L’Arbre aux papillons d’or ★☆☆☆

Thien habite Saïgon. Sa belle-soeur y meurt dans un accident de scooter laissant derrière elle, un orphelin de cinq ans, Diao. Accompagné de son neveu, Thien ramène la dépouille de sa belle-soeur dans son village natal. Elle y est enterrée dans la religion catholique. Ce voyage est pour Thien l’occasion de se replonger dans son passé.

Auréolé de la Caméra d’or, le prix qui recompense le meilleur premier film de la sélection cannoise, L’Arbre aux papillons d’or bénéficie, pour sa sortie en France d’un accompagnement tout particulier de son distributeur, Nour films, qui a multiplié les avant-premières. Celle à laquelle je me suis rendu était comble. Elle était coorganisée par un ciné-club vietnamien et la salle, à ma grande surprise, était quasi exclusivement remplie de spectateurs de la diaspora heureux de se réunir dans un bruyant bruissement exotique. Sans doute ont-ils retrouvé dans le film des images, des sonorités qu’ils avaient connues ou dont leurs parents leur avaient transmis le souvenir. La charge nostalgique du film était pour moi moins puissante.

Le cinéma vietnamien s’exporte mal. Trần Anh Hùng, un réalisateur né au Vietnam mais réfugié en France où il a fait carrière, avait connu une brève célébrité dans les 90ies avec L’Odeur de la papaye verte, Caméra d’or à Cannes et César de la meilleure première oeuvre, et Cyclo. J’en ai le souvenir de deux films très lents plongés dans la moiteur tropicale. Ce même réalisateur, tournant le dos à tout exotisme indochinois, vient de signer La Passion de Dodin Bouffant avec Juliette Binoche et Benoît Magimel qui sortira sur les écrans en novembre. Ces dernières années, je crois avoir vu un seul film vietnamien, Mekong Stories, au printemps 2016, qui, avec son héroïne déchirée entre deux garçons, louchait du côté de Jules et Jim.

L’Arbre aux papillons d’or dure près de trois heures. J’ai dit souvent les réserves que m’inspiraient de tels formats. Son rythme lent, ses longs travellings ont tôt fait de nous plonger dans une hypnose catatonique.  D’autant que le récit mélange bientôt, sans les distinguer clairement, les souvenirs que les assoupissements du héros ressuscitent, et sa vie contemporaine. Certains trouveront l’expérience fascinante. D’autres comme moi piqueront bientôt du nez, ajoutant à la narcolepsie du héros celle du spectateur.
Le résultat est nébuleux, mon manque d’attention m’interdisant un jugement plus radical… ou, pour le dire plus nettement, j’ai tellement dormi que je n’en ai pas vu grand-chose !

La bande-annonce

Mystère à Venise ★★☆☆

Retiré des affaires du monde, Hercule Poirot (Kenneth Branagh) s’est installé dans la Cité des doges. Un policier italien (Riccardo Scamarcio) assure sa protection. Une amie romancière (Tina Fey), pariant sur son cartésianisme et son goût des défis, réussit toutefois à le sortir de sa retraite pour le faire assister, la nuit d’Halloween, à une séance de spiritisme dans un splendide palazzo vénitien où la fille de la propriétaire (Kelly Reilly) a trouvé la mort deux ans plus tôt. Mais la soirée, qui réunit une dizaine de convives, s’achève par la mort de l’un des participants. Refusant d’en imputer la responsabilité aux esprits qui hanteraient cette lugubre demeure, Hercule Poirot mène l’enquête.

Après avoir adapté deux des plus célèbres romans d’Agatha Christie, Le Crime de l’Orient-Express et Mort sur le Nil, déjà portés à l’écran dans les 70ies avec Peter Ustinov dans le rôle du méthodique détective belge, Kenneth Branagh signe un troisième épisode à partir d’un de ses romans moins connus (publié en France sous les titres La Fête du Potiron ou, plus vendeur, Le Crime d’Halloween). Il en a déplacé l’action à Venise filmée sous une pluie hivernale. Les mauvaises langues diront que les vues de la ville, au début et à la fin du film, en constituent les meilleurs moments.

