L’Affaire Abel Trem ★★☆☆

Abel Trem est un lycéen besogneux qui, malgré l’aiguillon de ses parents, révise sans conviction les épreuves du baccalauréat. Il sera collé à l’épreuve d’histoire, ne trouvant rien à dire aux deux sujets qui lui sont successivement proposés. Pour expliquer sa faillite à son père furieux, Abel invoque la remarque que lui a faite un examinateur qui l’a questionné sur la cocarde tricolore qu’il portait à sa boutonnière, un signe de reconnaissance des partisans du Fidesz, le parti conservateur de Viktor Orban. Monté en épingle et déformé, l’échec au bac d’Abel Trem vient aux oreilles d’une jeune journaliste qui en fait l’objet d’un article.

Après La Salle des profs, après Pas de vagues, on pourrait penser que L’Affaire Abel Trem est à nouveau un film sur l’école. Ce n’est qu’en partie vrai. Certes, il a pour héros un lycéen qui passe le bac. Mais, à la différence des films précités, il ne se passe pas entre les murs d’une école. J’ai lu par ailleurs que ce film racontait les conséquences d’un mensonge, le mensonge qu’Abel aurait fabriqué pour expliquer à son père son échec. Ce n’est là encore pas tout à fait exact à mon avis. Je ne crois pas qu’Abel mente. L’un des examinateurs l’a bien interrogé sur sa cocarde et Abel n’impute pas son échec à cette question. En vérité, il n’a été victime d’aucune discrimination en raison de ses opinions politiques réelles ou supposées. S’il a échoué au bac, c’est tout simplement parce qu’il s’y était mal préparé et n’a pas su traiter les sujets qu’il a tirés.

L’Affaire Abel Trem n’est donc pas un film sur l’école. Il ne s’agit pas non plus de restaurer la vérité autour d’un événement auquel plusieurs personnages donne une lecture différente (le fameux effet Rashomon). C’est plutôt l’histoire d’une rumeur qui se répand avant d’exploser. Si la rumeur croît, si la rumeur explose, c’est parce qu’elle est crédible. Ou plutôt, c’est parce que certains y croient spontanément ou ont intérêt à y croire : les pro-Orban y voient la confirmation d’être les cibles d’une gauche bien-pensante – ici incarnée par Jakab, ce professeur d’histoire au look d’hipster barbu à catogan.

Le récit est raconté en plans serrés et en dix chapitres polyphoniques, mettant en scène successivement Abel, son père, un architecte pro-Orban, son professeur d’histoire, au contraire anti-Orban, et la journaliste dont l’article mettra le feu aux poudres. Abel Trem est bien le héros de ce film choral. Le rôle est particulièrement ingrat : Abel, avec ses trois poils de moustache, est un ado mal dans sa peau, en situation d’échec scolaire, qui se consume d’amour pour l’une de ses camarades, qui, elle, n’a d’yeux que pour son beau professeur d’histoire. La toute dernière scène souligne l’enjeu du film du point de vue de son réalisateur. Mais, l’accomplisserment d’Abel est moins intéressant que le rapport des forces en Hongrie entre pro- et anti-Orban qui éclate lors de la scène de confrontation entre le père et le professeur. C’est, pour moi, là que se situe l’enjeu du film.

La bande-annonce

Et plus si affinités ★★☆☆

Xavier (Bruno Campan) et Sophie (Isabelle Carré) forment un couple vieillissant. Avec les années, le désir s’en est allé et, avec lui, la tendresse qui les unissait l’un à l’autre. Ce soir-là, la mauvaise humeur de Xavier, professeur de musique aigri, compositeur raté, est encore accrue par la décision que Sophie a prise : inviter à dîner Alban (Pablo Pauly) et Adèle (Julia Faure) leurs nouveaux voisins dont les retentissants ébats nocturnes les réveillent chaque nuit.

