des explications contradictoires qui mettent la puce à l’oreille de la jeune fille. Abandonnée à elle même, elle mène l’enquête seule.

La Fille d’Albino Rodrigue repose à mes yeux sur un défaut fondamental. Dès ses premières images, on en devine l’issue. D’autant qu’il est, comme le veut la formule sacramentelle « inspiré de faits réels ». Si le père de Rosemay était parti à la pêche, son histoire n’aurait retenu l’attention de personne. C’est donc qu’il est arrivé un drame. C’est donc – et qu’on ne vienne pas me reprocher un spoiler qui n’en est pas un – que le père de la fille d’Albino Rodrigue est mort.

Dès lors, l’enjeu du film, censé reposer sur l’enquête policière que mène Rosemay face aux contrevérités de sa mère, disparaît. Les deux actrices, aussi excellentes soient-elles l’une et l’autre se réduisent à leurs caricatures : la mère monstrueuse et amorale face à la fille privée d’amour et entêtée.

La bande-annonce

Nos cérémonies ☆☆☆☆

Deux frères partagent dans le chaud été de Royan les mêmes jeux innocents jusqu’à ce que l’aîné des deux fasse une chute mortelle. Dix ans plus tard, son cadet est de retour dans la maison de famille où son père vient de mourir. Le fantôme encombrant de son frère l’accompagne partout ; les tiers semblent même le voir aussi bien que lui, au point qu’on en vient à douter de la scène qu’on a vue en introduction et de la mort de l’enfant.

J’avais été intrigué par la bande-annonce de ce film, sorti le 3 mai dans quelques salles à peine et promis à une rapide disparition. Aussi ai-je tenu à le voir malgré une actualité cinématographique bien chargée (ne me demandez pas ce que je pense de Showing Up ou Hokusai : je n’ai pas encore eu le temps de les voir !)

Bien mal m’en a pris !
J’ai bien vite décroché de cette histoire de fantômes (chinois ?). Je n’ai pas compris grand chose aux affres de ce frère qui, semble-t-il, nourrit une culpabilité imprescriptible suite à la mort de son aîné et, pour l’expier, se condamne à la revivre encore et encore en autant de « cérémonies » de morts ou de suicides, toujours recommencés.
Ce duo s’élargit à un trio, avec le personnage de Cassandre, qui fut, avant sa mort, l’amie du défunt, et va devenir celle de son petit frère. Pour lui, aimer Cassandre, c’est à la fois trahir la mémoire de son frère, mais aussi lui rester fidèle.

Ce gloubi-boulga vaguement psychanalytique m’est resté bien obscur. J’ai eu beau essayer de le comprendre et de m’y intéresser, rien n’y a fait. J’ai vite sombré dans l’ennui.

La bande-annonce

Un an, une nuit ★★☆☆

La petite trentaine, Ramón (Nahuel Perez Biscayart) et Céline (Noémie Merlant) s’aiment d’un amour pur et vivent ensemble depuis quelque temps. Le soir du 13 novembre 2015, ils étaient au Bataclan. leur vie en a été bouleversée à tout jamais.

Un an, une nuit a un défaut majeur qui le condamne à l’invisibilité. Ce film espagnol, adapté du roman autobiographique – et inédit en France – d’un survivant du Bataclan, Paz, amor y death metal de Ramón González vient après Amanda, Revoir Paris, Novembre et Vous n’aurez pas ma haine. Il nous fait craindre une overdose autour du V13.

Pour autant, ce seul motif ne suffit pas à le disqualifier.

J’en ai lu beaucoup de critiques sévères. je les trouve injustes.

Elles ne soulignent pas assez l’immense qualité du jeu de ces deux acteurs, qui comptent à bon droit parmi les meilleurs du moment. J’ai déjà dit l’état liquide dans lequel me mettait la voix de Noémie Merlant. je devrais aussi, pour faire bonne mesure et m’éviter tout procès en sexisme, confesser l’effet causé par les yeux bleus de Nahuel Perez Biscayart.
L’un et l’autre incarnent les deux façons de réagir à un choc traumatique : en le taisant ou en en parlant.

Elles n’évoquent pas l’intelligence d’un montage qui, au lieu de platement se borner à raconter par le menu la funeste nuit du 13 novembre avant, dans une seconde partie, d’en tirer les conséquences, prend le parti assez audacieux d’en mêler les films avec un montage presque stroboscopique. Brutalement, dans la vie de tous les jours de l’Après, une image, un son ramènent brutalement à la fusillade, comme un choc électrique.

Elles ne disent rien – et je prendrai garde de ne pas en dire trop non plus – sur le doute qui bientôt s’insinue dans le récit et qui nous fait sortir de la salle plein d’interrogations sur le sens à donner à ce récit. Question sans réponse et qui, à rebours du cartésianisme qui commande souvent le spectateur, gagne à rester irrésolue.

La bande-annonce

Disco Boy ★★☆☆

Aleksei (Franz Rogowski) est un jeune Biélorusse qui quitte son pays au péril de sa vie, arrive à Paris et rejoint la Légion étrangère. Après sa formation, il sera déployé dans le delta du fleuve Niger dans une opération spéciale visant à secourir des otages retenus par des guérilleros. Leur chef aux yeux vairons, Jomo, a une sœur, Udoka, dont Aleksei, de retour à Paris, croisera le chemin dans d’étranges circonstances.

Disco Boy est un curieux film qui ne tient pas en place. Il commence à la frontière polonaise de la Biélorussie, continue dans un camp d’entraînement de la Légion (qui ressemble plus à l’Ile de France qu’à Castelnaudary) avant de faire un détour par la jungle africaine (filmée, pour les besoins du genre, à La Réunion).
Son sujet est la rencontre improbable entre deux hommes que tout sépare sinon l’engagement militaire : un réfugié biélorusse en mal d’intégration et le chef d’un obscur mouvement d’indépendance nigérian (et non pas nigérien comme l’indiquent à tort les sous-titres).

Mais on va dire que, mal réveillé, bougon, je pinaille ce matin… et on aura raison.

Disco Boy est le premier film d’un plus si jeune réalisateur d’origine italienne et formé en France, Giacomo Abbruzzese, qui a eu toutes les difficultés du monde à en boucler le financement. Sa patte est étonnante qui rappelle tout à la fois Bertrand Bonello (on pense à l’ambiance noctambule de Nocturama mais aussi au vaudou de Zombie Child), Clément Cogitore et ses soldats français dépêchés en Afghanistan filmés en caméra infrarouge de Ni le ciel ni la terre et, bien sûr, Claire Denis et le fascinant ballet homo-érotique des légionnaires de Beau Travail.

Comme souvent dans les premiers films, Disco Boy brasse beaucoup de sujets, dont on sent que le réalisateur, trop gourmand, a voulu parler. C’est à première vue un film de guerre qui réussit à s’affranchir des canons ultra-balisés du genre dans la scène centrale du film qu’on n’oubliera pas de sitôt. C’est ensuite une oeuvre qui flirte avec le fantastique, peuplée de fantômes, dont le sujet, tout bien réfléchi, et une fois éclaircies les questions légitimes qu’on pouvait se poser à la sortie de la salle, se réduit à un argument très simple : une réincarnation. C’est aussi un film musical habité par la musique techno de Vitalic. C’est enfin et peut-être surtout une réflexion sur l’immigration et l’intégration.
On ferait fausse route en espérant un film sur la Légion étrangère, ses us et ses coutumes. Ce registre là était autrement mieux traité dans Mon légionnaire, un film beaucoup plus académique dont l’action se déroulait près de Calvi.

La bande-annonce