Entre les deux, la caméra s’enferme dans un huis clos, comme les enquêtes à la Cluédo nous y ont habitués. Toute adaptation d’Agatha Christie qui se respecte  doit en effet sacrifier à ce rituel inviolable. La règle est simple. Un crime est commis. Une dizaine de personnages sont suspectés, l’enquête menée d’une main de fer par Poirot permettant de révéler chez chacun des coupables potentiels un pan caché de son histoire personnelle qui justifierait son acte.

Pour donner du piment à cette recette éculée, il faut un sacré talent. Kenneth Branagh en a plus qu’il n’en faut. On lui avait fait le reproche de beaucoup cabotiner dans les deux premiers opus. Il est plus sobre ici. Et c’est tant mieux. Il concentre son talent sur la réalisation. Non tant dans le scénario qui, hélas, est si corseté qu’il ne faut guère en attendre de surprises que dans la mise en scène : les décors, les lumières, la musique tirent ce film vers l’horreur, le fantastique, le giallo, ce genre italien qui connut ses heures de gloire dans les 70ies avec Mario Bava et Dario Argento.

Mystère à Venise n’est pas le navet affligeant que certains m’avaient décrit. Il est loin aussi d’être un chef d’oeuvre. C’est un film qui ne ment pas sur la marchandise et qui plaira aux amateurs du genre.

La bande-annonce

Un métier sérieux ★★☆☆

Doctorant besogneux en sciences physiques, après avoir échoué en médecine, Benjamin (Vincent lacoste) accepte un remplacement en mathématiques au collège. Ses premiers pas sont difficiles. Il a du mal à se faire respecter de ses élèves et, plus encore, à s’en faire comprendre. mais il peut compter sur l’accueil chaleureux et le soutien de ses collègues du lycée Molière : Meriem (Adèle Exarchopoulos), une autre prof de maths qui a un contact fantastique avec ses élèves, Fouad (William Lebghil), le prof d’anglais sur qui tout glisse, Sandrine (Louise Bourgoin), la prof de SVT psycho-rigide et Pierre (François Cluzet), le vieux prof de français qui leur sert à tous de grand frère ou de parrain.

C’est peu dire que j’avais beaucoup de réticence avant d’aller voir le nouveau film de Thomas Lilti, ce médecin généraliste passé par passion du cinéma à la réalisation et qui avait si bien documenté dans HippocrateMédecin de campagne et Première année le mal-être de l’hôpital et des professions de santé. Je pensais déjà en avoir épuisé les charmes en lisant son résumé, en regardant son affiche et en voyant sa bande-annonce : une longue publicité comme on en a déjà vu tellement (La Vie scolaire, Les Héritiers, Entre les murs…) pour l’Education nationale, dont la sortie coïncide opportunément avec la rentrée des classes, mettant à l’honneur une poignée de sympathiques enseignants qui, malgré un salaire insuffisant, une hiérarchie obtuse et un manque de moyens criant, réussissent tant bien que mal à transmettre à des élèves dont l’attention devient de plus en plus difficile à capter mais tout compte fait attachants, un peu de connaissance et beaucoup d’humanité.

Ce cahier des charges bien-pensant à souhait est hélas scrupuleusement rempli. Un métier sérieux passe en revue l’ensemble des épreuves que rencontre un professeur : les classes incontrôlables, le conseil de discipline convoqué pour sanctionner un élève qui est sorti des clous au risque de l’exclure définitivement, les frites à la cantine, la classe de mer, l’exercice alerte incendie et ses consignes inapplicables, etc… (il y manquait peut-être l’altercation avec le parent d’élève qui se pique d’apprendre au professeur son métier, une scène à peine ébauchée et qui, à en croire les professeurs de plus en plus souvent confrontés à cette situation désagréable, est hélas monnaie courante aujourd’hui).

