Eva ★☆☆☆

Bertrand Valade (Gaspard Ulliel) est un usurpateur. Il n’a pas écrit « Mot de passes », la pièce de théâtre qui lui vaut le succès du public et l’admiration de sa fiancée (Julia Roy) ; mais il l’a volé à un dramaturge mourant dont il était le giton.
Pressé par son agent (Richard Berry), Bertrand Valade doit écrire une nouvelle pièce et il ne sait pas s’y prendre. À l’occasion d’un voyage à Annecy, il y rencontre Eva (Isabelle Huppert), une prostituée de luxe. Il croit pouvoir faire de l’attraction qu’elle exerce sur lui le sujet de sa prochaine œuvre.

Le dernier film de Benoît Jacquot est assassiné par la critique – à l’exception de Télérama. Le Figaro y voit un « remake inutile du film de Joseph Losey » (Eva 1962 avec Jeanne Moreau à ne pas confondre avec Eve 1950 d’un autre Joseph – Mankiewicz – avec Marilyn Monroe). Libération assassine un film « congelé par son manque d’audace ». Le JDD pointe « l’intrigue nébuleuse » et « le manque de tension ».

C’est donc sans trop d’illusion que je me suis glissé dans les rangs clairsemés d’une salle bien modeste dont Eva risque fort d’être déprogrammé dès sa deuxième semaine d’exploitation. Avec d’autant moins d’illusion que je n’aime guère les deux acteurs principaux : Isabelle Huppert qu’on voit décidément trop (je l’avais vu la veille dans La Caméra de Claire… ce qui révèle de ma part un masochisme inquiétant) et Gaspard Ulliel dont je tiens le César du meilleur acteur l’an passé pour Juste la fin du monde pour une escroquerie).

Comme il était paradoxalement prévisible, j’ai été plutôt agréablement surpris. Eva n’est pas un inoubliable chef d’œuvre, mais pas non plus le navet annoncé. On y retrouve le parfum claustrophobe des drames bourgeois de Chabrol – qui lui aussi avait beaucoup fait tourner Isabelle Huppert (Violette Nozière, La Cérémonie, Rien ne va plus, L’Ivrese du pouvoir…). On y retrouve ce mélange de snobisme parisien et de provincialisme, dans une intrigue qui multiplie métronomiquement les allers-retours entre la capitale et les Alpes, condamnant le spectateur, comme les vaches, à regarder les trains passer dans un sens puis dans l’autre. On y retrouve la tension maintenue entre le mélodrame et le polar. Pour ses paysages enneigés, ses chalets cossus, son versant noir, j’ai aussi pensé au film des frères Larrieu L’Amour est un crime parfait adapté de Philippe Djian.

L’intrigue ne tient pas debout. Qu’elle soit fidèlement adaptée du roman de James Hadley Chase ne la rend pas plus solide pour autant. La façon dont Bertrand rencontre Eva, la façon dont il s’en entiche, le projet qui naît d’en faire le sujet de sa prochaine pièce sont autant de jalons narratifs bancals. Mais on se laisse prendre aux situations – même si l’attirance du jeune Gaspard Ulliel pour la cougar Isabelle Huppert de trente ans son aînée n’est guère crédible. On se demande où l’histoire va nous mener. Mais on s’y laisse gentiment mener, jusqu’à la conclusion tournée à cinquante mètres de chez moi sur le trottoir de L’Escurial, une salle de cinéma de quartier où, si Eva y avait été programmé, il en aurait probablement disparu dès sa deuxième semaine d’exploitation. La boucle est bouclée.

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La Caméra de Claire ★☆☆☆

Manhee, une jeune Coréenne qui travaille dans une société de distribution de films, est brutalement licenciée par sa patronne pour « malhonnêteté ». Grâce à Claire, une enseignante française rencontrée par hasard dans les rues de Cannes, elle apprendra les causes de sa disgrâce : sa patronne était amoureuse du réalisateur So avec lequel Manhee a eu une liaison éphémère.

