Pas comme lui ☆☆☆☆

Léo, la vingtaine, débarque à Paris. Il s’installe chez son père qu’il n’avait plus vu depuis des années. Celui-ci se travestit avec quelques garçons qui, comme lui, battent le pavé. La violence de leurs souteneurs les rattrape bientôt.

Le travestisme est un sujet qui a beaucoup inspiré le cinéma : The Danish Girl de Tom Hooper, Nos années folles de André Téchiné, Lola Pater de Nadir Moknèche, Laurence Anyways de Xavier Dolan, Une nouvelle amie de François Ozon, Chouchou de Merzak Allouache, The Crying Game de Neil Jordan… et la quasi totalité des films d’Almodovar. À noter qu’on filme des hommes travestis en femmes et quasiment jamais l’inverse. Et lorsque des femmes se travestissent en hommes, ce n’est pas en réponse à une quête identitaire mais pour accéder à des fonctions ou à des privilèges réservés aux hommes : Barbara Streisand, qui joue une jeune Juive polonaise qui veut étudier la Torah dans Yentl, Glen Close dans le rôle d’une Irlandaise sans le sou employée comme majordome dans Albert Nobbs, les Iraniennes privées de football dans Hors jeu

Celui qui m’a le plus troublé n’est pas le plus célèbre. Il s’agit de Les nuits d’été, un film français sorti début 2015 passé inaperçu, couturé de défauts, mais bourré de qualités. Guillaume de Tonquédec (plus connu pour son rôle dans Fais pas çi fais pas ça) y jouait un notable de province, dans les années cinquante, marié à Jeanne Balibar, heureux en ménage qui, le week-end venu, s’isolait dans sa maison de campagne pour se travestir avec quelques amis.

Pas comme lui aurait pu avoir la même sensibilité, évoquer la découverte par un fils du travestisme de son père ou celle par une mère de son travestisme de son fils. Hélas le film de Franck Llopis n’a pas cette finesse là. Mal tourné, mal éclairé, mal joué, il se perd dans une histoire sans intérêt et dépourvue de toute crédibilité de vengeance façon Un justicier dans la ville : après la mort de son père, Léo décide de tuer, les uns après les autres, les auteurs de son crime. On décroche le pompon quand le flic qui le poursuit l’absout de ses fautes. Un navet monumental à ranger avec The Room de Tommy Wiseau parmi les nanars les plus tristement mémorables.

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Les Bonnes Manières ★★☆☆

Ana, une riche Brésilienne enceinte, embauche Clara pour l’aider dans les tâches ménagères et avec l’enfant à naître. Ana, qui a conçu son enfant dans des circonstances nimbées de mystère, a une grossesse compliquée. Tandis que l’attirance mutuelle des deux femmes grandit, Ana manifeste, les nuits de pleine lune, un comportement inquiétant.

Les Bonnes Manières n’a pas volé le Prix du public qui lui a été décerné à Géradmer. C’est un film intrigant, à la frontière de plusieurs genres.

C’est, en première approche, un film qui traite de l’ambiguïté des relations ancillaires entre une patronne et sa bonne. Le cinéma latino-américain s’en est fait une spécialité – signe tout simplement que l’emploi de domestiques y est plus fréquent que sous d’autres latitudes : le chilien La Nana (2009), le brésilien Une seconde mère (2015), l’argentin La Fiancée du désert (2017).

C’est aussi un film d’amour entre deux femmes que tout a priori sépare – au point d’ailleurs de rendre leur relation improbable : le statut social, la couleur de la peau… La tendresse que Clara porte à Ana, sa compassion avec sa souffrance, son désir qu’on découvrira bientôt immense de la secourir ne peuvent que toucher.

Et bien sûr c’est enfin un film de loup garou comme on les aime : avec des pleines lunes, des poils en pagaille et des jets d’hémoglobine. Ce n’est pas la seule dimension du film. Je l’ai dit. Mais ce n’est même pas sa dimension essentielle. Car si le jeune lycanthrope avait été affligé de n’importe quelle autre maladie honteuse nécessitant l’attention de chaque instant de sa mère, le film aurait fonctionné de la même façon.

La richesse de ce curieux film brésilien, comme on en avait jamais vu, constitue sa principale faiblesse. car il peinera à trouver son public. Les amateurs du genre le trouveront trop alambiqué, pas assez sanglant. Ceux au contraire que les loups-garous effraient s’en tiendront à distance.

