Joel, une enfance en Patagonie ★★☆☆

Cecilia est professeur de piano. Diego travaille dans une exploitation forestière. le couple vient de s’installer en Terre de feu, à la pointe méridionale de l’Argentine, où règne un hiver quasi permanent. Sans enfant biologique, il souhaite adopter. On leur confie Joel, un orphelin de neuf ans, qui a connu dans les quartiers défavorisés de Buenos Aires une enfance chaotique.
Cecilia et Diego l’accueillent dans leur foyer avec tout l’amour dont ils sont capables. Mais son insertion à l’école communale se passe mal. Les autres parents d’élève se mobilisent et exigent du directeur son exclusion.

Carlos Sorin est un réalisateur argentin septuagénaire qui s’est fait connaître en France au début des années 2000 avec Bombon El Perro, l’histoire d’un homme à bout de souffle qui reprend goût à la vie en élevant un chien de race. Ses films ont pour cadre la Patagonie qu’il filme loin des clichés touristiques que cette région charrie depuis que Nicolas Hulot a choisi de donner à son émission télévisée – puis à une gamme de shampoings et gels douche – le nom de sa capitale. Comme Historias Minimas, comme Jour de pêche en Patagonie, Joel est un drame minimaliste, filmé à hauteur d’homme sinon d’enfant.

En quelques plans très simples, Sorin restitue les réactions d’un couple à l’arrivée ardemment attendue mais totalement déconcertante d’un enfant adopté. Quelle marque d’amour manifester à cet enfant ? Quelle consigne éducative lui donner sans passer pour une marâtre ? Quelle intimité à respecter lorsqu’il va prendre son premier bain ? L’actrice principale Victoria Almeida, des faux airs d’Audrey Tautou, incarne avec beaucoup de justesse ces questionnements.

Joel, une enfance en Patagonie est hélas moins convainquant dans sa seconde partie, lorsqu’il traite des difficultés scolaires de Joel. Le directeur convoque Cecilia et les lui expose à mots couverts. La mère oscille entre l’indignation et l’acceptation. Elle entreprend de rencontrer les mamans, les unes après les autres, pour aider sa cause. On pense au scénario de Deux jours, une nuit avec Marion Cotillard. Mais n’est pas Dardenne qui veut.

La bande-annonce

L’Ospite ★☆☆☆

Guido, la trentaine bien entamée, aimerait avoir un enfant. Mais Chiara, son amie, n’en veut pas. Pire, elle veut rompre avec Guido qui prend la porte. Il trouve à s’héberger chez ses parents qui forment un vieux couple acariâtre. Il passe beaucoup de temps avec ses amis. Dario vient de rencontrer Roberta, une séduisante cardiologue. Quant à Lucia, qui vit en couple avec Pietro et attend de lui un second enfant, elle confesse à Guido être amoureuse d’un autre homme.

L’Ospite (en français : « L’Invité ») choisit de traiter du thème rebattu de la crise de la trentaine d’un point de vue masculin. L’originalité n’est pas immense, si ce n’est que le héros, Guido, se retrouve, au début du film dans un état d’esprit qu’on prête plus souvent aux femmes de cet âge : le désir contrarié de p/maternité.

L’Ospite passe en revue les différentes stases de la crise de la quarantaine : Guido vit une rupture, Dario n’arrive pas à choisir entre les deux femmes qu’il aime, Lucia est déchirée entre le cœur et la raison. Tous sont plus ou moins indécis.

L’Ospite oscille entre plusieurs genres sans en choisir un. C’est une comédie pas vraiment drôle, une réflexion trop bavarde et pas très originale sur les vicissitudes de la vie amoureuse. À le voir, on aspirerait presque à avoir soixante ans pour connaître enfin la sérénité ronchonne que vivent les parents de Guido, le couple le plus aimant du film.

