Belgica ★☆☆☆

J’avais beaucoup aimé les précédents films de Félix Van Groeningen – qui, comme son nom l’indique, n’est ni italien ni portugais. La Merditude des choses et Alabama Monroe, une comédie dramatique et un drame non dépourvu d’humour qui avaient tous les deux la truculence et la générosité d’un potjevleesch flamingant.

J’ai été du coup d’autant plus déçu par Belgica qui s’annonçait dans la continuité prometteuse de ces deux premiers films.

L’action se passe à Gand, dans le café où le jeune Félix a grandi. Deux frères décident de transformer ce rade minable en bar branché. Ils y mettent toute leur -communicative – folie et connaissent vite le succès. Mais la réalité a tôt fait de rattraper leur rêve.

Oui, Belgica est un film survolté, euphorisant, énergisant. Oui, l’anarchie de la fête, son bruit, sa sueur, son hébétement, son euphorie aussi, ont rarement été aussi bien filmés – et je sais de quoi je parle moi qui passe mes nuits en boîte ! Oui, les deux héros, avec leurs brisures et leur grand cœur, sont attachants. Oui, la musique est géniale.

Pour autant, le film fait du surplace. Son seul moteur est la rivalité, aux motifs pas très lisibles, qui grandit entre les deux frères. Aucune surprise, aucune émotion non plus – si ce n’est peut-être dans certains rôles secondaires (l’épouse délaissée, la maîtresse moins cruche qu’il ny paraît…) trop vite sacrifiés. Belgica aurait pu sans préjudice faire trente minutes de moins. Un poil trop racoleur, un brin trop vulgaire pour convaincre.

La bande-annonce

Nahid ★★★☆


Je n’ai jamais mis les pieds en Iran ; mais grâce à Jafar Panahi (Sang et Or, Hors jeu, Taxi Téhéran), Asghar Farhadi (Une séparation, À propos d’Elly), Mehran Tamadon (Iranien), Sepideh Farsi (Red Rose), ce pays m’est devenu familier. Ou plutôt une certaine image de l’Iran filmé par des cinéastes jouant au chat et à la souris avec la censure.

À cette liste déjà longue de réalisateurs sensibles et critiques, il faut ajouter Ida Panahandeh qui signe à 35 ans son premier film. Celui-ci a reçu un accueil chaleureux à Cannes dans la section Un certain regard.

La filiation avec le film berlino-césaro-oscarisé d’Asghar Farhadi est évidente. Elle ne se réduit à son interprète principale, l’émouvante Sareh Bayat, et à son distributeur. Une séparation évoquait – notamment – un divorce. Nahid commence là où Une séparation se termine. C’est l’histoire de l’après-divorce. L’héroïne, Nahid, a obtenu la garde de son fils, un adolescent turbulent, à la condition de rester célibataire. Mais elle  rencontre Masoud et en tombe amoureux.

L’Iran n’a pas le monopole des violences faites aux femmes. Avec Le Procès de Viviane Amsalem, Ronit Elkabetz avait peint les difficultés d’une femme israélienne pour divorcer selon la Loi juive.

Nahid aurait pu être un énième film à charge contre l’étouffement dans lequel la société iranienne maintient les femmes. Il évite cette simplicité en peignant un portrait de femme autrement plus subtil. Car Nahid n’est pas une sainte. Loin de là. Elle ment à son propriétaire qui lui réclame son loyer. Elle met à la porte son fils qu’elle ne supporte plus. Elle vole jusqu’à sa propre mère, avant d’être prise de scrupules. Au contraire, Masoud, est un ange de patience, qui offre à Nahid son amour et son argent sans rien attendre en retour.

La bande-annonce

Tempête ★★★☆


La pêche hauturière, le « grand métier » est décidément un sujet à la mode. Après Léviathan et Seuls, ensemble, deux documentaires l’un et l’autre remarquables sur la dureté de ce métier exercé sous les plus septentrionales latitudes, c’est par le biais de la fiction qu’il nous est présenté. Une fiction très documentée, qui refait jouer à un père et à ses deux enfants leur véritable histoire.

