L’Amour et les Forêts ★☆☆☆

La trentaine bien entamée, Blanche Renard (Virginie Efira) peine à se remettre d’un chagrin d’amour quand elle revoit Grégoire Lamoureux (Melvil Poupaud), un ancien camarade de lycée, et en tombe immédiatement amoureuse. Les décisions s’enchaînent au rythme de leur folle passion : le mariage, le premier enfant, le déménagement de Normandie où Blanche a ses racines vers la Lorraine où Grégoire a obtenu sa mutation…
Mais bientôt, Blanche réalise la jalousie pathologique de Grégoire et l’emprise toxique qu’il exerce sur elle.

Je suis allé voir à reculons L’Amour et les Forêts, qui est sorti depuis trois semaines et que tous mes amis cinéphiles ont déjà vu et abondamment commenté. Pourquoi cette réticence ? Parce que sa bande annonce me donnait l’impression d’en connaître par avance tous les rebondissements.

J’ai finalement cédé à mes préventions et pris mon ticket. Je me suis retrouvé dans une salle encore bien pleine (preuve que les spectateurs aiment toujours le cinéma ou fuient la canicule ?), très majoritairement féminine (signe que le sujet du film les touche particulièrement ou que le charme vénéneux de Melvil Poupaud exerce sur elles plus d’attirance que sur les spectateurs masculins celui de Virginie Efira ?).

Mes préventions ont-elles été réfutées ? Pas vraiment. Au contraire. J’ai passé le film à maugréer, comme le vieux scrogneugneu que je suis. J’ai lu quelque part que L’Amour et les Forêts évitait le piège du film à thèse. Eh bien, j’aurais écrit exactement le contraire : le sixième film de Valérie Donzelli (La guerre est déclarée, Marguerite et Julien, Notre dame) aurait parfaitement introduit le débat que Les Dossiers de l’écran aurait consacré à la masculinité toxique et à l’emprise. Car c’est son sujet, son seul sujet, son unique sujet.

Certes, il le traite bien. Mais il le traite sans l’ombre d’une surprise ou d’un pas de côté (et qu’on ne m’oppose pas l’idylle sylvestre de Blanche avec un bel inconnu rencontré sur un site en ligne). Ainsi du premier tiers du film où on voit la passion naître entre Blanche et Grégoire dont on sait par avance qu’elle sera bientôt obscurcie par la jalousie dévorante de Grégoire. Ainsi des deux derniers qui dissèquent lentement le chemin de croix vécu par Blanche.

Il y avait peut-être un suspense que la bande-annonce n’éventait pas : Blanche finirait-elle par mourir entre les mains de Grégoire, ajoutant son nom à ceux des centaines de femmes, de toutes conditions et de tous milieux, qui meurent chaque année sous les coups de leurs maris ? Ce suspense là est nié par la construction même du film en flashbacks avec une Blanche bien vivante qui se confie à l’avocate qui la défendra dans le procès qui l’opposera à Grégoire (PS : pour être tout à fait honnête, c’est plus tard qu’on découvre que cette femme est avocate et on pourrait imaginer qu’elle exerce une autre profession, qu’elle soit par exemple la policière ou la juge d’instruction chargée d’interroger Blanche après qu’elle aurait tué Grégoire).

Je l’ai dit, le film se tient. Ses acteurs sont évidemment parfaits. Virginie Efira décroche déjà sa nomination aux prochains Césars avec le talent qui la caractérise à se glisser dans des rôles de femmes ordinaires avec lesquelles l’identification est non seulement immédiate mais aussi très valorisante (qui ne rêverait pas de lui ressembler ?). Melvil Poupaud a depuis toujours ce mélange de force et de faiblesse, de virilité brutale et de sexualité ambigüe, qu’Ozon a su si bien exploiter. Je ne sais lequel des deux est plus talentueux et se glisse le mieux dans son personnage.

Mais aussi bien joué soit-il, L’Amour et les Forêts ne m’a pas touché, faute de sortir d’un scénario tracé d’avance.

