Une prière avant l’aube ★★★☆

Billy Moore, un jeune Anglais, vit en Thaïlande. Il y livre à des combats de Muay Thai, un sport violent et exigeant. Billy survit avec les gains de ses combats et des petits trafic de yaba (une méthamphétamine très répandue en Asie). La police l’arrête. Il est jeté en prison.

Une prière avant l’aube est un titre déroutant. Car on ne prie pas souvent dans le film de Jean-Stéphane Sauvaire et que, si l’aube pointe, c’est au terme de nuits sans sommeil.

À ceux qui croyaient que les prisons thaïlandaises sont accueillantes, Une prière avant l’aube apportera un démenti cinglant. On est plus proches de Midnight Express et de ses cellules rongées par la vermine que de l’ambiance confraternelle du Journal de Bridget Jones 2.

La promiscuité y est étouffante, le bruit étourdissant, la violence omniprésente. La caméra de Jean-Stéphane Sauvaire, qui filme les personnages au plus près, restitue cette atmosphère étouffante. En saturant la bande-son de cris et d’invectives, sans les sous-titrer, il nous fait partager le désarroi et l’isolement de ce jeune Anglais lâché dans un environnement hostile. L’expérience est traumatisante : on assiste à une succession quasi-interrompue de scènes de violence, de viol, de meurtre… La douceur que Billy trouve dans les bras de M, un lady boy, constitue une rare oasis.

La boxe est tout à la fois l’expression et l’exutoire de cette violence omniprésente. Billy Moore va s’y adonner pour se sauver de l’addiction aux drogues. Là encore, ses combats sont filmés au plus près, sans aucune distance, nous en faisant partager l’adrénaline électrisante et la violence terrifiante.

On apprend à la fin du film que Billy Moore a vraiment existé. Comme le héros du film, il était un petit voyou et un drogué, emprisonné en Thaïlande pour trafic. Un carton nous apprend qu’il a été extradé au Royaume-Uni, qu’il a fini d’y purger sa peine et qu’il consacre désormais sa vie à aider de jeunes drogués. Il a raconté son histoire dans un livre à succès, publié en 2014 et porté à l’écran trois ans plus tard. Une prière avant l’aube a été projeté à Cannes, à la séance de minuit, en 2017. L’histoire serait édifiante si l’on n’apprenait pas par ailleurs que Billy Moore ne put assister à l’avant-première de son film en Grande-Bretagne : il avait été incarcéré quelques jours plus tôt à Liverpool pour vol à main armée.

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Sans un bruit ★★★★

Dans un futur post-apocalyptique l’humanité a été quasiment détruite par des créatures mystérieuses, dont l’ouïe ultra-sensible permet de détecter le moindre bruit et dont la motricité et la force ne laissent à leurs proies aucun sursis.
La famille Abbott a réussi à survivre, sans faire un bruit, à force d’inventivité. Mais l’équilibre qu’ils ont patiemment construit dans leur maison est menacé par la grossesse d’Evelyn et l’arrivée au monde d’un bébé forcément bruyant.

A quiet place a fait un triomphe aux États-Unis. Triomphe mérité tant ce film est un chef d’œuvre qui m’a cloué (retenez ce verbe) à mon fauteuil de la première à la dernière minute, moi que pourtant terrifient les films d’horreur.

A quiet place n’est pas seulement un film d’horreur avec des grosses bestioles terrifiantes – façon Alien – jouant au chat et à la souris avec d’innocentes victimes. C’est un film d’horreur post-apocalyptique familial et intelligent.

Un film post-apocalyptique. L’adjectif est à la mode. Il est devenu un genre à part entière, dans la littérature puis au cinéma (Je suis une légende, World War Z, L’Aveuglement, Le Transperceneige, Walking Dead, La Route…). Et c’est tant mieux. J’adore les interrogations que suscite le postulat de départ : que se passerait-il dans un monde détruit dans sa quasi-totalité ? quel sens métaphysique y conserverait le combat à mort que doit livrer une poignée d’humains résilients pour survivre ? La Route de Cormac MacCarthy est, à cet égard, l’un de mes romans préférés, d’autant plus terrible qu’un père et son fils ne sont pas menacés par je-ne-sais-quelle violence surnaturelle mais par la dureté des éléments et la cruauté égoïste des autres survivants.