La bande-annonce

Acusada ★★☆☆

Camila Nieves, une étudiante, a été sauvagement assassinée à son domicile au terme d’une soirée arrosée dans la banlieue aisée de Buenos Aires. Tout accuse Dolorès Dreier, sa meilleure amie, dont Camila venait de mettre en ligne sans son consentement une sextape sur les réseaux sociaux. Son procès va enfin se tenir après deux ans d’instruction qui ont tenu en haleine le pays et qui ont fait de la jeune femme une paria. Recluse chez elle, Dolorès peut néanmoins compter sur l’appui indéfectible de ses parents qui ont engagé le meilleur avocat du pays pour la défendre et une attachée de presse pour redorer son blason.

« Coupable ou innocente ? » Le sous-titre qui barre l’affiche française pourrait laisser penser que l’innocence ou la culpabilité de Dolorès constitue l’enjeu du film. Ce n’est qu’en partie le cas. Certes, le suspense est tendu par cette question irrésolue à laquelle l’intéressée oppose un silence buté : Dolorès a-t-elle oui ou non assassiné Camila ?

Le sous-titre qui barre l’affiche originale n’est guère plus approprié : « Todos occultamos algo » : nous avons tous quelque chose à cacher. Car le véritable intérêt du film n’est pas de savoir ce que Dolorès cache – et qui, une fois dévoilé, n’est ni très surprenant ni très convaincant. Il est dans la description des conséquences d’une enquête pénale sur l’accusée et son entourage.

Tel était tout récemment le sujet du film belge Une part d’ombre, hélas passé inaperçu. Dans ce film-là étaient auscultées les réactions des proches à l’annonce de la mise en examen de leur ami : si j’apprenais demain que mon ami est suspecté d’un crime, lui conserverais-je mon amitié ? Dans ce film-ci, la question n’est pas posée dans les mêmes termes. Les parents de Dolorès, son petit frère, son amie Flo croient irréductiblement dans son innocence. C’est pour eux un acte de foi qui leur permet de faire front à l’hostilité sourde de l’opinion publique qui a déjà jugé la jeune fille avant même l’ouverture de son procès.

Cette dimension occupe toute la première moitié du film dans les jours qui précèdent le procès. C’est la plus intéressante car la plus novatrice qui montre, par exemple, les difficultés de Dolorès de nouer une relation « normale » avec un garçon de son âge. La seconde partie est plus classique qui coïncide avec l’ouverture du procès. Le scénario s’égare dans une série de rebondissements qui font long feu. À force d’avoir vu des polars américains autrement bien ficelés, on attend le twist qui nous clouera à notre siège. Vaine et frustrante attente qui nous fait regretter qu’Acusada ne se soit pas concentré sur ce qui faisait son originalité.

La bande-annonce

Face à la nuit ★☆☆☆

Tout commence par le plan spectaculaire d’un homme en contre-plongée dont le corps s’écrase du haut d’un immeuble de plusieurs étages. Nous sommes à Taïwan, en 2049, dans une société futuriste d’où le suicide a été banni. Des drones policiers quadrillent la ville. Une substance illicite, le Rejuvenator, permet de lutter contre le vieillissement. Un agent de sécurité revenu de tout, Lao Zhang, cherche à assouvir un vengeance.
Trente ans plus tôt, Lao Zhang est un jeune policier plein d’avenir. Il vient de se marier. Il arrête une touriste française kleptomane.
Encore quinze ans avant, Lao Zhang n’est qu’un adolescent mal dégrossi, arrêté par la police après le vol d’une mobylette.

Couronné par le Grand prix du Festival du film policier de Beaune 2019, précédé par une critique élogieuse, Face à la nuit s’annonçait comme le film de la semaine. Son scénario complexe, son esthétique qui se revendique à la fois de Blade Runner et de Wong Kar Wai avaient de quoi mettre l’eau à la bouche.