La bande-annonce

Le Vrai du faux ★★☆☆

Le jeune réalisateur Armel Hostiou a découvert un beau jour qu’un autre compte Facebook à son nom avait été créé à Kinshasa par un homme qui se faisait passer pour lui et invitait des Kinoises crédules à s’inscrire à un casting pour son prochain film. Moitié embarrassé par cette histoire, moitié séduit par son potentiel romanesque, Armel Hostiou s’est rendu à Kinshasa à la recherche du brouteur qui avait usurpé son identité.
Pour mener son enquête, il s’est installé dans une résidence d’artistes et s’est fait aider par deux de ses pensionnaires, Peter, le gérant du lieu qui s’est vite pris au jeu, et Sarah, une artiste plasticienne.

Un documenteur est une oeuvre de fiction qui emprunte la forme d’un documentaire et donne l’illusion de la réalité. Le mot est savoureux. J’hésite à lui préférer fauxcumentaire, qui pêche peut-être par ses deux premières syllabes. Vous en avez déjà vu sans le savoir : Le Projet Blair Witch, les films de Sacha Baron Cohen (Borat I et II, Brüno…), l’excellent Guy de Axel Lutz, Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi…

Le Vrai du faux est donc un documenteur où l’on peine à distinguer… le vrai du faux. Armel Hostiou a-t-il imaginé cette histoire de la première à la dernière ligne ? Ou a-t-il été réellement victime d’une usurpation d’identité ? Dans la seconde hypothèse, a-t-il filmé la vraie enquête qu’il a menée à Kinshasa ? Ou l’a-t-il scénarisée de toutes pièces ?

Ce serait parer de plus de vertus qu’il n’en a ce sympathique documentaire en y voyant la troublante interrogation sur l’identité à laquelle son réalisateur veut nous inviter : en refusant, nous dit-il, de supprimer ce second compte, auquel Facebook trouvait plus de réalité qu’au sien, « la situation laissait entendre que si l’autre [lui] n’était pas le faux, et bien le faux c’était {lui] ».

Le Vrai du faux n’est pas une envoûtante quête existentielle. Ce n’est pas non plus et ça ne prétend pas être un thriller haletant à la recherche du faux Armel avec courses poursuites en voiture et twists renversants. Mais ce n’en est pas moins un documentaire dépaysant et plein d’auto-dérision.

La bande-annonce

La Grande Bouffe ★★☆☆

Ugo est restaurateur, Marcello pilote de ligne sur Alitalia, Michel présentateur de télévision et Philippe magistrat. Ces quatre hommes décident au beau milieu de l’hiver de s’enfermer dans une villa pour un « séminaire gastronomique ». Mais très vite, leur projet se révèle : ces quinquagénaires, las de la vie, ont décidé de manger jusqu’à ce que mort s’ensuive. En bon libertin, incapable de vivre sans femmes, Marcello convainc ses amis d’accueillir trois prostituées. Andréa, une maîtresse d’école, qui avait accompagné ses élèves visiter le tilleul de Boileau au fond du jardin de la propriété, décide de rester avec les quatre hommes.

Il n’est pas besoin d’être un historien du cinéma pour connaître le scandale provoqué par La Grande Bouffe à sa sortie en 1973.  » Honte pour les producteurs […], honte pour les comédiens qui ont accepté de se vautrer en fouinant du groin […] dans pareille boue qui n’en finira pas de coller à leur peau. Honte pour mon pays, la France, qui a accepté d’envoyer cette chose à Cannes afin de représenter nos couleurs […]. Honte, enfin, pour notre époque dont la faiblesse tolère, finance, encourage, dévore et déglutit pareilles pâtées d’excrément« , écrivit Jean Cau dans Paris Match. Sur les ondes d’Europe 1, François Chalais déclara : « Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation« . Quant à Claude-Marie Trémois, elle exprima en ces mots son dégoût dans Télérama, qu’on imaginait moins bégueule : « Ce qu’on blasphème ici, c’est l’homme, le partage fraternel du pain et la notion même de fête. Ce qu’on sacralise, c’est l’excrément« .

Cinquante ans plus tard, La Grande Bouffe ressort en salles. Ces quatre acteurs – qui approchaient la cinquantaine – sont tous morts, ce qui nous donne un sacré coup de vieux. Andréa Ferréol, dont on peine à croire qu’elle avait vingt-six ans à peine, est en revanche toujours de ce monde. Je me suis demandé pourquoi leurs véritables prénoms avaient été gardés : Marcello, Michel, Philippe, Ugo et Andréa. Qu’est-ce qu’apporte ce procédé, plutôt inhabituel, au film ?

