Carmen ☆☆☆☆

Carmen (Melissa Barrera) est une jeune Mexicaine qui décide, à la mort de sa mère, de gagner les Etats-Unis. Elle franchit illégalement la frontière et doit la vie sauve à Aidan (Paul Mescal), un Marine américain traumatisé par son expérience en Afghanistan, qui tue pour la défendre un garde-frontière américain.
Carmen et Aidan, poursuivis par la police, gagnent ensemble Los Angeles où ils sont accueillis par Masilda (Rossy de Palma) dans son cabaret.

Benjamin Millepied, danseur étoile du New York City Ballet, directeur de la danse de l’Opéra de Paris – et époux de Natalie Portman à la ville – à la réalisation, Nicholas Britell (Moonlight) à la musique, Jörg Widmer (Une vie cachée) à la photo, Alexander Dinelaris Jr. (Birdman) au scénario, la révélation Paul Mescal (Aftersun) en tête d’affiche dans un film produit par Dimitri Rassam (Les Trois Mousquetaires) et tourné dans l’outback australien.

On attendait énormément du premier film du chorégraphe français dont le moins qu’on puisse dire est qu’il sait s’entourer.
La déception est à la hauteur de cette attente peut-être excessive.
Très vite Carmen – dont le lien avec le prestigieux opéra de Bizet se révèle des plus ténus – dévoile son projet : non pas une brûlante histoire d’amour et de sang, mais un interminable clip publicitaire. Millepied est peut-être un grand danseur mais c’est un bien piètre réalisateur qui imagine qu’il suffit de tournoyer autour des artistes pour filmer la danse et en faire ressentir la majesté.

Très vite on se désintéresse de tout : du scénario, sans surprise, de la musique dont aucune page ne rivalise avec celle qu’elle est censée immortaliser, de la chorégraphie qui s’insère artificiellement au récit. Seule l’apparition de l’étonnante Rossy de Palma – qui approche pourtant les soixante ans – vient nous réveiller de la torpeur dans laquelle ce gloubi-boulga sans corps ni âme nous a plongé.

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Le Processus de paix ★☆☆☆

Marie (Camille Chamoux) anime une émission de radio féministe. Simon (Damien Bonnard) enseigne l’histoire (ou les sciences politiques ?) à l’Université. Ils sont amoureux, en couple depuis une dizaine d’années, parents d’une fille et d’un garçon en bas âge aussi charmants que turbulents… et ne se supportent plus ! Les travers de l’autre, ses petits défauts véniels sur lesquels ils fermaient les yeux jusqu’à présent au nom des inévitables concessions que la vie en couple exige leur sont devenus intolérables. Est-ce le signe de la fin inéluctable de leur relation ? ou trouveront-ils les moyens de dépasser cette crise en rédigeant ensemble puis en mettant en oeuvre une « charte du couple » ?

J’avais eu la dent dure avec le précédent film d’Ilan Klipper, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, qui mettait en scène un écrivain sans succès interné d’office en hôpital psychiatrique. Je l’aurai presqu’autant avec celui-ci malgré l’insistance des amis qui l’ont aimé et qui ont essayé sans succès d’infléchir ma sévérité. J’avais reproché au Ciel étoilé… d’être « un de ces petits films français comme on en filme treize à la douzaine » et pourrais au mot près adresser la même critique à ce Processus de paix qu’on aura oublié avant la fin du mois – et je doute que la Fête du cinéma le sauve d’un naufrage au box-office. Pas sûr que son public-cible, les trentenaires, accepte de prendre une baby-sitter et de lui consacrer leur seule sortie cinéma du mois, même si la concurrence en ce juin tristounet n’est pas féroce…

Le Processus de paix traite d’un sujet mille fois rebattu : le couple et ses apories. Le résumé qui en barre l’affiche, à la syntaxe pachydermique, voudrait moderniser un défi vieux comme Adam et Eve : « Qu’est-ce qu’on fait quand on s’aime et qu’on peut plus se blairer ? ». U2 l’avait dit avec moins de mots et plus de style : « With or without you ».

Marie et Simon s’aiment – ça ne saute pas aux yeux – mais s’engueulent beaucoup – ça s’entend beaucoup. Que faire aurait dit Lénine ? La solution traverse l’esprit de Simon tandis qu’il enseigne à ses étudiants, entre deux piquets de grève, les conflits israélo-palestiniens : signer un protocole de paix. La métaphore est lourdingue : le couple est comme la vie une guerre permanente que pourront peut-être interrompre les belligérants s’ils acceptent de s’asseoir autour d’une table et de négocier de bonne foi. C’est ce que raconte, sans rougir, Illan Kepler en interview qui confie avoir commencé une thèse sur le processus de paix israélo-palestinien et avoir rencontré Ehud Barak qui lui a raconté les relations interpersonnelles qui se tissaient entre les plénipotentiaires.