Comme le livre de MacCarthy – et le film de John Hillcoat – A quiet place interroge le lien familial. Un lien familial mis à mal, dès les premières images du film, par un drame terrible dont on ne dira mot, mais qui nous souffle et nous glace. Sans qu’une seule parole soit prononcée, A quiet place nous fait comprendre l’amour immense qui unit Lee, Evelyn et leurs enfants. La circonstance que le couple Abbott soit interprété par John Krasinski et Emily Blunt (ah… Emily … soupirs enamourés), unis à la ville, n’est pas sans impact. On frise parfois l’indigestion familialiste très US ; mais on n’y succombe pas.

Enfin, et c’est le plus important, A quiet place est un film intelligent. S’il parle à notre cœur en mettant en scène une famille aimante, il parle tout autant à notre intelligence avec ce père bricoleur prêt à tout pour sauver sa famille, cette mère enceinte dont le courage impressionnant au moment d’accoucher dans les pires circonstances nous cloue à notre fauteuil (encore ? y aurait-il une subtile allusion ?) et cette fille futée qui saura faire de sa surdité un atout paradoxal pour combattre des créatures hyperacousiques. Pas facile a priori de raconter l’histoire sans paroles d’une famille condamnée au silence pour survivre. Le scénario aurait pu faire du surplace. Il n’en est rien.

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Le Cercle littéraire de Guernesey ★★★☆

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Juliet Ashton, une jeune romancière londonienne à succès, reçoit de Guernesey une lettre d’un fermier qui lui raconte comment, pendant l’occupation allemande, il a participé à la création d’un groupe de lecture. Sa curiosité aiguillonnée, la romancière se rend sur l’île, y fait la connaissance des membres du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates et pressent qu’on lui cache une partie de la vérité.

The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society, écrit par une auteure américaine décédée avant sa publication en 2008, fut un best-seller mondial. Sous la forme d’un roman épistolaire, il racontait l’histoire d’une romancière londonienne séduite par l’île de Guernesey et ses habitants.
Son succès avait plusieurs causes. Le premier était l’exotisme de l’île de Guernesey, petite île anglo-normande aux rivages escarpés. Sa proximité des côtes françaises lui valut d’être occupée de juin 1940 à mai 1945. Si l’Occupation fait partie de l’Histoire de France et y inspira bon nombre de livres et de films (La grande vadrouille, L’Armée des ombres, Le vieux fusil…), le Royaume-Uni ne s’est jamais pensé, et pour cause, comme un territoire occupé, ce qui rend originale la situation, largement méconnue, des Îles anglo-normandes.
Mais Le Cercle littéraire… ne vaut pas seulement par sa reconstitution historique de temps de guerre. Son sujet principal est la lecture, les plaisirs solitaires qu’on y trouve, les prétextes qu’elle offre de rencontrer d’autres lecteurs.

Le succès du livre fut tel qu’une adaptation à l’écran était prévisible. De nombreuses difficultés l’ont retardée. Kenneth Branagh avait été annoncé à la réalisation, avant d’être remplacé par Mike Newell, un septuagénaire dont le nom reste associé à Quatre mariages et un enterrement, Donnie Brasco et le plus mauvais des Harry Potter. Kate Winslet, Anne Hathaway ou Emily Blunt avaient été évoquées pour le rôle principal avant que Lilly James – ravissante dans un rôle secondaire de Downton Abbey – ne soit retenue. Le tournage qui aurait dû se dérouler à Guernesey dut être délocalisé sur la côte anglaise, faute pour la petite île de pouvoir accueillir la lourde logistique d’une superproduction hollywoodienne.

Le résultat est sans surprise. Le Cercle littéraire de Guernesey (le titre français a été raccourci alors que le titre anglais du film est le même que celui du livre) ressemble aux meilleures séries de la BBC. Il ne manque pas un bouton aux tenues impeccables de Lilly James, pas un brin d’herbe aux paysages vallonnés de Guernesey et pas un grain de poussière aux vieux volumes de Brontë et de Shakespeare déterrés du grenier pour nourrir les veillées littéraires à la chandelle.