Mais Thomas Lilti exécute ce programme imposé avec un tel talent qu’après une première demi-heure un peu lente à démarrer, on s’y laisse prendre. La galerie de personnages, brillamment interprétés par quelques-uns des meilleurs acteurs français du moment dont Lilti a su gagner la fidélité – Vincent Lacoste jouait déjà dans Hippocrate, François Cluzet dans Médecin de campagne et William Lebghil dans Première année – ne se réduit pas à des caricatures. Chacun gagne en profondeur au fur et à mesure que le film progresse au point qu’on en vient à l’apprécier comme le premier épisode d’une série à venir (sur le modèle de Hippocrate qui sait ?). En particulier la façon dont leurs vies privées et leur travail s’entremêlent, qu’on aurait pu craindre artificielle, est très bien réussie, qui montre qu’un bon prof, capable de résister à une classe de trente élèves, peut échouer dans l’éducation de son gamin – et vice-versa.
J’ai bien sûr fondu une fois encore pour Adèle Exarchopoulos que je trouve confondante de naturel et pour François Cluzet en vieux briscard de la salle des profs. Mais il faut aussi saluer le rôle terriblement ingrat de Louise Bourgoin.

Sans doute Thomas Lilti n’est-il guère sorti de sa zone de confort en sortant de l’hôpital. Sans doute ce film-là augure-t-il le suivant qu’il pourrait consacrer à la police et celui d’après à la magistrature, en attendant ceux sur les gardes-forestiers et les inspecteurs des impôts peut-être…. Ils utiliseront peut-être les mêmes recettes. mais, quand la recette est bonne, pourquoi ne pas la réutiliser ?

La bande-annonce

Le Livre des solutions ★★☆☆

Quand ses producteurs lui annoncent qu’ils cessent de financer son dernier film, Marc Becker s’enfuit dans les Cévennes chez sa tante Denise (Françoise Lebrun, égérie de Jean Eustache) avec sa monteuse (Blanche Gardin) et son assistante (Frankie Wallach, égérie de EDF) pour en boucler le montage. Mais cette fuite à la campagne exacerbe la créativité débordante du réalisateur, au grand dam de ses proches.

Michel Gondry, le réalisateur le plus perché, le plus branque, le plus imaginatif qui soit, est de retour, huit ans après son dernier film Microbe et Gasoil, quinze ans après Soyez sympas, rembobinez, qui est le plus représentatif de son cinéma de la bricole, dix-neuf ans après The Eternal Sunshine of a Spotless Mind, qui lui valut une gloire immédiate.

Le Livre des solutions est une autobiographie auto-dérisoire, un hommage à sa tante, mais surtout l’autoportrait de l’artiste en doux dingue. Michel Gondry, à soixante ans passés, n’est plus un jeune homme ; mais il a trouvé son alter ego chez Pierre Niney, jeune trentenaire vibrionnant qui n’a jamais été aussi à l’aise que dans ce cinéma là, où toute sa fougue, toute son inventivité, tout son charme fiévreux peuvent s’exprimer sans entraves.

Le Livre des solutions multiplie les trouvailles. les scènes cocasses ou tendres s’y succèdent sans temps mort. On ne s’y ennuie pas. On y rit parfois, on y sourit souvent, au camiontage ou à l’assistant catarrheux jusqu’au tout dernier plan qui met en abyme le réalisateur et son film. On se laisse attendrir dès que Françoise Lebrun, avec sa voix d’une douceur inimitable berce son remuant neveu. Seul point faible : l’absence de scénario à proprement parler, le montage du film de Marc constituant le prétexte plus que la raison d’être à cette succession de vignettes.

Le Livre des solutions a le défaut de ses qualités. Il est trop gentil. Et la gentillesse, c’est comme la crème chantilly : à petite dose, c’est délicieux, à grosse dose, ça devient vite écœurant.