Aimez-vous le théâtre de boulevard ? celui qu’on regardait jadis à la télévision, avec les décors de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ? celui qui a disparu des petits écrans mais survit toujours à Paris et – si la pièce y a marché – en tournée en province ? celui qui mettait en scène, dans des appartements bourgeois, des couples joyeusement infidèles ? Alors courez voir cette pièce de théâtre filmé qui coche toutes les cases du genre : l’unité de temps, de lieu et d’action (l’histoire se déroule tout entière le temps de ce repas entre voisins), mais surtout le comique de situation et l’alignement pétaradant des bons mots.

Quant aux autres…. à ce stade, vous pourriez penser, cher lecteur, que ma critique s’arrêterait ici. Mais avec votre oeil de lynx, vous avez déjà constaté qu’elle comptait encore deux paragraphes. C’est le signe donc que cette comédie n’est pas à jeter, qu’elle pourra séduire au delà du cercle – réduit et vieillissant – des nostalgiques de Au théâtre de ce soir.
Car, il faudrait être sacrément bégueule pour ne pas avoir ri une seule fois devant ce film-là – même si, comme souvent hélas, les meilleures punchlines sont dans la bande-annonce. Et sacrément insensible pour ne pas avoir été touché par le couple égrotant que forment Xavier et Sophie.

Voici donc, une fois reformulée, ma recommandation : sauf à être absolument allergique au théâtre de vaudeville, courez voir Et plus si affinités !

PS : Une réplique m’a brisé le cœur : « 24 ans »

La bande-annonce

La Vie de ma mère ☆☆☆☆

Pierre (William Lebghil) a la trentaine déjà bien entamée. Pourtant, il peine encore à se stabiliser. Professionnellement : la fleuristerie qu’il a reprise n’a pas encore atteint le point d’équilibre. Sentimentalement : il ne parvient pas à se déclarer à Lisa (Alison Wheeler). La raison de ces blocages réside dans sa relation compliquée à sa mère (Agnès Jaoui) qui revient brutalement dans sa vie, après deux ans d’absence. Gravement bipolaire, elle vient de s’échapper du centre psychiatrique où elle avait été internée. C’est à Pierre qu’il incombe de l’y reconduire.

Je suis allé hier en traînant les pieds voir, dans une salle pourtant comble, La Vie de ma mère, quatre semaines après sa sortie… et mes craintes se sont hélas avérées fondées. La Vie de ma mère fait partie de ces films dont tout le sujet tient dans sa bande-annonce et dans son pitch.

Aucune surprise ne doit en être attendue. Ni dans le jeu des acteurs : Agnès Jaoui surjouera encore plus ce qu’elle a l’habitude de jouer – la mamma attachante et exaspérante – et William Lebghil endossera le rôle pas si ingrat du fils chargé de fliquer sa mère, entre rodomontades et attendrissement lacrymal. Ni dans le scénario, une « comédie de l’empêchement » dont l’issue – le retour de Judith dans son HP – est sans cesse contrariée par une série d’obstacles, une halte dans une station-service qui tourne en eau de boudin, un passage sur la tombe du grand-père, un coucher de soleil sur la dune du Pilat, etc. À chaque fois que Pierre est sur le point d’atteindre son but, il suffit au spectateur d’un coup d’oeil à la montre pour savoir s’il y parviendra ou pas encore.

Il y a cinq ans, le même film avait déjà été tourné où s’était fracassée Fanny Ardant, perdue dans un cabotinage gênant, Ma mère est folle. Sur la bipolarité, ceux qui en souffrent et ceux qui doivent au quotidien la prendre en charge, était autrement convaincant Les Intranquilles avec Damien Bonnard et Leïla Bekhti.

La bande-annonce

Bis repetita ★☆☆☆

Delphine (Louise Bourgoin) est une agrégée de lettres classiques désabusée qui a passé un pacte avec la bande de cinq élèves paresseux qu’elle se coltine depuis la classe de seconde : en échange de la paix royale qu’ils lui laissent, elle leur met à tous 19 de moyenne. Mais son stratagème se retourne contre elle lorsque ces résultats exceptionnels qualifient ses élèves pour une compétition internationale de latin organisée à Naples. Leur ignorance crasse risque d’éclater au grand jour. D’autant que Rodolphe (Xavier Lacaille), le propre neveu de la directrice (Noémie Lvovsky), qui termine une thèse sur l’apprentissage immersif du latin, est du voyage.