Me frappe un paradoxe, sinon une contradiction qui renvoie plus au film lui-même qu’à l’époque dans laquelle nous vivons et avec laquelle, l’âge aidant, je me sens de plus en plus en décalage. D’un côté, notre époque semble obsédée par le couple, la façon de rencontrer l’Elu.e, de nouer une relation, de la faire vivre malgré les obstacles qui s’accumulent. De l’autre le nombrilisme, le narcissisme prévaut ; chacun s’auto-analyse et instruit contre l’autre un procès en égoïsme qui n’est que le miroir de ses propres travers.
Il y a dans l’hystérie – je pèse mes mots – de Marie et de Simon trop de bruit et de fureur, trop d’énervements à des petits riens qui ont tôt fait de nous gâcher la vie si on leur donne trop d’importance (est-il si grave que son conjoint ne referme pas le tube de dentifrice ?), trop d’attachement au couple lui-même qui ne saurait constituer le seul moyen de s’épanouir, à l’exception des amis, des sorties, des loisirs, du travail qui peuvent, autant que lui, donner du sens et du sel à la vie – et dont Le Processus de paix ne dit rien -, pas assez de respect pour l’autre, pour son irréductible différence qui donne du prix à sa singularité (faut-il partager les mêmes opinions pour s’aimer ?), pour la part de mystère dont il sait encore s’entourer et qui ajoute à son charme ?

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L’Odeur du vent ★★★☆

Dans une vallée reculée du Sud-Ouest iranien, un herboriste privé de l’usage de ses jambes s’occupe seul de son fils tétraplégique. L’électricité tombe en panne. Il parvient, non sans mal, à appeler un technicien qui va tout mettre en oeuvre pour la rétablir.

Le cinéma iranien, ou du moins ce que nous en connaissons hors des frontières de ce pays si hostile, à la population pourtant si hospitalière, se divise grossièrement en deux branches. La première est urbaine et se nourrit du rythme trépidant de villes qui ne dorment jamais pour raconter des histoires compliquées dont les héros sont confrontés à d’inextricables dilemmes moraux et pour faire, en passant, la critique subtile du régime des mollahs. Elle est incarnée par Ashgar Farhadi (Une séparation, Un héros) Saeed Roustaee (La Loi de Téhéran) ou Mohammad Rassoulof (Le diable n’existe pas). L’autre est rurale, moins politique et filme en longs plans, fixes ou depuis le siège passager d’une voiture cahotant sur des chemins cabossés, la nature immuable dans laquelle les hommes vainement s’agitent. Cette veine-là est dominée par l’ombre encombrante d’Abbas Kiarostami (Au travers des oliviers, Le Goût de la cerise). [Où se situent les films de Jafar Panahi , qui sont aussi urbains (Taxi Téhéran) que ruraux (Aucun ours) me demanderez-vous avec la joie de me coincer ? Entre les deux rétorquerai-je en ayant conscience de répondre par un tour de passe-passe à cette question qui souligne la grossièreté de la dichotomie que j’ai suggérée]

Ce film de Hadi Mohaghegh, son quatrième, mais le premier diffusé en France, s’inscrit clairement dans cette seconde branche qu’on pourrait qualifier de kiarostamienne. On y voit en longs plans fixes de splendides paysages d’une nature majestueuse et quasi désertique. Un chemin parfois s’y dessine, goudronné ou pas, où circule lentement une voiture, une moto ou un piéton. Sa lenteur témoigne à la fois de son impuissance et de sa persévérance.

Car L’Odeur du Vent met en scène la petitesse de l’homme face à la nature et sa capacité sinon à en devenir le maître du moins à venir à bout à force de ténacité des obstacles qu’elle lui oppose. L’Odeur du Vent est une fable sur la bonté humaine. Elle raconte tout simplement comment Eskandari, agent 752, va tout mettre en oeuvre pour que l’électricité de l’herboriste lui soit rétablie. Attention ! Qu’on n’imagine pas ici des rebondissements hollywoodiens et rocambolesques. Il s’agira tout simplement – si on ose dire – d’aller chercher une douille dans un autre village pour réparer le transformateur en panne, de se tromper d’adresse, de rebrousser chemin, de s’embourber dans une rivière à gué, de croiser en chemin un aveugle et de l’accompagner à un rendez-vous galant, de découvrir, une fois la douille remplacée, qu’une fuite d’huile empêche le courant de revenir alors que la nuit tombe et que la maisonnée est plongée dans le noir, d’aller chercher un générateur, etc.