La bande-annonce

Alam ★☆☆☆

Tamer, Shekel et Safwat sont trois étudiants d’un lycée arabe en Israël qui, comme tous les lycées du pays, s’apprête à fêter avec pompe l’indépendance nationale le 14 mai. Mais si cette date marque pour les Juifs d’Israël l’indépendance, elle marque aussi pour les Arabes la Nakba, la catastrophe qui les a dépossédés de leurs biens et forcés à l’exil. Pour commémorer la Nakba, Safwat voudrait remplacer le drapeau israélien qui orne la façade du lycée par un drapeau palestinien. Tamer, que son histoire familiale a dissuadé de tout engagement politique, n’y est guère favorable. Mais, l’arrivée dans le groupe de Maysaa va le faire changer d’avis.

Tourné en Tunisie, où réside désormais son réalisateur d’origine palestinienne, financé par des fonds saoudiens, qataris et tunisiens, Alam est un film ouvertement militant et pro-palestinien,, qui critique le sort réservé aux populations arabes en Palestine et la négation des souffrances endurées par leurs ancêtres en 1948.
Il ne se réduit pas à cette seule dimension. C’est aussi un coming-of age movie, un film sur la sortie de l’adolescence et la conscientisation politique chez un groupe de lycéens. Tamer, le héros, présente le caractère le plus nuancé, celui dont l’histoire familiale est la plus creusée, celui dont le parcours est le plus subtil : c’est pour plaire à Maysaa qu’il acceptera de prendre un engagement que, sans elle, il n’aurait sans doute pas pris.

Pour autant, Alam est beaucoup trop sage pour susciter l’intérêt. Il n’y a rien de bien subversif dans les actions soi-disant clandestines de ces jeunes, rien de bien nouveau dans les émotions qu’ils éprouvent.

La bande-annonce

Querelle (1982) ★★★☆

Querelle (l’acteur américain Brad Davis auréolé du succès de Midnight Express et des Chariots de feu) est un matelot embarqué à bord du Vengeur, un aviso commandé par le lieutenant (sic) Seblon (l’Italien Franco Nero, grand héros de westerns spaghettis). Querelle fait escale à Brest où il retrouve son frère Robert (l’Autrichien Hanno Pöschl). Robert est l’amant de Lysiane (la Française Jeanne Moreau) qui tient un bar, la Feria, avec son mari Nono (l’Allemand Günther Kaufmann).
Pour coucher avec Lysiane, les clients de la Feria doivent jouer aux dés avec Nono. S’ils gagnent, ils peuvent jouir des charmes de la patronne ; s’ils perdent, ils doivent se donner au patron.

Querelle est un film mythique. Parce que c’est le dernier de Rainer Fassbinder, brutalement décédé dans des circonstances troubles (rupture d’anévrisme ? overdose ?) alors qu’il travaillait à son montage. Parce que c’est l’adaptation du sulfureux livre du non moins sulfureux Jean Genêt.
Son affiche avait fait scandale et avait été interdite (ne reculant devant aucune audace pour satisfaire, cher lecteur, votre curiosité intellectuelle, je l’ai publiée au regard de ma critique en espérant qu’elle ne me vaudra pas les foudres – avec un d – de la censure).

Mais c’est surtout son atmosphère homo-érotique, artificielle (le film a été entièrement tourné en studio à Munich) et baroque qui donne à Querelle son parfum inimitable. Je n’ai pas réussi à déterminer si Jean-Paul Gaultier s’en est inspiré ou si, au contraire, c’est lui qui a inspiré à Fassbinder cette ambiance immédiatement identifiable.

Dans mes critiques de films « anciens », je pose souvent la question de savoir s’ils ont bien vieilli ou pas. La réponse est éminemment subjective. J’ai l’impression que la mienne est souvent négative, étant peut-être trop influencé par le cinéma d’aujourd’hui, ses tics et ses tocs, pour goûter à sa juste valeur le cinéma dit « classique ».
Je n’ai pas aimé Querelle ; car je n’ai pas aimé son scénario trop confus et son ambiance lourde et poisseuse. Pour autant, je ne crois pas que ce film intemporel ait mal vieilli. Il a réussi à créer une forme incroyablement novatrice et audacieuse, en parfaite adéquation avec son sujet. Qu’on l’aime ou pas, force est d’en reconnaître la cohérence et la force.

