Normandie nue ★☆☆☆

Le petit village du Mêle-sur-Sarthe s’enfonce dans la crise de la viande. Son maire (François Cluzel) voit l’occasion d’attirer l’attention de l’opinion publique quand un célèbre artiste américain (Toby Jones) lui propose de déshabiller la population sur un champ qui lui a tapé dans l’œil. Reste à convaincre les habitants.

J’ai un faible pour les films chorale. Qu’ils soient français (Les petits mouchoirs, Le Sens de la fête) ou américains (Babel, Collision), j’aime la richesse de leurs sous-intrigues, le talent du scénariste à les entrelacer, les rôles en or qu’ils offrent à leurs nombreux acteurs. C’est donc, malgré son pitch cucul, avec un a priori favorable que je suis allé voir le dernier film de Philippe Le Guay qui en avait déjà signé deux : Le Coût de la vie et Les Femmes du sixième étage.

Car si Normandie nue est organisé autour d’une intrigue principale (le maire parviendra-t-il à convaincre ses concitoyens de poser sous l’objectif du photographe américain ?), il en articule plusieurs. On y croise un Parisien en mal de verdure, hélas allergique à la campagne (François-Xavier Demaison tordant), un boucher jaloux qui refuse que sa femme se dénude au nez de ses voisins (Gregory Gadebois toujours parfait), un paysan dépressif qui ne se console pas du suicide de son père et se bat pour récupérer le champ dont il a été spolié (la grande silhouette dégingandée de Philippe Rebbot), un jeune revenu au village le temps de vendre la boutique de son père (Arthur Dupont). C’est beaucoup. C’est sans doute trop. Et c’est inégal. Par exemple les saynètes avec François-Xavier Demaison, pour hilarantes qu’elles soient, n’ont aucun lien avec l’intrigue principale.

Sans doute Philippe Le Guay parvient-il à croquer avec tendresse le monde paysan – comme il le faisait avec autant de bienveillance pour le monde des chambres de bonne parisiennes. Sans doute peut-il s’appuyer sur une distribution impeccable, au premier rang de laquelle se distingue comme d’habitude François Cluzet dont je suis un fan de la première heure et dont le jeu, aussi répétitif soit-il, ne me lasse pas. Mais cette comédie gentillette à l’issue convenue n’a pas le piquant du Sens de la fête – dont la réussite doit beaucoup aux dialogues ici bien fades. Elle n’a pas la grâce de La Famille Bélier ou l’acuité de Petit paysan qui, l’un et l’autre, avaient pour cadre la campagne française et qui, chacun dans leur registre, ont connu un succès public mérité.

La bande-annonce

Les Heures sombres ★★★☆

Le 9 mai 1940, l’opposition retire sa confiance à Neville Chamberlain, le Premier ministre britannique. Le lendemain, Sir Winston Churchill le remplace, forme avec Attlee, Halifax et Chamberlain un cabinet d’union nationale et prononce à la Chambre un discours resté célèbre. Son programme : faire la guerre alors que les membres de son cabinet, craignant la défaite de la France et l’isolement du Royaume-Uni sont favorables à une paix séparée avec Hitler.
Les Heures sombres raconte le premier mois de son gouvernement jusqu’à l’évacuation de Dunkerque et son discours du 4 juin We shall fight on the beaches. Pendant ces vingt-cinq jours, l’optimisme de Churchill, qui n’imaginait pas une percée aussi rapide des Panzer allemands, est mis à mal et sa détermination à mener la guerre envers et contre tout souvent ébranlée.

