Voir du pays ★★☆☆

Une section de militaires français s’arrête à Chypre, en sas de décompression, après six mois passés en Afghanistan. Parmi eux Aurore (Ariane Labed) et Marine (Soko), deux amies d’enfance qui peinent à se faire respecter par leurs camarades masculins.

Le livre de Delphine Coulin et le film qu’elle en a tiré avec sa soeur exploitent un paradoxe : comment passer sans solution de continuité de la guerre à la paix, de la vallée de la Kapisa au beach resort méditerranéen, de la burqa au bikini ?

L’affiche du film joue sur ce contraste : deux militaires caparaçonnés dans un club de vacances. Et elle lui ajoute un paradoxe supplémentaire : ces deux militaires sont des femmes dans un environnement hyperviril.

La situation est terriblement intéressante et le film d’autant plus décevant qu’il n’en tire pas tou le parti. Il s’égare successivement dans deux directions sans choisir entre elles. La première est le traumatisme du conflit et l’impossibilité de l’évacuer. Aidés par des images de synthèse, les militaires sont invités à raconter leurs expériences. Le passé, que tous n’ont pas vécu de la même façon, ne passe pas.

La seconde est la guerre des sexes qui fait rage au sein de la section. Les garçons ont les nerfs à fleur de peau, les hormones en ébullition. Les trois filles de la section sont inéluctablement leur exutoire et leurs proies. La tension monte jusqu’au paroxysme qui aurait pu être plus meurtrier encore. Le film aurait pu s’arrêter là. Son épilogue tristement logique est la pire des publicités pour l’institution militaire

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La Chanson de l’éléphant ★☆☆☆

Un médecin a disparu d’un hôpital psychiatrique. L’un de ses collègues interroge un patient (Xavier Dolan) pour découvrir l’insoupçonnable vérité.

Xavier Dolan est l’enfant terrible du cinéma canadien. Surtout connu pour ses réalisations (Laurence Anyways, Mommy), il passe volontiers devant la caméra. Dans les deux cas, il manifeste les mêmes qualités et les mêmes défauts : une énergie débordante, une violence difficilement canalisée, une immaturité revendiquée.

Son personnage est presque sobre, qui affronte à fleuret moucheté, le psychiatre qui l’interroge. Le problème de La Chanson de l’éléphant vient moins du jeu des acteurs que de la mise en scène. Inspiré d’une pièce de théâtre, « La Chanson de l’éléphant » est du théâtre filmé qui ne s’échappe quasiment jamais des quatre murs du bureau du praticien.

Le théâtre filmé produit parfois des chefs d’œuvre : Macbeth de Welles, Le Limier de Mankiewicz, Dogville de Lars Von Trier. Mais trop souvent hélas il s’agit d’adaptations paresseuses d’une pièce dont on espère prolonger le succès en touchant un plus large public : Dîner de cons ou Le prénom. Même La Cage aux folles ou Le Père Noël est une ordure (dont je connais, comme toute ma génération, la moindre réplique par cœur) sont des films sans qualités.

La Chanson de l’éléphant présente hélas toutes les tares du mauvais théâtre filmé. Aussi brillant soit-il le dialogue du médecin et du patient finit par lasser. Aucun rebondissement ne vient sortir le spectateur de sa torpeur. Jusqu’à un épilogue inutilement dramatique et vaguement ridicule.

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Éternité ★★★★

C’est l’histoire d’une famille sur près d’un siècle. Depuis Valentine (Audrey Tautou) et Jules. Henri (Jérémie Renier) épouse Mathilde (Mélanie Laurent) dont la cousine Gabrielle (Bérénice Béjo) épouse Charles (Pierre Deladonchamps). Du monde extérieur, rien n’est dit ou presque. Seuls comptent les naissances, les baptêmes, les mariages, les enterrements. De la splendide villa construite dans les collines qui surplombent la Méditerranée, on ne sortira jamais. Car, nous dit le film, c’est là que l’essentiel se déroule : dans une vie pure et sans histoire.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Les filmer n’en est que d’autant plus difficile. S’inspirant d’un livre d’Alice Ferney au titre merveilleux L’Elegance des veuves, le réalisateur franco-vietnamien Tran Ahn Hung réalise un film hors norme.

Je conçois aisément les critiques qui pourraient lui être adressées. Une lenteur étouffante. Une beauté trop léchée. Une histoire hors du temps, suspendue dans une bulle. Une voix off pontifiante. Une musique envahissante. Elles sont toutes pertinentes.