Dominique, dit « Dom », pratique le « grand métier » : une marée de deux semaines, deux jours de repos à terre, en Vendée, et le départ à nouveau. Difficile dans ses conditions pour lui de mener une vie de famille. Il vient de divorcer et peine à conserver avec sa fille et son fils des liens normaux. Lorsque son aînée tombe enceinte, la juge aux affaires familiales lui intime de renoncer à son métier s’il veut conserver la garde de ses enfants. Dom décide alors de s’installer à son compte et d’acheter un bateau qu’il pourra sortir selon un agenda plus compatible avec une vie de famille.

Samuel Collardey – dont j’avais beaucoup aimé les deux premiers films L’apprenti et Comme un lion – cadre au plus près son personnage, avec une empathie et une humanité qui rappellent le cinéma social d’un Maurice Pialat ou d’un Ken Loach. Dominique Leborne, dans son propre rôle, est une révélation. Le prix Orrizonti du meilleur acteur qui lui a été attribué à Venise était amplement mérité. Ses faux airs de Reda Kateb, son sourire lumineux, sa « résilience » aux malheurs de la vie – pour utiliser un terme à la mode – font merveille.

Tempête a un titre trompeur. Pas de catastrophe dans le vie de Dom. Mais une suite de difficultés qu’il a du mal à résoudre. Une fois sur les rails, le film aurait pu sans forcer son talent s’acheminer jusqu’à un happy end convenu et attendu. Il évite cette facilité et se conclut de façon surprenante.

La bande-annonce

The Finest Hours ★☆☆☆


The Finest Hours est inspiré d’une histoire vraie : durant l’hiver 1952, une embarcation légère des gardes-côtes américains a secouru un pétrolier coupé en deux par la tempête au large du Massachussetts.

The Finest Hours est un film-catastrophe avec tous les passages obligés du genre : le cadre lentement posé, la tempête qui approche puis se déchaîne, la mort/le sacrifice de tel ou tel personnage secondaire (noir de préférence), le happy end. Les naufragés se déchirent en attendant la mort et les sauveteurs se surpassent en leur sauvant la vie. Mais comme dans Titanic, on ne peut pas se contenter de regarder un bateau couler, on enrichit l’histoire d’une romance entre un jeune garde-côtes et une accorte demoiselle (interprétée avec joliesse par Holliday Grainger, déjà remarquée dans The Riot Club).

Avec son lot de semi-stars en mal de reconnaissance publique : Chris Pine (dont le patronyme réduit ses chances de carrière en France), Casey Affleck (le frère de) et Eric Bana (désormais trop vieux pour jouer les rôles de jeunes premiers), The Finest Hours est une grosse production hollywoodienne parfaitement rodée qu’on regardera sans déplaisir au cinéma ou dans son salon, avec un sachet de pop-corn ou une pizza sur les genoux.

Très divertissant et totalement oubliable.

La bande-annonce

Moonwalkers ★★☆☆


Moonwalkers fait partie de ces films, hélas nombreux, dont la bande-annonce est le meilleur allié et le pire ennemi. Elle met l’eau à la bouche… et ne laisse aucune surprise.

En 1969, il ne reste que quelques mois à l’Amérique de Nixon pour réaliser la promesse ambitieuse lancée par John F. Kennedy en septembre 1962 : un Américain posera le pied sur la Lune avant la fin de la décennie. Las ! les ennuis et les retards se sont accumulés et le succès d’Apollo 11 n’est pas garanti. Pour parer à toute éventualité, la CIA décide de tourner en studio l’alunissage de Armstrong et Aldrin. Et d’en confier le soin au réalisateur le plus célèbre de l’époque, Stanley Kubrick.

Cette légende urbaine à l’étonnante vitalité ( https://en.wikipedia.org/wiki/Moon_landing_conspiracy_theories) constituait un matériau cinématographique de premier choix. Dirigé par un réalisateur français venu de la publicité, le film a pour héros Ron Perlman dans le rôle d’un porte-flingue américain chargé de convaincre Stanley Kubrick de tourner la scène historique. Son chemin croise celui de Rupert Grint (qui parviendra peut-être un jour, dans 350 ans, à faire oublier son rôle de Ronald Weasley dans Harry Potter), un agent d’artiste qui peine à boucler ses fins de mois et qui voit dans la confortable rémunération promise par l’Américain le moyen de se renflouer.

