Animals ★★★☆

En avril 2012, Ihsane Jarfi a été kidnappé, violé, torturé pendant toute une nuit et laissé pour mort à l’aube par quatre criminels homophobes. Pour ce meurtre, trois d’entre eux ont été condamnés deux ans plus tard à la réclusion à perpétuité, le dernier à une peine de trente ans.

Un réalisateur belge, Nabil Ben Yadir, s’est inspiré de ce fait divers sordide pour en faire à ce jour peut-être le film le plus perturbant de l’année naissante. Il a été légitimement interdit aux moins de seize ans. Il aurait pu l’être sans erreur de qualification juridique aux moins de dix-huit ; car il contient son lot de scènes « de grande violence (…) de nature (…) à troubler gravement la sensibilité des mineurs » au sens des dispositions de l’article R. 211-12 du code du cinéma.

Il faut, quitte à en révéler les ressorts, en détailler l’architecture.
Animals est composé de trois parties qui s’enchâssent chronologiquement mais qui n’en sont pas moins très différentes.

Dans la première partie, on fait la connaissance de Brahim (Soufiane Chilah) alors que sa famille s’apprête à fêter l’anniversaire de sa mère. La scène est filmée quasiment en temps réel, en sinueux plans-séquences caméra à l’épaule, dans le petit pavillon de banlieue où toute la nombreuse parentèle s’active à la préparation de la fête. On comprend progressivement deux choses. La première : l’homosexualité longtemps cachée de Brahim a été découverte par son frère et sa belle-soeur qui lui intiment de la taire. La seconde : Brahim avait invité son compagnon, Thomas, à la fête pour le présenter à ses parents – sans pour autant révéler la nature des liens qui l’attachent à lui – mais Thomas manque à l’appel.

La deuxième se déroule quelques heures plus tard et commence dans le centre ville où Brahim est parti chercher Thomas. Après avoir pris la défense d’une jeune femme harcelée par quatre voyous, Brahim se retrouve embarqué avec eux dans leur voiture. La découverte de son homosexualité hystérise leur violence. C’est là qu’on assiste en direct à son lynchage, complaisamment filmé avec leurs téléphones portables par les assassins. La scène est insoutenable. Plusieurs spectateurs, le cœur au bord des lèvres, quittent la salle. L’un, plus bruyant que les autres, crie au scandale.

Le film aurait pu se terminer là et nous laisser sidérés. Il comporte pourtant une troisième partie. Elle suit Loïc, un des quatre assassins qui, à l’aube, rentre chez lui. Loïc croise sa mère, abrutie par l’alcool, son beau-père, violent. Il nettoie ses habits ensanglantés et revêt un élégant costume pour se rendre, ainsi qu’on le comprendra bientôt, à la cérémonie organisée pour le remariage de son père. L’ultime plan du film révèle une surprise dont on ne dira rien mais qui éclaire le déchaînement de violence dont Loïc s’est rendu la veille coupable d’une lumière inattendue.

Animals pose la question de la représentation de la violence au cinéma. Des grands films, et non des moindres, s’y sont frottés : Salo ou les 120 Journées de Sodome, Orange mécanique, Requiem pour un massacre, Tueurs nés, Funny Games, Irréversible… Toujours, les mêmes questions reviennent : faut-il montrer la violence pour mieux la dénoncer ? Ne court-on pas ce faisant le « risque de la jouissance de son spectacle » pour reprendre les mots de Jacques Mandelbaum dans Le Monde.

Regarder Animals sans fermer les yeux ni quitter la salle est une expérience éprouvante « qu’on ne conseillerait pas à son pire ennemi » écrit à raison Marie Sauvion dans Télérama. Les amateurs de feel-good movie passeront leur chemin et iront voir cette semaine Juste ciel ! ou Un homme heureux qui leur feront passer un bon moment et qu’ils auront oublié dans un mois. Mais je le recommande chaudement à tous ceux qui aiment que le cinéma les sorte de leur zone de confort, au risque du malaise. Et surtout, je ferai de son visionnage une peine complémentaire obligatoire à toutes celles prononcées contre des homophobes : ils y réaliseront peut-être leur violence, leur veulerie et leurs contradictions.

La bande-annonce

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