Je suis surpris des bonnes critiques de ce film que je lis dans Le MondeTélérama ou Première. Sans doute Bis Repetita est-il une comédie gentillette. Mais il ne mérite pas tant d’éloges.

Son sujet n’est guère crédible. Si on peut encore concevoir qu’une professeure surnote ses élèves, on imagine mal comment leur nullité ne serait pas révélée dès la première épreuve du concours international auquel ils doivent participer. Le scénario s’en sort avec des gags dignes des Sous-doués passent le bac : ils me faisaient rire quand j’avais dix ans, nettement moins passés les cinquante !

Son motif n’est guère plus convaincant. On redoute d’ailleurs que Bis Repetita ne tourne à la pétition pour la défense de l’enseignement du latin au collège, dans le style des blagounettes qui circulent régulièrement sur les réseaux : « à quoi me servirait d’apprendre le latin pour étoffer mon curriculum vitae ? ». D’ailleurs le scénario semble ne pas y croire vraiment qui ne nous sert pas de cette soupe-là, au risque de la contradiction interne : Bis Repetita (pourquoi diable ce titre ? Pourquoi pas à ce compte « Mare Nostrum » ou « Alea Jacta Est » ?) est un film sur l’enseignement du latin qui ne se donne même pas la peine de défendre l’enseignement du latin.

Restent le film d’ados, vu et revu, avec ces cinq lycéens, échantillon représentatif de la jeunesse d’aujourd’hui (la black de service, la punk taiseuse, l’homo, le rappeur et le blondinet timide), qui peinent à sortir de l’enfance, et la comédie romantique improbable, qu’on voit venir à des kilomètres, qui se soldera par la réunion de ses deux héros, en dépit de leurs différences (d’âge, de taille… pour ne citer que ces deux-là).

Je m’en serais arrêté là et aurais poussé un « coup de gueule » énervé s’il n’y avait pas eu Louise Bourgoin. J’ai pour elle, depuis ses débuts il y a une quinzaine d’années dans La Fille de Monaco, les yeux de Chimène. Sa seule présence au générique suffit à me faire perdre toute objectivité. Je trouve qu’elle respire la classe. Sa démarche me rappelle Sandrine Kiberlain – et les girafes du parc d’Amboseli. Elle a une manière de hausser le sourcil (droit), elle a un rire qui me remuent. Son rôle ici a une vraie profondeur et réussit à jouer aussi bien sur les tableaux de la comédie que du drame. Mais je ne suis pas crédible en cherchant dans le scénario les raisons de mon éblouissement : elle lirait le Bottin qu’elle me subjuguerait encore.

La bande-annonce

La Nouvelle Femme ★☆☆☆

Lili d’Alengy (Leïla Bekhti) est une cocotte parisienne qui cache un secret : elle a une fille déficiente mentale, Tina, confiée aux soins de sa mère. Mais à la mort de celle-ci, Lili , encombrée de Tina, n’a d’autre solution, pour éviter que ce secret honteux ne s’évente, que de quitter Paris pour Rome, où un riche marquis lui a proposé de l’héberger en échange de la jouissance de ses charmes.
Dans la capitale italienne, Lili rencontre Maria Montessori (Jasmine Trinca) qui tient un établissement d’éducation pour les jeunes déficients. Comme Lili, Maria cache un secret : l’enfant qu’elle a eu avec le professeur Montesano, le directeur de l’institut qu’elle a refusé d’épouser par hostilité au mariage et à l’assujettissement de la femme qu’il signifie à l’époque.

Comme tout le monde, j’ai entendu parler de la méthode Montessori, une méthode d’éducation originale, qui insiste sur le développement de l’autonomie de l’enfant (J’ai d’ailleurs l’impression qu’on en parlait plus souvent il y a vingt ans qu’aujourd’hui). Mais j’ignorais ses origines. J’ignorais qu’elle avait été inventée par une femme au début du siècle dernier. J’ignorais également que Maria Montessori avait d’abord travaillé auprès d’enfants neuro-déficients – ainsi qu’on désigne aujourd’hui dans notre novlangue policée les « idiots » d’hier.