On ne racontera pas l’histoire jusqu’à son terme, même si le dénouement est proche ; car le film repose peut-être sur un minuscule suspense : oui ou non, le courant sera-t-il rétabli ?
Mais on aura compris que l’essentiel n’est pas là. Il n’est pas tant dans le résultat des efforts démesurés déployés par l’agent 752 que dans ses efforts eux-mêmes. Quel en est le ressort ? Qu’est-ce qui pousse cet homme à soudainement consacrer autant de temps et d’énergie à un résultat dérisoire ? N’a-t-il pas d’autres tâches urgentes à accomplir pour d’autres clients ? N’a-t-il pas une hiérarchie qui le surveille et qui pourrait s’émouvoir du temps gaspillé pour un seul client ? N’a-t-il pas une femme, des enfants, une famille qui l’attend ?

On n’en saura rien. Et ce refus de toute explication, de toute psychologisation participe de la réussite de ce film construit comme une parabole.
« Le Bien ne fait pas de bruit » dit-on. Qui ne croit ni en Dieu ni en l’Homme croira peut-être après avoir vu L’Odeur du vent, un film touché par la grâce.

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Faces cachées ☆☆☆☆

Rose (Ann Skelly, des faux airs de Julia Roberts jeune) est étudiante en école vétérinaire. Enfant adoptée, obsédée par la quête de ses origines, elle réussit à retrouver la trace de sa mère biologique, Ellen (Orla Brady), devenue actrice à succès, qui lui fait la plus traumatisante des confessions : Rose, prénommée Julie à sa naissance, est le fruit d’un viol perpétré par Peter Doyle (Aidan Gillen, iconique Littlefinger dans Game of Thrones), un célèbre archéologue.

Faces cachées (improbable traduction de Rose Plays Julie qui a autrement plus de sens) est un film irlandais sorti en Angleterre fin 2019 qui a mis plus de trois ans à traverser la Manche. Sorti le 24 mai, il avait disparu des écrans dès la semaine suivante. Tout cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille sur sa qualité. Pour autant, j’ai réussi à dénicher une séance improbable et à le voir dans une salle quasi-vide, mais délicieusement climatisée en ces temps de canicule.

Faces cachées se distingue du tout-venant télévisuel par sa forme très travaillée. La musique, le son parent le film d’un halo de mystère. Tout est clinique et froid dans cette Irlande lugubre, qui m’a rappelé la Norvège de Thelma, le film déroutant de Joachim Trier qui mettait lui aussi en scène une jeune étudiante désemparée. Mais cette forme sophistiquée (Marie Sauvion évoque à raison des « afféteries » dans sa critique de Télérama) est mise au service d’un scénario qui se veut haletant mais qui se révèle hélas très pauvre. Il se vautre lamentablement dans un épilogue aussi peu crédible qu’outrancier.

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Règle 34 ★★☆☆

Simone est une jeune Brésilienne. Avant d’assumer des fonctions de procureur, elle étudie le droit pénal et tout particulièrement les dispositifs législatifs permettant de combattre les violences domestiques. À ses heures perdues, chez elle, elle explore ses limites physiques et sexuelles sur le Net devant sa webcam.

La règle 34 stipule que, sur Internet, tout peut être détourné à des fins pornographiques, jusqu’aux objets et aux situations les plus prosaïques (la règle aurait été forgée, m’apprend Wikipédia, en réaction à une version X de Calvin and Hobbes).
J’avoue n’avoir pas compris clairement le sens de ce titre. Faut-il entendre que la Simone nocturne qui s’exhibe devant sa webcam est la version porno de la Simone diurne qui suit sagement des cours de droit ?

J’avoue aussi ne pas avoir compris grand chose à ce film sans doute trop intellectuel pour moi. La lecture du dossier de presse m’a éclairé et a donné à Règle 34 une profondeur que sa seule vision n’aurait pas suffi à révéler – ce qui pose au passage un problème artistique fascinant : comment apprécier la valeur et la qualité d’une œuvre qui serait incompréhensible au spectateur si elle ne lui était pas expliquée mais qui le devient une fois cette explication donnée ?

