Nos souvenirs ☆☆☆☆

Nos souvenirs avait été hué à Cannes l’an passé. N’imaginant pas qu’un film de Gus Van Sant, le réalisateur multi-palmé de Elephant et Paranoid Park, puisse être tout à fait dépourvu d’intérêt, j’ai voulu me faire mon opinion. Bien mal m’en prit ! Car le dernier film de Gus Van Sant est un ratage complet.

Arthur Brennan (Matthew McConaughey) s’envole vers le Japon. Il se rend au pied du mont Fuji dans la forêt d’Aokigahara. Brisé par la mort de sa femme (Naomi Watts), il a décidé de se suicider.

Tandis qu’il erre dans cette forêt, à la fois apaisante et terrifiante, il se remémore sa vie passée. Le couple qu’il formait avec Joan battait de l’aile, le divorce avait même été envisagé, jusqu’à ce que Joan soit opérée d’une tumeur au cerveau.

Lesté d’une musique envahissante, Nos souvenirs se voudrait un hymne à la vie, à la réconciliation avec soi-même. C’est hélas, malgré le talent de ses deux protagonistes, un film qui pèse des tonnes, dure des plombes et sombre dans le ridicule.

On n’avait pas vu pire depuis Au-delà, l’épouvantable nanar de Clint Eastwood avec Cécile de France. C’est tout dire…

La bande-annonce

Green Room ★★☆☆

Green Room est un survival. En français, on dit « film de survie » ; mais en anglais, ça sonne nettement mieux, n’est-ce pas ?
Qu’est-ce qu’un survival ? Un film dont les héros survivent. Quels héros ? Parfois seul (le héros de Into the Wild ou de 127 heures), souvent en groupe (Délivrance, Massacre à la tronçonneuse). À quoi survivent-ils ? Aux éléments déchaînés (Le Jour d’après), à la fin du monde (La Route), à des zombies (World War Z), à des extraterrestres (Alien)…

Le survival est un genre hobbesien, qui dépeint une situation anarchique où la violence se déchaîne contre des victimes innocentes abandonnées à elles-mêmes, mais qui illustre aussi la nécessité de reconstruire un ordre sur des valeurs : le héros survivra à force de volonté et d’inventivité, le groupe se défendra en apprenant à coopérer. Le survival est aussi un genre « genré » : a priori plus fragiles, les filles y survivent pourtant mieux, soit que leur intelligence les préserve… soit que leur T-shirt mouillé constitue un argument impossible à sacrifier en cours de route.

Green Room est donc un film de genre qui suit des règles bien connues : unité d’action (un groupe de punk rock lutte contre des skinheads), unité de lieu (l’action se déroule dans un rade miteux, au cœur d’une forêt menaçante), unité de temps (le film dure jusqu’à épuisement de ses personnages).

Rien de nouveau sous le soleil – ou plutôt sous la pluie triste de l’Oregon. Entre les quatre sympathiques membres du groupe punk et les skinheads aux lacets rouges s’engage une lutte à mort. Un huis clos oppressant et gore où tous les coups sont permis : poignard, gros calibre, pitbull…

Trop convenu pour ne pas rapidement sombrer dans l’oubli ? Mais suffisamment original pour retenir l’attention ? Un peu les deux…

La bande-annonce

Dalton Trumbo ★★★☆

Scénariste à Hollywood, Donald Trumbo fut victime de la chasse aux sorcières pendant les années 50. Coupable d’être membre du Parti communiste, il fut emprisonné puis licencié. Il dut recourir à des pseudonymes et à des prête-noms pour continuer à travailler, rédigeant des scénarios de série B mais aussi des chefs-d’œuvre couronnés aux Oscars (Vacances romaines en 1954, Les Clameurs se sont tues en 1957).

Dalton Trumbo a les traits de Bryan Cranston, le héros de la cultissime série Breaking Bad. Autour de lui les silhouettes plus vraies que nature de Kirk Douglas, John Wayne, Otto Preminger et Edward G. Robinson. La jeune Elle Fanning (Somewhere, Super 8, Twixt…) confirme son talent de future star.