Il en faut beaucoup de nos jours pour choquer le bourgeois qui en a déjà vu beaucoup, des vertes et des pas mûres. On peine rétrospectivement à comprendre le scandale provoqué par la sortie de La Grande Bouffe à Cannes. Quel en était la cause ? Sa critique en creux de notre société de consommation ? Sa scatologie ? La profanation de la nourriture ? Son cynisme sans appel ?
En tous cas, une de ses dimensions n’a pas fait scandale à l’époque et susciterait des cris d’orfraie aujourd’hui : la façon dont les femmes sont traitées, cantonnées à deux rôles exclusifs, celui de la maman et celui de la putain.

Comment La Grande Bouffe a-t-il vieilli ? Pas très bien.
Le parfum de scandale qui l’entourait à sa sortie s’est évaporé, je l’ai déjà dit.
Reste celui inimitable de ces films des années 70 qui montraient de joyeuses camaraderies hédonistes, la clope au bec, le verbe haut, où toujours immanquablement Michel Piccoli faisait figure de chef de bande : on pense à Sautet, à Buñuel, à Chabrol….

Aussi joyeuse cette bande soit-elle, elle a ici l’humour sombre sinon franchement noir. Très vite, le sens du film se dévoile. Ne reste plus qu’à réaliser sans surprise le plan annoncé. J’ai trouvé une formule dont je ne suis pas peu fier pour le résumer – avec le risque qu’elle ne soit pas inédite : La Grande Bouffe est une farce triste.

La bande-annonce

Désordres ★★☆☆

Désordres a pour cadre une usine d’horlogerie de la vallée de Saint-Imier, dans le Jura bernois, dans les années 1870. On en découvre le directeur, les ingénieurs qui y chronomètrent le temps de travail des ouvrières pour en rationaliser les tâches. Le jeune Piotr Kropotkine, qui était géographe de formation, avant de devenir l’un des leaders du mouvement anarchiste, visite la région.

Désordres est un film étonnant. Étonnant par son sujet : j’ignorais que le mouvement anarchiste avait trouvé dans les vallées suisses juste après la Commune un terreau si favorable. Étonnant par son traitement : Désordres a été tourné en lumière naturelle avec des acteurs non-professionnels. Son traitement du son est très particulier, avec à la fois des voix très proches, presque murmurantes et l’omniprésence d’un bruit de fond parasite. Son traitement de l’image l’est tout autant, avec des plans très rapprochés et des cadrages décentrés, comme des peintures flamandes dont le sujet principal se situe à la périphérie.
Avec une grande ascèse, Désordres essaie de mettre en images une idée : la mesure du temps.

Le résultat est déconcertant. On a envie de crier au génie devant autant d’originalités. Mais très vite l’ennui s’installe. La faute au jeu des acteurs décidément très mauvais : c’est une chose de choisir des non-professionnels, c’en est une autre de les diriger. La faute aussi à un scénario qui à force de refuser tout effet spectaculaire finit par s’enliser : on ne s’attache pas aux personnages auxquels le scénario refuse obstinément de donner le moindre relief et la moindre personnalité, on ne s’intéresse à aucune des histoires que, là encore, le scénario refuse de développer (le licenciement d’une ouvrière, une votation, l’ébauche d’une idylle). Dommage…

La bande-annonce

Le Paradis ★☆☆☆

Joe (Khalil Gharbia, repéré en sublime Adonis dans Peter von Kant) a dix-sept ans. Encore mineur, il purge la peine de prison à laquelle il a été condamné dans un IPPJ, l’équivalent belge de nos centres d’éducation fermés. C’est là qu’il fait la connaissance de William (Julien de Saint-Jean révélé dans Arrête avec tes mensonges sur lequel j’ai fait l’impasse) pour lequel il éprouve une immédiate attirance.