Hong Sangsoo est de retour. Deux mois seulement après Seule sur la plage la nuit, le Rohmer coréen nous livre son vingt-troisième film. Une productivité à la Woody Allen pour un réalisateur qui ressasse à l’infini les mêmes thèmes et les mêmes situations : des histoires d’adultère entre des réalisateurs portés sur la bouteille et des jeunes filles en fleur, des longs dialogue filmés alternativement sur une plage ou dans un restaurant enfumé où les nombreux cadavres de bouteille témoignent de libations bien arrosées.

Dans La Caméra de Claire – un titre qui louche vers Le Genou de Claire de Rohmer en évoquant une caméra que Claire n’a pas (elle a certes un appareil photo – en anglais « camera » – mais L’Appareil photo de Claire sonnait sans doute moins bien) – Hong Sangsoo s’est expatrié. Il l’avait déjà fait en Allemagne dans le premier tiers de son précédent film. Ici, il plante sa caméra à Cannes dont chaque plan d’extérieur, dans les rues sinueuses de la vieille ville ou sur la plage face à l’Estérel, même si le soleil n’est pas toujours au rendez-vous, a un parfum de vacances et de festival. Il retrouve Isabelle Huppert qu’il avait déjà fait tourné en 2012 dans In Another Country, qui s’en donne à cœur joie (« C’est la première fois que je viens à Cannes ») dans le personnage d’une gentille fée.

Le film dure soixante-neuf minutes seulement et se finit en queue de poisson. C’est sa principale qualité et son principal défaut. Car cette durée, qui tangente celle d’un moyen métrage, est la forme pertinente d’un cinéma de l’épure, réduit à quelques scènes, comme une nouvelle de Maupassant. Mais c’est aussi l’aveu tacite de ses limites, de son manque de souffle sinon d’ambition.

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La Nuit a dévoré le monde ★☆☆☆

En se réveillant, Sam a une bien mauvaise surprise. La nuit a dévoré le monde le laissant seul, en plein cœur de Paris, dans un appartement assiégé par des zombies peu amènes.

Le film de zombies est un genre cinématographique qui connut son âge d’or dans les années 70 et 80 avant de s’essouffler. Il est revenu en vogue dans les années 2000 avec de vraies réussites telles que 28 jours plus tard, World War Z ou The Last Girl sans oublier la BD/série The Walking Dead. Mais dans ce genre, la France est bizarrement absente au point que je serais bien en mal de citer un seul film de zombie français – sauf à rattacher à ce genre l’excellente série Les Revenants du désormais célèbre Robin Campillo.

La Nuit a dévoré le monde est un film de zombie terriblement français, à sa façon de revisiter ce sous-genre, loin de l’horreur et du fantastique. Je fais d’ailleurs le pari que cela lui vaudra un certaine curiosité chez les cinéphiles étrangers. Même si l’ambiance en est pesante, pas de jump scare, d’éviscération, de course poursuite. Rien sinon la réclusion d’un homme qui tente de survivre en se défendant contre la menace extérieure des zombies qui l’encerclent et à la menace intérieure de la folie qui guette.

Rien de plus difficile que de filmer un homme seul. Faute d’utiliser les mots – ou une voix off qui pèserait des tonnes – le réalisateur est condamné à rendre chacun de ses gestes parfaitement lisibles. Pour faire comprendre l’écoulement du temps, il doit recourir à des artifices : les saisons qui passent, un calendrier au mur. Dominique Rocher et ses coscénaristes peinent à donner du rythme à une histoire qui en aurait eu bien besoin. L’excellent Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 août, Ce sentiment de l’été) a beau payer de sa personne, on s’ennuie ferme. Et ce n’est pas l’apparition bien tardive de Golfshiteh Faharani qui réveillera le spectateur de l’endormissement dans lequel il avait glissé.