Sans doute la réalisation de Jay Roach est-elle trop académique pour susciter l’admiration. Mais il ne faut pas bouder son plaisir face à cette reconstitution soignée du Hollywood des années 50 et à ce destin poignant d’un homme qui ne renia jamais ses convictions ni ne perdit son sens de l’humour face à l’hystérie maccarthyste.

La bande-annonce

Les Habitants ★☆☆☆

Raymond Depardon est le photographe qu’on connaît quand on n’en connaît pas d’autres. Le fondateur de la mythique agence Gamma en 1966. Le documentariste qui a filmé VGE en campagne (1974, une partie de campagne, 1974), le Tibesti (La Captive du désert, 1990), les comparutions immédiates à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris (10e Chambre, instants d’audience, 2004) L’auteur de la photographie officielle du président de la République.

Chacune de ses expositions, chacune de ses publications, chacun de ses documentaires sont désormais un événement pour ses admirateurs éclairés et élitistes. « Les Habitants » ne déroge pas à la règle. Il y continue son tour de France en caravane entamé en 2012. Cette fois-ci, il y a installé un studio et a invité des passants à y continuer, deux par deux, le dialogue entamé dans la rue.

Le procédé n’est pas naturel. Même si le réalisateur n’a retenu qu’un dixième des rushes qu’il a tournés,  on peine à croire que les passants ne prennent pas un tant soit peu la pose – parce qu’on la prendrait sans doute soi-même dans la même situation.

Plus grave : le choix opéré par Depardon au montage. Le cinéaste-photographe nous montre des gens ordinaires. Soit. Mais ce qui frappe c’est leur médiocrité, leur étroitesse d’esprit voire leur veulerie. Les femmes sont des victimes résignées, les hommes des égoïstes immatures. Leur unique sujet de discussion, comme s’il n’y en avait pas mille autres en 2015 (les attentats terroristes, la politique, leur travail…) : leur couple. Des couples misérables, cabossés par l’alcool, la violence, les grossesses non désirées, sans amour, sans respect. Que de telles situations existent, on veut bien le croire. Mais qu’elles soient représentatives de la France dépasse la mesure.

Vous me rétorquerez que Depardon ne fait pas oeuvre de sociologue, que ces « habitants » ne sont pas représentatifs. Soit. Mais se pose dès lors la question de la raison d’être de ce documentaire. En enchaînant paresseusement des face à face déprimants de vulgarité, quel objectif Depardon poursuit-il ? Nous dessiller les yeux, nous autres spectateurs CSP++, sur une réalité qui nous est étrangère ? Ou donner à voir une France rance au risque de donner raison aux Zemmour et consorts ?

La bande-annonce

Un + une ★☆☆☆

Claude Lelouch tourne depuis cinquante ans le même film. Son titre varie : Un homme et une femme, Hommes femmes, mode d’emploi, Un + une… mais, sourd aux modes fluctuantes, c’est toujours le même film sur la magie de l’amour.

J’adore son cinéma, son énergie, sa générosité et même sa musique (si ce n’est pas un coming out, ça y ressemble !). La bande-annonce de son dernier film m’avait mis l’eau à la bouche. De l’amour, de l’humour, des voyages ! Tout ce que j’aime !

Quelle ne fut ma déception !
L’action se déroule en Inde où Claude Lelouch aurait récemment connu une révélation en recevant le darshan (étreinte) d’Amma, un gourou du Kerala. Il essaie de nous faire partager cette expérience mystique en campant deux Français : un compositeur donjuanesque sur le point de se ranger et l’épouse un peu barrée de l’ambassadeur de France.

Si Jean Dujardin et Elsa Zylberstein sont terriblement séduisants, dans leurs rôles de quarantenaires amoureux de l’amour, ils sont abandonnés à eux-mêmes sans texte ni direction d’acteurs. Les plans s’étirent au-delà du nécessaire frisant le ridicule. Le scénario progresse cahin-caha au rythme des étapes ferroviaires du périple des héros – et de quelques libertés prises avec la géographie indienne. Le comble est atteint avec Christophe Lambert dans le rôle de l’ambassadeur en smoking, mari amoureux et trompé, et d’un épilogue parisien qui pèse des tonnes.