Se fondant sur des faits historiques – Maria Montessori a en effet conçu un enfant hors mariage avec le professeur Montesano et a dû le placer en nourrice dans la campagne romaine – la réalisatrice et scénariste Léa Todorov, qui signe ici son premier long métrage de fiction après plusieurs documentaires, a la curieuse idée de lui adjoindre une demi-mondaine parisienne. Sans qu’il soit besoin de dériver dans l’anti-wokisme et de pointer ses origines maghrébines, Leïla Bekhti n’est pas très crédible dans ce rôle. Pourquoi avoir inventé de toutes pièces cette Française, cette courtisane, et la mettre dans les pattes de la vaillante éducatrice italienne ? Fallait-il une autre mère, une autre femme, un autre enfant caché ? Et si oui, pourquoi diable ne pas aller les chercher dans la haute bourgeoisie romaine tout simplement ?

Sans doute Jasmine Trinca, l’une des valeurs les plus sûres du cinéma italien contemporain (elle a remporté deux fois en 2018 et 2020 le Donatello, l’équivalent de nos César, pour Fortunata et Pour toujours que je n’avais aimés ni l’un ni l’autre) fait-elle impeccablement le job. Mais son énergie ne suffit pas à instiller un peu de fièvre à un film en costumes bien mollasson, qui se traîne sans surprise, du début jusqu’à sa fin.

La bande-annonce

Paternel ★★☆☆

Prêtre à Auxerre, Simon (Grégory Gadebois) se dévoue corps et âme à ses paroissiens. Au beau milieu de l’enterrement de l’un d’entre eux, Louise (Géraldine Nakache), avec qui il avait eu une liaison, douze ans plus tôt, avant son ordination, revient dans sa vie et lui présente son fils, Aloé. Elle lui demande de le reconnaître.

Le cinéma décidément aime à s’emparer des sujets de notre temps. L’Eglise en est un. Grâce à Dieu documentait le combat mené par les victimes d’abus sexuels commis par le père Preynat et couverts par l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin. Magnificat, que je n’ai pas vu tant les critiques qui ont accompagné sa sortie l’été dernier étaient cinglantes, avait pour héroïne une femme cachant son sexe pour devenir prêtre.

Paternel (qui aurait pu s’appeler Mon père) interroge le célibat des prêtres et l’obligation de chasteté « parfaite et perpétuelle » à laquelle ils sont tenus, une règle instaurée depuis le XIème siècle dans l’Eglise catholique. Le droit canonique est plus flou sur une éventuelle paternité. On conçoit aisément qu’elle suppose une violation du devoir de chasteté si la paternité intervient après l’ordination et qu’elle est donc, dans cette hypothèse, interdite. Mais quid d’une paternité intervenant avant l’ordination, par exemple pour des veufs auxquels la procréation dans le cadre du mariage ne serait entachée d’aucun manquement ? Ont-ils le droit de devenir prêtre ou le fait d’avoir des enfants le leur interdit-il ?

Rassurez-vous cher lecteur : Paternel ne s’enferme pas dans les arguties juridiques qui font le bonheur d’un conseiller d’Etat en exercice ou d’un vice-président honoraire (dont le rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise qu’il a rédigé est dûment cité dès les premières minutes du film) qui en ont devisé ensemble jeudi soir sous la pluie. Beaucoup plus classiquement, Paternel décortique le dilemme auquel Simon est confronté lorsqu’il apprend brutalement sa paternité : devoir renoncer à sa vocation pour assumer sa paternité.