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The Captain ★★★☆

Dans les derniers jours de la guerre, alors que l’ordre nazi se fissure inexorablement en Allemagne, le caporal Herold déserte. Pour sauver sa peau, il usurpe l’identité d’un Hauptmann de la Wehrmacht. Pour justifier son uniforme, il s’invente une mystérieuse « mission spéciale » que lui aurait confiée personnellement le Führer.

Il y aurait eu mille et une façons de raconter les aventures d’un déserteur au crépuscule du Troisième Reich. Une possibilité aurait été l’humour loufoque façon Begnini (La Vie est belle) voire Monthy Python. Une autre, vers laquelle louche par moments The Captain, aurait été le cinéma de guerre pop – si tant est qu’on puisse ainsi le décrire – de Tarantino façon Unglorious Basterds.

Mais c’est décidément la veine la plus âpre que choisit Robert Schwentke, un cinéaste allemand, qui est allé perdre son âme – et remplir son compte en banque – à la réalisation de quelques superproductions hollywoodiennes (Flight Plan, RED, les suites de Divergente…) avant de revenir en Allemagne la regagner. The Captain (le titre international, en France comme aux États-Unis, de Der Hauptmann) rappelle ces films soviétiques ou russes d’une dureté d’airain sur la Seconde guerre mondiale et ses atrocités : Requiem pour un massacre de Elem Klimov (1985), Dans la brume de Sergei Loznitsa (2012) voire L’Enfance d’Ivan de Andrei Tarkovski (1962).

Mais c’est surtout à un livre que ce film perturbant m’a fait penser : Les Bienveillantes, le prix Goncourt 2006 de Jonathan Littell. Car, en mettant en scène un salaud ordinaire, un homme que l’horreur de la guerre et la seule obligation de sauver sa peau ont privé de tout discernement moral, The Captain décrypte avec une délectation sadique la même mécanique qui transforme un homme en monstre.

Ne quittez pas la salle avant de voir le générique de fin jusqu’à sa dernière image. Glaçante mise en abyme qui nous fait toucher du doigt l’actualité traumatisante d’une logique de déshumanisation qu’on aurait tort de cantonner aux livres d’histoire.

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La Prière ★★★★

Thomas est à peine sorti de l’adolescence. Après une overdose, il rejoint une communauté de prière, perdue au cœur des montagnes, dont les membres sont d’anciens toxicomanes. La règle y est dure : pas de sorties, pas de tabac, pas de filles. Une vie confraternelle consacrée à la prière et au travail. Les rechutes sont fréquentes. Thomas en connaîtra sa part. Mais, au bout du tunnel, l’espoir de la rédemption existe.

Étonnant Cédric Kahn qui, après avoir fait ses premières armes comme monteur stagiaire chez Maurice Pialat sur le tournage de Sous soleil de Satan, réalise trente ans plus tard un film sur la grâce produit par la veuve du réalisateur,, Sylvie Pialat. Entretemps, il aura adapté Moravia (L’Ennui, 1998) ou Simenon (Feux rouges, 2004), filmé un fils en mal de père (L’Avion, 2005), un homme qui ne parvient pas à faire le deuil de son amour de jeunesse (Les Regrets, 2009), un père qui décide d’élever ses enfants en marge de la société (Vie sauvage, 2014).

À cinquante ans passés, Cédric Kahn prend un risque radical qui marque un tournant dans sa carrière. Lui qui a fait tourner Carole Bouquet, Charles Berling, Yvan Attal, Mathieu Kassovitz et Guillaume Canet fait le pari d’un film sans star – dont le principal protagoniste, dont c’est le premier grand rôle, se verra décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur. Lui dont les films étaient souvent des drames urbains, des histoires de couples qui se brisent ou qui se forment, ose filmer un drame rural, sous les cimes enneigés des Alpes, où l’action se déroule lentement au fil des saisons qui passent. Lui surtout dont le cinéma ressassait parfois au risque de l’épuisement les thèmes où s’épuise le cinéma français (le couple, la paternité…) ose prendre à bras le corps un sujet audacieux : la foi.

