Le Festin nu (1991) ★★☆☆

En 1953, à New York, William Lee (Peter Weller, devenu alors récemment célèbre dans le rôle titre de Robocop) replonge dans la drogue quand sa femme (Judy Davis) le convainc , comme elle le faisait jusqu’alors en cachette, de s’injecter l’insecticide qui lui est fourni par la société qui l’emploie comme exterminateur. La consultation d’un charlatan, le Dr Benway (Roy Scheider, garde-côte d’anthologie dans Les Dents de la mer), qui au lieu de soigner son addiction l’y enfonce, le désoriente encore un peu plus. Après avoir tué accidentellement sa femme, Lee se retrouve en Interzone, un Maghreb de cauchemar dont Lee serait devenu l’agent involontaire. Il y tape ses rapports sur des machines à écrire mi-mécaniques, mi-organiques qui se révèlent posséder une vie à part entière.

J’avais raté Le Festin nu à sa sortie en 1992. Je me souviens même avoir failli le voir avec mon ami Henri à ce qui n’était pas encore l’UGC Ciné Cité Les Halles et qui s’appelait je crois le Forum Horizon. Pour une raison que j’ai oubliée, nous avions changé d’avis et étions allés faire (ou voir ?) je ne sais quoi. Sa reprise en salles, près de trente ans plus tard, me permet enfin de l’y voir. Filmé dans des 50ies de carton-pâte, il n’a pas pris une ride. La patte de Cronenberg y est immédiatement identifiable avec son obsession gore pour des créatures visqueuses et cauchemardesques.

Cronenberg est un artisan qui, avant les progrès que les technologies permirent depuis, bricolait à la main ses effets spéciaux. Les créatures improbables du Festin nu n’ont pas été dessinées à la palette graphique mais réalisées à l’échelle avec du latex et de la colle. Le procédé donne à l’image un côté un peu vieillot, un peu amateur.

L’univers halluciné de Burroughs est parfaitement raccord avec celui du réalisateur canadien qui était alors à l’apogée de sa carrière, à l’approche de la cinquantaine, après les succès de La Mouche et de Faux-semblants. Si son film porte le titre du plus célèbre roman de Burroughs, il assemble en fait des éléments tirés de plusieurs autres livres : JunkyExterminatorQueerInterzone
Wikipedia présente, mieux que je ne saurais le faire, le livre de Burroughs : « Le Festin nu se veut une descente cauchemardesque dans l’esprit d’un junkie, transcendant la forme classique du roman en le déstructurant, maltraitant la forme et le fond, donnant chair à ses divagations morphinisées dans des allégories oscillant de la science-fiction à la tragédie, parlant de modifications corporelles, d’orgies homosexuelles, de complots et de créatures angoissantes, dans un pays étrange, lieu de toutes les folies, nommé Interzone. »

Ce résumé conviendrait parfaitement au film de Cronenberg. Paradoxalement, la rencontre de cet écrivain sous emprise et de ce réalisateur visionnaire, si elle donne naissance à un univers fantastique à nul autre pareil, produit un résultat assez sage dont la clé se comprend (trop) aisément : William Lee est le double autobiographique de Burroughs qui, à Tanger au Maroc, au mitan des 50ies, y teste toutes sortes de drogues, assume ouvertement son homosexualité et tente avec sa machine à écrire de mettre des mots sur les expériences qu’il traverse.

Le Festin nu est aujourd’hui un film-culte. Il n’a pas volé ce statut. Mais je m’attendais à un spectacle plus déjanté que celui, somme toute très raisonnable qu’il nous propose.

La bande-annonce

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