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Koyaanisqatsi ★★★☆

Koyaanisqatsi ressort cette semaine à la Filmothèque. C’est une œuvre d’anthologie, qui compte parmi les 1001 Films à voir avant de mourir. Ce documentaire, sans parole, sans voix off, tourné en 1982, à la pire époque de l’histoire du cinéma (E.T., Tron, Conan le Barbare, Tootsie, L’As des as…), n’a pas pris une ride.

De quoi s’agit-il ? Le titre du film a été volontairement choisi pour être opaque au spectateur. L’imprononçable Koyaanisqatsi désigne en langue hopi une vie déséquilibrée. Et c’est en effet des déséquilibres du monde que traite ce documentaire écologique avant l’heure, quatre ans avant Tchernobyl, six ans avant que Time élise la planète « homme de l’année », dix ans avant le Sommet de Rio, vingt-cinq ans avant le Prix Nobel décerné à Al Gore…

Koyaanisqatsi filme la Terre – en fait limitée aux frontières des États-Unis – la beauté primitive de ses immenses espaces naturels (la Monument Valley, le parc de Haleakalā à Hawaï…), l’empreinte indélébile qu’y laisse la présence humaine (le barrage de Grand canyon, des exploitations minières à ciel ouvert, deux essais nucléaires…) et la fourmilière que constituent les grandes mégalopoles brillantes de mille feux à la nuit tombée. L’absence de tout dialogue,, de tout commentaire, de tout sous-titre laisse le spectateur face à ces images qui montrent plus qu’elles démontrent. Il ne s’agit pas d’instruire le procès à charge du progrès technologique mais de montrer « la beauté de la bête » pour reprendre les mots de Godfrey Reggio.

Novateur par son thème, Koyaanisqatsi l’est plus encore par la façon de le traiter. Jouant sur les échelles d’espace et de temps, filmant l’infiniment grand et l’infiniment petit, utilisant à la fois le ralenti, l’avance rapide et le time lapse, Koyaanisqatsi est d’une étonnante modernité. Les œuvres qui voudront utiliser les mêmes recettes se contenteront de bégayer : Baraka (1992), Dogora (2004), La Marche de l’empereur (2005), Home (2009), Samsara (2013)…

Et surtout il y a la musique de Philip Glass. On la redécouvre à ses origines, avant qu’elle devienne ultra-célèbre et que, tarte à la crème et pont-aux-ânes, elle vienne illustrer la première scène élégiaque venue du cinéma hollywoodien. On est frappé de sa modernité. On réalise combien, à l’époque de Vangelis et John Williams, elle fut novatrice et iconoclaste. Elle est si envoûtante qu’elle en devient la vedette du film, prenant le pas sur les images pourtant sidérantes de Ron Fricke.

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Tesnota – Une vie à l’étroit ★★★☆

Ila a vingt-quatre ans. Elle vit dans le sud de la Russie. Garçon manqué, elle travaille au garage de son père. Ses parents sont des Juifs pratiquants. Mais, en rupture avec la tradition, elle fréquente un musulman kabarde. Son frère David est moins audacieux. Il se fiance à une jeune fille de la communauté. Mais les deux fiancés sont kidnappés. Une rançon exorbitante est réclamée. Les parents de David et d’Ila n’ont pas les moyens de s’en acquitter.

Bienvenue à Naltchik, la capitale de la république de Kabardino-Balkarie en Russie. Ses sympathiques habitants passent le temps en regardant des snuff movies et en rançonnant des Juifs.

Décidément le cinéma russe nous prend aux tripes. Après Tarkovski, Lungin, Zviaguintsev, Loznitsa (qui certes est ukrainien mais tourne ses films en Russie) et Bykov, il faudra peut-être compter sur Balagov, un jeune cinéaste de vingt-cinq ans seulement, qui signe un premier film manifeste qui avait fait sensation à la sélection Un certain regard à Cannes l’an passé et qui a mis plus d’un an à se frayer une place sur nos écrans.