Car La Prière doit être pris au pied de la lettre. Ce n’est pas, comme son pitch le laisse augurer, comme on vient de le voir dans l’excellent La fête est finie, un film sur la désintoxication. Comme son titre et son affiche l’annoncent frontalement, c’est l’histoire d’un garçon sauvé par la foi. Ce garçon est interprété par Anthony Bajon. Il a les bajoues poupins et le poil follet d’un gamin mal dégrossi. Il s’est vu, je l’ai dit, décerner l’Ours d’argent du meilleur acteur et sera probablement nominé sinon nommé César du meilleur espoir masculin l’an prochain. Le mérite-t-il ? S’agit-il d’une future star comme Gaspard Ulliel ou Tahar Rahim ? Ou au contraire d’un feu de paille comme Gérald Thomassin, que révéla Doillon dans Le petit criminel, avant de sombrer dans l’alcool et la drogue ?

La Prière a un sacré culot. À une époque où il est de bon ton de rire de tout, où la « vanne » est devenue un mode de communication à part entière, où l’humour est l’accessoire obligé de tout discours auquel on reprochera sinon son sérieux et sa morgue, La Prière ose le premier degré. D’ailleurs certains spectateurs s’y trompent qui rigolent, vaguement gênés, devant certaines scènes, au début du film, tant les situations décrites détonnent de ce que nous vivons dans nos quotidiens. Les minutes passant, on ne les entendra plus. Car La Prière peu à peu aura imposé son ton et son sujet grave.

Comme Thomas, on entre à reculons dans cette communauté. On se braque contre ses règles oppressantes. On renifle la supercherie, la secte, qui va nous endormir pour mieux nous enfermer, ou nous enfermer pour mieux nous endormir. Et puis on lâche prise. On comprend qu’ici tout n’est qu’amour, tout n’est que grâce – pour reprendre les dernières paroles d’une œuvre elle aussi toute baignée par la grâce : Le Journal d’un curé de campagne.

Il faut un sacré culot pour traiter d’un tel thème à une époque où si 60 % des Français se disent catholiques, 4 % seulement vont régulièrement à la messe. Pour autant La Prière n’est pas un OVNI dans un cinéma qui n’aurait jamais traité la foi. Il y a quelques semaines à peine sortait L’Apparition qui, comme La Prière, évoquait sans rire un miracle. Thérèse, le chef d’œuvre d’Alain Cavalier, avait obtenu le César du meilleur film 1986. Des hommes et des dieux remportait la même distinction au titre de l’année 2010 et attirait un public immense, constitué en partie de spectateurs qui ne fréquentaient guère les salles obscures. C’est tout le mal qu’on souhaite à La Prière.

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Chien ★★★☆

Rien ne va plus pour Jacques Blanchot (Vincent Macaigne). Sa femme (Vanessa Paradis) prétexte une allergie cutanée pour le mettre à la porte du domicile conjugal avant de l’interdire de carte bleue et de mettre un autre homme dans son lit. Le patron du médiocre commerce où il travaille le licencie. Jacques est bientôt à la rue.
Il sera hébergé par un dresseur (Bouli Lanners) qui lui avait vendu un chien tôt écrasé. À son contact, le comportement de Jacques évolue.

Il y a deux façons de regarder le film que Samuel Benchetrit a tiré de son propre livre publié en 2015 chez Grasset. Les deux sont aussi intéressantes l’une que l’autre.

La première consiste à adopter le point de vue de Vincent Macaigne, le quarantenaire le plus en vogue du cinéma d’auteur français, qui promène sa bouille de clown triste, sa calvitie mal coiffée et sa diction traînante de film en film. De son point de vue Chien est un film sur un loser, un déclassé, victime de sa gentillesse, de sa naïveté, un homme doux qui se fracasse dans un monde trop dur pour lui. On pense à Gérard Jugnot dans Une époque formidable.

La seconde consiste à adopter le point de vue de Bouli Lanners, qui interprète le rôle d’un dresseur sadique. Chien devient plus politique. Comme dans les films du duo grolandais Kervern & Délépine (Aaltra, Avida, Louise-Michel, Mammuth, Le grand soir…), dont Bouli Lanners était déjà le héros, il s’agit d’un procès en règle de nos sociétés organisées autour d’implacables relations de domination et d’aliénation. Une société où l’homme est un loup/un chien pour l’homme, son meilleur ennemi ou son pire ami.

Il y a bien sûr une troisième lecture possible : celle de la parabole canine. Samuel Benchetrit est sur le fil du rasoir dont le film pourrait basculer en un instant dans le comique façon Didier ou dans le fantastique façon La Belle et la bête. Il réussit à éviter et l’un et l’autre. L’écueil de la loufoquerie ou d’un grunge est tenu à distance. Ce n’est pas la moindre qualité d’un film qui réussit à rendre crédible une situation qui évidemment ne l’est pas.