Paternel a un immense mérite. Il documente avec une grande précision et, autant que j’en puisse juger malgré ma médiocre expérience, sans la caricaturer, la vie quotidienne d’un prêtre. Il en montre la grandeur et les servitudes : les offices qui se succèdent, les sollicitations des fidèles, la vie à la cure, en compagnie d’un autre prêtre (l’excellent Lyes Salem) et de l’intemporelle « bonne du curé » (interprétée par Françoise Lebrun qu’on n’a jamais autant vue sur les écrans que depuis qu’elle approche ses quatre-vingts ans), la solitude sentimentale aussi…

Paternel a néanmoins un grave inconvénient : on en connaît par avance l’issue. Gregory Gadebois est un gros nounours si attachant, la foi chrétienne qui l’inspire est tellement soucieuse de l’Autre et généreuse dans l’amour qu’elle lui porte, qu’on n’imagine pas un instant que Simon puisse fermer sa porte à son enfant. Il suffit de jeter un oeil à l’affiche, à la bande-annonce et à cette critique (!) pour que tout suspense – si suspense il y eût – soit éventé.

La bande-annonce

Pas de vagues ★★☆☆

Julien (François Civil) est un jeune et enthousiaste professeur de français. Dans le collège de banlieue où il est affecté, il essaie de transmettre sa passion à ses élèves, pas toujours faciles. Mais un beau jour, Leslie, une élève taiseuse, écrit une lettre à la CPE : elle reproche à son professeur de lui avoir fait des avances. Bientôt une plainte est déposée à la police. Très vite, Julien se retrouve seul face à ces accusations infondées : face au frère aîné de Leslie, un voyou psychopathe qui le menace de mort, face à la police qui refuse d’enregistrer sa propre plainte, face aux autres parents d’élèves parmi lesquels la suspicion monte, face à ses collègues qui, après lui avoir spontanément manifesté son soutien, remettent en cause ses méthodes pédagogiques transgressives, face à son directeur enfin qui rechigne à lui accorder la protection fonctionnelle qui lui permettrait de payer un avocat pour sa défense…

La salle de classe est devenue le lieu où se cristallisent bon nombre de tensions qui traversent nos sociétés. Les questions de laïcité, de masculinité, d’autorité sont plus brûlantes qu’ailleurs dans ce lieu où est censée régner l’égalité républicaine et où chaque parent nourrit l’espoir légitime que son enfant trouvera l’éducation qui lui permettra de trouver sa place dans le monde.

Le cinéma a toujours été un miroir tendu à notre société. Il le montre en multipliant ces jours-ci les films sur l’école : l’excellent film allemand La Salle des profs, que je recommande chaudement, le hongrois L’Affaire Abel Trem, sorti le même jour que Pas de vagues, et que j’irai voir ce week-end, en attendant le belge Un esprit libre programmé le 17 avril.

Pas de vagues est un film d’une brûlante actualité. Il résonne avec le mouvement #MeToo. Il en est d’ailleurs devenu, à son corps défendant, une cible : l’annonce de sa sortie a suscité ses critiques, le reproche étant fait à son scénario de minorer la voix de la jeune victime qui dépose plainte contre son professeur. Il résonne aussi avec l’inquiétude grandissante dans le corps enseignant d’être désormais la cible d’une violence aveugle : les assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Dominique Bernard en 2023 l’ont dramatiquement montré. Pas plus tard que cette semaine, un fait divers fait la une de la presse et provoque même une sortie du Premier ministre au 20 heures mercredi dernier : le proviseur du lycée Maurice-Ravel à Paris, menacé de mort sur les réseaux sociaux pour avoir demandé à une élève de retirer son voile, qui avait déposé une plainte vite classée sans suite mais montée en épingle, a préféré démissionner de ses fonctions.

C’est cet étouffant engrenage que raconte non sans efficacité Pas de vagues. Des faits anodins sont grossis pour transformer un jeune professeur plein de zèle en suspect sinon en coupable. Chaque tentative qu’il entreprend pour s’innocenter l’enfonce un peu plus. Les appuis sur lesquels il espérait pouvoir compter lui font défaut l’un après l’autre.