J’y ai appris beaucoup sur la loi Maria Da Penha (du nom de la pharmacienne brésilienne qui faillit périr sous les coups de son mari et demanda réparation en justice pendant plus de vingt ans) adoptée en 2006 pour combattre les violences domestiques. Son nom est prononcé plusieurs fois dans la VO ; mais les sous-titres la traduisent par une périphrase.

Dans son école de formation, Simone est initiée aux dispositifs légaux censés prévenir et sanctionner les violences sexuelles. Mais le soir venu, seule dans sa chambre, ou en compagnie de deux amis avec lesquels elle forme un trio bisexuel et non-binaire, Simone s’affranchit des limites que la société et la morale ont fixées. Avec les internautes qui se connectent à son salon, elle accepte de s’exhiber voire de s’auto-asphyxier au risque de mettre sa vie en danger.

Le vif débat qui l’oppose à une autre étudiante qui condamne la prostitution sans exception alors que Simone revendique la liberté aux femmes qui le choisissent de disposer librement de leur corps et, notamment, de se prostituer, semble résumer, si je l’ai bien compris le film : celui d’une tension, d’une opposition, entre la norme sociale, que la Simone diurne est censée défendre en prenant la cause des femmes battues, et l’irréductible liberté individuelle que la Simone nocturne, nue, exhibée et fière de l’être, incarne.

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Sick of Myself ★☆☆☆

À Oslo, de nos jours, Signe vit en couple avec Thomas, un artiste avant-gardiste qui s’est fait une petite réputation dans le milieu underground avec des installations réalisées à partir de meubles et de chaises volés. La jeune femme vit mal d’être constamment dans l’ombre de son conjoint et cherche par tous les moyens à attirer l’attention sur elle au risque de verser dans la mythomanie : elle prétend avoir sauvé la vie d’une cliente du café qui l’emploie, mordue par un chien, ou s’invente une allergie alimentaire lors du dîner offert à Thomas par son agent.
Après avoir découvert sur Internet les effets secondaires très nocifs d’un médicament, elle en passe commande et en prend au-delà des doses prescrites. Un eczéma monstrueux la défigure bientôt.

Sick of Myself avait été présenté à Cannes l’an passé dans la section Un Certain Regard. Mais Kristoffer Borgli, son réalisateur, avait été éclipsé par la seconde Palme d’or décernée à Ruben Ostlund, scandinave comme lui et plus radical encore.
Sick of Myself ressemble étrangement à Sans filtre. Leurs premières scènes semblent calquées l’une sur l’autre qui voient un couple de jeunes amoureux dîner dans un restaurant chic. L’un comme l’autre sont des satires grinçantes de nos sociétés contemporaines et de leurs dérives narcissiques.

Le personnage de Signe est particulièrement croustillant qui va jusqu’à se défigurer pour attirer enfin l’attention. Sa démarche est particulièrement aberrante, qui consiste, à rebours de la tendance contemporaine à rêver de perfection physique, à s’enlaidir pour sortir de l’anonymat abrutissant dans lequel la banale symétrie de ses traits et la blondeur de sa chevelure la maintenaient.

Le problème de Sick of Myself est de ne pas réussir à trouver à ce postulat de départ – une femme s’inflige une maladie de peau pour attirer l’attention sur elle – un sens, dans le double sens du terme. Une signification : quel sens donner à son geste sinon celui parodique voire pathologique d’une quête de célébrité poussant aux plus absurdes abus ? Un objectif, une finalité : et c’est là que le bât blesse, le scénario du film semblant bien en peine d’utiliser ce matériau pourtant très riche et de l’amener quelque part.

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Stars at Noon ★☆☆☆

Trish Johnson (Margaret Qualley) est une journaliste américaine coincée au Nicaragua, en pleine crise du Covid. Les autorités lui ont confisqué son passeport après qu’elle a écrit un reportage sur les exactions commises dans le nord du pays et refusent de le lui rendre. Trish n’a en tout état de cause plus assez d’argent pour se payer son billet de retour. Elle croit trouver une planche de salut en la personne de Daniel DeHaven (Joe Alwyn), un homme d’affaires anglais qu’elle rencontre au bar de l’hôtel Intercontinental. Elle couche avec lui par intérêt mais en tombe bientôt amoureuse au point de ne plus pouvoir le quitter. Daniel est hélas suspecté par la CIA qui le file d’être de mèche avec les autorités nicaraguayennes.