Les critiques ont parfois été cinglantes envers ces Heures sombres. Elles ont dénoncé le chauvinisme de ce biopic construit tout entier à la gloire du Lion britannique. Elles lui ont reproché sa longueur excessive (plus de deux heures), son classicisme (une narration platement chronologique sur un rythme monotone alternant des scènes de boudoir – Churchill et sa femme remarquablement interprétée par la toujours parfaite Kristin Scott-Thomas  – et des joutes oratoires épiques – Churchill à la Chambre déclamant ses discours les plus célèbres), son héros grimé sous un maquillage écrasant qui cabotine et marmonne, son scénario sans surprise, son éclairage crépusculaire…

Elles n’avaient pas tout à fait tort. Les Heures sombres a tous ces défauts-là. Pour autant, elles ne m’ont pas dissuadé d’aller le voir. Je me suis laissé emporter par cette histoire dont je connaissais certes les grandes lignes, mais pas les détails. Je ne savais pas que Churchill avait été nommé le 10 mai contre l’avis des caciques de son parti et contre celui du roi. Je me trompais sur les termes exacts de son discours du 13 mai, croyant qu’il y promettait du sang, de la sueur et des larmes alors que l’expression exacte est « blood, toil [labeur], tears and sweat ». J’ignorais que le Cabinet de guerre avait été divisé sur l’opportunité de lancer des négociations secrètes. Je ne connaissais pas les détails de l’opération Dynamo qui permis de sortir les soldats britanniques – et français – de la nasse de Dunkerque et le rôle qui joua la garnison de Calais.

Une scène m’a ému qui pourtant, sur le papier, et quand je la raconte, sonne faux : celle où l’on voit Churchill prendre le métro (on se souvient du malheureux Balladur dans la même situation) et tester l’opinion de ses concitoyens muets de stupeur et de respect devant l’apparition de leur Premier ministre.

Vous me direz qu’on ne va pas au cinéma pour prendre des cours de rattrapage en histoire. Et vous aurez raison. Pour autant, après l’oubliable Chuchill et l’inoubliable Dunkerque, ces Heures sombres mérite sa place, honorable, dans l’histoire de cette époque et le regard qu’on porte sur elles.

La bande-annonce

La Surface de réparation ★☆☆☆

Ancien espoir, Franck (Franck Gastambide) n’est jamais passé pro faute de talent. Mais il n’a pas quitté le FC Nantes qui l’a formé et y ai devenu l’homme à tout faire de son président (Hippolyte Girardot). Tout en gardant un œil protecteur sur les amateurs, c’est lui qui cornaque les pros, fait leurs courses, leur évite les sorties de route.

La Surface de réparation parle de football sans en montrer. On sait que les films qui lui sont consacrés sont rares et souvent mauvais, le football, le sport le plus télégénique au monde, étant paradoxalement terriblement peu cinégénique. Supporter du FC Nantes (je me souviens de la silhouette dégingandée de Maxime Bossis et des shorts en satinette de Patrice Rio), aficionado de l’OM, ultra du PSG, tu risques d’être déçu : si La Surface… parle des à-côtés du football, il les filme comme il filmerait les à-côtés de n’importe quel show biz, où des stars surpayées vivent entourées d’une faune interlope.

Fraîchement émoulu de la FEMIS, Christophe Régin signe son premier film. Il a eu la main heureuse dans le choix de ses acteurs. En confiant le rôle principal à Franck Gastambide, acteur de comédies souvent poilantes (Les Kaïra), parfois franchement ratées (Pattaya), il fait un pari audacieux mais réussi. Thomas Sotinel du Monde parle joliment de « tchao-pantinisation » pour décrire le processus par lequel un acteur de comédie célèbre choisit, la quarantaine venu, de prendre le tournant du drame (Coluche donc avec Tchao Pantin, Michel Blanc avec Monsieur Hire, Valérie Lemercier avec Vendredi soir, Kad Merad avec Je vais bien, ne t’en fais pas, Jamel Debbouze avec Indigènes, etc.).

Mais Franck Gastambide se fait voler la vedette par Alice Isaaz. C’est elle la vraie star du film dont chaque apparition aimante la pellicule. Elle joue un rôle casse-gueule : celui d’une meuf-à-footeux, à moitié pute, à moité groupie. Elle aime le contact des célébrités, leur argent facile, leur gloire éphémère ; mais elle s’y brûle les ailes. On l’avait remarqué l’automne dernier dans Espèces menacées. Elle explose dans La Surface…

Pour autant, malgré ses qualités, ce film peine à se distinguer de la masse des productions cinématographiques françaises. En dépit d’une conclusion réussie et surprenante, son scénario se traîne et connaît quelques baisses de rythme fatales. Il est à craindre qu’après une ou deux semaines en salles, concurrencé par des films mieux distribués et plus stimulants, La Surface… ne sombre dans un oubli irréversible. Ce n’est pas cette critique qui le lui évitera.