Raconter une histoire en commençant par la fin est une sacrée gageure d’écriture. Si commencer la narration par une scène choc avant de remonter en arrière par un long flashback, lequel conduira à retrouver ladite scène aux deux tiers du film environ, est devenu une recette éculée, c’est tout autre chose d’écrire un scénario en marche arrière. Quelques films s’y sont essayé avec succès : Irréversible de Gaspard Noé, 5×2 de François Ozon, Memento de Christopher Nolan.

Mais pour y réussir, il faut surmonter deux écueils. Le premier est de ne pas perdre le spectateur en route. Le second est d’avoir une histoire qui la tienne.
Hélas tel n’est pas le cas de ce Face à la nuit (titre français calamiteux d’insignifiance, traduction de Cities of Last Things dont le réalisateur indique, dans sa note d’intention, qu’il lui aurait été inspiré par un roman de Paul Auster). Sans doute comprend-on, surtout après avoir lu les premières lignes de cette critique, que le film compte trois volets mettant en scène le même personnage à trois âges de sa vie. Mais, j’avoue avoir mis du temps à identifier l’homme sur lequel, dans le premier volet, il exerce sa vengeance.
Le plus grave est ailleurs : dans l’absence totale de crédibilité de son histoire. Le comble est atteint avec le personnage d’Ara. On imagine mal comment notre héros peut finir la nuit avec elle dans le deuxième volet et comment il la retrouve trente ans plus tard dans le premier.

Au bout du compte, on se sent un peu berné. Berné par le mélange mal maîtrisé des genres : SF, polar, mélo. Berné par des personnages qui se réduisent à leur caricature : flics ripoux, prostituées au grand cœur… Berné par un procédé narratif qui, pour alléchant qu’il soit, n’apporte rien.

La bande-annonce

Vita & Virginia ★☆☆☆

Dans les roaring twenties, les deux femmes de lettres Vita Sackville-West (Gemma Arterton) et Virginia Woolf (Elizabeth Debicki) ont entretenu une liaison amoureuse. Elles faisaient partie, avec Vanessa Bell, la sœur aînée de Virginia, et son mari, du groupe de Bloomsbury, volontiers anticonformiste, dont les membres prônaient l’union libre. Mariée au diplomate Harold Nicholson, bisexuelle comme elle, qui lui laissait une grande liberté, Vita avait déjà fait scandale avec Violet Trefusis. Elle aussi bisexuelle, Virginia était mariée depuis une dizaine d’années et avait fondé une maison d’édition avec son mari. Elle venait d’écrire Mrs Dalloway et La Promenade au phare. Sa liaison lui inspira Orlando qui sera son plus grand succès.

La jeune réalisatrice britannique Chanya Button s’attaque à l’un des couples les plus mythiques et les plus sulfureux du vingtième siècle. Un tel sujet attirera sans coup férir plusieurs catégories de spectateurs : les aficionados de Virginia Woolf (ils sont nombreux), les fans de la série Downton Abbey (ils sont plus nombreux encore qu’affoleront les tenues plus sensationnelles les unes que les autres de Gemma Arterton, portrait craché de Lady Mary, l’aînée des Crawley), les féministes hommes ou femmes, homo- ou hétéro-… ce qui fait beaucoup de monde.

Pas sûr que ce nombreux public soit enthousiasmé. Car, si Vita & Virginia réussit honnêtement à reconstituer le charme et l’élégance des intérieurs londoniens des années vingt, c’est bien là son seul mérite. La passion qui unit les deux héroïnes n’est ni sulfureuse ni déchirante. Pendant toute la première moitié du film, Gemma Arterton – qui, pour la première fois de sa carrière, réussit à mal jouer – s’escrime à séduire Elizabeth Debicki. Puis, dans la seconde, Virginia, enfin conquise, s’inquiète de ne pas être capable de retenir la trop frivole Vita.

Seul trait piquant du film : les scènes de ménage entre les deux héroïnes qui se jouent dans une joyeuse pluralité, en présence de leurs maris respectifs réduits au stade de témoins silencieux et (doublement) impuissants.