On ne saurait reprocher au film un quelconque manichéisme. Julien, interprété avec la fougue toute mousquetairienne qu’on lui connaît et le charme de François Civil, a eu le tort de vouloir travailler « hors du cadre ». La jeune Leslie quant à elle n’est pas une mythomane. Même si elle s’est trompée sur l’attitude de son professeur, sa parole doit être entendue.

Plutôt que son manichéisme, c’est par sa prévisibilité que Pas de vagues pèche. Ce film se réduit à un seul argument : un enseignant, lâché par sa hiérarchie, se bat sans succès contre l’accusation infondée d’une de ses élèves. Dès le pitch, dès la bande-annonce, tout est écrit. Et tout se déroulera sans surprise jusqu’à un dénouement frustrant qui nous laissera sur notre faim/fin. La Salle des profs précité était autrement plus riche grâce à toutes les bifurcations inattendues qu’il savait ménager.

La bande-annonce

The Sweet East ☆☆☆☆

Lilian (Talia Ryder) est une jeune lycéenne sans histoire qui profite d’un voyage de classe à Washington DC pour prendre la clé des champs. Sa folle errance du New Jersey au Vermont la conduira chez des hippies antifas, des suprémacistes blancs, un prof de fac libidineux, des artistes noirs hyperbranchés et finalement dans un camp d’entraînement de musulmans en armes.

The Sweet East est un pur produit indie qui en a la fraîcheur, la spontanéité, mais aussi les tares jusqu’à la caricature. La rumeur bienveillante qui l’entoure est largement exagérée. Il est filmé avec un amateurisme revendiqué qui rappelle les projets de fins d’études, filmés à l’arrache par une bande délirante de copains, avec deux bouts de ficelle et de mauvais raccords.

Le scénario s’inspirerait d’Alice au pays des merveilles, l’histoire d’une innocente jeune fille passée de l’autre côté du miroir. C’est surtout le prétexte à une succession sans gradation de saynètes, une collection de tout ce que l’Amérique compterait de plus déjanté. Cette accumulation porte-t-elle un message politique ? décrit-elle une Amérique en déréliction, fragmentée en une myriade de groupuscules tous plus extrémistes ? Même pas.

Prix du jury au dernier festival de Deauville, The Sweet East se contente de surfer d’une histoire à l’autre, sans s’attarder ni rien approfondir. Les épisodes que traverse son héroïne ne la touchent pas. Ils ne nous touchent pas non plus.

La bande-annonce

Le Jeu de la reine ★★☆☆

Catherine Parr (Alicia Vikander) est la sixième et dernière épouse du roi Henry VIII (Jude Law). Obèse, affligé par la goutte, le roi quinquagénaire est au crépuscule de sa vie. De furieuses colères l’emportent qui le conduisent à des décisions insensées qui tétanisent son entourage. Une guerre d’influence se joue en coulisses autour de sa succession, imminente, qui pourrait échoir à Edouard, le fils qu’il a eu avec Jane Seymour, ou bien à Marie, son aînée, fille de sa première épouse Catherine d’Aragon, dont l’accession au trône signifierait le retour de la Couronne au catholicisme, ou encore à Elizabeth, la fille d’Anne Boleyn, exécutée trois ans après sa naissance.

Si l’on connaît un peu l’histoire d’Angleterre, ou la célèbre comptine « Divorced, Beheaded, Died…. », on connaît par avance le destin de Catherine Parr. Son personnage a été éclipsé par ceux plus tragiques de Catherine d’Aragon ou d’Anne Boleyn, et la fin du règne d’Henry VIII est moins documentée que la naissance de l’anglicanisme. C’est pourtant sur elle que le réalisateur brésilien Karim Aïnouz (La Vie invisible d’Eurídice Gusmão) décide de braquer les feux en adaptant l’épaisse biographie d’Elizabeth Fremantle.

L’interprétation de Jude Law, méconnaissable, est impressionnante. Le visage mangé par sa barbe, le corps déformé par la maladie, c’est un ogre malfaisant, imprévisible et tyrannique. Alicia Vikander a du mal à exister face à un tel monstre. Son rôle, ingrat, la réduit à la passivité.