La bande-annonce

 

Ex Libris ★★☆☆

À près de quatre-vingt-dix ans, Frederick Wiseman continue inlassablement à radiographier les États-Unis. Qu’il filme un hôpital psychiatrique (Titicut Follies), une université (At Berkeley) ou un musée (National Gallery), sa méthode est toujours la même. Pas de voix off, pas de sous-titres. Un tour du propriétaire qui présente l’institution dans sa complexité et selon un montage qui n’en révèlera qu’a posteriori la cohérence. Un format volontairement hors normes (Ex Libris dure plus de trois heures, At Berkeley en durait plus de quatre) qui permet d’aller au fond des choses au risque parfois de laisser sur le bord du chemin le spectateur inattentif.

Il y a dans l’œuvre de Wiseman une cohérence de la forme et du fond. La méthode qu’il utilise, exigeante et rigoureuse, convient parfaitement à la description d’un temple du savoir comme une bibliothèque ou une université. Elle l’était moins pour un cabaret (Crazy Horse) ou une salle de gym (Boxing Gym).

Son angle d’attaque est simple : il s’agit de montrer qu’une bibliothèque n’est plus un simple lieu de stockage de libres poussiéreux mais est devenue, sous l’effet notamment mais pas seulement de la révolution technologique, un carrefour des connaissances. D’ailleurs, ce qui frappe dans Ex Libris c’est qu’on n’y voit et qu’on n’y parle guère de livres : la New York Public Library passe son temps à organiser des colloques, des concerts, des rencontres, des cours pour adultes ou pour enfants… La thèse est pertinente et convaincra aussi bien les professionnels, ravis de voir leur métier décrit avec tant d’empathie, que les usagers, enthousiasmés devant tant de richesses à portée de mains ou de clics.

Il est difficile de trouver à redire à cette ode au savoir et à l’intelligence, ce panégyrique à un lieu où s’allient au plus haut point le culte des humanités, les pratiques managériales les plus modernes et le respect dû à tous les publics. Il y a toutefois dans cette description très américaine d’une institution éminemment américaine une façon de faire par trop américaine : une manière, sans y prendre garde, de promouvoir une éthique de l’excellence, du surpassement de soi totalement dépourvue d’humour et, plus grave, de modestie.

La bande-annonce

La Prisonnière ★★★☆

On connaît de Clouzot les chefs d’œuvre en noir et blanc qu’il a réalisés pendant les années quarante et cinquante : L’Assassin habite au 21, Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur, Les Diaboliques
La rétrospective qui lui est consacrée permet de découvrir des œuvres moins connues. Ainsi de cette Prisonnière – sans rapport avec le cinquième tome de la Recherche – sortie en couleurs en 1968, le dernier film de sa carrière.

Ce film n’a pas grand’chose à voir avec les précédentes réalisations du maître. Celles-ci inspirés des films noirs américains, notamment de Fritz Lang, sont le témoignage d’une époque. Celui-là en est le témoignage d’une autre : les années soixante, l’expérimentation artistique, la liberté sexuelle… Loin de s’endormir sur ses lauriers et de tourner ad nauseam le même film en utilisant les mêmes recettes, Clouzot a le courage de s’aventurer dans de nouvelles voies. Cette inlassable remise en question rappelle les années Mao de Godard – telles qu’elles ont été parfaitement décrites dans Le Redoutable – ou la démarche d’un Antonioni dans Blow Up (1966) ou d’un Buñuel avec Belle de jour (1967). Il n’est pas anodin que ces films aient vu le jour à la même époque et aient exploré les mêmes thématiques.