La bande-annonce

So Long, My Son ★★★☆

Voici l’histoire sur près de quarante ans d’un couple, Liu Yaojun et Wang Liyun, employés dans un conglomérat industriel d’État, soumis à la politique de l’enfant unique, confronté à la perte irréparable de leur garçon.

La littérature a sur le cinéma un avantage : il existe des romans plus ou moins longs alors que les films ont tous, peu ou prou, la même durée. Vous me direz qu’il y a des films qui durent quatre heures – voire quatorze comme récemment La Flor – et vous aurez raison. Je vous rétorquerai que quatre-vingt-dix minutes est la norme et je n’aurai pas tort.

Pourquoi cette laborieuse entrée en matière ? Parce que So Long, My Son fait plus de trois heures et a exactement la durée qui convient à son propos. Comme Autant emporte le vent, comme Docteur Jivago, So Long, My Son suit ses personnages pendant plusieurs décennies et avait besoin d’au moins trois heures pour raconter leur histoire.

Il aurait pu le faire en suivant paresseusement la chronologie – comme le faisait d’ailleurs les chefs d’œuvre susmentionnés. Mais ce simplisme n’est plus de mise. Les modes de narration se sont sophistiqués. So Long, My Son est construit sur une succession d’ellipses et de flash-back particulièrement complexes. Il serait croustillant d’en reproduire la succession sur l’axe du temps. Mais ce découpage, aussi complexe soit-il, n’en demeure pas moins parfaitement lisible : un détail vestimentaire, un élément du paysage ou du climat, un calendrier permettent rapidement au spectateur de se repérer dans le temps et dans l’espace. Et il s’avère d’une redoutable efficacité car il donne de l’épaisseur à une histoire qui, si elle avait été racontée dans l’ordre chronologique, n’aurait pas eu le même relief.

Sans doute est-ce donner dans cette critique trop de place à un élément bien technique.
Car So Long, My Son est un film dont les qualités ne se limitent pas à son seul découpage. C’est un film politique. C’est en même temps un film profondément émouvant.

Comme dans ses précédentes réalisations, le réalisateur Wang Xiaoshuai, né avec la Révolution culturelle en 1966, entend faire résonner la petite histoire avec la grande. Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun est celui de tant de Chinois ordinaires nés au mitan du siècle. Ils connurent dans leur jeunesse les camps de rééducation. Ils durent s’employer aux champs ou à l’usine. Ils furent ensuite confrontés au démantèlement de leurs unités de travail, seuls les plus malins réussissant à tirer parti des opportunités offertes par le capitalisme naissant.

Le destin de Liu Yaojun et Wang Liyun a été brisé par la politique de l’enfant unique qui leur interdit d’avoir un second enfant quelques mois avant de perdre le premier dans des circonstances dramatiques. Le drame que constitue pour un couple la mort brutale de leur enfant, la difficulté à s’en relever est déjà, en soi, un sujet poignant. Mais So Long, My Son lui en greffe plusieurs autres avec l’éducation d’un autre enfant dont on découvrira bientôt les origines et la douloureuse réconciliation avec un couple d’amis dont le fils porte la responsabilité de la mort de leur fils.

Leur dignité face aux épreuves, leurs douleurs tues, leur résilience pour employer un mot à la mode sont si édifiantes qu’elles frisent l’académisme. Mais nos dernières réserves sont emportées par un épilogue à faire pleurer les pierres.

La bande-annonce

Yesterday ★★☆☆

Jack Malik (Himesh Patel) est un artiste sans talent qui pousse la chansonnette devant des salles vides. Ellie (Lily James), son amie d’enfance, qui lui sert d’agent et de chauffeur, lui garde néanmoins sa confiance.
Une nuit, après que la planète a connu un mystérieux black out de douze secondes, Jack est percuté par un bus. Il s’en sort sans grand dommage, mais réalise bientôt que le monde n’est plus tout à fait le même. Les Beatles (et le Coca Cola et les cigarettes et Harry Potter) semblent n’y avoir jamais existé. Se remémorant les tubes des Quatre de Liverpool, Jack peut rapidement accéder à la gloire dont il rêvait.