Et pourtant j’ai follement aimé ce film bouleversant. Je me suis laissé prendre à son faux rythme. J’ai été subjugué par la beauté de chaque plan, construit comme des tableaux de maître (on pense à Ingres, à Renoir), par les costumes, par les décors. Et j’ai été emporté par la musique qui repique la quasi-intégralité des titres de ma play list de CSP++ germanopratin : Bach, Haendel, Ravel, Debussy…

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Riz amer ★★★☆

Pour échapper à la police qui les traque, un voleur de bijou et sa complice se cachent parmi les travailleuses qui repiquent le riz de la vallée du Pô.

« Riz amer » est un film important et célèbre du cinéma italien.

Sorti en 1949, il appartient au mouvement néo-réaliste. Il partage avec « Rome ville ouverte », « Le Voleur de bicyclette » ou « La Strada » les mêmes caractéristiques : l’approche sociale du sujet et l’importance donnée aux petites gens, une vision marxiste de l’histoire, une esthétique proche du documentaire. A ce titre, « Riz amer » constitue un témoignage quasi-sociologique du travail harassant des « mondines », ces femmes qui, chaque année, repiquent le riz et arrachent les mauvaises herbes, l’eau jusqu’aux genoux, pieds nus, le dos plié.

Mais « Riz amer » participe d’un autre genre : le film noir qui connaissait à l’époque son âge d’or en Amérique (« Le Port de l’angoisse », « Assurance sur la mort », « Laura », « Key Largo »). « Riz amer » en reprend les codes : une intrigue policière, un mauvais garçon, une innocente qui se damne pour lui… C’est la dimension la moins novatrice du film et la moins réussie.

L’immense succès commercial de « Riz amer » tenait à son érotisme torride. Élue miss Rome à seize ans à peine, elle occupe le haut de l’affiche en bas noirs, short court et corsage moulant. Dix ans avant « Et Dieu créa la femme », son numéro de danse avec Vittorio Gassman la propulse instantanément au rang de sex-symbol.

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Le Fils de Jean ★★★☆

Parisien, la trentaine, Mathieu reçoit un appel du Canada. Son père biologique, dont sa mère a toujours refusé de lui dévoiler l’identité, vient de mourir. Mathieu saute dans un avion pour assister aux funérailles et rencontrer sa famille. Mais Pierre, le meilleur ami de son père, l’accueille à l’aéroport et essaie de l’en dissuader.

On connaît la patte de Philippe Lioret, un des rares réalisateurs français dont le nom constitue désormais le meilleur argument de vente. Welcome, Je vais bien, ne t’en fais pas, D’autres vies que la mienne sont autant de drames émouvants aux scénarios parfaitement maîtrisés, servis par des acteurs remarquables.

Le Fils de Jean ne déroge pas à la règle. Il a pour sujet la relation père-fils. Le cinéma lui préfère la relation mère-fille ou pire père-fille, qu’il dépeint avec force larmes.  La relation père-fils est trop bourrue, trop silencieuse pour être montrée.

Philippe Lioret surmonte cet écueil avec son immense sensibilité. Il s’inspire librement d’un livre déjà ancien de Jean-Paul Dubois – qui est décidément souvent adapté ces temps ci au cinéma (La nouvelle vie de Paul Sneijder est également tiré d’un de ses romans). Il s’appuie sur des acteurs impeccables : Pierre Deladonchamps confirme les espoirs suscités par sa composition dans L’Inconnu du lac, Gabriel Arcand sait être dur et doux dans le rôle de Pierre, Catherine de Léan a l’accent québécois et le minois qui va avec. L’intrigue est sur le point de trop s’étirer lorsqu’un twist final lui redonne tout son intérêt.

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La vie est belge ★★★☆

Deux fanfares, l’une wallonne, l’autre flamande, sont sélectionnées pour représenter la Belgique à la finale européenne. Uniront-elles leur force ou s’affronteront-elles dans un combat stérile ?

Vous pensez connaître d’avance la réponse à cette question ? Vous vous trompez. La moindre des qualités de La vie est belge (jolie traduction du titre originel Brabançonne qui n’aurait en effet pas été immédiatement compris d’un public français) n’est pas de sortir du chemin tout tracé qu’annonçait ce scénario prévisible. À cause du décès du soliste flamand, à cause des rêves de gloire du soliste wallon, l’histoire de ces deux fanfares avance sans un temps mort vers une conclusion aussi joyeuse qu’inattendue. Et elle le fait, sous la forme réjouissante de la comédie musicale, soutenant la gageure d’agrémenter le film de jolies chansons sans ralentir l’action. Rajoutez à cela le second rôle de Erika Sainte, une jolie espoir belge revue depuis dans Baron noir et vous comprendrez que ma joie a été totale.

Dans les festivals européens du cinéma organisés aux quatre coins du monde, chaque pays d’Europe a son film fétiche, censé donner de lui l’image la plus positive. Ce fut longtemps Amélie Poulain pour la France, Good Bye Lenin! ou La Vie des autres pour l’Allemagne, La Grande Bellezza pour l’Italie. Si j’étais ambassadeur de Belgique je proposerais sans hésiter La vie est belge.

