Dans les pas de Trisha Brown ★☆☆☆

Trisha Brown (1936-2017) est l’une des plus grandes chorégraphes contemporaines. Dans les années 60-70, avec Merce Cunningham et Anna Halprin, elle a déconstruit les codes de la danse classique pour inventer une nouvelle forme d’expression corporelle. Danse hors les murs, danse sans musique, elle fait primer la spontanéité du corps sur la joliesse de ses mouvements.

Glacial Decoy (1979) est une de ses œuvres fondatrices. Cette pièce fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris (poke à mon ami Jean-Philippe Thiellay). La documentariste Marie-Hélène Rebois en filme les répétitions dans les combles du Palais-Garnier. Deux danseuses de Trisha Brown, qui malgré leurs soixante passées conservent un sacré dynamisme, encadrent les jeunes étoiles de l’Opéra. Le choc des cultures est étonnant : on admire la facilité avec laquelle des ballerines formées à la danse classique acceptent de rompre avec leurs repères – même si on regrette que la caméra ne les ait pas observées plus tôt, lors de la toute première répétition qu’on imagine volontiers détonante.

Mais hélas, le documentaire, qui se borne à suivre ses répétitions répétitives, peine à tenir la durée. On dira qu’il s’agit d’un documentaire sur la transmission entre générations ; mais l’argument ne tient guère tant l’absence de complicité entre les deux professeures américaines – qui tentent vainement de s’exprimer en français – et leurs élèves appliquées est flagrante. On aurait pu espérer qu’il décode la danse de Trisha Brown ; mais il refuse cet effort pourtant utile de pédagogie. Et quand le rideau se lève sur la générale, le documentaire se termine, laissant le spectateur à sa frustration.

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Le Chemin ★☆☆☆

Camille s’est retirée dans une mission catholique au Cambodge avec l’intention d’y prononcer ses vœux. Pour se rendre au village voisin où elle soigne une vieille femme, elle emprunte un chemin dont l’accès lui a été pourtant déconseillé qui traverse les ruines d’Angkor. Elle y rencontre Sambath, un Khmer qui passe par le même chemin pour aller pêcher et dont l’épouse se meurt d’un cancer généralisé.

Le dernier film de Jeanne Labrune porte en lui la promesse d’une histoire d’amour follement exotique : l’histoire d’une jeune Française que la rencontre avec un beau Khmer détournera de son projet spirituel. Pourtant, Le Chemin dévie de ces rails. Il y est moins question d’une rencontre que de deux histoires en parallèle.

D’un côté Jeanne, dont on ne saura rien du passé et des raisons de sa présence dans cette mission du bout du monde. Crise mystique ? déception amoureuse ? Échec universitaire (elle dit vaguement avec suivi sans succès des études de médecine) ? Quête d’exotisme ? On la voit encore et encore marcher au milieu des ruines (forcément) majestueuses du Bayon. Agathe Bonitzer lui prête ses traits. C’est peu dire que cette actrice qu’on voit (beaucoup) trop en tête d’affiche (La Papesse Jeanne, Tout de suite Maintenant, À moi seule) ne me convainc guère. Je ne lui trouve aucun charme, aucune profondeur de jeu.

De l’autre la femme de Sambath qui se meurt. On comprend que le cancer qu’elle croyait soigné récidive. Elle le cache à son mari. Elle essaie de lui faire bonne figure. Mais sa santé empire.

Ces deux histoires ne se croiseront qu’à l’extrême fin du film. Mais c’est trop tard. Le spectateur s’est depuis longtemps désintéressé du sort de ses protagonistes. Ami lecteur, passe ton chemin et va plutôt voir cette semaine Petit paysan.