La bande-annonce

Back Home ★☆☆☆

Le dernier film de Joachim Trier – sans lien de parenté avec Lars – a été présenté à Cannes sous le titre Louder than Bombs. Ses distributeurs français l’ont rebaptisé après le 13-Novembre. Car il n’a rien à voir avec le terrorisme ou la guerre. Quoique…

Isabelle Huppert y joue le rôle… d’une morte. Photographe de guerre, elle s’est suicidée. Son mari (Gabriel Byrne) élève seul deux garçons. L’aîné (Jesse Eisenberg), aujourd’hui adulte et jeune père de famille, sait la vérité, le cadet (Devin Druid), en pleine crise d’adolescence l’ignore.
Joachim Trier, le réalisateur prometteur de Oslo, 31 août, a voulu « raconter une histoire à plusieurs voix sur une famille dont chacun des membres vit une même expérience à sa manière ». Le cadet est traumatisé par la mort de sa mère qu’il ne comprend pas. L’aîné peine à entrer dans l’âge adulte. Le père cherche la façon la plus douce de révéler la vérité à son fils. Même la mère défunte est convoquée par des flash-back pour élucider les raisons de son acte.

Le film se construit comme une mosaïque faite de petits fragments éparpillés. Dans cet appareillage, c’est bizarrement Isabelle Huppert qui est la plus décalée. Parce qu’elle est morte ? parce qu’elle est française ? Le film n’aurait pas perdu en cohérence sans elle. Elle aurait pu être gommée. Au centre mais absente. Comme Kevin Costner dans Les Copains d’abord de Lawrence Kasdan (1983) : il jouait le rôle d’un suicidé à l’enterrement duquel tous ses copains se réunissaient. Il n’apparaissait pas à l’écran, sinon, dans la première scène, dans son cercueil à ses obsèques. Mais tout le film gravitait autour de lui. Joachim Trier aurait dû utiliser le même procédé. Il aurait paradoxalement donné plus de présence à Isabelle Huppert.

La bande-annonce

Cafard ★★★☆

Pendant la Première Guerre mondiale, une division blindée belge, envoyée combattre aux côtés de l’armée tsariste sur le front de l’Est, est prise au piège de la révolution bolchevique. Pour revenir en Belgique, elle devra faire le tour du monde, de Sibérie en Chine, du Japon aux États-Unis.

Cette histoire vraie constitue la toile de fond de Cafard, un étonnant objet animé non identifié qui lorgne du côté de Hugo Pratt et de son Corto Maltese. Les mouvements des acteurs ont été enregistrés en motion capture et retravaillés à la palette graphique. Le résultat n’est pas toujours réussi mais a le mérite de l’innovation : silhouettes anguleuses, proches de l’abstraction, grands aplats de couleurs vives.
Cafard est un film d’animation pour adultes. Il a eu du mal à trouver son public : trop dense pour les enfants, trop léger pour les adultes. Mais le détour vaut la peine.

La bande-annonce

Vue sur mer ★☆☆☆

Précédé d’une critique calamiteuse, Vue sur mer a quasiment quitté les écrans au bout d’une semaine d’exploitation.
L’action est censée se passer dans une minuscule calanque du sud de la France (en fait le tournage a eu lieu à Malte) au début des années 70.
Brad Pitt joue le rôle d’un écrivain en quête d’inspiration, qu’accompagne sa femme, prisonnière d’un lourd secret.
Ils s’installent dans un hôtel qui surplombe la mer et y sont rejoints par un jeune couple (Melvil Poupaud, décidément omniprésent sur les écrans ces temps-ci, et Mélanie Laurent) en lune de miel.

Le couple et ses désordres constituent un grand sujet de cinéma. Dans les années 60, un certain cinéma américain, proche du théâtre, lui a donné ses lettres de noblesse mettant en scène les stars d’Hollywood : La Chatte sur un toit brûlant (Taylor et Newman), Qui a peur de Virginia Wolf ? (Taylor et Burton). Le cinéma d’auteur européen a pris le relais : La Nuit d’Antonioni, Scènes de la vie conjugale de Bergman.