La comédie vaut moins par son scénario prévisible que par la reconstitution soignée d’un Londres sous LSD. On s’y drogue beaucoup, on partouze souvent (le film, bien que tous publics, est accompagné d’un avertissement), on y est habillés terriblement mal – ou terriblement bien, ça dépend des goûts.

La bande-annonce

Éperdument ★★☆☆


Le fait divers est connu : Emma, l’appât du « gang des barbares » qui avait kidnappé et torturé à mort Ilan Halimi en 2006, a noué avec le directeur de la prison, où elle purgeait sa peine, une liaison sulfureuse. Ledit directeur, qui fut condamné à deux ans de prison, en fit un livre à décharge que Pierre Godeau porte à l’écran.

Racontée du point de vue du directeur, l’histoire ne le dépeint pas comme un benêt berné par une prisonnière manipulatrice (ce que les chroniqueurs de presse couvrant son procès tendaient à penser), mais comme un homme rangé cédant à un authentique coup de foudre. Le choix de Guillaume Gallienne pour interpréter ce rôle ne convainc pas. Non pas que l’acteur césarisé de Les Garçons et Guillaume, à table ! soit mauvais ; mais il lui manque la virilité qui aurait donné au couple qu’il forme avec Adèle Exarchopoulos sa crédibilité. Gallienne est trop comique pour ne pas rendre risibles ses élans amoureux.

La révélation de La Vie d’Adèle est au contraire un excellent choix. Non seulement diffuse-t-elle une sensualité incandescente – dont le petit cochon qui sommeille en moi gardera un souvenir brûlant – mais elle réussit à garder à son personnage sa part de mystère. Allumeuse manipulatrice ? Gamine paumée ? Amoureuse sincère ? Le film, qui pèche par sa mise en scène bien fade, ne tranche pas. Et c’est tant mieux.

Une mention pour Stéphanie Cléau qui interprète le rôle de l’épouse trompée avec une élégance racée qui force l’admiration. Une actrice à suivre.

La bande-annonce

Merci patron ! ★★☆☆


François Ruffin est le fondateur et le rédacteur en chef de Fakir, un journal satirique picard, tandis que Jean-Christophe Rufin est académicien et ancien ambassadeur. Ils n’ont rien en commun. Pas même le nombre de f de leur patronyme.

François Ruffin a décidé de réaliser un documentaire sur Bernard Arnault, le tycoon français qui préside aujourd’hui LVMH et qui construisit sa fortune sur la vente par appartements de Boussac Frères dans les années 80. Le documentariste marche sur les pas de Michael Moore, mêlant comme lui images d’archives et happenings culottés. Sans grand succès au demeurant, sa tentative d’infiltration de l’AG du groupe tournant court. Tout change quand il croise le chemin des Klur. Licenciés d’une usine du groupe Arnault, le père, la mère et le fils vivent misérablement du RSA.

C’est à cet instant que le film bifurque. Le documentaire d’investigation se mue en roman d’espionnage, François Ruffin décidant d’utiliser les Klur pour faire chanter LVMH. Rien de moins ! Alors que l’annonce de l’installation du multi-millionnaire en Belgique défraie la chronique, le journaliste fait le pari que le groupe voudra s’éviter la publicité d’anciens employés jetés à la rue.

Le plus désopilant est que la manœuvre fonctionne, au point qu’on se demande parfois si la suite du film n’est pas une fiction. On y voit une barbouze du service de sécurité de LVMH débouler chez les Klur et acheter leur silence. Avec un gros chèque. Un CDI chez Carrefour – dont Bernard Arnault est un gros actionnaire. Et un contrat dont nos pieds nickelés réussissent à retourner les clauses les plus léonines contre leur auteur.

Cette histoire occupe à elle seule les deux tiers du film. Du coup, l’analyse serrée des pratiques du groupe (délocalisations, licenciements) passe à la trappe. Restent quelques scènes hilarantes d’une histoire grand-guignolesque où on prend fait et cause pour le lumpenprolétariat dans son procès en ridiculisation du grand capital.