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Petit Paysan ★★★☆

Pierre a repris seul l’élevage bovin familial. Il met toute son ardeur à s’occuper de son troupeau qui obtient aux compétitions agricoles les meilleurs classements. Ses parents, qui se sont retirés sur l’exploitation et l’exaspèrent de leur encombrante sollicitude, et sa sœur qui est devenue vétérinaire et qui l’aide dans le suivi médical du troupeau, sont sa seule compagnie.
Mais l’univers de Pierre menace de s’effondrer quand apparaissent les premiers symptômes d’une terrible épizootie. Lorsque la première bête décède, Pierre n’en dit mot de peur que tout son troupeau soit abattu par les services sanitaires. C’est le début d’un engrenage dont il ne sortira pas.

L’affiche de Petit Paysan annonce la première scène du film – qui n’est pas sans rappeler les fantasmagories d’un Dominik Moll. Pierre fait un cauchemar dans lequel ses vaches ont envahi sa maison au point de l’étouffer. Tel est le propos du film : un homme qui se laisse étouffer par son travail. Sauf que l’action ne se passe pas dans une tour de La Défense et que son héros n’est pas un cadre en col blanc au bord du burn out. Toute l’originalité de Petit Paysan est de planter sa caméra dans une ferme, un lieu que le cinéma ne visite plus guère sinon pour en donner une image artificielle comme dans La Famille Bélier ou Je vous trouve très beau.

Le réalisateur Hubert Charuel sait de quoi il parle : il est le fils et petit-fils d’agriculteurs et il a tourné dans l’exploitation familiale. Si bien que son film a des faux-airs de documentaire. Mais il n’emprunte pas les mêmes recettes que Bovines – qui filmait en interminables plans fixes des vaches broutant les prés – ou We feed the world – qui dénonçait la course au rendement de l’industrie agroalimentaire. Il le fait avec les codes du thriller psychologique.

La maestria de sa mise en scène impressionne pour un premier film. Le regard échangé entre Pierre et sa sœur devant le vétérinaire-inspecteur apprend au spectateur qu’elle ne s’est pas laissée berner par son subterfuge. La coiffure si soignée de la fille de la boulangère, qui se déplace en personne pour livrer à Pierre son pain, explique plus qu’un long discours son entreprise de séduction

Les acteurs sont tous parfaits. À commencer par Swann Arlaud de tous les plans. On avait vu trop brièvement son visage en lame de couteau dans un tas de films (Une vie, Ni le ciel ni la terre, Les Anarchistes) ; on ne l’oubliera plus. Sara Giraudeau, l’espionne de La Saison des légendes, promène la même silhouette longiligne et la même voix de nez. Boulli Lanners, Isabelle Candelier et Marc Barbé font des personnages secondaires convaincants.

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Napalm ★★☆☆

À quatre vingt-dix ans passés, Claude Lanzmann retourne en Corée du Nord caméra à l’épaule. Jeune communiste enthousiaste, il s’y était rendu en 1958 et y avait fait une étonnante rencontre.

Papy nous montre ses diapos de vacances en racontant ses souvenirs de jeunesse. Ce pourrait être assommant. Sauf que Papy s’appelle Claude Lanzmann et que ses vacances se déroulent en Corée du Nord.

On parle beaucoup ces temps ci de la Corée du Nord et de la menace nucléaire qu’elle fait peser sur la paix dans le monde. Quelques rares journalistes ont pu se rendre dans ce pays ubuesque et en ramener des témoignages étonnants (ainsi de l’Américaine Barbara Demick). Mais faute d’autorisation, le pays n’avait quasiment jamais été filmé. On en voit quelques images glanées depuis un véhicule qui traverse Pyongyang. Des images presque banales – mais comment aurait-il pu en être autrement – d’une métropole aux avenues immenses et désertes ponctuées de monuments à la gloire de la dynastie des Kim.

Lanzmann commente ces clichés touristiques d’une voix malrucienne qui, selon les tempéraments, agacera ou envoutera. On n’y apprend pas grand chose, ni sur l’histoire de la Corée du nord, ni sur le sort catastrophique de ses habitants (récemment illustré par l’excellent documentaire Madame B. Histoire d’une nord-coréenne). C’est peu dire que l’auguste fait montre de beaucoup d’indulgence à l’égard du régime des Kim. On aurait attendu de lui plus de profondeur dans l’analyse et plus d’objectivité dans la critique.