La bande-annonce

L’Eté dernier ★★☆☆

Anne, la quarantaine, est une redoutable pénaliste, qui défend avec succès des mineurs dans des affaires scabreuses d’agressions sexuelles ou de violences familiales. Elle a épousé Pierre, un homme d’affaires installé, plus âgé qu’elle. Infertile, le couple a adopté deux fillettes indochinoises aujourd’hui âgées de six et sept ans. Pierre avait eu d’un premier lit un garçon, Théo, adolescent difficile, élevé jusqu’alors par sa mère à Genève, qui, pour changer de milieu, emménage avec eux. Les rapports entre Théo et sa belle-mère sont d’abord conflictuels avant de prendre un tour plus complice.

La bande-annonce – ah ! ces bandes-annonces et le reproche que je leur fais sempiternellement de trop en dire et le conseil, bienvenu, mais que je n’écoute pas, de ne pas les voir pour ne pas être influencé – de L’Eté dernier laisse augurer une histoire reposant sur un mystère. On y voit Pierre accuser Anne d’avoir une liaison avec Théo et Anne nier froidement. Anne a-t-elle ou pas couché avec son beau-fils ? Est-elle coupable de l’inceste – au sens des dispositions de l’art. 222-22-3 du code pénal – que son mari lui reproche ? Ou s’agit-il d’un mensonge fomenté par un adolescent mythomane pour discréditer sa belle-mère et monopoliser l’amour d’un père trop absent ?

Ces interrogations auraient parfaitement pu nourrir un film passionnant, terriblement dans l’air du temps, sur les violences intrafamiliales et la foi donnée à la parole de la victime.
Mais L’Eté dernier n’est pas ce film-là.
Dans ce film-ci, il n’y a pas place au doute : Anne couche avec Théo. Mais quand Théo la dénonce à son père, Anne n’a d’autre ressource, pour éviter l’explosion du couple qu’elle forme avec Pierre, de la famille qu’elle a patiemment construite avec leurs deux filles et que son beau-fils menace de détruire, de tout nier, quitte à broyer Théo.

Cette histoire-là a la dureté et la simplicité d’une nouvelle de Maupassant. Mais Catherine Breillat a le défaut de vouloir in extremis lui rajouter une ambiguïté, une subtilité qui, au lieu de l’enrichir, la surcharge. Sans sa  dernière scène, L’Eté dernier aurait été saisissant. Avec elle, il est inutilement complexe.

Un mot encore sur Léa Drucker, une nouvelle venue dans le cinéma de Catherine Breillat. Elle joue à la perfection l’avocate brillante et intraitable, l’épouse prête à tout pour sauver son couple. Elle est en revanche moins convaincante quand elle fend l’armure. Elle manque de la sensualité, de la tendresse qui auraient rendu les scènes d’amour avec le jeune Samuel Kircher (frère cadet de Paul Kircher, et fils d’Irène Jacob) plus crédibles.

La bande-annonce

Anti-Squat ★☆☆☆

Inès (Louise Bourgoin) élève seule son fils Adam, collégien de quatorze ans. En retard de loyers, menacée d’expulsion dès la fin de la trêve hivernale, elle recherche désespérément un emploi. Elle en trouve un chez Anti-squat, une société qui, sur la base d’un nouveau dispositif législatif, gère des locaux vacants pour du logement ou de l’insertion social, dans l’attente d’une réhabilitation ou d’une vente.