Si Le Jeu de la reine est un film historique en costumes, il ne sort jamais du château où le roi et la Cour se sont réfugiés pour échapper à une épidémie de peste (l’épisode est apocryphe, l’épidémie de peste qui força Henry VIII à quitter Londres eut lieu vingt ans plus tôt et le roi mourut dans son palais de Whitehall au centre de la capitale anglaise). Accusée de soutenir les radicaux, Catherine Parr est prisonnière de ces murs, avec ses demoiselles de compagnie et les trois enfants du roi qu’elle a pris sous sa protection.

Le Jeu de la reine est un film très maîtrisé. On serait bien mesquin de lui reprocher les libertés qu’il prend avec l’Histoire, s’agissant notamment des circonstances de la mort du roi. En compétition à Cannes l’an dernier, il n’a pas soulevé l’enthousiasme et n’a décroché aucune récompense. Sa froideur, son austérité sont les causes de cette désaffection.

La bande-annonce

Dans la peau de Blanche Houellebecq ★★☆☆

L’écrivain Michel Houellebecq se voit offrir la possibilité de fuir la grisaille de l’hiver parisien pour aller assister en Guadeloupe à un improbable concours de ses sosies. Il y retrouve la présidente du jury, Blanche Gardin. Entre les deux stars que tout oppose, la complicité se noue grâce aux péripéties qu’elles traversent.

C’est la troisième fois que Guillaume Nicloux fait tourner Michel Houellebecq dans son propre rôle. La première, c’était en 2013, pour Arte, dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq. La deuxième, en 2019, il le confrontait à Gérard Depardieu dans Thalasso et le duo y faisait des étincelles. On imagine aisément les arguments qu’il a déployés auprès de l’écrivain pour le convaincre de rempiler une troisième fois :
– « Le tournage se déroulera à la Guadeloupe ! On ira faire de la plongée ! »
– « Ah bon ? Ca me tente pas trop ! J’ai peur de l’avion. Et puis j’ai un rendez-vous avec mon dentiste »
– « Allez ! Tu rencontreras Blanche Gardin ! Elle est incroyable ! »
– « Bon… alors je vais y réfléchir peut-être…. »

Le résultat est désopilant, à mi chemin de la pure fiction et du documentaire. On aimerait jeter un oeil au scénario pour savoir ce qui en a été écrit et la part de l’improvisation.

Michel Houellebecq, la mine cadavérique, le cheveu filasse, la peau huileuse, plus Droopy que jamais, mais pas si impotent que je l’imaginais, promène son costume essoré sous les tropiques et manque se noyer dans la piscine où il plonge lourdement alcoolisé alors qu’il ne sait pas nager. Beaucoup plus ingambe (elle a vingt ans de moins que lui), Blanche Gardin forme avec l’écrivain un attelage surprenant mais efficace. Elle cède volontiers à l’autoparodie sans pour autant s’en laisser compter, assénant à Houellebecq ses quatre vérités quand il s’égare avec Michel Onfray : « Arrêtez de donner des interviews, écrivez des livres et fermez votre gueule ». Le duo est lesté d’un troisième larron, Luc Schwartz, un improbable gitan juif (ou corse ?), aux faux airs de Patrick Sébastien, qui joue le rôle de l’impresario (du garde du corps ? du garde-malade ?) de Michel Houellebecq.

Le scénario du film est un prétexte. Il contient des rebondissements dont on aurait pu faire l’économie. Ainsi d’un sombre trafic dans lequel Luc Schwartz est impliqué qui va mettre la police guadeloupéenne aux trousses du trio. Ainsi aussi – un aspect du film plus intéressant mais pas assez creusé – d’une réflexion ébauchée sur la situation post-coloniale de la Guadeloupe, le racisme anti-Noir et anti-Blanc qui y prévaut, ses aspirations à l’indépendance… L’intérêt du film, le seul en vérité, est dans les scènes qui mettent face à face les deux stars où le cynisme neurasthénique du premier et la répartie pétaradante de la seconde font des étincelles.

La bande-annonce