C’est peut-être que son propos est ailleurs. Moins dans le présent – ou l’avenir – que dans le passé que ce nonagénaire obsédé par la mort revisite sans cesse. Il s’agit d’un épisode de sa vie qu’il a relaté dans son autobiographie – agaçante ou envoutante selon les tempéraments – Le Lièvre de Patagonie. En 1958, alors qu’il participait à une mission française en Corée du nord en compagnie de quelques indécrottables staliniens, le jeune Claude Lanzmann eut un coup de foudre pour une infirmière venu lui piquer la fesse. Déjouant la protection policière qui l’accompagnait, il réussit à l’embrasser, à lui fixer rendez-vous au bord de la rivière et à l’embarquer sur un canot. Non sans lyrisme, le vieux Lanzmann raconte cet épisode rocambolesque face caméra dans toute la seconde partie du film.

On est partagés. D’un côté, cette histoire triviale d’un dragueur qui veut à tout prix culbuter une infirmière serait presque gênante façon « Papy veut pécho en Corée du Nord ». De l’autre, on ne peut s’empêcher d’être ému de l’œil émoustillé avec lequel, au crépuscule de sa vie, un homme revenu de tout revit la passion qui l’embrasa jadis.

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Les Filles d’Avril ★★★☆

Quadragénaire épanouie, Avril a deux filles qui vivent ensemble dans la maison de vacances qu’elle possède en bord de mer. Elles ont quinze ans d’écart : Clara qu’elle a eue très jeune est complexée par ses kilos en trop, Valeria, dix-sept ans à peine, est enceinte de Mateo que ses parents ont chassé. Le quatuor cohabite en attendant la naissance du bébé.

Il ne faut pas s’arrêter au résumé que je viens de faire des Filles d’Avril. Il annonce un film à la Bergman tendance Cris et chuchotements : un long huis clos familial entre des femmes qui se déchirent. Il n’en est rien. Car le scénario original de Michel Franco cache des rebondissements étonnants. Ils ne sont pas toujours crédibles ? Qu’importe. Ils vous scotcheront à votre siège. Ils le feront avec d’autant plus d’efficacité qu’ils n’auront pas l’air d’y toucher. Aucune théâtralisation. Aucune bande son surdéterminante. une façon unique de jouer avec les temporalités, en accélérant le tempo par de brusques ruptures ou en l’étirant dans de longs plans séquences. On dirait du Stephen King filmé par Eric Rohmer.

Avril est l’héroïne du film. Emma Suarez, une star en Espagne, une quasi-inconnue en France, lui prêt ses traits. Elle est d’une sensualité folle. Mais sa beauté solaire cache bien des failles. Les Filles d’Avril dévoile progressivement une mère pathologique, une femme vampirisante. Elle est d’autant plus saisissante qu’elle nous reste quasiment jusqu’au bout sympathique.

Face à elle, les autres protagonistes en sont réduit à la passivité – au point que l’ultime rebondissement me soit paru incohérent avec le reste du film. Le plus pathétique est Mateo, jeune homme inconsistant, marionnette entre les mains des femmes qui l’instrumentalisent. Valeria est moins passive mais guère plus subtile : c’est une jeune fille qui s’est mis dans les têtes de faire un enfant. Dommage qu’une plus grande place n’ait pas été laissée à Clara, la fille aînée, qui aurait pu jouer un rôle dans le dénouement de l’intrigue.

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Entre deux rives ★★☆☆

Le moteur du bateau d’un pêcheur nord-coréen, Nam Chul-woo, tombe en panne. Son embarcation dérive vers le Sud de l’autre côté de la frontière.