Avec un pitch génial – quoique calqué sur celui de Jean-Philippe, dans lequel Fabrice Luchini se réveillait dans un monde sans Johnny Hallyday – avec Danny Boyle (oscarisé pour Slumdog Millionaire) à la réalisation et Richard Curtis (Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Love Actually) au scénario, Yesterday s’annonçait comme le meilleur film de l’été.

Des critiques mitigées sont venues doucher mon enthousiasme. Le Monde signe la plus assassine, ne lui mettant aucune étoile dans une échelle de zéro à quatre (ça vous rappelle quelque chose ?!). Saluant l’idée « irrésistible », Thomas Sotinel déplore un film « décevant » à la conclusion « confuse et illogique » et spoile au passage la scène la plus surprenante du dernier tiers.

Je n’aurai pas la dent si dure et ne mégoterai mon plaisir. Yesterday n’est certainement pas le meilleur film de l’année ; mais il n’en reste pas moins un excellent divertissement.

On pourra certes lui reprocher certaines facilités scénaristiques. Ainsi de la façon dont Jack réalise que les Beatles ont disparu de la mémoire de ses amis. En revanche, juste après, Yesterday touche juste en montrant comment des tubes indépassables tels que Let it Be ou Imagine sont accueillis passivement par des auditeurs qui n’y sont pas préparés (hilarante scène dans le living familial).
Hisham Patel – dont les origines indiennes ne constituent à aucun moment un argument – et Lily James – qui ressemble trop à Keira Knightley pour prétendre la supplanter un jour – font honnêtement le job.
La conclusion du film n’est ni confuse ni illogique. Entre la gloire et l’amour, le héros choisit évidemment l’amour. All you Need is Love. C’était déjà la recette de Love Actually. On aurait mauvaise grâce à reprocher à Richard Curtis de réemployer une recette qui lui avait si bien servi.

Reste la musique des Beatles qu’on (re)découvre avec un plaisir inattendu. Comme Ed Sheeran (dans son propre rôle) le concède à la fin d’une battle : « Je suis Salieri, bravo Mozart ». Certains tubes sont connus ; d’autres, parmi les vingt-sept (sic) qu’on entend, le sont moins. Mais tous démontrent le génie du groupe auquel on s’étonne que ne leur ait pas encore été consacré un biopic.

La bande-annonce

Rojo ★☆☆☆

En Argentine, dans les années 70. Marié, père de famille, Claudio (Dario Grandinetti, aperçu chez Almodovar) est un notable local. Il exerce sans scrupules la profession d’avocat.
Un soir, une altercation l’oppose dans un restaurant à un inconnu. Les deux hommes se retrouvent à l’extérieur de l’établissement. Le face à face tourne au drame.

Le cinéma latino-américain, d’Argentine (Kóblic), du Chili (Mariana) et même de l’Uruguay (Compañeros), est obnubilé par les années de la dictature, comme le fut longtemps le cinéma français par l’Occupation. Il y a un article à écrire sur la façon dont il revisite ce « passé qui ne passe pas » – voire un article de « cinéma comparé » sur la manière différente dont les cinémas latino-américain et français le font.

Avec Rojo, le jeune réalisateur argentin Benjamin Naishtat puise aux sources de cette veine cinématographique là. Rojo rappelle en effet L’Histoire officielle de Luis Puenzo, un film qui connut un succès international (prix d’interprétation féminine à Cannes, Oscar du meilleur film étranger), moins à cause de ses qualités intrinsèques que parce qu’il était le premier à lever le voile sur la dictature argentine au lendemain de son renversement. L’Histoire officielle avait pour héroïne une enseignante qui avait traversé sans tracas la dictature et qui lentement prenait conscience des mensonges de « l’histoire officielle » qui lui avait été servie et qu’elle servait à ses élèves.