De là à dire que le film croule sous son académisme, il n’y a qu’un pas que des critiques sans cœur n’ont pas hésité à franchir. Je ne saurais les blâmer. Pour autant, je dois confesser un penchant coupable pour ce genre de films. Même si j’adore Black Mirror ou The Leftovers, Downton Abbey reste, de loin, ma série préférée, celle que j’emmènerais sur une île déserte (avec un lecteur de DVD et un générateur) pour revoir le froncement de sourcil de Hugh Bonneville et le sourire pincé de Maggie Smith. Les émois amoureux de jeunes gens bien habillés dans la campagne anglaise me font immanquablement verser une larme. J’en ai versé plus d’une devant ce Cercle littéraire. Faute avouée…

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Désobéissance ★★☆☆

À la mort de son père, le rabbin Krushka, Ronit (Rachel Weisz), qui s’était exilée à New York, revient à Londres. La jeune femme avait quitté la communauté juive orthodoxe où elle avait grandi dont elle ne supportait plus les règles étouffantes.
Elle est accueillie par son ami d’enfance Dovid (Allesandro Nivola), que le rabbin avait adopté comme son fils spirituel et qui s’apprête à lui succéder. Dovid a épousé Esti (Rachel MacAdams), liée à Ronit par un indicible secret.

On pourrait paresseusement qualifier Désobéissance de romance lesbienne dans une communauté juive orthodoxe.
Une histoire d’amour impossible entre deux amants du même sexe. On pense bien sûr à Brokeback Moutain ou à Carol.
Une communauté juive ultra-orthodoxe, ses rites, ses règles et ses membres qui y étouffent. L’action se passe à Londres. Elle aurait pu se passer à Jérusalem (Kaddosh), à Haïfa (Prendre femme) ou à New York (Brooklyn Yiddish).

Pour autant, Désobéissance n’est pas cela. Ou, en tout état de cause, Désobéissance est plus que cela.
Que l’histoire d’amour entre Ronit et Esti rapproche deux femmes n’a tout bien considéré aucune importance – si ce n’est de donner l’occasion à deux des plus jolies actrices du moment de s’embrasser à bouche que veux-tu.
Et que l’action se déroule dans la communauté juive de Londres n’en a guère non plus, si ce n’est de nous introduire dans un milieu fascinant par l’anachronisme de ses rites et la beauté de ses chants. Elle aurait pu se dérouler dans n’importe quelle communauté régie par des règles (La mauvaise réputation, sortie la semaine dernière, décrivait le parcours d’une jeune musulmane qui avait défié l’autorité paternelle).

Le sujet de Désobéissance est ailleurs. Il est dans l’homélie du rabbin Krushka qu’il prononce dans la toute première scène du film. Il y évoque les créations divines : les anges, les animaux guidés par leur instinct et l’homme doté d’une qualité, le libre arbitre.

La liberté est le vrai sujet de Désobéissance. La liberté de choisir. La liberté de laisser l’autre choisir. C’est de cette liberté qu’a usé Ronit en décidant de quitter son père, de partir à New York, au risque de se couper de ses racines. C’est de cette liberté dont Esti va faire lentement l’apprentissage en remettant en cause les choix de vie qu’elle a effectués jusqu’alors. C’est aussi cette liberté que Dovid, personnage faussement secondaire, loin du manichéisme qu’on pouvait craindre, interprété avec délicatesse et douceur, va toucher du doigt alors que ses péripéties conjugales remettent en cause sa vocation.

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Alberto Giacometti, The Final Portrait ★☆☆☆

En 1964, à Paris, le jeune écrivain James Lord pose pour Alberto Giacomertti, l’immense artiste au sommet de sa gloire.
La séance ne devrait durer que quelques heures. Mais, par la faute du perfectionnisme du peintre, de ses sautes d’humeur imprévisibles, elle se poursuivra pendant près de trois exténuantes semaines.