Comme Blow up, comme Belle de jour, La Prisonnière est un film qui interroge les frontières du désir. Grand collectionneur, Clouzot imagine une fiction censée se dérouler dans le monde de l’art. Son héros Stanislas est un riche dilettante qui dirige une galerie d’art contemporain (Laurent Terzieff). Dans son appartement, il photographie des modèles qu’il dénude et qu’il soumet. Il expose dans sa galerie les réalisations de Gilbert (Bernard Fresson). La compagne de celui-ci Josée (Elisabeth Wiener) est attirée par Stanislas. Elle accepte de poser pour lui au risque de se perdre.

La Prisonnière parle de sexe. Des pulsions sexuelles qui passent d’abord par le regard.  Stanislas expose dans sa galerie des œuvres qui jouent avec notre vision : des mobiles, des trompe-l’œil, des œuvres cinétiques de Vasarely ou Soto, des peintures géométriques de Geneviève Claisse. À l’étage, le regard fou, les yeux verts magnétiques, il photographie des modèles dans son cabinet secret, encombré de peintures et de sculptures qui créent une atmosphère lourde. Il ne touche pas ses modèles. Impuissant, il jouit à travers l’œil. Il jouit aussi de la domination qu’il exerce sur elles. Au rez-de-chaussée et à l’étage, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, c’est au fond le même homme : voyeur et dominateur.

Comme dans Cinquante nuances de Grey, une petite oie découvre le SM au contact d’un homme plus âgé et plus riche qu’elle. Les fantasmes misogynes du vieux Clouzot (il filme La Prisonnière à soixante ans passés) peuvent faire sourire ou embarrasser. Comme devant un mauvais film d’Alain Robbe Grillet, on peut ricaner de cet érotisme de romans photos. Un érotisme sulfureux que la seconde partie du film désamorce voire annule, soulignant mièvrement qu’il n’y a pas de sexe sans amour – là où la morale d’Emmanuelle, six ans plus tard, sera nettement moins conventionnelle.

Pour autant, les scènes érotiques de La Prisonnière suscitent un frisson que des réalisations plus récentes ne créent pas. De Neuf semaines et demie à Cinquante nuances… le cinéma soi-disant érotique évolue pour le pire. Il y a dans La Prisonnière une recherche esthétique et une sincérité érotique que ces superproductions, formatées pour émoustiller les couples à la Saint-Valentin, ont perdues.

La bande-annonce

La Montagne entre nous ★☆☆☆

Alex (Kate Winslet) est photographe et se marie le lendemain. Ben (Idris Elba) est un chirurgien attendu pour une opération urgente. Ils sont tous deux bloqués dans l’Idaho et décide d’affréter un bimoteur. Hélas, l’avion s’écrase dans des montages enneigées.

La Montagne entre nous tente de croiser deux genres : le survival movie (nos deux héros survivront-ils au froid et à la faim ?) et la romance (finiront-ils par tomber amoureux ?). Toute ressemblance ne serait pas entièrement fortuite avec l’oubliable Six jours et sept nuits (1998) où Harrisson Ford – qui n’en avait déjà plus l’âge – et Anne Heche – dont la qualité du jeu se réduisait à son T-short mouillé – s’échouaient sur une île déserte, bravaient mille morts avant de fondre dans les bras l’un de l’autre,

Pour autant, malgré sa conclusion attendue et son épilogue inutile, La Montagne entre nous n’est pas un navet. Le charisme de ses deux héros le lui épargne de justesse. Kate Winslet, qui acquit à vingt-deux ans à peine une gloire intergalactique avec Titanic, a survécu à cet écrasant succès. Elle a fait carrière en jouant les rôles-titres de films aussi marquants que Eternal Sunshine of a spotless mind, The Reader ou Les Noces rebelles. Elle démontre ici qu’elle est aussi à l’aise sur un glacier que sur un iceberg.
La renommée d’Idris Elba est plus récente. Repéré dans la série The Wire, ce Britannique tout en muscles fait son trou. Son nom circule avec insistance pour remplacer Daniel Craig dans le rôle de James Bond. Certains s’en insurgent déjà n’imaginant pas un 007 noir. Son rôle dans La Montagne entre nous, où la couleur de peau du personnage importe peu, est un argument convaincant au soutien de sa candidature à la plus célèbre franchise du monde.