Le titre du film, son affiche et son résumé m’avaient induit en erreur. J’avais cru que Entre deux rives se déroulerait dans un temps très bref, sur cette rivière frontalière, avec un héros pris entre deux feus, la caméra s’évadant du huis clos de sa barque pour filmer alternativement les protagonistes des deux rives.

C’eût fait un bon film. Kim Ki-Duk en filme un autre qui n’est pas mal non plus. Car au bout de quelques minutes, le film que j’avais à tort imaginé est terminé : la barque du pêcheur s’échoue sur la rive méridionale et est récupérée par la police sud-coréenne qui arrête son occupant et l’emmène à Séoul. Commence un long interrogatoire qui vise à vérifier s’il est ou pas un espion infiltré.

Ici encore, Entre deux rives aurait pu prendre une direction qu’il ne prend pas : le film d’espionnage. En effet, le pêcheur apparaît vite moins innocent qu’il n’en avait l’air. Il cache à ses interrogateurs un passé militaire. Il démontre une étonnante force musculaire. On se demande un instant si les soupçons des Sud-Coréens ne seraient pas fondés.

Mais le film revient dans son lit : celui d’une chronique kafkaïenne à hauteur humaine de la division de la péninsule coréenne. Nam Chul-woo est un bon père et un bon mari. Parce que le moteur de sa barque est tombé en panne, il devient suspect au nord comme au sud. Ici on le prend pour un défecteur, là pour un espion. Avec un parallélisme corrosif, Kim Ki-duk montre les mécanismes de protection que les deux systèmes, chacun à leur façon, suscitent. La dernière scène du film n’est pas la moins émouvante.

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120 battements par minute ★★★★

À Paris. Au début des années 90. L’épidémie du Sida fait rage. Act up Paris milite pour dénoncer l’inaction du gouvernement et le cynisme des laboratoires pharmaceutiques. Portrait de groupe : Sophie, la pasionaria, Nathan, le nouveau est « séro-neg », Sean est « séropo » et livre une course contre la mort avec la mort qui menace, le sens politique de Thibault, le président, ne convainc pas toujours ses camarades…

Qui a dit que le cinéma français manquait de souffle ? Le troisième film de Robin Campillo – déjà remarqué pour Les Revenants et Eastern Boys – en a plus qu’à son tour. Il l’a montré à Cannes dont il est revenu avec le Grand Prix  alors que les pronostiqueurs unanimes – moi y compris – lui promettaient la Palme. Il l’a montré en faisant la couv’ de Télérama et la Une du Monde et en donnant à un été cinématographique bien tristounet un peu de piment.

Manuel d’action politique. On a beaucoup dit que 120 bpm chroniquait les années Sida. Ce n’est vrai qu’en partie. Sans doute évoque-t-il la lutte contre l’épidémie à travers les actions coup-de-poing (les « zaps ») d’Act Up : zap des laboratoires Roche (peureusement rebaptisé « Melton Pharm » sans doute pour s’éviter des poursuites judiciaires) qui refusaient de diffuser les résultats des essais de leur anti-protéase, actions de prévention dans les lycées, « die-in », Gay Pride… Mais l’ambition de Robin Campillo n’est pas de faire l’histoire d’un mouvement. L’eût-elle été, il aurait attaché plus de soin à en décrire la chronologie alors que le film se déroule sans souci de progression. Les scènes les moins convaincantes du film sont d’ailleurs celles où il utilise des archives d’époque, béquille inutile à un récit qui n’en avait pas besoin.
En revanche, Campillo relève un défi : décrire la discussion politique et sa mutation en action. Rien de plus difficile à filmer que l’AG d’une association. Rien de plus ennuyeux que des militants qui prennent la parole en désordre. Pourtant, dès la première minute, avec une pédagogie évidente, 120 bpm nous fait pénétrer dans une RH (« rencontre hebdomadaire ») de Act up, nous en explique les codes (on n’applaudit ni ne siffle), nous en présente les protagonistes et les enjeux.