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Razzia ★★★☆

Quatre personnages vivent à Casablanca en 2014 sur fond de troubles sociaux. Salima étouffe : elle ne supporte ni son mari ni la société marocaine qui entendent contrôler ce qu’elle fait, ce qu’elle porte, ce qu’elle dit. Joe est un restaurateur prospère qui vit au jour le jour, dans ses rapports avec les femmes et avec les êtres, la difficulté d’être Juif à Tanger. Hakim adule Freddy Mercury dont il reprend les standards sur les scènes ; mais il est en butte au mépris de son père qui conteste ses choix de carrière. Dans une maison luxueuse, entre des parents invisibles et une nounou qui lui sert de mère de substitution, Inès est en pleine crise d’adolescence.
Le fil rouge qui les relie est peut-être un vieil instituteur chassé de sa salle de classe au début des années quatre-vingts. Son crime : avoir enseigné aux enfants de l’Atlas en berbère et pas en arabe.

L’œuvre de Nabil Ayouch dessine un portrait amer du Maroc contemporain. Ali Zaoua, prince de la rue (2001) suivait une bande de gamins sur le port de Casablanca. Les Chevaux de Dieu (2012) montrait comment l’islamisation avait pu devenir une réponse à la colère sociale. Much Loved (2015) son film le plus puissant et le plus controversé racontait la vie de quatre prostituées à Marrakech. Razzia est l’aboutissement et la synthèse de ses précédents films.

Le procédé pourrait sembler lourdement démonstratif. Il ne l’est que sur le papier. Le film choral est un procédé complexe sans être compliqué : prenez quatre ou cinq histoires, entrelacez les, tâchez de les faire se rencontrer à un moment ou à un autre (Razzia n’y parviendra qu’à moitié dans une scène de fête), ça marche à tous les coups. Les années 2000 avaient vu se multiplier les films choral ou films mosaïques (qui se dit en anglais « hyperlink cinema ») : Traffic, Crash, Syriana, Babel… Les séries TV les plus réussies ont repris le procédé : Les Sopranos, Downton Abbey, Game of Thrones… À force d’être utilisée, la ficelle semble usée. Mais Razzia montre qu’elle fonctionne encore.

Ce qui relie ces quatre personnages, c’est bien sûr leur quête de liberté. Liberté de la femme qui ne supporte plus qu’on lui dicte sa conduite. Liberté du Juif qui en a assez d’être ramené à sa judéité. Liberté de l’artiste qui veut exercer son art sans censure. Le personnage d’Inès – qui est introduit très (trop  ?) tard dans le film au risque de le surcharger – est peut-être le plus intéressant car il ne s’inscrit pas dans cette grille simpliste : cette adolescente ne sait pas que faire de la liberté qui lui confère son statut social.

En creux de ces quatre histoires, c’est une fois encore un portrait sans concession que Nabil Ayouch brosse du Maroc. Un pays sous la double menace du nationalisme (les drapeaux sont omniprésents en arrière-plan) et de l’islamisation rampante des esprits. Un double mouvement corrosif qui réduit les libertés individuelles et entend dicter une norme de comportement. Le tout avec une hypocrisie que Much Loved avait soulignée et que le personnage d’Inès met en relief : tandis que les plus pauvres des Marocains vivent dans la misère et versent dans l’islamisme, les plus riches se livrent à la débauche derrière les murs surélevés de leurs riads.  Les plus fragiles en sont les premières victimes : les femmes, les Juifs, les homosexuels…

Le film est illuminé par la beauté de Maryam Touzani. Épouse de Nabil Ayouch, elle a co-signé le scénario de Razzia. Avec des faux airs de Jeannette Bougrab, elle y interprète le rôle de Salima. Les esprits mesquins trouveront que Nabil Ayouch la filme avec complaisance. Les autres s’en féliciteront.

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Hostiles ★★★☆

Le capitaine Joseph Blocker (Christian Bale) est sur le point de quitter l’armée. Vainqueur des Indiens, il a appris à les connaître et à les détester. Une dernière mission lui est confiée à laquelle il répugne : escorter le chef cheyenne Yellow Hawk, vieillissant et malade, depuis le Nouveau-Mexique où il est retenu prisonnier jusque dans ses terres ancestrales dans le Montana où il est autorisé à mourir en paix.
Commence pour le capitaine Blcoker et pour les hommes qui l’accompagnent un long périple. Ils trouvent bientôt sur leur route Rosalee Quaid (Rosamund Pike) dont le mari et les trois enfants viennent d’être sauvagement tués par un raid comanche.