Certains biopics racontent l’histoire de leur sujet, du berceau jusqu’au tombeau (La Môme, Cloclo, Yves Saint-Laurent, J. Edgar…). D’autres au contraire choisissent de se focaliser sur un épisode de leur vie (Lincoln, Jackie, Mr. Turner, Pasolini…). C’est cette deuxième voie qu’emprunte Stanley Tucci, le célèbre second rôle américain, qui a tourné avec John Huston, Woody Allen et Steven Spielberg et qui, de temps en temps, sans qu’on sache pourquoi, passe derrière la caméra.

Il n’est pas sûr que ce film-là marque durablement sa filmographie. Dans un Paris d’opérette, bizarrement reconstitué sous le ciel gris de Londres, il a rassemblé un casting cosmopolite : l’Australien Geoffrey Rush campe en anglais un artiste suisse, Sylvie Testud joue en français son épouse et Clemence Poesy, un pied de chaque côté de la Manche, interprète sa maîtresse. Le seul à tirer son épingle du jeu est Armie Hammer, aussi gay et élégant ici que dans Call me by your name.

The Final Portrait traite de l’insatisfaction chronique de l’artiste, de l’incapacité à mettre un trait final à son oeuvre, de son perfectionnisme maladif qui dévore tout, sa vie et celle de ceux qui l’entourent. Il faut une trentaine de minutes pour le comprendre. Hélas, le film dure une heure de plus. Une heure pendant lequel Geoffrey Rush éructe la clope au bec, Armie Hammer soupire silencieusement sur sa chaise, Sylvie Testud fulmine dans sa cuisine et Clémence Poesy minaude en talons hauts. C’est long…

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Sicilian Ghost Story ★★☆☆

Le fait divers avait glacé l’Italie : un adolescent de treize ans, fils d’un maffieux repenti, est kidnappé, emprisonné pendant plus de deux ans et finalement assassiné par ses ravisseurs en 1996 qui dissolvent son corps dans l’acide.
Fabio Grassadonia et Antonio Piazza décident de raconter l’histoire morbide de Giuseppe Di Matteo par les yeux de Luna, son amoureuse. Julia Jedlikowska campe une adolescente têtue qui met tout en œuvre pour briser la loi du silence et retrouver son ami. Son obstination émeut, surtout si l’on en sait par avance l’insuccès.

Les réalisateurs auraient pu filmer cette histoire avec naturalisme. Ils optent pour un autre choix artistique. Leur caméra se fait poétique, onirique, filmant les rêves d’évasion de Giuseppe et de Luna, dissipant bientôt les frontières entre la réalité et le songe. Ce que le film gagne par ce choix en beauté plastique, il le perd en efficacité. D’une durée de près de deux heures il aurait pu sans peine en être amputé du quart.

Projeté à la Semaine de la critique à Cannes en 2017, Sicilian Ghost Story a peiné à trouver un distributeur en France malgré son succès en Italie. Sorti en catimini dans un petit réseau de salles, il n’est pas sûr qu’il réussisse à trouver un public.

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Hérédité ☆☆☆☆

Dans la famille Graham, je demande la grand-mère Ellen. Pas de chance : elle vient de mourir. Sa fille Annie (Toni Collette) et son beau-fils Steve (Gabriel Byrne) ne semblent pas si affectés. On comprend que les dernières années d’Hélène, qui souffrait de schizophrénie et de démence sénile, n’ont pas été faciles. En revanche ses petits-enfants sont plus choqués : Peter qui tarde à sortir de l’adolescence et Charlie, la cadette, qui était la plus proche de sa grand-mère, qui vient d’y entrer.

Le premier plan de hérédité intrigue. La caméra se promène dans un atelier, au milieu de maisons de poupées – dont on comprendra plus tard que Annie les construit – avant de se rapprocher de l’une d’elle pour y filmer… le réveil de Peter le matin des funérailles de sa grand-mère.

Mais très vite (façon de parler car le film, interminable, se traîne pendant plus de deux heures), Hérédité retrouve les codes bien huilés du film de genre. Celui-ci emprunte les chemins compliqués du spiritisme. On découvre que Ellen le pratiquait pour communiquer avec les morts en compagnie de sa vielle amie Joan (interprétée par Ann Dowd qui depuis The Leftovers ou The Handmaid’s Tale semble se spécialiser dans les rôles de vieille dingue inquiétante) et qu’elle a transmis ce don à son petit-fils.
Ces découvertes affecteront la malheureuse Annie qui sombrera bien vite dans la folie.