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Édouard, mon pote de droite ★★☆☆

Laurent Cibien et Édouard Philippe ont usé leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs d’école. Vingt-cinq ans plus tard, le premier, devenu documentariste, filme la campagne électorale du second, candidat à sa succession à la mairie du Havre en mars 2014.

J’ai moi aussi usé mes fonds de culotte sur les mêmes bancs d’école que le député-maire du Havre. Nous avons obtenu la même année le diplôme de Sciences Po – où Édouard militait chez les jeunes rocardiens – puis l’ENA et le Conseil d’État. Sauf que nos destins ont ensuite divergé : pendant que je passais mes journées au cinéma, Édouard Philippe s’est engagé en politique aux côtés d’Alain Juppé qu’il a secondé dans la création de l’UMP. Conseiller municipal du Havre en 2001, conseiller général en 2008, maire du Havre et président de la communauté d’agglomération en 2010, député de la 7ème circonscription de Seine-Maritime en 2012, Édouard Philippe gravit une à une les marches du pouvoir et deviendra probablement ministre si son mentor remporte la prochaine présidentielle.

Le documentaire de Laurent Cibien s’inscrit, nous dit le réalisateur dans un « travail au long cours sur la fabrique du pouvoir dans la France contemporaine ». Le résultat n’est hélas pas à la hauteur de ce programme ambitieux.

Édouard, mon pote de droite hésite entre deux projets : la description d’une campagne municipale qui réhabiliterait le politique dans ce qu’il a de plus modeste et le portrait d’une « bête » politique, maire aujourd’hui, ministre demain.

La caméra de Laurent Cibien ne cherche pas à piéger son sujet. On est loin des documentaires décapants de Yves Jeuland sur Georges Frêche ou de Stéphane Bron sur Christoph Blocher. Le député-maire y apparaît toujours à son avantage. Sa bonne humeur est insubmersible. Le doute jamais ne l’effleure. Il travaille en musique, sans donner l’impression que cette campagne lui demande un effort ou lui impose un sacrifice. Il ponctue chacune de ses interventions de petites blagues promptes à susciter la sympathie. Est-ce un air qu’il se donne ou le portait fidèle de sa personnalité ? Pour le connaître un peu, je pencherai pour la seconde option.

Laurent Cibien nous parle de la politique : la constitution de la liste municipale, l’organisation des meetings de campagne, la tournée des bureaux de vote le jour du scrutin, la victoire dès le premier tour… Mais à aucun moment ne sont évoqués les sujets de fond : quel projet Édouard Philippe et ses co-lisitiers proposent-ils pour Le Havre ? comment cette campagne s’inscrit-elle dans le contexte national (le nom du président de la République n’est pas prononcée une seule fois) ? Sans doute, comme le dit le député-maire, l’enjeu est-il local : « Il n’y a pas de tramway de gauche ou de tramway de droite ». Sans doute le documentaire de référence de Raymond Depardon 1974, une partie de campagne n’évoquait-il guère plus les sujets de fond de la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing. Pour autant on regrette la superficialité d’un portrait qui reste à la surface d’un homme et de ses convictions.

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Divines ★★★★

Dounia et Maimounia sont « deux mouflettes de banlieue » – pour reprendre la jolie expression de Télérama dont elles font la couverture. Dounia est une beurette poids plume à la langue bien pendue qui vit misérablement dans un bidonville avec sa mère pute et alcoolo ; Mamounia est une renoi poids lourd dont le père est l’imam de la salle de prière. L’une et l’autre sèchent les cours du BEP, maraudent au centre commercial, rêvent d’argent facile.

Ainsi pitché, Divines ne justifiait à mes yeux de critique ni la Caméra d’Or qu’il a obtenu à Cannes ni les critiques dithyrambiques de la presse. Critique blasé, quarantenaire et vaguement réac, je me disais que cette semaine était décidément trop politiquement correct après le Nocturama de Bonello dont j’ai fait mon coup de gueule. Je ne voyais a priori aucune originalité dans Divines, ressassant le thème de la banlieue et de sa jeunesse sans repères exploré avec succès par Abdellatif Kechiche (L’Esquive), Laurent Cantet (Entre les murs) ou Céline Sciamma (Bandes de filles). Et j’ai été franchement rebuté par les interviews de la réalisatrice Houda Benyamina qui enfonce les portes ouvertes à coup de formules creuses

Coup de cœur. Toutes mes préventions ont disparu en deux scènes. La première sur des images sans dialogues de la cité anonyme où Douna et Maimouna chahutent au son paradoxal et inattendu du Nisi Dominus de Vivaldi. Mais surtout la deuxième : Dounia est en classe et joue le rôle d’une hôtesse d’accueil pour préparer l’examen qui sanctionnera son BEP et lui permettra peut-être de décrocher un emploi humiliant et sous-payé. La jeune élève se rebelle ; le ton monte ; elle injurie l’enseignante vite débordée. Je suis scotché. Dans quel film suis-je tombé ?