Nicolas Silhol répète dans Anti-Squat les mêmes recettes que celles utilisées dans son précédent film, Corporate. Céline Salette y jouait, avec la même conviction que Louise Bourgoin ici, le rôle d’une employée de la DRH d’une multinationale recrutée pour réduire à moindre coût sa masse salariale en poussant les travailleurs surnuméraires à la démission pour lui éviter le versement de lourdes primes de licenciements.
Comme celle de Corporate, l’héroïne de Anti-Squat est recrutée par des suppôts du libéralisme qui utilisent la loi à leur propre avantage : certes proposer à des mal-logés un logement temporaire dans des bureaux vides (ce qui n’est, tout bien considéré, ni idiot ni inhumain), mais les utiliser comme une main d’œuvre servile pour réhabiliter à moindres frais ces locaux et les expulser sans respecter les délais légaux dès qu’un acheteur se sera annoncé.
Comme celle de Corporate, l’héroïne de Anti-Squat, contrainte d’accepter un emploi qui l’oblige à des actes qu’elle réprouve (fliquer ses locataires, mettre à la rue ceux qui ne respectent pas le logement, les tromper sciemment sur l’échéance de leur bail…), finira par se rebeller contre le système qui l’asservit.

Bien sûr, on ne pourra que sympathiser avec cette figure héroïque, confrontée à un si cruel dilemme, essayant tant bien que mal de conserver un peu d’humanité et de dignité. On le fera d’autant plus que son cœur penche à gauche – même si, chacun sait depuis 1974 que la gauche n’a pas le monopole du cœur.
Pour autant, cinématographiquement parlant – puisque c’est au cinéma que ce blog est consacré et pas au capitalisme ou à ses dévoiements – Anti-Squat ne vaut pas tripette avec son manichéisme simpliste auquel n’échappe pas un épilogue improbable et racoleur. La figure du prolétaire moderne, privé de dignité par le système, est autrement convaincante quand c’est Stéphane Brizé qui la filme et Vincent Lindon qui l’interprète (En guerreUn autre monde).

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Le Gang des bois du temple ★★★☆

Dans une cité HLM située à la périphérie d’une métropole anonyme (Paris ? Marseille ? Bordeaux ?), un homme, enterre sa mère qui fut longtemps l’épicière du coin. D’autres habitants du quartier, qui vivent de petits trafics, préparent un gros coup : le braquage du van d’un riche prince émirati contenant des valises remplies d’argent liquide.

Les films de Rabah Ameur-Zaïmeche sont rares. Il en a tourné sept en vingt ans. Ils sont précieux, âpres, singuliers, souvent minimalistes. L’œuvre de cet enfant des Bosquets à Montfermeil (il est arrivé en France à l’âge de deux ans) ne se limite pas au « film de banlieue » à la mode comique (Le Ciel, les oiseaux et ta mère), tragique (La HaineLes Misérables) ou romantique (Tout ce qui brille). Après Wesh-wesh et Bled number one, ses deux premiers films tournés en 2002 et en 2006 avec quatre bouts de ficelle, qui racontent la difficile réinsertion d’un détenu puis son retour au bled en Algérie, Ameur-Zaïmeche voit plus large. Les Chants de Mandrin et Histoire de Judas sont des films en costumes qui racontent l’un comme l’autre des formes d’utopie sociale, dans la France du XVIIIème siècle ou dans la Galilée de Tibère.

Le Gang des bois du temple n’est pas situé géographiquement – même si l’anecdote rocambolesque qui l’a inspiré s’est déroulée sur une bretelle de l’autoroute A, entre Paris et Roissy. S’il louche du côté du thriller, il n’en reproduit pas tous les codes. Il y a, en particulier, dans la bande débonnaire des braqueurs un je-ne-sais-quoi qui les différencie de ceux qu’on voit d’habitude s’organiser pour braquer un convoi ou une banque. Ils sont trop vieux, trop bonhommes, trop loquaces. Pour le dire autrement, ils n’ont pas la gueule de l’emploi.

Mais, fort subtilement, Rabah Ameur-Zaïmeche fait de ce qui, chez d’autres, aurait sonné comme une piteuse erreur de casting, un atout. Son, film, qui si ces acteurs avaient été plus normés, aurait été plus banal, acquiert grâce à eux une tonalité originale.

