La Terre des hommes ★★★☆

Bernard (Olivier Gourmet) est un vieil agriculteur bourru dont l’obstination menace de mener sa ferme à la faillite. Mais Constance, sa fille (Diane Rouxel) et Bruno (Finnegan Odfield), son futur gendre, sont prêts à prendre la relève, à relancer l’exploitation, à y appliquer des méthodes nouvelles. Leur avenir est suspendu à la décision de la Safer, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural qui est sur le point de se prononcer sur leur dossier. Constance et Bruno croient pouvoir compter sur l’appui de Sylvain (Jalil Lespert), l’influent président du marché local qui encourage leur projet et assure Constance de son soutien.

Le titre de La Terre des hommes résume avec une élégante efficacité les deux sujets qu’entremêle ce drame rural. D’une part, comme dans Petit Paysan ou Au nom de la terre, l’action se déroule dans ce monde paysan qui décidément revient à la mode après une longue éclipse au cinéma. D’autre part, comme dans Slalom, son héroïne est victime de l’emprise d’un homme et à travers lui de la domination d’une société masculiniste qui lui est spontanément hostile.

Pour son second film, le réalisateur Naël Marandin a réussi à réunir autour de lui une belle brochette de stars. On pourrait lui faire le reproche de les sous-utiliser : Olivier Gourmet, que je considère comme l’un des tout meilleurs acteurs actuels, est réduit à une silhouette, Finnegan Oldfield, que je considère quant à lui comme l’un des plus prometteurs, forme avec Constance un couple solaire qui démontre qu’il ne faut pas désespérer de tous les hommes, Jalil Lespert joue avec l’ambiguïté qui le caractérise le rôle d’un prédateur qui n’a pas conscience d’abuser du pouvoir qu’il possède pour abuser d’une femme.

Le film repose sur les frêles épaules de Diane Rouxel. C’était un pari audacieux : la jeune femme – comme le montre d’ailleurs très bien l’affiche – pouvait sembler trop fine, trop jolie, en un mot trop parisienne, pour assumer à elle seule cette responsabilité-là. Pourtant, elle impose sa présence dès les premières images où on la voit avec une belle assurance prendre la température au cul d’un veau malade. Elle est d’une justesse absolue dans la scène qui la confronte à Jalil Lespert où elle exprime la palette des sentiments qui la traversent : la quête d’une empathie, le trouble, la sidération, la peur, la honte et la colère…. C’est à sa composition toute en nuances que La Terre des hommes doit sa belle réussite.

La bande-annonce

BAC Nord ★★★☆

Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou) forment un trio de flics inséparables à la BAC Nord, la Brigade anti-criminalité du nord de Marseille. La brutalité des caïds qui imposent leur loi dans des quartiers où les forces de l’ordre ne s’aventurent plus, la pusillanimité de la hiérarchie policière et le manque de moyens de la BAC condamnent ce trio de super-flics à une impuissance qui les ronge. Un tuyau d’une informatrice (Kenza Fortas) leur permettrait pourtant de faire tomber tout un réseau. Mais, pour monter une telle opération au cœur des cités, il leur faudra franchir plusieurs lignes rouges.

BAC Nord est inspiré d’une histoire vraie. En 2012, dix-huit policiers de la BAC Nord de Marseille ont été poursuivis pour trafic de drogue et racket. L’affaire est toujours en cours, le parquet ayant fait appel du jugement de relaxe prononcé en avril à Marseille.

Cette coïncidence suscite un malaise, le même que celui éprouvé devant Grâce à Dieu (le film de François Ozon sur les abus sexuels commis par l’Eglise et couverts par la hiérarchie ecclésiastique sorti avant la condamnation définitive de Bernard Preynat et la relaxe de Philippe Barbarin). Car, même s’il s’en défend, BAC Nord prend parti en faveur des policiers, héroïse leurs actions, les blanchit de leurs accusations.

Le malaise est d’autant plus grand que le discours sous-jacent est sacrément rance : les cités nord de Marseille seraient des zones de non-droit gangrénées par les trafics ; les policiers, impuissants, lâchés par une classe politique irresponsable, seraient incapables d’y faire régner la loi sauf à recourir à des pratiques qui les exposeraient à des enquêtes tatillonnes des boeufs-carottes et à des sanctions pénales. On dirait un clip d’Alliance, le syndicat d’extrême-droite de la police nationale, ou un bulletin d’adhésion au Rassemblement national.