Du collectif à l’individu. Après nous avoir raconté les actions d’Act Up, 120 bpm se resserre progressivement vers le destin de ses membres. Et plus particulièrement vers celui du couple formé par Arnaud et Sean (l’exceptionnel Nahuel Perez Biscayart qu’on reverra le mois prochain dans l’adaptation du Goncourt de Pierre Le maître Au revoir là-haut). Il aurait pu y perdre son unité. Il n’en est rien. Sa durée exceptionnelle (deux heures vingt qui filent sans qu’on les perçoive) le lui permet sans doute.
Ce couple est bouleversant. Sa première nuit d’amour est l’une des plus belles jamais filmées. Moins par son esthétisme – comme le sont trop souvent les scènes de sexe. Moins par sa longueur – qui rappelle celle de « La Vie d’Adèle« . Moins par sa crudité – le film d’ailleurs n’est pas interdit aux moins de douze ans. Mais par ses… dialogues ! Les scènes de sexe au cinéma sont quasiment toujours muettes : les deux héros (hétérosexuels) se séduisent, s’embrassent et s’enlacent dans une musique d’un romantisme échevelé pendant que la caméra détourne pudiquement les yeux vers un coucher de soleil ou un feu de cheminée. Rien de tel ici où Arnaud et Sean se parlent, se racontent, se confient.

L’épilogue du film arrachera évidemment des sanglots aux plus endurcis. Je me souviens de mon émotion devant Philadelphia. Je ne sais pas si elle serait toujours aussi forte vingt-trois ans après. J’ai l’impression que Philadelphia était noyé dans un pathos excessif – et une musique envahissante. Ce qui m’a frappé dans 120 bpm est la pudeur de ces dernières scènes, leur refus de la grandiloquence, le soin apporté aux détails vrais et peut-être vécus (la mère qui prépare du café et peine à refermer le clic-clac du salon). À ceux qui n’ont pas encore vu 120 bpm et qui s’y précipiteront sitôt terminé la lecture de cette critique, j’offre en cadeau une dernière surprise : l’ultime réaction de vie, la pulsion de vie qui l’inspire contre toute décence, mais le deuil qui fait son chemin dans les sanglots qui l’accompagneront.

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My Cousin Rachel ★★☆☆

En Angleterre, au début du XIXème siècle, Philip apprend coup sur coup le mariage de son cousin en Italie et son décès. Il en impute immédiatement la responsabilité à sa « cousine » Rachel. Mais lorsqu’elle arrive en Angleterre, son charme vient à bout des préventions de Philip.

« Did she ? did she not ? » Les premiers mots du film donnent le ton. la traduction en français n’est pas mauvaise (« Est-elle coupable ? était-elle innocente ?) même si elle n’a pas la force percutante de l’original. Tout le roman de Daphné du Maurier écrit en 1951 reposait déjà sur ce seul mystère. La belle Rachel est-elle ou non responsable de la mort du cousin de Philip ?

Cette ambiguïté a été très souvent utilisée au cinéma. Notamment par Hitchcock – qui adapta avec la maestria qu’on sait le Rebecca de du Maurier : Gaslight (Hantise), Suspicion (Soupçons). Puis le cinéma nous a habitués à des personnages plus complexes, à des intrigues plus rebondissantes. On a inventé les twists, ces retournements de situation qui renversent du tout au tout les perspectives.

Aussi l’ambiguïté du personnage de Rachel peut sembler bien pauvre. Car de deux choses l’une. Soit elle est coupable ; soit elle ne l’est pas. La mise en scène fort académique de Roger Michell ne donne guère de piment à cette sauce. Le désastre est évité grâce à Rachel Weisz : elle joue sur le fil cette femme dont on ne sait jamais ce qui, de la rouerie ou de la sincérité, l’emportera. My Cousin Rachel vaut par la qualité de son interprétation. C’est le plus grand intérêt du film. C’est le seul.