Le pitch du Paradis laisse ouverts les possibles. On imagine volontiers un film construit autour d’un double interdit. L’interdit que les deux adolescents, élevés dans la culture viriliste de l’IPPJ, se poseraient à eux-mêmes en refusant de reconnaître l’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. L’interdit que l’institution elle-même opposerait aux deux adolescents en leur déniant le droit de s’aimer.

Mais, le film ne prend pas cette direction là. Joe et William tombent amoureux l’un de l’autre sans avoir le temps d’interroger leur désir. Et si bien sûr, l’institution ne les encourage pas (la parfaite Eye Haidara, remarquable d’humanité et d’empathie, dit à Joe : « Ce n’est pas le bon endroit pour vivre cette histoire-là »), elle ne les décourage pas non plus..

S’il l’avait fait, on lui aurait reproché de ne guère nous réserver de surprises.
Voilà qu’il ne le fait pas et qu’on ne l’en félicitera pas pour autant. Jamais content ! Pourquoi ? Parce que Le Paradis, du fait de ce parti pris, devient un film trop lisse, trop terne. Même si les deux acteurs déploient une vibrante ardeur, Le Paradis se réduit vite à un banal premier amour homo-érotique à huis clos.

La bande-annonce

War Pony ★★☆☆

War Pony est le portrait croisé de deux Indiens lakota qui vivent dans la réserve de Pine Ridge au Dakota du Sud. La casquette vissée sur la tête, Bill, la vingtaine, vit aux crochets de sa grand-mère sans guère s’occuper de son fils. Il vit de petits trafics minables et s’est mis en tête d’élever des caniches de race avant de trouver à s’employer chez un riche Blanc. Matho, douze ans à peine, est laissé à lui-même après la mort brutale de son père. Il va trouver refuge dans une curieuse maison dont la propriétaire offre un toit à des orphelins comme lui en les employant comme dealers.

War Pony est né d’une rencontre, celle de l’actrice Riley Keough – la petite-fille du King Elvis Presley – avec deux chefs Indiens lakota lors du tournage de American Honey d’Andrea Arnold en 2015, un film que je n’avais pas aimé malgré ses excellentes critiques. À partir de leurs récits de vie et de ceux d’autres membres de la communauté, Riley Keough a écrit un scénario aidée de Gina Gammell qui co-réalise avec elle War Pony. Le résultat s’en ressent qui se situe à égale distance du documentaire et de la fiction.

War Pony est une ethnofiction qui n’évite pas parfois le misérabilisme. Rien n’est épargné à nos jeunes héros qui vont d’une avanie à l’autre sans espoir de rémission.

Le film, qui dure près de deux heures, a un rythme lent auquel on aurait tort de reprocher la langueur. Car ce rythme est emblématique de vies engluées dans un morne ennui. Autre reproche qu’on pourrait ou pas lui adresser : celui de l’entrelacement de ces deux récits, sous la forme d’un film choral à deux voix (pourquoi deux ? et pas trois ? ou quatre ?) mais dont je dis et je redis qu’il s’agit d’un procédé diablement efficace pour rythmer un scénario et en enrichir l’horizon.

Dernier reproche dont là encore, sitôt formulé, j’interroge la pertinence : War Pony a le défaut (rédhibitoire ?) d’arriver après les films de Chloé Zhang Les chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017) qui se déroulaient exactement au même endroit. J’ai du mal à dire lequel de The Rider et de War Pony est le meilleur film (je les classe ex aequo avec deux étoiles chacun) ; mais celui-ci a le défaut d’arriver après celui-là et ne plus posséder l’originalité de son prédécesseur.

La bande-annonce

Showing Up ★★★☆

Lizzie (Michelle Williams), la petite quarantaine, n’arrive pas à mettre la dernière main aux céramiques qu’elle doit exposer dans quelques jours à peine. Tout conspire à la déconcentrer de sa tâche : son travail administratif dans l’école d’art que dirige sa mère, son vieux père, son frère psychotique, la maison qu’elle loue dont la propriétaire refuse de remplacer la chaudière hors d’âge, jusqu’au pigeon que son chat a laissé pour mort et que Lizzie se voit contrainte de soigner….

Tout en en reconnaissant la valeur, je ne suis pas un fan inconditionnel du cinéma de Kelly Reichardt (River of Grass, Old Joy, Certaines femmes, First Cow). Je lui reproche ses afféteries arty, cette façon de faire passer du silence pour de la profondeur… alors qu’il n’y a que du vide.