Pour autant, faut-il interdire au cinéma de traiter d’enquêtes judiciaires en cours ? La question avait été portée devant les tribunaux à la sortie de Grâce à Dieu, qui l’avaient autorisée au motif qu’elle s’inscrivait dans un « débat d’intérêt général ». Faut-il récuser un film au motif de l’idéologie qu’il défend ? Libération ne s’en prive pas qui évoque un film « démago et viriliste » « tendance cinquante nuances de droite ». Les films vigilantistes de Charles Bronson ou de Clint Eastwood avaient suscité en leur temps les mêmes et légitimes réserves.

Pour autant, même si on se doit d’exprimer ce malaise – un malaise symétrique à celui ressenti devant Les Misérables qui prenait, lui, ouvertement parti pour les jeunes des cités et légitimait leur violence au nom de la légitime défense face à la violence déployée par la police – force est de saluer l’efficacité du cinéma de Cédric Jimenez. Le réalisateur de La French sait raconter une histoire et la filmer : écrasée de soleil, loin des clichés de carte postale, Marseille devient la scène d’un « western urbain » (Télérama) ponctué de scènes mémorables. Cédric Jimenez sait diriger des acteurs : Gilles Lellouche, qui partageait déjà l’affiche avec Jean Dujardin dans La French, y est époustouflant ; ses deux acolytes, François Civil et Karim Leklou, confirment, s’il en était besoin, leur statut de jeunes gloires montantes du cinéma français. Adèle Exarchopoulos (soupirs énamourés….) et Kenza Fortas réussissent à donner à leurs rôles pourtant mineurs une force rare.

La bande-annonce

France ★☆☆☆

France de Meurs (Léa Seydoux) est la présentatrice vedette de I télé, une chaîne d’informations en continu. Elle anime des débats enflammés en direct, interpelle Macron à l’Elysée et part en reportage dans des zones en conflit. Mais ce vibrionisme fou cache en fait un vide abyssal.

Bruno Dumont occupe une place à part dans le cinéma français. Son cinéma, âpre et minimaliste, aspire à la fois à la grâce et à l’animalité – pour reprendre le titre d’un essai qui lui a été consacré. Cet ancien professeur de philosophie filme l’humain au scalpel. Originaire du Nord, il est resté fidèle à son terroir : La Vie de Jésus (1997), L’Humanité (1999), Flandres (2006) s’y déroulent. Il a aussi fait un pas de côté en racontant l’histoire de personnalités historiques : Camille Claudel, Jeanne d’Arc…

Avec France, il s’attaque à tout autre affaire : les dérives de l’information en continu à travers le portrait sans concession d’une vedette du petit écran, d’une Claire Chazal ou d’une Léa Salamé fantasmée.

Autant le dire tout net : la mayonnaise ne prend pas.
Pourtant, il en aurait fallu de peu que l’alchimie marche. Car Bruno Dumont a du talent. Son film se tient. Sa direction d’acteur est impeccable. Léa Seydoux – dont on a longtemps hésité à lui reconnaître du talent, suspectant que son succès tienne plus à sa filiation qu’à ses qualités – n’y a jamais été aussi bonne. Elle est de tous les plans, le teint de porcelaine, le rouge à lèvres vermillon impeccable, dans des tenues époustouflantes qui devraient valoir à France sans hésitation le prochain César des meilleurs costumes.

Mais l’ensemble fonctionne mal, comme si on avait voulu agencer des pièces qui, prises séparément sont d’excellente facture, mais n’ont rien à faire ensemble. Prenons un exemple : Blanche Gardin. Elle fait son petit effet dans le rôle de Lou, la fidèle assistante de France. Elle y a la graine de folie et l’humour parfois trash qui ont fait sa célébrité. Mais, hélas, ces qualités là n’ont rien à voir dans le film et ne lui apportent rien. Idem pour Benjamin Biolay et sa beauté ténébreuse, qui semble se specialiser dans le rôle des époux sacrificiels après le rôle qu’il tenait auprès de Chiara Mastroianni dans Chambre 212. Idem aussi de la musique un brin envahissante de Christophe qui avait mieux sa place dans l’élégie moyenâgeuse de Jeanne qu’ici.