Écrasée par ses immenses références, Angelina Jolie Pitt – ainsi qu’elle se dénomme depuis son mariage – a elle-même réalisé ce film au troublant parfum cathartique.
La façon dont elle se met en scène avec Brad Pitt, couple à l’écran, couple à la ville, fascine et interroge.
Ces deux stars, parmi les plus médiatisées au monde, ressemblent-elles à leurs doubles de cinéma ? Alcoolisme pour lui ? Dépression pour elle ? Et voyeuriste excitation pour les deux à observer les ébats de leurs voisins de chambres ?
On se demande ce qu’ils sont allés chercher dans ce huis clos autobiographique, en mettant en scène leur propre vulnérabilité. À montrer qu’ils forment un couple semblable à tous les autres, sujet au doute et aux crises ? Ou que, une fois les masques tombés, l’amour, même chez les célébrités, consiste à accepter l’autre tel qu’il est et à s’accepter soi-même ?

La bande-annonce

Le Grand Jeu ★☆☆☆

Le Grand Jeu explore un champ délaissé du cinéma français : le sommet de l’État. Des Trois Jours du Condor à House of Cards, le cinéma américain, lui, l’a exploré en tous sens. En revanche rares et souvent maladroits sont les films français qui s’aventurent dans les couloirs du pouvoir : L’Exercice de l’État (qui ne méritait pas les louanges qu’il a reçus), Une affaire d’État (avec André Dussolier déjà)…

Le Grand Jeu raconte une manipulation politique. Pour faire tomber le ministre de l’Intérieur, un homme d’influence (André Dussolier) décide de monter en épingle la menace de l’extrême gauche radicale. Un écrivain (Melvil Poupaud), en pleine crise de la page blanche, est recruté pour rédiger un appel à l’insurrection qui servira de document à charge pour démontrer la dangerosité de cet extrême gauche et le laxisme du ministre.

Le film a deux défauts : le premier – comme L’Exercice de l’État en son temps – est son manque de crédibilité. Non ! Le sommet de l’État – ou du moins celui que je connais – n’est pas peuplé de comploteurs et d’hommes de main. Ce qu’on y fait est beaucoup plus banal et beaucoup moins illégal.
Le second est plus rédhibitoire encore s’agissant d’une œuvre de cinéma. Le film commence sur un bon tempo. Mais il s’enlise dans sa seconde moitié lorsque l’écrivaillon part se réfugier à la campagne. La nuit urbaine dans laquelle se déroulait la première partie convenait mieux que le jour laiteux qui baigne la seconde. Et il sombre définitivement dans sa conclusion, qui louche du côté du film d’action sans s’en donner les moyens.

La bande-annonce

Maggie a un plan ★☆☆☆

On lit ici ou là que le « Greta Gerwig movie » serait en train de devenir un genre cinématographique à part entière. Soit des films bobos new-yorkais racontant la vie d’une grande fille dégingandée, trop diplômée pour avoir les pieds sur terre, trop complexée pour être sereine et trop exigeante pour être épanouie. Bref une Woody Allen blonde et jeune.

La réussite de Frances Ha était totale. Mistress America transformait l’essai.  Maggie’s plan crée-t-il une franchise ?

On aurait aimé le croire alors que Greta Gerwig est rejointe en haut de l’affiche par des stars reconnues : Ethan Hawke (dont la carrière alterne films hollywoodiens pas idiots et films indépendants CSP++) et Julianne Moore (dont il faut à tout prix entendre en VO l’hilarant accent danois).

Le problème est que le scénario du film de Rebecca Miller ne tient pas la route. Dans une première partie, la plus réussie, pétaradante comme un Woody Allen, on y suit une Maggie célibataire en mal d’enfant s’essayer à l’insémination artificielle avec le sperme d’un mathématicien producteur de cornichons (sic) avant de céder aux avances d’un anthropologue mal marié.
La seconde partie se déroule quelques années plus tard. Maggie s’est mariée avec son anthropologue et en a eu une petite fille dont les moues ravissantes ne suffisent pas à lui faire ignorer la faillite de son couple. Aussi se met-elle en tête – tel est le « plan » de Maggie annoncé dans le titre – de rabibocher son mari avec son ex-femme.

Cette histoire manque terriblement de crédibilité.  Pire : elle manque d’intérêt surtout quand elle prend un chemin de traverse au Québec, se payant le luxe d’oublier son héroïne sur le bord de la route. Comment réussir un « Greta Gerwig movie » sans Greta Gerwig ?

La bande-annonce