Et son scénario, bancal, lui aussi, acquiert, par la grâce de ses défauts, une saveur inattendue. Dans un thriller « normal », la préparation du braquage aurait occupé l’essentiel du film : le recrutement des acolytes, le repérage des lieux, la tension grandissante jusqu’à son exécution. Mais le braquage est expédié ici en un rien de temps dès le début du film, provoquant ensuite une brutale baisse de rythme et lançant l’intrigue dans une direction inattendue. Le même procédé était utilisé récemment dans Dernière nuit à Milan.

Le film change alors de focale. Il s’éloigne de la sympathique bande de braqueurs pour mettre en vedette deux héros solitaires. D’abord, interprété par Slimane Dazi qui promène depuis si longtemps sa gueule  impossible qu’il serait temps qu’on se souvienne de son nom, un privé chargé par le bras droit du prince de retrouver ceux qui l’ont volé. Ensuite, cet homme solitaire, qui, depuis la mort de sa mère, dont les funérailles muettes occupaient le premier quart d’heure du film, passe ses journées à jouer au tiercé. Au détour d’une conversation de bistrot on avait appris qu’il avait été tireur d’élite dans l’armée de terre. L’information a son importance qui lui donne dans le dernier tiers du film un rôle qu’on n’imaginait pas.

Avec Le Gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme la place originale qu’il occupe dans le cinéma français.

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Visions ★★☆☆

Estelle Vasseur (Diane Kruiger) est pilote de ligne sur longs-courriers. Elle habite, avec son mari Guillaume (Mathieu Kassovitz), brillant cardiologue, une luxueuse villa sur les hauteurs de Toulon. Il ne manque au couple qu’un enfant pour que leur bonheur soit complet.
Un jour, Estelle retrouve Ana (Marta Nieto), une artiste qui avec qui elle a connu vingt ans plus tôt, une brûlante passion. Elle en retombe vite amoureuse.

En 2021, le précédent film de Yann Gozlan, Boîte noire, avait connu un grand succès critique (cinq nominations aux Césars) et public (plus d’un million d’entrées). Il ne m’avait pourtant qu’à moitié convaincu. Je lui reprochais pêle-mêle une mise en place trop longue, un scénario trop prévisible et des rebondissements trop nombreux – ce qui, je le concède, constitue un ensemble de défauts contradictoires.

Je pense que Visions aura moins de succès. Pire : je crains au vu des premiers chiffres qu’il ne fasse un flop. Sa stratégie marketing reposait sur un argument à double tranchant : l’invocation de Boîte noire – que beaucoup de spectateurs n’ont pas vu et qui, parmi ceux qui l’ont vu, n’a pas nécessairement fait l’unanimité. Or, Visions est moins réussi que Boîte noire dont il utilise un peu trop les recettes : celles d’un thriller paranoïaque dans le monde glacé de l’aéronautique. Comme le veulent les règles du genre, Visions installe un suspense dont l’élucidation s’avère finalement décevante (« C’était donc ça…. »).

Pour autant, Yann Gozlan y démontre une sacrée maîtrise de la caméra, du montage et surtout de l’usage de la musique symphonique de Philippe Rombi. De nos jours, certains films – je parlerai le jour de sa sortie de L’Abbé Pierre avec Benjamin Lavernhe qui souffre de ce défaut – use et abuse d’une musique omniprésente et sursignifiante. Celle de Visions est très (trop ?) présente. Mais elle le fait en reproduisant une grammaire cinématographique ultra-classique : celle des films hitchcockiens des 50ies et des 60ies.

C’est en effet à Hitchcock et à Vertigo qu’on pense devant Visions, la beauté et la blondeur de son héroïne, le délire paranoïaque dans lequel elle se perd. Une telle référence pourrait être écrasante. Elle l’est sans doute. Visions n’arrive pas à la cheville de Vertigo. Il n’en avait pas la prétention. Mais il en a le parfum. Et ce parfum-là, qu’on ne respire plus guère dans le cinéma contemporain, qu’il soit français ou américain, est sacrément envoûtant.

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