Certes, Divines n’est pas exempt de défaut. Il hésite entre le réalisme documentaire et la fable sans arrêter son parti. Dounia et Mamounia se disent matérialistes, prêtent à tout pour « faire du fric », rêvant de conduire une Ferrari à Phuket et hurlant de joie dans une décapotable sur les Champs-Elysées ; et elles sont en même temps émues au tréfonds d’elle-même par les chorégraphies du ballet de danse contemporaine dont elles espionnent en cachette les répétitions. Le caïd de la cité est Rebecca, une aînée qui renverse les codes de l’hypervirilité ; mais le personnage manque de crédibilité et en perd plus le film avance.

Pour autant, j’écarte les réserves que Divines peut inspirer et lui accorde, conscient de la subjectivité de ma notation, les quatre étoiles que sa contagieuse vitalité mérite.

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Colonia ★☆☆☆

Lena (Emma Watson) est anglaise et hôtesse de l’air ; Daniel est allemand et photographe. Ils se rencontrent au Chili, à la veille de l’assassinat de Salvador Allende et sont emportés dans le coup de filet de la junte d’Augusto Pinochet. Lena est rapidement libérée ; mais Daniel, membre des jeunesses socialistes, est transporté à Colonia Dignidad, une colonie agricole sectaire fondée par un gourou allemand pédophile qui y fait régner un ordre de fer et qui abrite une prison secrète de la junte. Pour libérer Daniel, Lena décide de s’y enrôler.

« Basée sur des faits réels », Colonia utilise les recettes éculés du drame. Deux héros incarnent le Bien : beaux, jeunes, animés de valeurs humanistes et prêts à mourir l’un pour l’autre. Face à eux le Mal est incarné par Paul Schäfer (Michael Nyqvist) qui fut en effet, après sa participation à la Seconde guerre mondial dans les rangs de la SS et ses démêlés judiciaires en RFA, le fondateur de cette colonie en 1961.

Entre le Bien et le Mal une lutte à mort s’engage. Daniel est passé à la gégenne, Léna à tabac. Le statut de stars des deux protagonistes nuit à la crédibilité de leurs personnages : on a du mal à oublier Harry Potter en regardant Emma Watson et Good Bye Lenin! Daniel Brühl. L’histoire pourrait être bouleversante ; mais l’issue en est trop prévisible pour rendre le suspense haletant. Et si même la dernière scène nous tient en suspens, elle n’atteint pas le niveau d’intensité de l’épilogue de Argo qui lui ressemble beaucoup.

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Man on High Heels ★★★☆

L’inspecteur Ji-wook est un policier redoutable, passé maître dans les arts martiaux, qui terrifie les caïds les plus chevronnés. Mais l’inspecteur Ji-wook est aussi un homme animé, depuis son enfance, du désir inavouable de changer de sexe.

Imaginez d’un côté un polar coréen agrémenté de combats chorégraphiés par John Woo ou Wong Kar-wai (l’inspecteur Ji-wook et son parapluie rappellent furieusement  le héros de The Grandmaster). Imaginez de l’autre un film sur le transgenrisme : Tangerine, Transamerica ou The Danish Girl. Mélangez les deux ! Impossible me direz-vous ! Et vous aurez raison ! Quoi de plus macho que ces films de kung-fu où des mâles bodybuildés dérouillent des méchants à la douzaine.

Mais, à la réflexion, le mélange a plus de sens qu’il n’y paraît. L’imagerie du kung fu charrie en effet, sous couvert d’une glorification très macho de l’hypervirilité, une dimension profondément homo-érotique. Le même paradoxe s’appliquait aux combats de gladiateurs des années 60 – ou à Charlton Heston, le héros de Ben Hur, promu icône gay à son corps défendant.

C’est sur cette ambiguïté à la fois totalement paradoxal et parfaitement sensée que joue le film de Jan Jin, honnête faiseur coréen qui compte déjà à son actif quatre polars inédits en France. Sans doute le fait-il parfois sans subtilité. Les flashbacks, s’ils donnent au personnage de Ji-Wook une épaisseur psychologique, sont filmés dans une lumière inutilement radieuse. La conclusion, certes inattendue, s’allonge inutilement à force de rebondissements. Mais Man on High Heels (puissamment traduit Le Flic aux talons hauts) est suffisamment original pour mériter le détour.

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