D’abord une façon de filmer qui prend aux tripes. Des personnages cadrés en très gros plan, comme si la caméra était collée à eux, les empêchant de respirer, de se mouvoir dans des espaces confinés – justifiant le sous-titre Une vie à l’étroit. Un montage truffé d’ellipses au risque parfois de perdre le spectateur mais qui donne au film un rythme haletant et font passer ses presque deux heures sans qu’on regarde sa montre.

Ensuite un sujet éprouvant. Mais de quel sujet s’agit-il ? À lire le résumé que je viens d’en faire on pourrait croire qu’il s’agit d’un kidnapping façon Tout, tout de suite, le film de Richard Berry inspiré de l’affaire du gang des barbares. Mais bizarrement, le scénario se désintéresse de ce qui arrive aux jeunes kidnappés, aux conditions de leur incarcération, aux motivations de leurs geôliers. Il se concentre sur les effets que cet enlèvement suscite dans la famille d’Ila. Car, pour payer la rançon réclamée, une famille de la communauté propose son aide. À une condition : qu’Ila épouse leur fils.

Ila est face au plus terrible des dilemmes : sacrifier son frère ou lui sacrifier sa propre liberté en permettant la libération de David ? accepter de rentrer dans le rang, de « vivre à l’étroit » ou oser le sacrilège ? L’habileté du scénario est de rendre ce choix moins binaire qu’il n’y paraît et de faire d’Ila une figure de tragédie qu’on n’oublie pas de sitôt.

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Call me by your name ★★☆☆

À l’été 1983, dans le nord de l’Italie, Elio passe ses vacances en famille. Son père, professeur d’histoire de l’art, accueille pour l’été un assistant de recherche, Oliver. Entre les deux jeunes hommes, malgré la différence d’âge (Elio a dix-sept ans seulement, Oliver a une dizaine d’années de plus) l’attirance est immédiate et irrépressible. Elio et Oliver tomberont bientôt dans les bras l’un de l’autre.

Call me by your name est un film solaire qui réussit à nous faire ressentir la chaleur d’un été italien et la fraicheur d’un bain de minuit.
C’est un film qui, avec un soin scrupuleux, fait revivre une époque, vieille déjà de près de trente-cinq années, mais qui, pour les gens de ma génération, a le parfum proustien des vertes amours enfantines – et la dégaine inimitable des années quatre-vingts.
C’est un film d’un raffinement exquis qui, dès son générique, nous permet d’accéder à une vie intellectuelle supérieure : la villa italienne qu’habitent pendant leurs vacances ce père anglais et archéologue, cette mère française et polyglotte – on découvre avec étonnement l’aisance d’Amira Casar à s’exprimer indifféremment en français, en anglais, en italien et en allemand – et ce fils surdoué a le charme décati et la vieille domesticité fidèle que n’ont pas les résidences de vacances des nouveaux riches.
C’est enfin et surtout un film d’une sensualité fiévreuse qui nous fait partager – ce qui, à mon âge avancé, est une sacrée gageure – l’excitation débordante d’un jeune homme pour qui tout est objet de désir : la jeune fille en fleurs qui le supplie de lui prendre sa virginité, un brugnon juteux (sic) et bien sûr ce splendide éphèbe américain qui danse aussi bien qu’il nage.

Malgré les immenses qualités de Call me by your name, je n’ai pas été séduit. Pire : je ne sais pas l’expliquer. Est-ce un vieux fond d’homophobie qui me rend insensible aux romances gays ? Si c’était le cas, ce serait triste, et même grave. Mais j’ai adoré Maurice, Le Secret de Brokeback Mountain ou La Vie d’Adèle. Ouf !