Aussi, suis-je allé voir à reculons son dernier film, attendant plusieurs semaines après sa sortie début mai, échaudé par les avis mitigés de plusieurs amis pourtant spontanément plus indulgents que moi pour les films de cette cinéaste indé très West Coast.

Pour autant, à rebours de mes préventions, j’ai beaucoup aimé ce Showing Up au titre intelligemment polysémique.
Certes il ne s’y passe pas grand-chose. On sait par avance que le récit s’organisera autour d’un compte à rebours jusqu’à ce vernissage qu’attend et redoute tant Lizzie.
Mais Showing Up a une vertu rare : il montre des artistes au travail. Trop souvent, les films consacrés à des écrivains, à des peintres, à des sculpteurs les montrent occupés à tout un tas de choses sauf à écrire, peindre ou sculpter. En particulier, Showing Up nous évite plusieurs passages obligés des biopics des grands artistes qui nous racontent leur ascension et leur chute ainsi que les impossibles amours que la passion dévorante de leur art les empêche de vivre sereinement sans jamais les montrer au travail.

Rien de tel dans Showing Up qui est beaucoup plus terre à terre. Son héroïne est une femme banale, que Michelle Williams, pourtant si belle (Manchester by the Sea, The Fabelmans), semble prendre plaisir à jouer en s’enlaidissant : le cheveu gras, chaussée de Crocs horribles et de chaussettes marronnasses et difformes.

On peut se demander la part d’ironie qu’il y a dans cette interprétation et, plus largement dans ce film.. Kelly Reichardt et Michelle Williams se moquent-elles de la petite communauté d’artistes qu’elles peignent ? Peut-être. Mais, elles le font avec beaucoup de délicatesse. Showing Up ne verse jamais dans la satire grinçante, mais préfère, comme Paterson de Jim Jarmusch, creuser un sillon rare et précieux : celui de la création artistique.

La bande-annonce

La Maleta ★☆☆☆

Mario mène une vie d’ermite, centrée sur son travail aux Objets trouvés de la ville de Madrid. Un jour on lui ramène une valise rouge abandonnée au fond d’un fleuve. En examinant son contenu, il y découvre les ossements d’un nouveau-né. Face à l’inertie de la police, il décide de mener seul l’enquête.

La Maleta est le titre français d’un film espagnol intitulé Objetos sorti en Espagne fin 2022 et distribué dans le reste du monde début 2023.

Il s’agit d’un thriller très classique dont la seule originalité, qui en fait l’intérêt, est le métier exercé par son héros. Dans le rôle principal, on retrouve Alvaro Morte, le « professeur » de La Casa del Papel. Il a pour notre plus grand plaisir quasiment la même barbe, le même regard fou et le même rôle de maniaque obsessionnel.

La première demi-heure est la plus réussie qui campe le personnage, décrit son lieu de travail et pose les bases de la mystérieuse énigme qu’il décide de résoudre. Le reste l’est nettement moins lorsqu’il découvre un réseau de prostituées de luxe opérant dans les grands hôtels madrilènes et cachant un trafic d’enfants. Le pire est atteint dans le dernier tiers du film quand l’action se délocalise en Argentine avant un épilogue à tiroirs, exagérément romanesque dans les neiges du Québec.

Sorti la semaine dernière en salles, La Maleta n’y sera probablement plus la semaine prochaine après quinze jours d’exploitation. Si vous le ratez, vous le verrez en VOD. Et si vous ne le regardez pas en VOD, vous ne raterez rien…

La bande-annonce

L’Île rouge ★★☆☆

Nous sommes en 1972. Le petit Thomas a huit ans. Il est le troisième fils de Robert (Quim Gutierrez) et Colette (Nadia Tereszkiewicz), un couple de Français expatriés à Madagascar où Robert, sous-officier dans l’armée de l’air, a été muté sur la base 181 tandis que Colette, femme au foyer, assure la charge du ménage. Thomas est un enfant timide qui n’aime rien tant que de lire les aventures de Fantomette. Il observe sans toujours les comprendre les adultes qui l’entourent.