Rojo choisit lui aussi de filmer la dictature – ou, plus précisément, les mois qui la précèdent – du point de vue d’une famille bourgeoise provinciale et ordinaire. Il n’y est ni question des événements politiques qui se déroulent à Buenos Aires, ni, comme souvent dans les films sur cette période, des tortures infligées aux adversaires du régime. Si l’on ignore tout du sujet en entrant dans la salle, on pourrait tout à fait le voir sans comprendre son contexte. Sans doute un spectateur argentin, qui a baigné dans cet environnement, ne s’en laisserait-il pas compter.

Rojo n’est pas sans qualités qui réussit à diffuser un climat anxiogène sans montrer aucune scène de violence, sans que soit proférée aucune menace. Rojo relève la gageure de filmer la disparition, c’est-à-dire le creux, l’absence, par exemple en montrant – c’est le tout premier plan, muet, du film – une maison vidée de ses meubles (fuite précipitée de ses habitants ? ou main basse de la police sur les biens laissés par une famille qu’on vient d’arrêter ?).

Mais, à force d’abstraction, d’ellipses, de non-dits, Rojo étouffe tout sentiment, nous égare et nous plonge dans une profonde catalepsie. J’ai vu le film hier soir et je suis incapable de me souvenir de ses dernières images. Signe de l’Alzheimer qui me gagne ou défaut structurel d’un film auquel je suis resté désespérément étranger ?

La bande-annonce

Pour les soldats tombés ★☆☆☆

Le centenaire de la Première guerre mondiale est derrière nous. Il a été l’occasion en France et dans le monde d’une impressionnante série de commémorations de toute nature. C’est avec un décalage de quelques mois qu’arrive sur nos écrans le documentaire réalisé à grands frais par Peter Jackson. Au-delà de son sujet qui lui attirera tous les amoureux d’histoire contemporaine, il présente deux arguments de vente. Le premier est l’identité de son réalisateur qui a porté à l’écran avec le succès que l’on sait la saga de J.R.R. Tolkien. Le second est la colorisation et la sonorisation des images d’archives censées leur donner plus de vie.

Les deux arguments ne sont guère opérants. Que Peter Jackson, pour des raisons familiales (le grand-oncle de son épouse a combattu sur la Somme), nourrisse une fascination pour la Première guerre mondiale est une chose. Que cela le qualifie pour en parler en est une autre. Nulle part ne trouve-t-on la patte d’un grand réalisateur dans ce documentaire qui se borne à enchaîner les images d’archives lestées en voix off du témoignage d’anciens combattants.
Quant à la colorisation, elle ne nous surprend plus guère depuis qu’Apocalypse avait inauguré le procédé.

Pour les soldats tombés se concentre sur la vie du contingent britannique expédié en France. Rien ne nous est dit sur le contexte historique et militaire de leur participation à la Première guerre mondiale. Le parti pris revendiqué est de reconstituer leur quotidien et de comprendre leur état d’esprit, un étonnant mélange de chauvinisme, de bravoure, d’inconscience et de fatalisme.

On passe beaucoup de temps sur le sol britannique pendant leur recrutement – où les plus jeunes mentent sur leur âge pour accompagner leurs aînés sans imaginer un instant le déchaînement de violence qui s’abattra sur eux. On nous montre ce qu’ils mangent, ce qu’ils portent (un seul et unique uniforme pendant quatre ans et ses fameuses bandes molletières dont personne ne leur avait expliqué l’usage). Puis on les suit dans les tranchées, tuer l’ennui, chasser les poux, patauger dans leurs fèces avant d’être lancés à l’assaut des lignes ennemies.

Passée la première demie-heure et satisfaite la curiosité que le projet et son auteur avaient fait naître, on s’ennuie ferme sans rien apprendre.

La bande-annonce