Le western n’est pas mort et c’est une bonne nouvelle. On avait dit le genre condamné dans les années soixante-dix par les outrances du western spaghetti. Il est rené dans les années quatre vingt-dix en en transcendant les thèmes fondateurs. Longtemps exaltation de l’individualisme et du courage, le western est devenu plus ambigu. Ses héros sont fatigués ; la nature y joue un plus grand rôle ; les Indiens n’y sont pas réduits à de simples caricatures. The Revenant en est l’exemple le plus abouti ; mais on peut penser à des œuvres moins connues telles que La Dernière Piste ou The Homesman.

Hostiles est caractéristique de cette triple tendance. Comme Kevin Costner dans Danse avec les loups, Christian Bale campe un officier saturé de violence. Tourné dans les paysages grandioses du Nouveau-Mexique et du Colorado, Hostiles souligne la petitesse de l’homme face à la majesté de la nature. Surtout, c’est sa façon de traiter la question indienne qui est intéressante. Blocker est un héros des guerres indiennes, qui participa au massacre de Wounded Knee et y manifesta une sauvagerie sans égal. Au début du film, sa haine contre les Indiens est tenace. Mais ses sentiments évolueront au contact de Yellow Hawk et de sa famille.

Le propos pourrait paraître simpliste. Pourtant il ne l’est pas. Le mérite en revient en grande partie aux acteurs et à la subtilité de leur jeu. Christian Bale est une star immense. Son interprétation dans The Machinist est une des plus incroyables performances que j’aie jamais vue. Rosamund Pike, elle aussi, a tout d’une grande. Elle était sidérante dans Gone Girl. L’un comme l’autre méritent haut la main l’Oscar du meilleur acteur acteur ou de la meilleure actrice qui consacrerait leur talent.

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Battleship Island ★☆☆☆

Pendant la Seconde guerre mondiale, des Coréens sont amenés de force sur l’île de Hashima, au large du Japon pour y travailler à la mine. Parmi eux, un clarinettiste et sa fille, un Coréen bagarreur, une femme de réconfort, un espion du mouvement d’indépendance infiltré pour libérer un vieux résistant.

Énorme succès au box-office coréen (plus de six millions d’entrée), Battleship Island sort en catimini sur nos écrans – il n’est guère programmé à Paris que dans une seule salle. Il a provoqué une crise diplomatique avec le Japon. C’est qu’il dénonce les conditions de travail à la mine de Hashima et, plus encore, le refus persistant du Japon de reconnaître ses torts. Cette dimension-là du film, pour importante qu’elle soit, ne parlera guère au spectateur occidental.

Et c’est d’ailleurs bien là le défaut principal de Battleship Island, construit et destiné à un public coréen. Outre qu’on ne comprend pas grand chose aux rivalités sino-japonaises (le sous-titrage ne distingue pas les deux langues, qu’une oreille mal exercée ne distingue pas non plus, alors que leur utilisation à tel ou tel moment, dans la bouche de tel ou tel personnage, n’est pas sans importance), le montage suit des règles bien différentes de celles qui régissent les films occidentaux.

Battleship Island est en même temps très rapide et très lent. Très rapide, il condense un scénario aux nombreux personnages et aux multiples rebondissements qui auraient pu sans peine remplir une mini-série de plusieurs heures. Très lent, il filme avec complaisance la violence d’interminables scènes de bagarre ou d’action.

Au bout de deux heures dix-sept minutes, on sort un peu groggy du cinéma, avec le sentiment désagréable de s’être trompé de salle et d’avoir vu un film qui ne nous était pas destiné.

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Un Juif pour l’exemple ★☆☆☆

Au crépuscule de sa vie, le grand écrivain suisse Jacques Chessex se souvient.
C’était en 1942, à Payerne sa ville natale, à quelques encablures du lac de Neuchâtel. le jeune Jacques avait huit ans à peine. Son père était maître d’école. Quelques jeunes désœuvrés, manipulés par le pasteur Lugrin, sympathisants à la cause nazie, se réunissaient à la nuit tombée, pour siffler des bières et s’exercer au tir à la carabine. Enivrés de haine, ils avaient décidé de tuer un Juif « pour l’exemple » : le marchand de bétail Arthur Bloch dont la richesse attisait la jalousie.