Robin Campillo s’est vu décerner la Palme d’Or en 2017 pour 120 bpm. Personne ne se souvient du discours qu’il a prononcé lorsqu’elle lui a été remise. Il a fallu attendre six ans pour que sorte son film suivant, éclipsé par la polémique suscitée par la discours de réception de Justine Triet samedi dernier.

L’Île rouge est un film largement autobiographique. Né en 1962, Robin Campillo a passé son enfance à suivre son père, sous-officier de l’Armée de l’air, dans ses affectations outre-mer au Maroc, en Algérie puis à Madagascar.
Quiconque a eu la chance de vivre dans son enfance une telle expérience en est marqué pour la vie. Ce fut le cas de nos enfants, au gré de nos affectations au Kenya et au Sénégal, même s’ils étaient trop jeunes pour en garder des souvenirs précis. La vie en expatriation dans l’Afrique post-coloniale est une expérience à la fois paradisiaque et déstabilisante pour le Blanc, souvent richement rémunéré, logé dans un luxe qu’il ne connaîtra jamais en métropole, entouré d’une nombreuse domesticité, mais confronté à une réalité culturelle et sociale aux antipodes de son monde.

Ces ambiguïtés-là, rarement filmées au cinéma (on ne peut guère citer que Chocolat de Claire Denis qui vécut enfant au Cameroun avant l’indépendance), sont remarquablement appréhendées par la caméra sensible de Robin Campillo qui restitue, à travers les yeux de Thomas, le parfum et la texture d’une époque dont témoignent sa musique et surtout ses costumes.
Nadia Tereszkiewicz, teinte en noir corbeau, aurait pu sembler bien jeune (elle est née en 1996) pour avoir un fils aîné qui se rase la moustache ; certains esprits bien-pensants auraient pu s’insurger que le rôle ne soit pas confié à une actrice plus âgée ; mais, une fois, encore, comme dans ses précédents films qui ont fait d’elle la révélation de l’année, elle crève l’écran. Mention spéciale à Sophie Guillemin, qu’on avait découverte en lolita dans L’Ennui et qui, vingt-cinq ans plus tard, assume sans complexe ses rondeurs et sa quarantaine bien entamée

L’Île rouge est moins original quand il chronique, à hauteur d’enfants, la vie des adultes et leurs contradictions. Thomas observe des couples qui s’ennuient et qui se distraient dans des soirées joyeusement alcoolisées. Il fait le procès de maris machistes qui étouffent leurs femmes dans un patriarcat que mai-68 ne semble pas avoir remis en cause. Il sent que le mariage de ses parents est en train de battre de l’aîle. La petite Suzanne, sa camarade de jeu, et Thomas forment hélas un duo déjà filmé bien souvent avec autrement plus d’intensité : Jeux Interdits, Cria cuervos, Fanny et Alexandre

Le principal défaut de L’Île rouge est la place réduite qu’il donne aux Malgaches. Ils sont quasiment invisibles dans les trois premiers quarts du film. Cette invisibilité est un parti pris revendiqué : il s’agit de montrer que les Blancs vivent dans une bulle coupée du monde, sans contact et sans désir d’en avoir avec les Malgaches qui les entourent – et dont ils sont pourtant censés travailler au développement. Pourtant, comme le faisait par exemple Chocolat, il y avait une place à faire aux domestiques de la maison et à la relation structurellement ambiguë que les Blancs et leurs enfants nouent avec eux.
Les Malgaches n’apparaissent que dans le dernier quart du film où on les voit participer aux manifestations qui conduiront à la chute du président Tsiranana et à la dénonciation des accords de coopération avec la France. Mais cette postface au film, qui laisse hors champ les protagonistes dont nous avions partagé la vie depuis près d’une heure et demie, ne présente pas grand intérêt.

La bande-annonce

Sparta ★★★☆

Ewald, la quarantaine bien entamée, a quitté l’Autriche, où son vieux père se meurt dans un EHPAD, pour la Roumanie. Il décide de rompre avec la barmaid locale qui partageait sa vie pour prendre un nouveau départ. Dans un village perdu de l’arrière pays, il réhabilite une ancienne école pour en faire un centre d’accueil pour les jeunes du village dénommé « Sparta ». Une dizaine de gamins y passent leurs journées. Mais bientôt, leurs parents s’inquiètent du comportement d’Ewald et lui demandent des comptes.