J’en ai marre de ne pas aimer les films que tout le monde qu’aime, de ne pas succomber à leur charme fou. Phantom Thread, La Forme de l’eau, Lady Bird et maintenant Call me by your name. Les meilleurs films de ce premier trimestre, encensés par la critique, salués par le public, qui ont désormais leur nom dans l’histoire du cinéma grâce aux Oscars, m’ont laissé de glace.

C’est grave docteur ? Oui. Oui parce que mes critiques répétitivement scrogneugneu vont vite se démonétiser à force de dire du mal de films qui ne le méritent pas. Oui parce que cette déprime hivernale est peut-être le signe que mon goût critique est en train de s’émousser et qu’il est temps pour moi de passer à autre chose sur quoi me faire les griffes : le tricot ? le hard metal ? la Premier League ?

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Notre pain quotidien ★★★☆

Frappé par la Grande Dépression, un jeune couple new-yorkais, John et Mary Sims, s’installe à la campagne pour exploiter une ferme hypothéquée. Inexpérimentés, ils sollicitent l’assistance d’inconnus de passages pour retaper leur bicoque et cultiver leurs champs. Une coopérative se crée qui fonctionne grâce à la complémentarité des talents de chacun. Mais les ennuis s’accumulent : le manque d’argent d’abord, la sécheresse ensuite.

Notre pain quotidien (1934) est un témoignage marquant sur le New Deal. L’Amérique est alors plongée dans la crise. Elle ne sait pas encore qu’elle va s’en relever grâce à la politique volontariste de Franklin D. Roosevelt. Elle est partagée entre deux sentiments complémentaires : l’angoisse de la crise et le désir ardent d’en sortir.

Ce sont ces deux sentiments qui sont au cœur du film de King Vidor. Comme John Ford dans Les Raisins de la colère, il montre que la fraternité humaine est le meilleur antidote à la crise et viendra à bout de tous les défis. S’agit-il pour autant d’un manifeste communiste comme on en fit le reproche au cinéaste ? Pas du tout. C’est moins vers les kolkhozes soviétiques que vers le messianisme des Pères fondateurs que lorgne Vidor.

Pour le laver de tout soupçon de communisme, il suffit de comparer Notre pain quotidien à Octobre, sorti six ans plus tôt. Si le second est un hommage au prolétariat révolutionnaire, le premier est tout entier centré sur les personnages : John, sa femme Mary, Chris le paysan suédois, Louie le repris de justice… La collectivité est une somme d’individualités pas une force anonyme, comme elle l’était chez Eisenstein.

Par son optimisme indéboulonnable, par son individualisme forcené, Notre pain quotidien, loin d’être un brûlot socialiste, est déjà un film profondément américain.

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Lady Bird ★★☆☆

Sacramento a beau être la capitale de la Californie, c’est une ville provinciale qui suinte l’ennui. Christine McPherson, dix-sept ans, ne supporte plus la vie qu’elle y mène et veut à tout prix intégrer une université sur la Côte Est. Mais sa mère possessive s’y refuse et son père, qui vient d’être licencié, craint de ne pas en avoir les moyens financiers.
Christine (Saoirse Ronan qui crevait l’écran dans Brooklyn) est en pétard contre elle-même et contre la terre entière. Elle n’aime pas son prénom et s’en est donné un autre : Lady Bird. Elle a honte de  ses parents et de leur maison trop banale située « du mauvais côté du rail » alors que ses amis habitent dans des résidences plus cossues. Elle ne supporte plus la discipline rigoureuse du lycée catholique où elle est scolarisée. Elle se lasse bien vite de l’atelier de théâtre où elle rencontrera pourtant son premier amoureux (Lucas Hedges déjà vu dans 3 Billboards et Manchester by the sea). Elle ne supporte plus non plus sa meilleure amie dont elle s’éloigne pour ne pas être ridiculisée par son nouveau copain, le bassiste d’un boys band qui prend des poses de poète maudit (Timothée Chalamet nommé aux Oscars pour son rôle dans Call me by your name)

Lady Bird est le premier film de Greta Gerwig, une actrice qui s’est faite une réputation dans les films de son compagnon, Noah Baumbach, où elle campe une jeune femme un peu rêveuse, un peu bohème, qui se cherche une place dans la vie. D’ailleurs, Lady Bird – qui est largement inspirée de la propre adolescence de Greta Gerwig, native de Sacramento, s’achève là où commence Mistress America ou Frances Ha dont l’héroïne entame des études à l’université à New York.