France raconte les dérives d’un système. Il met aussi en scène les failles d’une femme. Cette double dimension est le moteur du film. On lui donne sa chance pendant un moment, laissant à Bruno Dumont le bénéfice du doute. Mais, comme le public de Cannes qui lui a réservé un accueil mitigé (en sélection officielle, France est revenu bredouille), on décroche bientôt. La chute est longue : le film dure deux heures quatorze et aurait gagné à être amputé d’un bon quart.

La bande-annonce

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire ★★★☆

1981 : le monde a changé depuis la crise du canal de Suez et la présidence de René Coty. Hubert Bonisseur de la Bath (Jean Dujardin), alias OSS 117, a vieilli. Mais il reste égal à lui-même, toujours aussi irréductiblement encrouté dans son machisme et son racisme d’un autre temps. Son patron du SDECE l’envoie en Afrique noire. Sa mission est double : assurer la réélection tranquille du président Bamba, un dictateur menacé par une rebellion financée en sous-main par l’URSS, et retrouver l’agent OSS 1001 (Pierre Niney) porté disparu depuis plusieurs semaines.

Plus qu’Annette, le nouveau film de Leos Carax, qui ne figure pas au nombre de mes réalisateurs préférés, plus que Kaamelott, le long métrage tiré de la série à succès que je n’avais pas vue, c’est ce troisième volet d’une série entamée en 2006 et 2009 que j’attendais cette année avec le plus d’impatience. Et ce pour deux raisons.

La première est le fou rire d’anthologie qu’avaient suscité les deux premiers films. Un fou rire transgénérationnel partagé avec mes deux garçons qui connaissons par cœur la quasi totalité des dialogues à force d’en avoir vu et revu ensemble les DVD. Ce fou rire naissait du personnage d’OSS 117, parodie revendiquée de James Bond, interprété avec un premier degré bluffant par Jean Dujardin et assumant avec une belle insolence dans une société pourtant de plus en plus policée le « politiquement incorrect ». Avec un flegme indémontable et un charme irrésistible, OSS 117 lançait les propos les plus racistes et les plus sexistes qui soient (« J’ai été réveillé par un homme qui hurlait à la mort du haut de cette tour ! J’ai dû le faire taire. »)

La seconde était le sujet de ce troisième volet : l’Afrique où j’ai travaillé quelques années et les relations franco-africaines que je connais un peu et auxquelles j’ai consacré un livre. Le sujet avait déjà été traité au cinéma sur un mode comique : Les Bronzés (1978), Safari (2009), Le Crocodile du Botswanga (2014), Bienvenue au Gondwana (2017). Mais je me réjouissais d’avance de la façon dont les créateurs d’OSS 117 s’en empareraient.

Ai-je été déçu ? Oui et non.
Moins en tout cas que la critique qui depuis mercredi lui tire dessus à boulets rouges, avec une joie méchante, comme si elle se réjouissait par avance de l’échec d’un film dont la date de sortie avait été programmée pour en faire le succès de l’été, celui que tous les plaisanciers iraient voir pendant leurs vacances.

OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire a certes un défaut : il n’innove guère. Il utilise les recettes éprouvées qui avaient fait le succès des deux premiers opus. Nicolas Bedos – quoi qu’on pense des déclarations publiques plus ou moins malvenues qu’il ait pu faire – se glisse parfaitement dans les pas de Michel Hazanavicius. Il a repris son scénariste et dialoguiste, Jean-François Halin, qui fait mouche (« – Émile – Micheline – Non. Je préfère Émile »).

Son défi n’était pas mince : comment faire du neuf avec du vieux ? Il choisit de le traiter de front en mettant en scène un OSS 117 vieillissant, moins fringant (même dans les scènes de sexe qui frôlent la gauloiserie), limite pathétique dans sa façon de rester coincé dans un machisme passé de mode. Il le confronte à OSS 1001, son double moderne, plus jeune, plus branché, en un mot – que OSS 117 abhorre évidemment – plus « cool ».

Certes on pourra faire la fine bouche et dire que Le Caire Nid d’espions demeure indépassable. Mais ne le savait on pas déjà avant d’entrer en salles ? À quelques très rares exceptions près (Le Parrain, La Guerre des Etoiles…), les suites sont souvent moins bonnes. Il m’est avis que c’est le cas aussi de Fast and Furious 9 que je n’ai pas vu. Acceptons en l’augure et prenons sans mégoter le plaisir que cette suite-là, moins ratée qu’on le dit, nous offre.

La bande-annonce