Stars at Noon est l’adaptation du livre éponyme, écrit en 1986 par Daniel Johnson qui racontait son séjour chaotique dans le Nicaragua sandiniste en pleine guerre civile deux années plus tôt. Curieusement, Claire Denis n’opte pas pour une reconstitution historique dans les 80ies mais situe l’action de nos jours, avec des téléphones portables, des liaisons Internet et des masques pour se protéger du Covid. Le résultat en est paradoxal, sinon bancal qui ancre définitivement cette petite république centraméricaine, qui a vaillamment pansé ses cicatrices, dans son passé et dans une guerre civile qui ne passe pas.

Mais là n’est pas le principal défaut du film qui en compte un autre, beaucoup plus rédhibitoire.
Stars at Noon a en effet tous les atours d’un film d’espionnage, une sorte de Journaliste à Panama façon John Le Carré ou de Notre agente à La Havane façon Graham Greene avec son héroïne sexy en diable et son héros plus mystérieux que nature. Mais Stars at Noon nous frustre du plaisir qu’il nous promet en oubliant en cours de route son intrigue qui s’enlise dans la jungle costaricaine.

Claire Denis semble prendre tant de plaisir à filmer les corps sensuels de ses deux héros qu’elle en oublie son scénario en chemin. On la comprend volontiers. Margaret Qualley – révélée dans la série The Leftovers, à mon sens la meilleure série de la dernière décennie, qui accomplissait une prestation bluffante dans la pub pour Kenzo World et dont les pieds dans Once Upon a Time… in Hollywood ont enflammé mes paraphilies podophiles (avec un o) – y est éblouissante. Je prends le pari qu’elle rejoindra bientôt les rangs des plus grandes stars de Hollywood, quelque part entre Nicole Kidman et Tilda Swinton.
En revanche, Joe Alwyn est nettement moins convaincant. D’ailleurs le rôle a été proposé à Robert Pattinson, qui y aurait été parfait (et que Claire Denis avait fait jouer dans High Life) puis à Taron Egerton. Alors que les deux héros partagent la tête de l’affiche et le même lit, dans des scènes qui se voudraient d’un érotisme torride, aucune alchimie ne naît entre eux pour enflammer la pellicule.

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Dernière Nuit à Milan ★★★☆

Après trente-cinq années de bons et loyaux services dans la police milanaise, l’inspecteur Franco Amore (Pierfrancesco Favino) s’apprête à raccrocher les gants. Mais un dernier service qu’il rend à son cousin Cosino pour la mafia chinoise avec son collègue Dino risque de lui être fatal.

Le pitch ultra-balisé de ce polar aurait pu me faire fuir. Mais les critiques enthousiastes de plusieurs amis m’ont convaincu d’aller voir L’Ultima Notte Di Amore dont le titre original, qui joue sur le patronyme de son héros, a plus de saveur que sa pâle traduction française.

Dès le premier plan, long travelling aérien au-dessus de la nuit milanaise, j’ai été happé par un récit dont la tension ne s’est pas relâchée jusqu’au dernier plan, deux heures plus tard. Dernière Nuit à Milan coche toutes les cases du polar qui assume sans vergogne son classicisme. Il ne va pas chercher à tout prix, comme parfois les jeunes cinéastes ont la tentation de le faire pour se démarquer de leurs aînés, à moderniser un genre hyper-référencé. Au contraire, il en revisite avec talent tous les éléments. Sa musique, ses lumières, ses personnages m’ont rappelé Le Samouraï de Melville.

L’interprétation de Pierfrancesco Favino mérite tous les éloges. À défaut d’avoir mémorisé son nom, on se souvient de sa gueule cabossée pour l’avoir vu en mafieux repenti dans Le Traître ou plus récemment, en Napolitain de retour au pays, dans Nostalgia (dont je suis probablement le seul à n’avoir pas dit le plus grand bien). Il a ce mélange de virilité latino et de faiblesse fatiguée qui le rend irrésistible (il m’a fait penser à Fabio Montale, le héros des polars marseillais du regretté Jean-Claude Izzo).

Dernière Nuit à Milan contient une scène d’anthologie qui se déroule dans un tunnel autoroutier. Le suspense qu’elle maintient, ses angles de vue, le rythme de son montage, tout y est exceptionnel, de fluidité et d’intelligence. Si on savait déjà que Pierfrancesco Favino est un grand acteur, on découvre après une telle scène que Andrea Di Stefano, un acteur passé sur le tard derrière la caméra, est peut-être un grand réalisateur.