Le film se termine par un épilogue complètement barré, limite grand-guignolesque, qui a achevé de m’en détourner. Vu les critiques dithyrambiques du Monde ou de Télérama, je suis manifestement passé à côté d’un chef d’oeuvre.

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Volontaire ★☆☆☆

Volontaire (adj.) : Qui veut fermement arriver à réaliser sa volonté.
Volontaire (nom commun) : Qui a contracté un engagement dans l’armée de son plein gré (masculin et féminin identiques)

Hélène Fillières joue sur les mots. Elle met en scène une jeune étudiante qui, après de solides études, décide de s’engager dans la Marine. Mais surtout, elle raconte comment une femme, à force de détermination et de volonté, va réussir à se faire une place sans rien nier de sa féminité dans une institution qui ne lui était pas spontanément accueillante.

Laure fait le choix des armes, sans trop qu’on sache pourquoi, alors que tout dans son histoire familiale aurait dû la conduire à des choix moins conservateurs. La première scène la filme de dos, avec son fiancé, face à ses parents (Josiane Balasko et André Marcon en indécrottables bobos) qui ne comprennent pas son choix et le récusent. Et c’est l’arrivée à l’École navale où la jeune aspi est immédiatement affectée (sans formation initiale ?) au secrétariat du directeur des études, le redoutable commandant Rivière (patronyme cocasse pour un officier de marine).

Le rôle est interprété par Lambert Wilson, la tempe grisonnante, toujours aussi séduisant, qui joue presque trop bien le trouble de l’homme mûr face à la beauté de la jeunesse. C’est que le regard bleu lagon de Diane Rouxel et sa blondeur hyperboréenne en troubleraient plus d’un. Pendant tout le film, la jeune engagée brûlante de désir et le vieux marin (d’eau douce ?) se croisent, se frôlent, s’attirent, s’évitent. L’épilogue élégant a des airs de Lost in Translation.

Cette histoire d’amour réussirait presque à nous faire oublier l’histoire de Laure. C’est qu’elle n’a rien que de très banal. Comme il était prévisible, la jeune femme va se jouer des résistances semées sur son chemin pour atteindre son but : coiffer le célèbre « béret » vert (non ! ce n’est pas un spoiler ! c’est l’affiche du film !). Cette histoire, jouée d’avance, n’a rien de très intéressant, ni de très palpitant. La Marine – dont on sait combien, depuis la fin de la conscription, elle est en mal de bras – aurait voulu tourner un clip de recrutement, elle ne s’y serait pas prise autrement.

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Trois visages ★☆☆☆

Jafar Panahi n’a jamais été aussi fécond que depuis qu’il est bâillonné par le pouvoir iranien. Condamné en 2010 à une peine d’emprisonnement de six années qu’il n’exécute pas tant qu’il tourne de films, il en a tourné depuis sous le manteau pas moins de quatre qu’il a réussi à faire diffuser en Occident où ils ont tous connu un vif succès : Ceci n’est pas un film (2011), Pardé (2013), Taxi Téhéran (2015) et aujourd’hui Trois visages (2016).

À quoi le réalisateur doit-il un tel succès ? À la morgue crâne avec laquelle il tient tête au régime des mollahs ? Ou à la qualité intrinsèque de ses films qui sont autant de témoignages sur l’Iran contemporain et d’hymnes à la liberté humaine ?

C’est la question que suscite Trois visages. Qu’il faille bien entendu défendre Jafar Panahi contre la condamnation inique dont il fait l’objet, cela ne fait aucun doute. L’homme, la démarche, le courage méritent notre sympathie et notre soutien. Mais de là à lui réserver à chacun de ses films des éloges obligés, il y a un pas que l’objectivité empêche de franchir.