Lady Bird serait un film remarquable s’il n’était pas précédé d’une réputation aussi élogieuse. Ses cinq nominations aux Oscars et ses deux Golden Globes (meilleure comédie et meilleure actrice) le desservent paradoxalement. Car on s’attend à un grand film, un film digne de figurer au panthéon des meilleurs. Lady Bird est un film sympathique, attachant, charmant, sensible. C’est déjà beaucoup. Mais Lady Bird n’est pas un grand film.

Lady Bird ressemble aux dizaines, aux centaines de films qu’on a déjà vus sur le même sujet : le coming of age d’une adolescente tourmentée dans un environnement lénifiant. Les critiques soutiennent que Lady Bird se distingue de cet archétype usé jusqu’à la corde par je-ne-sais quelle magie. Je n’y ai pas été sensible. J’y ai au contraire vu la reproduction des mêmes recettes : la meilleure amie obèse, la star du lycée qui roule en 4×4, le copain gay, le dépucelage décevant, etc. Sans doute l’ensemble est-il joliment troussé, bien joué et intelligemment amené. Mais rien qui justifie que Lady Bird figure au hit parade des meilleurs films de l’année.

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Les Garçons sauvages ☆☆☆☆

Cinq garçons de bonne famille commettent une crime sauvage sur leur ancienne professeure. Ils passent en jugement. Ils sont remis à un capitaine louche qui promet de les redresser. Commence pour eux une longue odyssée vers une île mystérieuse.

Les Garçons sauvages arrivent sur les écrans nimbé d’un parfum de scandale. Bertrand Mandico s’est fait un nom dans les courts et moyens métrages. Le nom d’un réalisateur au style unique, qui n’hésite pas à bousculer les genres, à transgresser les frontières. Son premier long est lesté de références aussi écrasantes qu’hétéroclites : Robert Louis Stevenson pour le récit d’aventures et le capitaine cruel,  William Golding pour cette histoire de jeunes garçons échoués sur une île déserte, William Burroughs pour l’onirisme halluciné, David Lynch pour le bizarre et le fantastique, Alain Robbe-Grillet pour l’esthétique érotique, Guy Maddin pour le noir et blanc satiné, etc.

J’ai tout détesté dans Les Garçons sauvages. Son esthétique prétentieuse qui se voudrait gothique et queer à la fois. Son maniérisme. Son noir et blanc chichiteux – entrelardé de quelques plans en couleurs d’une rare laideur. Son attachement fétichiste à une forme d’autant plus sophistiquée qu’elle peine à cacher un contenu totalement creux. Les giclées de sperme et les jets d’urine qui ponctuent son film et qui voudraient choquer le bourgeois – qui en a vu d’autres. Ses dialogues ridicules (« l’espérance est un bonheur presque égal au bonheur »). La fausse bonne idée qui consiste à faire endosser le rôle des ces cinq jeunes hommes par cinq actrices. Sa longueur interminable (près de deux heures) là où un format plus court aurait amplement suffi.

Mais mon opinion est personnelle et mon « coup de gueule » subjectif. Tout en détestant ce film et en m’y étant copieusement rasé, j’en reconnais de bonne grâce l’originalité sinon la qualité. Mon goût pour des formes de cinéma plus conventionnelles, moins audacieuses, ne doit pas me conduire à vouer aux gémonies celles qui s’en écartent pour explorer d’autres voies moins balisées et à reprocher aux critiques unanimes leur enthousiasme excessif pour un film surfait.