La bande-annonce

Le Brio ★☆☆☆

Sur l’affiche deux personnes se font face. Alliés ? Ou ennemis ? D’un côté Neïla Salah (Camélia Jordana starlette de la chanson – La nouvelle star – passée au cinéma) : une jeune beurette de banlieue fait sa rentrée en fac de droit à Assas. De l’autre Pierre Mazard (Daniel Auteuil toujours aussi cauteleux) : un vieux cacique cravaté et raciste l’attaque frontalement pour son retard, son langage et sa tenue vestimentaire avant d’être obligé par le président de l’université de la préparer au concours d’éloquence pour faire pièce aux critiques qui le ciblent sur les réseaux sociaux.

J’ai hésité près de deux mois à aller voir Le Brio. Les conseils de quelques amis, son succès insolent au box office (où il s’achemine doucement vers les deux millions d’entrées) ont fini par me convaincre. Et je serais définitivement malhonnête si je refusais d’admettre que je n’avais pas été touché par cette histoire, par ses personnages, par sa conclusion surprenante – là où j’attendais inévitablement le succès triomphal de Neïla en finale du concours.

Pour autant, comment ne pas exprimer des réticences devant tant de caricatures et de simplifications ? À commencer par cette affiche. La photo est prise dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne – alors que l’action est censée se dérouler rue d’Assas à Paris II – et Neïla Salah arbore fièrement un code civil – alors que Pierre Mazard enseigne l’histoire du droit.

Neïla, le cheveu noir, la langue bien pendue, une mère célibattante, une grand-mère débordante d’amour (on retrouve les trois générations de L’Art de perdre, l’extraordinaire roman d’Alice Zeniter), habite un HLM à Créteil. Pierre Mazard constitue son parfait opposé : un mandarin de la faculté, caparaçonné dans son costume-cravate, emmuré dans ses certitudes, qui dîne seul dans un bistro du Quartier latin et vit rue Malebranche.

Comme de bien entendu, nos deux héros, si différents, vont commencer par se détester. Comme de bien entendu, ils vont finir par s’adorer. Ce schéma a déjà fait ses preuves : La Grande vadrouille, L’Arme fatale, Intouchables… Le film déroule sagement toutes les étapes de cette histoire cousue de fil blanc, l’égrenant de quelques préceptes simplistes : pour réussir, il faut se tenir droit, bien articuler et soigner ses apparences.
Sous des abords politiquement correct (acceptons les autres et leurs différences), il charrie en fait un conservatisme sans âge (l’intégration suppose la soumission aux règles de la majorité).

À ce film formaté, concocté pour les dimanches soirs de France 2, préférez sans hésiter l’un des tous meilleurs documentaires de l’année passée, À voix haute, qui suit les candidats du concours Eloquentia et leurs coachs.

La bande-annonce

Si tu voyais son cœur ★☆☆☆

Daniel (Gael Garcia Bernal) ne se remet pas de la mort de son meilleur ami (Nahuel Perez Biscayart). Il échoue dans un hôtel miteux tenu par Michel (Karim Leklou). Francine (Marine Vacth) y occupe aussi une chambre.

La bande-annonce du premier film de Joan Chemla m’avait mis l’eau à la bouche. Tout semblait réuni pour une réussite : une brochette de jeunes acteurs prometteurs, une mise en scène léchée, un film de genre poisseux… Hélas passée la première scène, qui  nous plonge dans un mariage gitan, la magie n’opère pas.

À trop vouloir filmer un milieu, Joan Chemla oublie de raconter une histoire. Elle veut le faire, comme il est aujourd’hui de rigueur, en déconstruisant le récit, en multipliant les retours dans le passé. Si tu voyais son cœur est l’histoire d’un deuil où l’on voit beaucoup le défunt. Sa mort, absurde (il tombe d’un pylône SNCF alors qu’il y dérobait des fils de cuivre), apparaît sur l’affiche et revient comme un refrain – au point de laisser croire, au spectateur habitué aux scénarios à double fond, qu’elle recèle un secret qui se dévoilera ultérieurement.