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Il Bidone (1955) ★★☆☆

Une bande d’amis romains vit d’arnaques qu’ils commettent sur le dos des paysans crédules du Latium en se faisant passer pour des hommes d’Église ou des fonctionnaires. Leur rouerie trompe les plus pauvres mais pas l’aristocratie de la pègre qui les considère comme des moins que rien et leur manifeste son mépris. Augusto, le plus âgé de la bande, rattrapé par son passé familial, est lassé de ces escroqueries à la petite semaine et songe à se ranger.

Est ressorti le mois dernier en salles ce film méconnu du Fellini de la première époque, celui de La Strada (sorti un an plus tôt) des Vitelloni et des Nuits de Cabiria. Influencé par le néo-réalisme des réalisateurs auprès desquels il s’est formé, Fellini filme en noir et blanc, dans une forme encore très classique, le petit peuple italien. Ses films n’ont pas encore la magie et la fantaisie de ses chefs d’œuvre ultérieurs où s’affirmera sa patte. C’est cinq ans plus tard avec La Dolce Vita que commence la transition qui l’amènera à Huit et demi, probablement son film le plus emblématique, et à Amarcord, son film le plus personnel.

Il Bidone est encore englué dans le moralisme un peu pesant du néo-réalisme. Augusto, Raoul et Roberto sont trois escrocs sans foi ni loi qui abusent de la crédulité des plus faibles mais sont écrasés sous la botte des plus forts. Mais le cynisme de ces crapules rencontre bientôt ses limites : Augusto, vieillissant, qui vient de renouer avec sa fille à peine sortie de l’adolescence et aimerait lui renvoyer une bonne image, n’a pas le cœur de dépouiller ce paysan que ses compères viennent de berner, dont la bonté d’âme de la fille paralytique l’émeut jusqu’au tréfonds.

Il Bidone m’a rappelé les situations, les personnages et le grain du Voleur de bicyclette, le chef d’œuvre indépassable de De Sica, qui arracherait des sanglots aux pierres. Mais en dépit du tombereau d’éloges déversés sur lui par Rivette, Mauriac ou Bazin à sa sortie en 1956, j’avoue le rouge au front avec toute l’humilité requise face à des avis aussi éminents, m’être beaucoup ennuyé face à cette démonstration un peu laborieuse des voies de la rédemption.

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Omar la fraise ★☆☆☆

Omar Zerrouki dit « la fraise » (Reda Kateb) est un malfrat franco-algérien. Condamné en France à vingt ans de prison par contumace, il n’a d’autre solution que de s’installer en Algérie sans espoir de retour. Son inséparable ami d’enfance, Roger Lhermitte (Benoît Magimel), l’accompagne dans son exil doré.

Omar la fraise est un film éminemment sympathique qui met en scène deux des plus talentueux acteurs du moment : Benoît Magimel, enfant de la balle (Chatiliez le révèle à treize ans dans La vie est un long fleuve tranquille), qui faillit se brûler les ailes au feu de la célébrité avant de connaître sur le tard une étonnante rédemption (il vient d’obtenir en 2022 et 2023 deux Césars consécutifs pour De son vivant et Pacifiction) et Reda Kateb qui provoque chez mes amies cinéphiles une incompréhensible pâmoison malgré son menton en galoche, son œil borgne et ses dents en pointe.
On imagine volontiers le plaisir que ces deux potes ont pris, amis à la ville et amis à l’écran, en tournant ce film et en passant ensemble quatre semaines de vacances tous frais payés sous le soleil d’Alger.

Ce plaisir est communicatif ; mais c’est le seul atout d’un film qui n’en compte pas d’autres. Car, tout faraud d’avoir recruté ces deux pointures et de les faire tourner ensemble, son réalisateur, le novice Elias Belkeddar, a oublié l’essentiel : un scénario. L’idylle qu’il imagine entre Omar et une jolie Algérienne (Meriem Amiar), employée dans l’usine qu’il rachète pour blanchir son argent tourne vite court.

La promotion de Omar la fraise laissait miroiter un Tarantino à l’algérienne. C’est peut-être sur cette promesse là que le film a obtenu son ticket pour Cannes où il a été projeté hors compétition. La promesse fait long feu. Passée sa première scène, Omar la fraise troque les délicieuses parodies tarantinesques pour une exaltation sans saveur de l’amitié indéfectible qui unit deux arsouilles sur fond de coucher de soleil sur la Méditerranée. Du couscous sans harissa.

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