La bande-annonce

Le Pont des espions ★★☆☆


On peut dire beaucoup de bien ou beaucoup de mal de Spielberg.
Beaucoup de bien : il a signé les plus grands succès du cinéma américain de ces quarante dernières années depuis Les Dents de la mer jusqu’à La Liste de Schindler en passant par E.T. ou Les Aventuriers de l’arche perdue.
Beaucoup de mal aussi : c’est un réalisateur sans génie, aux idées simplistes et aux recettes éculées, dont le cinéma vieillira mal et que les générations futures jugeront avec sévérité.

C’est précisément ce jugement balancé qu’on peut porter sur sa dernière réalisation.
Le Pont des espions est basé sur une histoire vraie – car Spielberg sait, non sans démagogie, que le potentiel émotionnel de ses films est d’autant plus grand qu’il s’inspire d’une histoire vraie. Ici, celle de l’avocat américain James Donovan qui, pendant la guerre froide, assista le gouvernement dans des négociations délicates d’échanges d’espions ou de libérations d’otages.
On se tromperait en considérant que Le Pont des espions est un film sur la guerre froide. Outre que Berlin y est filmé sous une neige artificielle qui prive cette ville de toute authenticité, Spielberg traite toujours et encore le même sujet : la démocratie américaine et la défense de ses valeurs. Comme dans Lincoln, comme dans Il faut sauver le Soldat Ryan, Spielberg dresse un monument aux valeurs constitutives des États-Unis d’Amérique, mélange d’individualisme irréductible et de messianisme compassionnel.
Selon les goûts et l’humeur, on y verra une bien-pensance poisseuse ou une humanité bouleversante.

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L’Homme qui répare les femmes ★★☆☆


Thierry Michel a réalisé quelques-uns des meilleurs documentaires consacrés au Congo : Mobutu roi du Zaïre (1999), Congo River (2005), L’Affaire Chebeya (2012). Colette Braeckman a, elle, signé quelques-uns des meilleurs livres écrits sur ce pays : Le Dinosaure (1992), Rwanda. Histoire d’un génocide (1994), L’Enjeu congolais (1999). Il était prévisible que leurs chemins se croisent.

Leur rencontre s’est faite autour du docteur Mukwege. Ce gynécologue originaire du Kivu y soigne les femmes victimes de guerre. La région est en proie depuis 1996 a des guerres civiles incessantes, conséquence indirecte du génocide rwandais.

Âmes sensibles s’ abstenir. Le documentaire expose sans euphémisme une réalité insoutenable. La monstruosité des crimes sexuels commis sur les femmes de tout âge est décrite sans détour. Par les mots des femmes qui les racontent. Par les images du chirurgien qu’on voit opérer.

Mais L’Homme qui répare les femmes ne se réduit pas à décrire les bonnes œuvres d’un docteur Schweitzer du XXIe siècle. Le documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman a, comme son héros, une dimension politique. Car Denis Mukwege ne se contente pas de réparer les femmes. Il combat les causes de leur mal : la guerre et, plus encore, l’incurie d’un État incapable de l’arrêter. La croisade qu’il mène lui a causé de solides inimitiés nécessitant la mise en place d’une impressionnante protection onusienne.

Les réserves que suscitent la réalisation platement télévisuelle de ce documentaire sont de peu de poids face à l’effroi que fait naître l’horreur des crimes commis et l’admiration que suscite l’abnégation du docteur Mukwege.

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Cosmos ☆☆☆☆


Quand je ne comprends pas un film, je suis tiraillé entre deux sentiments contradictoires. Le premier est la détestation : je déteste ce film qui m’est hermétique. Le second, un peu moins prétentieux, est la honte et le regret : je suis trop bête pour le comprendre et regrette de ne pas l’être un peu moins pour y comprendre quelque chose.

Rarement ces deux (trois ?) sentiments contradictoires se sont-ils autant opposés qu’à la vision du dernier film de Andrzej Zulawski, adapté de Witold Gombrowicz.

Ces références écrasantes m’interdisaient de tenir Cosmos pour une hystérie foutraque, pour un brouillon potache. Pourtant, la direction d’acteurs en roue libre, le scénario inconsistant, la mise en scène aux abonnés absents, évoquent plus un étudiant prétentieux de la Fémis en fin de scolarité que deux des plus grands artistes polonais contemporains.

La bande-annonce