La périphérie d’une grande ville méditerranéenne – on reconnaît sans la nommer Marseille – est filmée à rebours de tout naturalisme. Au contraire, Joan Chemla prend le parti de l’hyperstylisation, éclairant, sur une musique de l’indémodable Gabriel Yared, l’hôtel Métropole comme Wenders ou Beineix l’auraient fait.
Les acteurs sont excellents. En particulier, Karim Leklou dont je dis ici le plus grand bien depuis sa révélation dans Coup de chaud, l’un de mes coups de cœur 2015, et Marine Vacth, sans doute l’actrice la plus belle du cinéma français contemporain à défaut d’être la plus talentueuse.
Le problème du film est qu’il repose sur du vent. Son scénario, d’une plate banalité, tient en trois phrases. Malgré les qualités qu’on sent poindre chez la jeune réalisatrice, ce défaut est rédhibitoire. Au style bien moins ambitieux, mais grâce à un scénario plus charpenté, Money, sorti l’automne dernier sur un sujet très similaire (une bande de jeunes menant des activités louches dans une ville portuaire), était, dans ce genre, autrement réussi.

La bande-annonce

Downsizing ★☆☆☆

Dans un avenir proche, des scientifiques norvégiens sont parvenus à miniaturiser l’humain. En quelques années le procédé se généralise. Il a un alibi écologique : la miniaturisation, qui permet la réduction de la pollution, est un remède à la surpopulation et à la raréfaction de l’espace et des ressources. Mais il a surtout un avantage individuel : les Américains miniaturisés peuvent espérer un bien meilleur niveau de vie (loyers ridicules, biens de consommation courante à prix minuscules). C’est ce second aspect qui séduit Paul Safranek, un ergothérapeute du Nebraska, et sa femme, fatigués d’une vie médiocre où l’accession à la propriété demeure un rêve inaccessible.

Downsizing démarrait bien. Avec un pitch qui rappelle les délires de Michael Gondry, le réalisateur de Dans la peau de John Malkovich. D’ailleurs sa première moitié est enthousiasmante. Elle commence par un prologue en Norvège où, en quelques plans hilarants, est présentée l’invention. Puis l’on découvre Matt Damon, l’un des acteurs qui, avec Tom Hanks personnifie le mieux l’Américain moyen, bon fils, bon mari (manque à son couple les enfants et le chien qui complètent traditionnellement le parfait foyer américain). Il mène à Omaha une vie sans éclats et décide de se faire miniaturiser avec sa femme. La description de la miniaturisation, menée dans une clinique ultra-moderne selon un processus rigoureux (il faut raser les poils qui semble-t-il, ne se miniaturisent pas à due concurrence pour éviter que les Minimoys se retrouvent transformés en yétis miniatures) nous maintient en haleine. Et c’est ensuite la découverte de la vie miniaturisée, assombrie pour le malheureux héros par une circonstance que je ne dévoilerai pas – même si des critiques moins scrupuleux le font sans vergogne.

La seconde moitié du film commence. Ce n’est pas la meilleure. Pourtant, un boulevard s’ouvrait aux scénaristes de Downsizing. Sur la forme comme sur le fond, ils avaient carte blanche pour inventer tout et n’importe quoi. En particulier, ils auraient pu utiliser le changement d’échelle plus qu’ils ne le font. Mise à part une rose qui, à l’échelle du nouveau monde de Paul a la taille d’un palmier, l’ancien monde, le monde des « grands » a disparu. Tout se déroule désormais à la même échelle alors que le ressort comique et dramatique du film résidait précisément dans l’utilisation de cette différence d’échelle : on pense au chat monstrueux qui attaque le héros de L’Homme qui rétrécit (1957).