Jacob Berger adapte le court roman de Jacques Chessex publié en 2009. Largement autobiographique, il y fait un portrait mordant de sa ville natale, « confite dans la vanité et le saindoux », rompant avec l’image lénifiante de la Suisse sous l’Occupation, officiellement neutre pour s’éviter d’être attaquée par l’Allemagne, mais silencieusement résistante. Son bref roman, qui se lit d’une traite, lui valut bien des critiques et même des menaces de mort.

Le film de Jacob Berger amalgame ces deux dimensions : le livre de Chessex sur les événements de 1942 et sa réception en 2009. Il mêle deux époques. Il le fait curieusement comme dans Peau d’âne ou Marguerite & Julien : en introduisant dans les séquences supposées se dérouler en 1942 des éléments contemporains. On peine à comprendre la raison d’être de ce procédé. On est d’autant plus à la peine qu’on ne comprend pas toujours à quelle époque on se situe. Et on finit par comprendre : si le réalisateur choisit de nous laisser dans le flou sur l’époque où est censé se dérouler ce qu’il nous montre, c’est parce que les époques se confondent, parce que ce qui s’est passé en 1942 pourrait encore se passer aujourd’hui.

Pourquoi pas ? Sauf que le coup du « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », on nous l’a déjà servi bien souvent. Et qu’on en a un peu marre…

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America ★★☆☆

À la veille de l’élection de Donald Trump, en pleine campagne présidentielle américaine, Claus Drexel est allé poser sa caméra dans le désert de l’Arizona, un État qui, sauf en 1996, a depuis toujours porté ses suffrages sur le candidat du parti républicain. Au bord de la mythique route 66, dans la petite ville de Seligman, il a longuement interrogé ses habitants, des rednecks pauvres à la langue bien pendue, viscéralement attachés au deuxième amendement et volontiers favorable à Donald Trump. Son directeur de la photographie les filme dans des plans millimétrés.

Le documentaire de Claus Drexel est glaçant ; car il donne à voir la frange la plus pauvre, la plus entêtée des États-Unis, celle qui donne ses suffrages à Donald Trump – même s’il donne la parole également à une ex-beatnik électrice de Bernie Sanders et à un couple d’immigrés sri-lankais dont rien n’est dit sur les préférences politiques. Le raisonnement de ces fortes têtes, dans une région où la mythologie du western et de la fronteer n’est pas morte, est profondément individualiste. Porter des armes est pour eux un droit irréductible ; car il garantit leur sécurité. Refouler les étrangers n’est pas xénophobe ; car il s’agit de défendre sa terre et le droit d’y vivre en paix contre toute immixtion extérieure. Glorifier la domination des États-Unis, se lamenter de son soi-disant déclin et aspirer au retour de sa puissance est une évidence.

Claus Drexel joue sur du velours en nous montrant à nous, spectateurs français, des échantillons monstrueux du rêve américain. Loin de New York, loin de L.A., nous voici dans l’Amérique profonde, celle des derniers cowboys, aux cheveux longs et aux idées courtes. Et nous Français, qui avons tant aimé Obama et qui considérons à tort ou à raison Trump comme un clown dément, comme un phallocrate dangereux, sommes révulsés d’entendre ses supporters. Les arguments de la NRA nous choquent car un homme en armes est pour nous une menace. Attachés au bien public, à l’intérêt général, nous ne partageons pas l’individualisme forcené des Américains. Inquiets de voir le patriotisme dégénérer en nationalisme et conscients de la fragilité de l’hégémonie occidentale, nous sommes mal à l’aise face aux manifestations débridées de chauvinisme cocardier.

On me rétorquera que Claus Drexel – qui avait réalisé en 2013 un documentaire bouleversant sur les SDF parisiens – ne juge pas les personnes qu’il interviewe. Ce n’est pas tout à fait exact car, s’il affiche une objectivité de principe à leur égard, les spectateurs français ont tôt fait de faire leur procès, qui se scandalisent par exemple lorsqu’une mère avoue qu’elle a donné son premier pistolet à son fils dès l’âge de cinq ans. America n’est pas tant un documentaire sur l’Amérique pro-Trump que la mise en scène esthétisante des reproches que, nous Français, lui adressons.

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