On aura compris en lisant les lignes qui précèdent que Trois visages ne m’a pas enthousiasmé. De quoi s’agit-il ? Comme dans ses précédents films, Jafar Panahi se met en scène. De moins en moins contraint, ou de plus en plus audacieux, il quitte le cocon protecteur de son appartement ou de sa voiture depuis lequel il avait tourné Ceci n’est pas un film et Taxi Téhéran. Comme Abbas Kiarostami, son maître, il part en province, dans l’Azerbaïdjan iranien en compagnie d’une actrice à succès (Behnaz Jafari elle aussi dans son propre rôle) qui a reçu un appel à l’aide d’une jeune fille. Celle-ci s’est-elle suicidée ? ou a-t-elle imaginé un simulacre pour attirer sur elle l’attention? Le suspense dure la moitié du film ; mais, une fois qu’il est levé, Trois visages est privé de toute tension, de toute intrigue.

On y voit donc deux citadins, Jafar Panahi et Behnaz Jafari (fantastiquement belle mais terriblement mal fagotée), sillonner en Pajero un hameau azeri. Ils croisent les autorités du village, la famille de la disparue et une vieille femme, qui fut actrice de cinéma avant la Révolution et qui est recluse dans sa maison depuis lors. On voudrait nous faire passer la précarité du tournage pour de la spontanéité quasi-documentaire, quelques scènes de groupe pour un travail anthropologique sur le patriarcat toujours vivace de l’Iran profond, d’interminables plans séquences filmés derrière un pare-brise sale pour un road-movie plein de poésie. À l’écran, le résultat est une chronique sans rythme d’un village sans intérêt.

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Hedy Lamarr: from Extase to Wifi ★☆☆☆

Hedy Lamarr née Hedwig Kiesler (1914-2000) a eu une vie hors du commun. Sa beauté stupéfiante a ouvert à cette jeune Autrichienne les portes des studios du cinéma où elle fit une entrée fracassante en jouant nue dans Extase (1933) et en y simulant un orgasme. D’origine juive, elle prend rapidement la poudre d’escampette vers l’Angleterre puis vers les États-Unis où Louis B. Mayer la recrute. Elle tourne sous la direction des plus grands : King Vidor, Victor Fleming, Richard Thorpe, Cecil B. DeMille (qui lui donne dans Samson et Dalila en 1949 son rôle le plus célèbre).

Mais Hedy Lamarr n’est pas seulement une diva dont la tumultueuse vie sentimentale (elle n’eut pas moins de six époux) fit le bonheur des tabloïds. Comme l’indique le sous-titre du documentaire, Hedy Lamarr était aussi une femme inventive. Dans les années quarante, elle imagina et fit breveter un système de communication par sauts de fréquence pour permettre le guidage des torpilles sous-marines. Le brevet ne fut pas utilisé. Mais quelques années plus tard, l’armée américaine le reprit à son compte. Et aujourd’hui, la technologie utilisée  par la WiFi et le GPS empruntent au dispositif imaginé par Hedy Lamarr pendant la Seconde Guerre.

Ce qui précède résume la vie de Hedy Lamarr et la vision hagiographique qu’en donne le très conventionnel documentaire de Alexandra Dean.
Il faut lui reconnaître aussi le mérite d’évoquer la « légende noire » de l’actrice-inventrice : un fils adoptif qu’elle a abandonné, des arrestations et même de la prison pour une kleptomanie compulsive et des opérations ratées de chirurgie esthétique qui la défigureront au crépuscule de sa vie.

Mais cette série d’avanies est présentée comme autant de malheurs subis par une femme qui n’aurait pas mérité de finir sa vie dans la misère, faute d’avoir touché les revenus que son invention géniale aurait dû lui garantir.

On peut émettre des réserves sur une telle approche. Car outre son visage d’une exceptionnelle beauté, il n’est pas sûr que Hedy Lamarr mérite la fascination que la réalisatrice nourrit à son égard et voudrait nous faire partager. La modestie de Hedy Lamarr n’était pas sa plus grande qualité. Sa misanthropie et son égoïsme sont frappants – si on les compare par exemple à l’engagement d’une Katherine Hepburn. Et ses droits sur une invention tombée dans le domaine public sont discutables. Quant à sa déchéance physique et à sa solitude dans son vieil âge, on s’en apitoiera si on a du cœur et on estimera qu’elle en porte en partie la responsabilité si on n’en a pas.

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