C’est peu dire que le cinéma de Ulrich Seidl est malaisant ou, pour éviter l’emploi de ce terme que le Grévisse condamne probablement, dérangeant. Je me souviens du choc éprouvé à la découverte de son triptyque Paradis, au titre antinomique : ses héros étaient une quinquagénaire dévorée par la solitude en vacances sur la côte kenyane, une Autrichienne confite en dévotion et une jeune boulimique amoureuse de son nutritionniste. Suivait Sous-sols un documentaire sur les délires refoulés d’Autrichiens ordinaires : adeptes du SM, nostalgiques du Troisième Reich, freaks en tous genres… Puis vient ce diptyque racontant la vie de deux frères : le premier, découvert dans Rimini, est crooner sur la Côte adriatique, le second, qu’on avait entr’aperçu dans le premier volet, traîne sa gueule cabossée (que j’avais longtemps prise pour celle de Franz Rigowski mais qui est en fait celle de son partenaire dans Great Freedom Georg Friedrich) et sa voix de fausset en Roumanie. Les deux films peuvent se voir séparément ; mais il serait dommage de se priver du plaisir de les découvrir ensemble.

Le cinéma d’Ulrich Siedl est formellement très original. Refusant tout psychologisme, la caméra du réalisateur autrichien montre sans rien démontrer. Dans Rimini, elle suivait les déambulations de Richie Bravo dans le décor surréaliste d’une cité balnéaire recouverte par la neige. Dans Sparta, elle suit en longs plans fixes celles de son frère, aussi mutique et introverti que son aîné était bavard et plastronneur.
On ne saura rien des motifs qui ont conduit Ewald à quitter l’Autriche pour la Roumanie ni des circonstances dans lesquelles il a rencontré sa compagne. La première moitié du film y raconte – mais s’agit-il d’un récit à proprement parler ? – la vie ennuyeuse qu’il y mène avant une rupture dont on ne comprend pas vraiment lequel des deux partenaires la provoque. C’est la seconde moitié qui est la plus intéressante, et la plus malaisante, pour reprendre ce terme décidément omniprésent.

Un malaise accru par la polémique lancée par Spiegel en septembre 2022 autour des conditions du tournage de Sparta en Roumanie : les parents auraient été tenus dans l’ignorance du sujet du film et les enfants maltraités. Si les procédures judiciaires engagées en Roumanie et en Allemagne depuis lors n’ont pas abouti, la polémique a conduit les organisateurs du festival du film de Toronto à le déprogrammer – ceux du Festival de San Sebastian l’ont au contraire maintenu.

Dans la seconde partie de Sparta, on voit Ewald ouvrir une école de judo dans laquelle on ne fait guère de judo. Il s’agit plutôt d’un centre aéré, d’un lieu de vacances, où les quelques gamins du village viennent chasser l’ennui avec la complicité bienveillante d’Ewald. La canicule estivale aidant, les pré-adolescents passent leur temps en maillot de bain. On voit même Ewald, nu, prendre une douche avec eux.

Le sujet pourrait être choquant s’il n’était traité avec une extrême intelligence. La pédophilie d’Ewald n’y est jamais montrée frontalement. Tout laisse à penser d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de passage à l’acte de sa part, son attirance pour ses pensionnaires restant au stade du fantasme. Cette attirance, malsaine et condamnable, s’exprime dans une immense tendresse pour ces gamins. Cette situation met le spectateur en porte-à-faux : faut-il la réprouver au motif des pulsions pédophiles qu’elle cache ou au contraire la saluer comme une sublimation de pulsions réfrénées ?

La réaction des villageois est hélas moins subtile. Et c’est là peut-être le seul faux-pas de ce film si intelligent. Les parents des gosses – et au premier chef le père de l’angélique Octavien – sont décrits comme des abrutis alcooliques et xénophobes. J’aurais bien imaginé une fin christique à la Pasolini. Mais la fin de Sparta m’a réservé une ultime surprise, volontairement anti-spectaculaire.

La bande-annonce