Plutôt que d’utiliser cette veine, Alexander Payne invente une histoire entre Paul et Ngoc Lan Tran, une Vietnamienne miniaturisée par son gouvernement pour avoir protesté contre sa politique. Au-delà de ce personnage, l’histoire va révéler que le monde merveilleux de Leisureland est moins doré qu’il n’y paraît ; car, pour permettre aux happy few de faire la fête, il faut toujours un lumpenprolétariat qui vide leurs poubelles et nettoie leurs appartements. L’histoire nous ramène finalement en Norvège, dans la colonie primitive des premiers « petits » qui se prépare à faire face à une menace apocalyptique : des émissions massives de méthane antarctique menace l’humanité. La conclusion, prévisible, a une résonance rétrograde et laisse un malaise.

Downsizing repose sur un postulat économique et psychologique discutable. Économiquement, le coût de la vie des Minimoys serait-il réduit à due proportion de leur taille ? Pas sûr. Une maison de 1 m² coûte-t-elle cent fois moins cher qu’un appartement de 100 ? Sans doute le prix du terrain est-il proportionnel. Mais quid des travaux, de l’aménagement, de l’ameublement qu’il faudrait confier soit à une main d’œuvre « grande » mais hyper-spécialisée soit à une main d’œuvre « petite » sans économie de taille ? Et psychologiquement, qui accepterait de se miniaturiser irréversiblement ? Qui accepterait d’être transformé en homuncule de douze centimètres, insignifiant et vulnérable ?

On me répondra que Downsizing est une fable et qu’il ne faut pas s’arrêter à de telles arguties. Et on aura raison … mais quand même …

La bande-annonce

Le Mystère Picasso ★☆☆☆

Picasso peint. Clouzot le filme.

« On donnerait cher pour savoir ce qui s’est passé dans la tête de Rimbaud quand il écrivit Le Bateau ivre, dans celle de Mozart quand il composa la Symphonie Jupiter« . Ces mots, prononcés en voix off par Clouzot, nous introduisent à un documentaire singulier. On y voit Picasso en train de peindre, le processus créatif en train de se réaliser.

En 1955, Picasso et Clouzot sont chacun au sommet de leur art. À soixante-dix ans passés, le peintre espagnol n’a jamais été aussi productif, aussi célèbre, aussi polémique. De vingt ans son cadet, Clouzot vient de réaliser Le Salaire de la peur et Les Diaboliques. La passion partagée de la corrida les rapproche. Clouzot s’essaie à la peinture. Il est fasciné par le génie et la créativité de Picasso.

Clouzot utilise un procédé cinématographique particulièrement astucieux pour le mettre en scène. Il place la toile entre la caméra et le peintre. Picasso, invisible, utilise des pinceaux et des encres qui la traversent. La caméra filme le verso de la peinture en train de se faire, comme par magie. On voit ainsi Picasso réaliser une vingtaine d’œuvres. La réalisation des premières, à l’encre, est filmée en temps réel. Celle des secondes, à l’huile, plus longue, est filmée en plans fixes assemblés au montage. Entre les deux, un entracte nous révèle le dispositif : Picasso, torse nu, l’œil vif, qui peint et Clouzot qui le filme avec son chef opérateur Claude Renoir (le petit-fils d’Auguste et le neveu de Jean).

La virtuosité de Picasso éclate. Quelques traits suffisent à esquisser une femme nue, un cheval, un torero. On essaie d’anticiper. On y réussit parfois ; on échoue souvent. Dans un cas comme dans l’autre, on est impressionnés.

Alors d’où vient mon manque d’enthousiasme ? D’une part de la durée de film. Prévu au départ pour être un court-métrage d’une dizaine de minutes, il aurait gagné à conserver ce format. Malgré les tentatives de Clouzot d’en dramatiser l’action, les peintures se succèdent avec monotonie. D’autre part et surtout de mon manque de goût pur la peinture de Picasso. J’en reconnais volontiers la vitalité, l’énergie, la puissance. Mais je n’y ai jamais trouvé la sensualité, la délicatesse, la beauté susceptibles de me toucher.

La bande-annonce