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La Fête est finie ★★★☆

Céleste (Clémence Boisnard) a dix-neuf ans. Elle ne connaît pas son père et sa mère, trop jeune et vite débordée (Marie Denarnaud, abonnée aux rôles de jeunes filles dont on réalise avec effroi qu’elle a déjà quarante ans) n’a pas su s’occuper d’elle. Clémence fume/sniffe/croque tout ce qui passe : shit, coke, héroïne, MDMA… Après un accident sur la voie publique, elle se retrouve (de son propre chef ? sous la contrainte ?) en centre de détoxication. Le même jour y arrive Sihem (Zita Henrot), vingt-six ans, dont les antécédents sont moins claires. Entre les deux filles, la complicité est immédiate : complicité pour faire face au régime quasi-carcéral du centre dont elle défie allègrement la dureté des règles, mais complicité aussi pour reprendre en main leurs vies dont elles ont bien conscience qu’elles prennent un tour suicidaire.

La Fête est finie raconte sur un mode quasi-documentaire le parcours de ces deux jeunes filles pour sortir de la dépendance. La réalisatrice connaît son sujet qui confie avoir été toxicomane et être sortie de la dépendance. On voit d’abord Céleste et Sihem en centre au milieu d’autres dépendants avec lesquels les échanges ne sont pas toujours fluides. On les voit ensuite rendues à la vie civile, l’épée de Damoclès de la rechute pesant au dessus de leurs vies.

Le sujet a déjà été souvent traité. Le Dernier pour la route avec François Cluzet et Mélanie Thierry le racontait avec la même finesse. On pense aussi à La Tête haute avec Benoît Magimel, Catherine Deneuve et Rod Paradot (César du meilleur espoir masculin en 2016 mais hélas disparu des radars depuis lors) dont le jeune héros n’était pas dépendant mais qui se déroulait en milieu de rééducation fermé. Dans trois semaines, précédé d’une critique élogieuse, sortira La Prière, qui met en scène un jeune drogué qui rejoint une communauté religieuse (Anthony Bajon vient de recevoir à Berlin l’Ours d’argent du meilleur acteur pour ce rôle).

Comme l’annonce la riante photo de l’affiche, La Fête est finie est l’histoire d’une amitié entre filles – qui rappelle les duos féminins de Divines ou de Tout ce qui brille. Ce duo évite les stéréotypes. D’origine maghrébine, Sihem est issue d’une famille unie qui pourrait constituer pour elle un cocon et dont les autres enfants ont brillamment réussies. En revanche, c’est Céleste qui accumule les handicaps sociaux. C’est elle qu’on sent plus immature, moins entourée et du coup plus menacée par la rechute alors que l’expérience de la zone a instruit Sihem de l’urgente nécessité de se réinsérer par un travail stable.

Cette belle histoire d’amitié – dont la dimension homosexuelle est élégamment esquissée – est remarquablement servie par deux comédiennes hors pair. On retrouve Zita Henrot, la révélation de Fatima qui lui valut en 2016 le César du meilleur jeune espoir féminin. C’est elle qu’on aperçoit ces jours-ci dans la publicité pour le Printemps du cinéma aux côtés de Finnegan Oldfiled. Mais c’est surtout Clémence Boisnard qui crève l’écran. La première scène la voit défigurée par le manque, les traits tirés, prématurément vieillie. Plus tard, elle retrouve des traits poupins, une coiffure sage. Elle a des rires qui irradie, des rougissements d’adolescente – comme lorsqu’elle demande en boîte de nuit à un garçon de l’embrasser pour dissiper le malaise qui précède le premier baiser.

Sans doute suis-je bien généreux en donnant trois étoiles à ce film qui ne bouleversera pas l’histoire du cinéma. Mais, écrasé par d’autres sorties plus commentées, mal distribué, il risque fort de passer inaperçu. Donnez lui sa chance…

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