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La Tête haute ★★★☆

Bouleversant… mais…

On ne pourra qu’être bouleversé par La tête haute, un film qui décrit avec une justesse exceptionnelle l’adolescence tourmentée de Malony qu’un éducateur (Benoît Magimel) et une juge pour enfants (Catherine Deneuve) cherchent à sauver de sa violence auto-destructrice.
Remarquablement interprété, le film d’Emmanuelle Bercot qui a fait l’ouverture de Cannes en 2015 contient des scènes splendides : la rupture brutale avec son premier éducateur, sa découverte maladroite de la sexualité…

Pourtant, à la réflexion, on peut se demander si la réalisatrice ne rate pas sa cible qui, en trop voulant nous montrer comment la société doit traiter ses éléments les plus fragiles, ne finit pas par nous en désespérer.

Frôlant parfois l’exposé didactique, le film expose les différentes formules expérimentées pour aider Malony : CER, CEF, contrôle judiciaire, établissement pénitentiaire… La réalisatrice cite à deux reprises le prix élevé de ces processus d’accompagnement coûteux. Le pompon est décroché avec une séance de sophrologie proposée aux jeunes en difficulté pour se réconcilier avec leur corps.

Ce n’est pas Malony qui se bat contre la société (comme Rosetta le faisait dans le film des frères Dardenne) mais la société qui se bat coûteusement pour lui. Et elle est bien mal payée en retour tant Malony refuse de saisir la main qui lui est tendue jusqu’à un happy end d’autant plus décevant que la principale qualité du film est son âpreté.

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Une femme douce ★★☆☆

Dans la Russie, de nos jours, une femme décide de se rendre dans la prison où son mari est détenu pour lui remettre en mains propres son colis qui lui a été retourné. Après un long voyage en bus, en train puis en taxi, elle se heurte à une administration déshumanisée et corrompue.

Le nom de l’héroïne de Une femme douce ne sera jamais prononcé. Son anonymat, on l’aura compris, est tout un symbole. Dans la Russie post-soviétique, les individualités sont broyées. Est-ce un trait strictement contemporain ? Pas si sûr. Une femme douce est une adaptation – très libre – d’une nouvelle de Dostoïevski qui avait déjà en son temps inspiré Robert Bresson.

Le réalisateur ukrainien Sergeï Loznitsa instruit le procès à charge d’un pays rude. Son héroïne a beau s’entêter à vouloir délivrer son colis, rien n’y fait. Elle se heurte partout aux mêmes refus, motivés par l’application tatillonne d’un règlement imbécile (dans un bureau de poste, dans une prison), par l’esprit de lucre (au poste de police, dans la mafia) ou tout simplement par la vulgarité humaine (chez une troupe de fêtards abrutis par l’alcool). C’est avec un même insuccès qu’elle se tourne vers une association de défense des droits de l’homme dont la responsable, dans un long monologue bouleversant, lui fait la confession de son impuissance. On se doute que sa quête sera vaine. On attend que l’héroïne, muré dans un silence buté, explose de colère ou se brise de chagrin.

La force du réquisitoire vient précisément de cet effet de répétition. Mais cet effet de répétition constitue aussi la principale faiblesse du film qui s’étire pendant plus de deux longues heures. La monotonie est rompue dans le dernier quart du film qui se clôt par une longue scène d’un tout autre genre. Son onirisme emprunte à Fellini et à Lynch. Elle ne m’a pas convaincu. Surtout que le dernier plan qui la suit immédiatement et par lequel se conclut le film est d’un symbolisme pesant.

Quitte à dénoncer la Russie contemporaine, je recommande d’autres films plus efficaces : L’Idiot! (2015) de Yuri Bykov, Classe à part de Ivan Tverdovsky et, le meilleur d’entre tous, l’extraordinaire Leviathan (2014) d’Andrey Zvyagintsev – dont on attend avec impatience le prochain film le 20 septembre.

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